17Religions & Histoire no48
« Quand les Juifs ont adopté le dogme qu’il n’existe qu’un Dieu, au cours du IVesiècle
avant notre ère, pour des raisons où l’histoire a joué, à mon sens, un rôle capital,
le monothéisme juif n’a pas remis en cause la structure de la religion antérieure,
perçue toujours comme un idéal : un seul dieu à vénérer, une seule vérité, un seul bien,
une doctrine unique et un seul chef, politique, militaire et religieux à la fois. »
pas irréversibles? Pourquoi Moïse
n’a-t-il pas choisi de convaincre
de leur erreur les adorateurs du
veau d’or, pour obtenir leur repentir,
d’autant qu’ils n’avaient commis
aucune violence? Pourquoi les
Hébreux ne se sont-ils pas
contentés de vassaliser, voire de
réduire en esclavage les Cananéens
vaincus? Je ne vois qu’une
explication : l’impossibilité
d’envisager des paliers
intermédiaires, et par conséquent
des compromis, entre le bien et
le mal2pour que s’accomplisse
la volonté du dieu.
Les Hébreux ont mis en place,
vers la fin du VIIesiècle avant notre
ère, avec la réforme du roi Josias
et la promotion de Moïse, qui a
servi de garant au roi, une religion
nationale exclusiviste qui enjoint
de ne vénérer qu’un dieu, Iahvé,
le dieu qui a conclu une alliance
avec les ancêtres, et d’exclure
du culte les autres dieux, non pas
parce qu’ils n’existent pas, mais
parce que ce sont les dieux des
autres peuples. Pour que notre dieu
nous mette à la tête des nations,
conformément à sa promesse, nous
devons être envers lui d’une fidélité
absolue, car c’est un dieu « jaloux ».
Tel est le sens explicite de la
réforme. Quand Iahvé a été
présenté plus tard comme le
créateur de l’univers et de l’homme,
le respect de ses commandements
est devenu plus impératif encore.
Leur transgression a été perçue
(Iahvé ou Dieu) qui n’a pas de
concurrents5. Cette idéologie a
perduré, avec des variantes, dans
les régions du monde devenues
chrétiennes, musulmanes ou juives.
Elle est à la source des massacres
collectifs qui se pratiquent sous
nos yeux chaque jour, sans faire
d’exception pour les femmes ou
pour les enfants. Et c’est entre
les adeptes des trois religions
monothéistes que le conflit est le
plus ouvert. Dans la logique même
du monothéisme, il ne peut, en
effet, y avoir qu’une manière
unique de vénérer le Dieu unique.
Pour chacune des trois versions,
les deux autres sont donc
nécessairement des hérésies.
NOTES
1Voir mon livre La Loi de Moïse, Paris,
De Fallois, 2003.
2Je renvoie à mes analyses de l’univers
mental des Hébreux dans La Violence
monothéiste, Paris, De Fallois, 2009.
3Dans le commandement que l’on traduit
« Tu aimeras l’étranger comme toi-même »
(Lévitique 19, 34), le mot hébreu guer
désigne exclusivement l’étranger qui travaille
pour des Hébreux. Dans la Bible, l’étranger
véritable, celui qui constitue un danger pour
l’identité hébraïque, est nommé nokri.
4Voir mon livre L’Invention du monothéisme,
Paris, De Fallois, 2002.
5Dans La Violence monothéiste, j’ai comparé
le monde juif et le monde grec de la même
époque (chapitre « Le modèle grec », suivi
de « Parallèle entre Athènes et Jérusalem »)
en montrant que la pluralité des dieux va
de pair avec la pluralité des points de vue et
des valeurs, qu’elle induit le sens du relatif
et incline à la tolérance. La Grèce a connu
des violences, comme toute société humaine,
mais il n’y a jamais eu chez elle de conflit
entrepris au nom d’un dieu ni de guerres
de religion.
comme un désordre introduit
dans l’ordre voulu par le Créateur.
Et le moyen qui a paru le plus
simple et le plus efficace pour
annuler ces désordres a été de
supprimer les personnes qui en
étaient responsables. Les Hébreux
se considéraient comme « un peuple
qui demeure à part et qui n’est
pas compté parmi les nations »
(Nombres 23, 9). Leur dieu devait
être mis, lui aussi, à part des autres
dieux. D’où l’interdit de fréquenter
des étrangers vénérant d’autres
dieux, de se marier avec eux ou
de partager leurs repas3. Ainsi
s’est instaurée une idéologie de
séparation ethnique et divine qui
s’est traduite par une politique
d’auto-ségrégation.
Quand les Juifs ont adopté le
dogme qu’il n’existe qu’un Dieu,
au cours du IVesiècle avant notre
ère, pour des raisons où l’histoire
a joué, à mon sens, un rôle capital4,
le monothéisme juif n’a pas remis
en cause la structure de la religion
antérieure, perçue toujours comme
un idéal : un seul dieu à vénérer,
une seule vérité, un seul bien,
une doctrine unique et un seul
chef, politique, militaire et religieux
à la fois (là joue à plein le mythe
de Moïse) pour les défendre contre
des ennemis de l’extérieur —les
Cananéens —, ou des ennemis de
l’intérieur —les adorateurs du veau
d’or —en ayant recours à une
violence légitime parce que
cautionnée par une divinité