Le peuplement humain en Eurasie : l`Asie centrale montagneuse et

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ANTHRO-2295; No of Pages 34
Article original
Le peuplement humain en Eurasie :
l’Asie centrale montagneuse et les piémonts
sous-himalayens du Plio-Pléistocène à
l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations
The human settlement in Eurasia: The mountainous
Central Asia and the Sub-Himalayan piedmonts
from Pliopleistocene to Holocene, origins,
human evolution and migrations
Anne Dambricourt Malassé
UMR 5198 CNRS, département de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle,
institut de paléontologie humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France
Résumé
En 1996 et 1997, une équipe du laboratoire de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle
engage des prospections dans le nord de l’Hindou Kouch (district de Chitral), en coopération avec le
département d’Archéologie et des Musées du gouvernement de Karachi ainsi qu’avec le département
d’Archéologie de l’université de Peshawar. Le but de ces missions vise à établir une étude des connections
entre l’Asie centrale et l’Inde du Nord-Ouest (Potwar, Punjab) dès le Pléistocène inférieur (Soanien) et à
comprendre l’origine des chasseurs-cueilleurs épipaléolithiques/néolithiques héritiers du Soanien, disparus
au cours de l’âge du bronze. L’approche paléoanthropologique soulève des questions qui mettent en cause le
paradigme des origines africaines de l’Homo sapiens asiatique. Depuis 2003, l’équipe poursuit ses
investigations dans l’Inde du Nord-Ouest (chaîne frontale des Siwaliks, État du Punjab) en coopération
avec le département des Affaires culturelles, d’Archéologie et des Musées du Punjab pour tenter de
comprendre les origines du Soanien (Mode 1) et les modalités de son évolution jusqu’à l’Holocène.
#2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://france.elsevier.com/direct/ANTHRO/
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
L’anthropologie xxx (2008) xxxxxx
Adresse e-mail : [email protected].
0003-5521/$ see front matter #2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
Abstract
During the years 1996 and 1997, a team of the Laboratory of Prehistory, National Museum of Natural
History, Paris, and of the Departments of Archaeology, Karachi and Peshawar University, Pakistan, leads the
first prehistoric field investigation in the District of Chitral, Hindu Kush, close to the Wakhan Corridor (the
Amu Daria course in the Pamir). Problematics are the origins and the becoming of the Epipaleolithic/
Neolithic hunters-gatherers known in the Pamir Plateau and the Gissar Range, the lithics tradition of which
share common roots with the Sub-Himalayan Soanian tradition (Mode 1). A second field investigation has
been conduced in the North West India, where Soan developed from Early Pleistocene, in the Frontal Range
of the Siwaliks and Himachal Pradesh during the years 2003, 2005 and 2006 in cooperation with the
Department of Archaeology and Museums of Punjab, India. New discoveries in both countries support new
hypothesis for the understanding of human evolution in Asia and Homo sapiens origins.
#2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Hindou Kouch ; Inde ; Asie centrale ; Pamir ; Haute Asie ; Punjab ; Plio-Pléistocène ; Holocène ; Soanien ;
Épipaléolithique ; Homo erectus ;Homo sapiens
Keywords: Hindu Kush; India; Central Asia; Pamir; Punjab; High Asia; Plio-Pleistocene; Holocene; Soanian;
Epipaleolithic; Homo erectus;Homo sapiens
1. Introduction
Dans l’une de ses synthèses majeures, le préhistorien tadjik Vadim Ranov (1972) concluait :
«Grâce à nos travaux (19561960), c’est au Pamir occidental que les étapes du peuplement de
régions aussi inhospitalières pour l’homme ont été le mieux étudiées (...). Les hautes montagnes
de l’Asie centrale sont entourées de tous côtés par des pays où l’occupation paléolithique est
attestée. Les sites de l’Ordos, des nouveaux gisements de Mongolie, de l’Alashan, du Se Tchouen
et surtout de l’Inde nous indiquent des voies de pénétration possibles vers les hauts plateaux du
Thibet et les massifs montagneux du Kouen-Lun. L’Himalaya et l’Indou Kouch peuvent avoir été
peuplés par le Sud. Ils correspondent aux deux premières zones que nous avons définies. Il semble
que la zone alpine, entaillée de profondes vallées ne soient finalement pratiquement pas
explorée ».
Ces zones inexplorées correspondent aux écosystèmes les plus élevés classés comme zone 4
par Vadim Ranov, ce sont les hauts massifs et hautes vallées de l’Hindou Kouch. En 1995, une
équipe du laboratoire de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle s’est engagée dans
l’étude du peuplement préhistorique et protohistorique de cette région encore inexplorée de
l’Asie centrale. L’origine de cette recherche remonte à la découverte de pétroglyphes observés
dans les hauts massifs de l’Hindou Kouch en 1988, par un linguiste, Erik L’Homme (1999) et un
naturaliste attaché au laboratoire des Reptiles et Amphibiens du Muséum, Jorge Magraner
(Dambricourt Malassé et Gaillard, 2002).
Ces pétroglyphes se situent à près de 4000 m d’altitude, dans le haut massif de la Shah Jinali
(« plateau noir » en khowar), dans la province des Frontières Nord-Ouest du Pakistan au nord du
district de Chitral (Fig. 1). Ces chaînes bordent le couloir du Wakhan, le cours supérieur de l’Amu
Daria, un diverticule de l’Afghanistan séparant le Pakistan du Tadjikistan.
Ces régions les plus septentrionales de l’Hindou Kouch étaient encore vierges de prospection.
La voie d’accès naturelle est la vallée de la Kunar en Afghanistan, un affluent de la rivière Kaboul
qui rejoint l’Indus à l’est de Peshawar au Pakistan. En remontant vers le nord-est, la Kunar se
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retrouve au Pakistan et prend le nom de Chitral, puis elle devient la Yarkhun dans son lit supérieur
où elle se rapproche des hauts massifs de la Shah Jinali, ainsi que du Pamir. La puissante rivière
glaciaire Chitral s’inscrit donc dans le réseau des grandes rivières qui alimentent l’Indus, lequel
creuse son lit dans l’épais plateau lœssique du Potwar après avoir traversé les Siwaliks, les
piémonts himalayens riches en faunes continentales miocènes.
Au nord de la Shah Jinali s’étendent les hauts plateaux du Pamir et au-delà, les chaînes
kirghizes de l’Alaï et du Tien Shan (Fig. 2), de vastes territoires montagneux explorés depuis la
fin des années 1950 par Vadim Ranov. Les campagnes de prospections ont inventorié de
nombreux pétroglyphes découverts entre 3000 et 3300 m d’altitude dans le Badakhshan, à
Ljangar-Kisht, une région de l’Hindou Kouch proche de la Shah Jinali (Ranov, 1960), ainsi qu’à
3500 m dans un ravin situé à Vybist-Dara (Ranov, 1976). Les scènes de ces trois localités ainsi
que leurs patines sont comparables, elles reprennent des thèmes similaires dont les plus
anciennes sont rapportées à l’âge du bronze.
Vadim Ranov découvrit également dans les gorges de Kurteke à 4200 m d’altitude des
peintures rupestres sur les parois d’une cavité, située à une quarantaine de kilomètres au sud-
ouest de Murghab, dans le Pamir, la grotte Shakhti (Ranov, 1961). Ces fresques seraient l’œuvre
de chasseurs mésolithiques, voire du début du Néolithique (Gupta, 1979). Les thèmes sont des
scènes de chasse illustrant de grands mammifères tels que des ours ou des yacks blessés par des
flèches (Bar Yosef et al., 1984).
Les quelques pétroglyphes de la Shah Djinali s’ajoutent à ce corpus déjà considérable et d’une
grande richesse iconographique. Les scènes représentent en l’occurrence un canidé en présence
des bovidés aux contours frustres, tandis qu’ailleurs ce sont des gravures plus élaborées, d’une
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Fig. 1. Localisation du district de Chitral (Hindou Kouch, Pakistan).
Fig. 1. Localisation of Chitral District (Hindu Kush, Pakistan).
facture plus fraîche, figurant des hommes en armes montés sur des chevaux. La présence de ces
pétroglyphes, dans un environnement peu accessible et peu fréquenté, suggère que l’on
s’intéresse au peuplement humain de ces hauts massifs plutôt qu’aux hautes vallées, en replaçant
l’Asie centrale montagneuse dans l’histoire géologique et climatique continentale qui la
caractérise.
Les pétroglyphes s’observent sur l’ensemble des territoires de l’Asie centrale et de la Haute
Asie, depuis les hautes vallées et hauts massifs de l’Hindou Kouch jusqu’aux grandes plaines
kazakhes (Francfort, 1986, 1999 ; Francfort et Jacobson, 2004). En 1978, A.H. Dani de
l’université Quaid-i-Azam à Islamabad et Karl Jettmar ont inventorié un millier de pétroglyphes
dans la haute vallée de l’Indus (Jettmar, 1979, 1989 ; Hallier, 1991). Celle-ci constitue la voie de
communication la plus directe entre le sous-continent indien et le bassin du Tarim qui donne
accès à la Chine du Nord, à l’Altaï, à la Mongolie et, au-delà, aux grandes plaines de Sibérie. Les
hautes vallées sont encaissées mais certains cols ( pass) restent accessibles. Les difficultés de
pénétration sont l’altitude à plus de 4000 m, la forte déclivité des pentes et les conditions
climatiques selon les glaciations, mais ces contraintes géomorphologiques et physiologiques
n’ont jamais empêché les êtres humains non seulement de s’y aventurer, mais également de s’y
implanter, en petit nombre, chasseurs-cueilleurs ou pasteurs-nomades.
Vadim Ranov subdivisa donc la Haute Asie en quatre zones géographiques ; les plaines, les
vallées de moyennes montagnes, la zone de relief alpin (par exemple la gorge Darya où fut
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Fig. 2. Vue satellite de l’Asie centrale, de l’Inde du Nord-Ouest et de la Haute Asie, avec les bassins de l’Amu Daria
(dépression Afghano-tadjike, lœss au sud de la chaîne de Gissar), le Pamir (Markansou, Murghab), Chitral (mission 1996
1997, Hindou Kouch, la haute vallée de la Yarkhun), le Tien Shan, le bassin de l’Indus (Plateau du Potwar, Salt Range,
Pabbi Hills, Sohan Valley), l’Inde du Nord-Ouest, (Punjab, Himachal Pradesh et chaîne frontale des Siwaliks mission
2003, 20052007).
Fig. 2. Satellite view of Central Asia, North Western India and High Asia, Amu Daria (Afghano-tadjike depression, Gissar
Range), Pamir (Markansou, Murghab), Chitral (mission 19961997, Hindu Kush, Yarkhun Valley), Tien Shan, Indus
(Potwar Plateau, Salt Range, Pabbi Hills, Sohan Valley, North Western India (Punjab, Himachal Pradesh, Siwaliks Frontal
Range, mission 2003, 20052007).
découverte la grotte de Teshik Tash [Zautolosh] dans la chaîne de Gissar [Baisun Tau] à 1500 m
d’altitude) et les hautes vallées « vallées ‘‘proluvio-alluviales’’ entre les montagnes du Pamir et
les syrtes du Tien-Chan. Avec le Thibet, c’est la zone d’occupation humaine la plus élevée ».
On doit également à Gupta (1979) l’ouvrage qui fut longtemps la référence sur l’étude des
relations entre l’Asie centrale et l’Inde du Nord-Ouest, Archaeology of Soviet Central Asia and
the Indian Bordelands. L’auteur développe en détail les différentes traditions culturelles.
Particulièrement exhaustif et sans équivalent depuis 30 ans, nous complèterons cette synthèse des
principales découvertes acquises depuis, afin de mieux situer les résultats des campagnes de
prospections poursuivies dans le Chitral entre 1996 et 1997, puis dans le Punjab entre 2003 et
2007. L’intérêt de ces recherches demeure le même, quel que soit le regard porté sur la
problématique sous-continentale, qu’il s’agisse de considérer la Haute Asie comme une région
géographique particulièrement étendue, traversée des voies de pénétration depuis la grande
plaine indo-gangétique, ou bien, comme une immense biozone malgré tout habitable, et
reconnaissable à la durée des implantations traditionnelles depuis le début du Pléistocène
inférieur, fluctuant entre ses piémonts et ses hauts plateaux, au gré de l’extension des glaciers
dont l’influence est capitale.
De récentes recherches consacrées aux glaciers de Nanga Parbat, situés au nord-est du
Pakistan, ont permis d’identifier les périodes de leur extension maximale et d’observer des
asynchronismes avec les phases glaciaires arctiques (William et al., 2000 ; Kuhle, 2001, 2005). Si
l’Asie centrale montagneuse fait figure d’un troisième pôle glaciaire, elle ne s’en situe pas moins
à une latitude équivalente au nord du Maroc, ce qui en fait une région de l’Eurasie tout à fait
singulière en période interglaciaire. Le Nanga Parbat est l’un des huit plus hauts sommets de la
chaîne himalayenne, il n’existe pas de dénivellation aussi importante ailleurs dans le monde ;
entre les fonds de vallée et les cimes, la paroi sud s’élève sur 4500 m. Situé à une limite
thermique, le massif montagneux enregistre donc les variations climatiques du sud soumis aux
moussons subtropicales et celle du nord soumis au climat continental. Les périodes d’intense
accumulation de glace correspondent aux phases interglaciaires, car l’Asie du Sud-Ouest est
alors dominée par un climat chaud et humide qui se traduit par des fortes moussons se déversant
sur les reliefs ; la chute des températures englace ainsi les hautes vallées. En période de moindre
pluviosité, l’air étant trop sec, le volume d’eau glacée ne peut être maintenu, de sorte que le front
des langues glacières recule.
Une phase d’extension s’est produite au Pléistocène supérieur entre 60 000 et 30 000 ans, puis
au stade isotopique 2, entre 24 000 et 11 000 ans. On peut donc supposer qu’entre 30 et 24 ka, la
faune était davantage représentative d’un environnement clément et qu’il n’était pas difficile pour
les tribus de chasseurs-cueilleurs vivant sur les piémonts de communiquer par les cols des hautes
vallées et de se déplacer entre les réseaux hydrographiques des bassins supérieurs de l’Indus et de
l’Amu Daria. Il se produisit une dernière extension des glaciers dès le début de l’Holocène, vers
9000 ans BP, achevée vers 5500 ans BP. Les études ont montré qu’une baisse brutale de
température survenue vers 8400 à 8000 ans BP en serait la cause, suivie d’une augmentation des
précipitations hivernales entre 7000 à 5500 ans BP.
Un asynchronisme s’observe donc entre les périodes interglaciaires continentales et
l’englacement des hautes vallées. Ces asynchronismes constituent des conditions d’isolement
rapide et durable pour les populations humaines comme pour les espèces animales et végétales,
qui contribuent à la compréhension de leur évolution biologique et comportementale. Or dès le
Mésolithique, un petit nombre d’entre elles occupaient déjà les hautes vallées ainsi que les hauts
plateaux du Pamir, laissant des sols d’occupation caractéristiques d’une tradition de chasseurs-
cueilleurs se rapportant au Mode 1 qui se suit jusqu’à l’arrivée de pasteurs-nomades de l’âge du
A. Dambricourt Malassé / L’anthropologie xxx (2008) xxxxxx 5
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