DADA : un spectacle libertaire, ouvert sur la différence Aliénor Debrocq C’est Caroline Rottier qui a été choisie pour s’occuper du volet scénique du projet INTERACTION : un choix qui possède tout son sens lorsqu’on sait qu’elle réalise des représentations multidisciplinaires avec des personnes dites vulnérables depuis près de dix ans. Cet engagement résulte de l’alliance entre développement personnel et désir d’humanité, explique-t-elle : « Je souhaite contribuer à une vision plus positive des personnes possédant un handicap et faire ainsi un pas vers une société plus tolérante et ouverte, sans clivages. » Dans le cadre d’INTERACTION, Caroline Rottier s’est attelée à la création de DADA, spectacle d’une heure conjuguant musique, danse et théâtre, créé et joué par seize personnes présentant une déficience mentale – toutes résidentes du Carrosse, lieu partenaire du projet. L'encadrement de ce spectacle d’un genre tout particulier est assuré par une équipe totalisant quinze artistes professionnels : « Afin que mes projets puissent représenter une solide et ample base d’intégration de personnes handicapées, je souhaite collaborer avec des artistes professionnels » affirme l’artiste. Neuvième spectacle de théâtre d'intégration créé par Caroline Rottier depuis 2006, DADA est une création multidisciplinaire pleine d'humour et de poésie, qui cherche à rendre hommage à la différence en s'inspirant des idées du dadaïsme : « Le titre renvoie au mouvement mais, en même temps, le mot DADA est un mot reconnaissable dans plusieurs langues. 'Ce n'est pas mon dada', 'c'est mon dada', 'dada' dans le sens de dire bonjour, un cheval à bascule, 'een stokpaardje', mon truc, mon affaire, ma motivation – et avec Google translate il y en a encore beaucoup d’autres ! » affirme-t-elle, soulignant également le caractère rebelle, audacieux, ludique, humoristique et surréaliste de Dada, qui l’a toujours inspirée. Près de cent ans après la création de ce mouvement, en pleine Première Guerre mondiale, Caroline Rottier déclare que vouloir être intentionnellement irrationnel en rejetant les normes et les valeurs généralement acceptées dans les arts est à nouveau très actuel. « Je veux mettre en valeur les qualités et les talents que possèdent les acteurs – tous des personnes handicapées, souvent naturellement. Voir la vulnérabilité comme une force, l'absurdité et l'humour comme armes pacifiques contre la stigmatisation qui repose encore trop souvent sur les personnes dites différentes. DADA veut rendre hommage à cette différence, tout en exprimant la poésie et la force qui en ressortent dans les textes, le jeu, le mouvement et les images. » Recherchant la tension entre mots, images, mouvements, couleurs et formes, Caroline Rottier relie l'aspect audacieux, ludique et absurde du mouvement Dada au jeu des acteurs, dont l’imagination est le plus souvent insurpassable au niveau de l'absurde et du fantastique, ce qui lui semble être un bon moteur pour optimiser l'expérience du jeu et de la création : « La technique et l'idée du collage dadaïste est une source d'inspiration utilisée pour la création des textes, des images, du jeu et des décors. » Sur le plan du contenu, Rottier travaille à la frontière entre réalisme et surréalisme, jouant sur les registres et l'humour, qu’elle revendique comme une arme au service de son engagement : « L'humour est pour moi un remède dans une société qui, trop souvent, n'est pas assez ouverte envers les personnes handicapées et manque de tolérance et d'acceptation, malgré ses nombreuses initiatives positives. » Le projet se définit en premier lieu comme étant au service du développement créatif des personnes handicapées. L’accent est mis sur l’évolution et le développement personnels, ainsi que sur la stimulation des aptitudes sociales et créatives : « Autant le processus de travail que le résultat sont importants. Étant donné que la pièce est créée à partir de la fantaisie et de l’inventivité des acteurs, notre approche sera très personnelle. Les acteurs ne sont pas au service du projet ; c’est le projet qui est entièrement là pour eux. » Le résultat sera accessible à un large public, avec ou sans handicap, amateurs de théâtre ou non. Sur scène, les acteurs font ainsi équipe avec la comédienne Annick Cornette et la danseuse chorégraphe Lisa Gunstone. Les images sont réalisées par Bernaded Dexters, photographe et documentariste, les costumes, conçus par Isabelle Lhoas, scénographe et costumière pour Ultima Vez/Wim Vandekeybus, et les décors, assurés par Lieven Baes et Peter Van Dyck pour l'éclairage. La chanteuse Christine Leboutte (Sidi Larbi Cherkaoui, Akram Khan) a assuré les ateliers chant. La musique live, composée spécialement pour le spectacle, est jouée live par le musicien multiinstrumentiste Rob Kanters, trompettiste Luc van Lieshout (Tuxedomoon, FES), saxophoniste Jeroen Capens, batteur Steven Van Gelder et contrebassiste Otto Kint. L'assistanat de mise en scène a été confié à Annick Cornette et Hilde Wils, tandis que le photographe Roger Van Vooren a réalisé une série de portraits des acteurs ainsi que des clichés du travail en cours. Tous les textes sont de Caroline Rottier et des résidents du Carrosse. DADA, dont la première est programmée le 4 septembre 2015 à l'Auditorium Abel Dubois à Mons, est le résultat d'une collaboration intense d'un an et demi entre ces artistes et le groupe de résidents du Carrosse, tous placés sous la direction artistique de Caroline Rottier. Née à Mons en 1983, Aliénor Debrocq vit aujourd’hui à Bruxelles. Auteure d’une thèse d’histoire de l’art sur le mouvement Cobra (ULB, 2012), elle travaille dans l’enseignement supérieur artistique et comme journaliste indépendante dans la presse écrite (Le Soir). Parallèlement à ces activités, elle écrit de la fiction (nouvelles, théâtre, roman) et anime des ateliers d’écriture.