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Refuge Wear prend forme au niveau individuel, liant et combinant matière, espace et action sociale
afin de réduire les différences qui existent entre les individus. Orta considère chaque pièce comme un
prototype artistique, judicieusement conçu, et potentiellement exploitable à l’échelle industrielle, pour
aider ceux qui ont un besoin immédiat et temporaire de vêtements et d’abris lors de situation de crise.
Il ne s’agit pourtant, en aucun cas, d’objets industriels fonctionnels. Universel dans sa portée, chaque
pièce de Refuge Wear est conçue pour être mise en présence de contextes difficiles, sur le terrain
même de leur réalité, incitant à une redistribution poétique des ressources, depuis ceux qui ont tout
vers ceux qui n’ont rien.
Les pièces de Refuge Wear sont essentiellement des structures textiles qui peuvent se transformer
instantanément en architecture corporelle, par le biais d’un système de poches, de fermetures éclair et
de fermetures en velcro, permettant aux matières naturelles et aux tissus techniques d’être étirés le
long d’armatures de carbone ultra légères qui ancrent le tout dans le sol. Les parois sont élaborées à
partir de tissu de haute performance et de textiles « techno » qui entourent le corps d’une membrane
poreuse fonctionnant comme une seconde peau. Le premier vêtement de la série Refuge Wear fut
l’« Habitent », une veste/coupe-vent imperméable qui incorpore une structure pliable faisant office,
pour celui qui la porte, de vêtement et d’abris.
On peut tirer certains parallèles entre l’oeuvre d’Orta et celle des artistes brésiliens Lygia Clark et
Hélio Oiticica, qui ont observé la mutabilité du corps au travers de sa relation aux signifiants
extérieurs. Ces artistes ont créé des structures architecturales semblables à des capes et à des
bannières servant d’«habitation » et permettant aux individus de se connecter par l’intermédiaire du
toucher. Les Parangolés, œuvre la plus connue d’Oiticica, sont des structures textiles et plastiques,
conçues en tant qu’habits-refuge. Les Parangolés proposent également une réflexion sur le rôle de
l’individu au sein d’expériences collectives, envisagé comme un « participant, transformant son propre
corps en un support, au cours d’une expérience étrange qui devient un acte d’expression. » Tout
comme Heidegger, Clark et Oiticica ont structuré leur travail selon le concept de l’existence corporelle
perçue comme un lieu de résidence ou une habitation, mais ils se sont plus particulièrement inspiré de
la théorie de « l’anthropagie » d’Oswald de Andrade. En tant qu’amplification de la structure
corporelle, les Parangolés ont également été conçus pour témoigner de l’architecture comme étant la
première manifestation de l’existence humaine sur terre.
Chaque pièce de Refuge Wear a été conçue comme un environnement personnel, susceptible de
modifications, en fonction des conditions climatiques, des besoins sociaux, de la nécessité ou de
l’urgence. Les poches sont faites pour contenir des éléments utilitaires : de l’eau, de la nourriture, des
médicaments, des vêtements, des réchauds et des documents. D’autres prototypes plus tardifs ont
été fabriqués pour servir d’environnements personnels qui répondent aux conditions sociales et qui
peuvent être convertis en fonction des besoins. Dans le cadre d’un camp ou d’une zone d’urgence, le
vêtement trace une frontière entre le domaine du public et la sphère du privé. D’un point de vue
pratique, les unités apportent refuge et protection, et l’espace délimité par ces unités est l’expression
symbolique d’habitations intimes. Tout comme une maison, elles encerclent les familles ou les
personnes au moyen de murs de défense, établissent des points de contact avec le monde extérieur
et fournissent des espaces que les réfugiés peuvent s’approprier comme étant leur « chez soi ».
C’est en réaction à la Guerre du Golfe, qu’Orta a conçu Refuge Wear comme réponse aux
souffrances humaines à l’échelle du globe. L’instabilité politique, les famines et les guerres
accroissent le nombre de réfugiés et de populations déplacées. Orta a produit une série de dessins
qui évoquent des solutions d’urgence face aux difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui se
retrouvent privés d’habitation. A partir de ces dessins, Orta a conçu la série de refuges
multifonctionnels auxquels elle a donné le nom générique de Refuge Wear, et qui peuvent être portés
tels des vêtements imperméables et confortables, puis être transformés en de simples structures en
forme de capsule ou de tente.
Refuge Wear est ensuite devenu synonyme de vêtements et de refuges conçus pour résister aux
conditions extrêmes. Les prototypes garantissent une mobilité vitale ainsi qu’un abri imperméable et
temporaire, que se soit pour les populations réfugiées albanaises et kurdes, les victimes de
catastrophes naturelles, comme par exemple le tremblement de terre de Kobe, ou pour subvenir aux
besoins des civils serbes, suite aux bombardements menés par l’ONU ; et, dans leur plus terrible
fonction, pour servir de linceul aux victimes du génocide rwandais.