réalités Cardiologiques # 283_Janvier 2012 Le dossier Evaluation de l’ischémie myocardique Evaluation de l’ischémie myocardique par l’échographie de stress Résumé : L’échographie cardiaque de stress à la recherche d’une ischémie myocardique doit utiliser en priorité l’effort à chaque fois que le patient en est capable, ou à défaut la dobutamine couplée à l’atropine. L’examen est difficile à interpréter car les critères utilisables (hypokinésie, akinésie et surtout tardokinésie) sont subjectifs, mais l’utilisation large d’une double lecture, notamment en période d’apprentissage, permet d’obtenir une performance diagnostique globalement comparable à la scintigraphie ou l’IRM. En parallèle, les avantages sont nombreux : prix bas, disponibilité, innocuité, courte mobilisation… L’un des grands objectifs dans le domaine de la recherche d’ischémie est de ne pas méconnaître les patients à haut risque devant bénéficier d’une revascularisation (tritronculaire, tronc commun, IVA proximale) et, à ce titre, l’échographie de stress s’impose comme la technique de référence. L’ ➞E. Abergel, C. Chauvel Clinique Saint-Augustin, Bordeaux. échographie de stress, pratiquée à la recherche d’une ischémie, peut avoir un intérêt diagnostique (recherche d’une ischémie chez un patient non connu comme coronarien, recherche d’ischémie résiduelle après un infarctus ou un geste de revascularisation), mais aussi pronostique, en précisant le profil de risque du patient, notamment avant une anesthésie et un geste chirurgical. L’échographie de stress, pour être performante, doit être réalisée dans des conditions optimales : elle nécessite la collaboration d’un binôme – un cardiologue et un(e) infirmièr(e) – et doit être réalisée dans un local spacieux possédant une table avec un pédalier et une table d’examen plus traditionnelle. Ainsi, on peut pour chaque patient et à tout moment choisir la modalité de stress retenue, soit l’effort, soit l’injection de dobutamine et d’atropine. Il faut privilégier l’effort chaque fois que c’est possible : ainsi, sans perfusion, et dans un délai court (une vingtaine de minutes) en couplant l’enregistrement 16 continu de l’ECG, il sera possible de savoir s’il existe ou non une ischémie myocardique, avec une sensibilité et une spécificité globalement comparables à la scintigraphie ou l’IRM. Les avantages de l’échographie d’effort sont nombreux : faible coût, patient non perfusé, non irradié, pas de produits injectés donc pas de toxicité potentielle, mobilisation très courte en temps pour le patient… [ Les critères diagnostiques Le suivi de la cinétique du ventricule gauche (VG) au cours de l’échographie de stress est permanent, ce qui permet en échographie d’effort en particulier d’acquérir facilement des boucles à chaque palier (tous les 20, 30 ou 40 watts selon le protocole choisi) ; on peut ainsi disposer de 5 à 8 paliers en moyenne, ce qui permet non seulement de faire le diagnostic d’ischémie, mais aussi d’en situer le moment de survenue et donc d’avoir le seuil ischémique (valeur pronostique, tableau I), ce qui n’est pas possible (ou très difficile) avec les autres techniques. réalités Cardiologiques # 283_Janvier 2012 Très faible risque, mortalité <1%/an Echographie d’effort maximale (> 85% FMT) normale. Risque intermédiaire Haut risque – Capacité d’exercice limitée. – Atteinte segmentaire – Atteinte segmentaire de de repos. repos étendue (≥ 4 segments). – FEVG diminuée au repos. – FEVG < 40% au repos. – Réponse ischémique. – Ischémie étendue. (≥ 4 segments). – Atteinte multitronculaire. – Atteinte segmentaire de repos avec ischémie résiduelle. – Seuil ischémique bas. – FEVG non modifiée par – Réponse ischémique avec le stress ; VTS non modifié diminution de la FEVG ou par le stress. augmentation du VTS. FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; FMT : fréquence maximale théorique ; VTS : volume télésystolique VG. Tableau I : Stratification du risque en fonction des données de l’échographie de stress. Lorsque l’examen est normal, le VG devient progressivement hypercontractile de façon harmonieuse au cours du test, avec une augmentation de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et une réduction du volume télésystolique du VG. Une ischémie sera évoquée sur la base des critères de positivité classiques que sont l’apparition d’une hypokinésie ou d’une akinésie de 1 ou 2 segments contigus [1]. Toutefois, en se basant sur ces seuls critères, la spécificité du test serait quasi parfaite mais avec une sensibilité assez basse. En pratique dans la majorité des laboratoires, d’autres critères diagnos- Fig. 1 : A gauche, 4 cavités gelée en télésystole au repos (haut) et au pic de l’effort (bas). On note une torsion de la pointe qui se déplace nettement vers le septum (matérialisée par une ligne pointillée montrant l’axe de l’apex au départ de l’examen, images de droite). tiques sont associés, avec au premier plan la mise en évidence d’un retard de contraction segmentaire ou tardokinésie. De fait, il n’est pas rare qu’une sténose de l’interventriculaire antérieure (IVA) se manifeste par un retard du tiers apical inférieur et septal, alors qu’il n’y a pas d’hypokinésie flagrante. Dans notre équipe, nous avons mis en évidence qu’une ascension avec déplacement latéral de l’apex très facile à diagnostiquer (la pointe du VG se tord vers le septum) était fortement corrélée à la présence d’une ischémie myocardique, notamment par atteinte circonflexe (fig. 1). Cet élément nous aide beaucoup en pratique, car la mise en évidence d’une hypokinésie antérolatérale est difficile, expliquant la faible performance publiée de l’échographie de stress pour la détection des atteintes monotronculaires circonflexe [2]. L’acquisition des images en échographie d’effort est plus difficile techniquement que l’échographie dobutamine-atropine, d’autant que le patient est laissé au maximum sur le dos pour lui permettre de pédaler facilement et d’atteindre au moins 85 % de sa fréquence maximale théorique. Sur le plan diagnostique, les avantages de l’échographie d’effort sont nombreux : – la mise en évidence d’une ischémie est plus facile en raison d’un double produit plus élevé (par rapport à la dobutamine), situation très appréciable chez les monotronculaires. De fait, à atteinte coronaire équivalente, le trouble de cinétique sera en général plus étendu en effort que sous dobutamine-atropine ; – on peut savoir si le patient est symptomatique ou non et pour quelle charge (impossible en IRM) ; – on peut facilement évaluer le remplissage au cours du test, les pressions pulmonaires, l’aggravation d’une éventuelle fuite mitrale, autant d’éléments qui s’intègrent dans le diagnostic de la cardiopathie ischémique (impossible avec les autres techniques). 17 réalités Cardiologiques # 283_Janvier 2012 Le dossier Evaluation de l’ischémie myocardique Mais l’échographie n’est pas exempte de reproches : – la qualité technique est parfois insuffisante. Dans ces cas assez rares, l’utilisation de produits de contraste [3], prônée presque systématiquement par certaines équipes (mais obligeant alors à perfuser les malades en échographie d’effort), permet d’améliorer la performance diagnostique ; dans notre équipe, le recours au contraste est extrêmement rare ; – la lecture des examens est très opérateur-dépendante [4] (mais l’IRM en est très proche, et le côté “automatique” du diagnostic scintigraphique n’est qu’apparent), et l’absence de critères “chiffrés” rend l’interprétation subjective, surtout en situation d’échogénicité médiocre. Il nous paraît indispensable de recourir à une double lecture à chaque fois que l’interprétation est difficile. C’est ce que nous faisons dans notre laboratoire, alors que les 15 à 20 stress qui sont pratiqués quotidiennement pourraient (à tort) nous faire croire que nous n’avons pas besoin de confronter nos lectures !! Les outils modernes de communication peuvent permettre aux stressistes “isolés” de transmettre leurs images à des centres plus experts, afin d’en discuter l’interprétation. Certains proposent d’utiliser des critères de déformation pour rendre l’interprétation plus objective. Cette perspective semble séduisante en diastole, puisque, dans un territoire ischémique, on peut mettre en évidence une atteinte de la relaxation plus de 10 minutes après l’arrêt de l’effort (on s’affranchit donc largement de la tachycardie) dans 85 % des cas [5] ; toutefois, ces approches sont encore du domaine de la recherche clinique, et l’aspect qualitatif reste encore la clé du diagnostic en routine. [ erformance de P l’échographie de stress et des autres techniques La coronarographie est utilisée comme technique de référence pour préciser la valeur diagnostique de chaque test non 18 invasif, en considérant comme positive une coronarographie montrant une sténose à plus de 50 %. La performance de chaque test est exprimée par une sensibilité (% de vrais positifs chez ceux ayant une coronarographie pathologique) et une spécificité (% de vrais négatifs chez ceux ayant une coronarographie normale). En général, les données publiées montrent des performances globales comparables de l’échographie de stress et de la scintigraphie [6]. Toutefois, un échographiste ne résistera pas aux charmes d’importantes méta-analyses dégageant une meilleure spécificité de l’échographie de stress. Ainsi, une méta-analyse portant sur 44 études [7] (patients sans antécédent de coronaropathie et bénéficiant d’une coronarographie en raison d’un test positif) a montré pour l’échographie de stress une sensibilité de 85 % et une spécificité de 77 % pour détecter une coronaropathie, contre une sensibilité de 87 % et une spécificité de 64 % de la scintigraphie. La coronarographie est donc le juge de paix : à chaque fois que l’on rend un stress positif, elle dira en filigrane que le travail a été bien fait si les deux examens concordent, mais dans le cas contraire… alors que l’on sait bien que la mise en évidence d’une lésion coronaire significative n’est pas pour autant synonyme d’ischémie, et que des anomalies de réserve coronaire peuvent entraîner une ischémie malgré l’absence de sténose significative. Pourquoi un stress jugé négatif peut-il être associé à une coronarographie pathologique [8] ? Parce que le stress est techniquement insuffisant (mauvaise échogénicité, mauvaise lecture, épreuve sous-maximale en raison d’une capacité d’exercice insuffisante ou du maintien d’un traitement bêtabloquant) ; atteinte monotronculaire, notamment de la coronaire droite ou de la circonflexe, en particulier sous dobutamine, où la grande hypercontractilité VG peut masquer des lésions limitées ; une lésion IVA moyenne entraînant des troubles apicaux limités masqués par l’asynchronisme d’un bloc de branche gauche (BBG) associé… Pourquoi un stress jugé positif peut-il être associé à une coronarographie normale ? Positivité douteuse ou limitée au cours du test ; forte HTA au pic du stress (contrainte élevée) ; obstruction dynamique apicale intra-VG sous dobutamine pouvant induire une fausse positivité apicale. Dans certains cas, il existe une dysfonction étendue “incontestable”, confirmée par plusieurs lecteurs malgré l’absence de sténose à la coronarographie. Cet aspect rapporté en général à une altération de la réserve coronaire n’est pas rare et semble avoir des implications pronostiques péjoratives malgré l’absence de lésions coronaires avérées. Ainsi, un taux de 32,5 % de “faux positifs” (coronarographie normale ou lésions avec sténose < 50 %) a été retrouvé récemment chez 1 477 patients, avec un taux de survie à 1 an et 3 ans comparables entre les patients ayant un stress “vrai positif” et un stress “faux positif” [9]. Méconnaître une sténose monotronculaire de la droite, de la circonflexe ou d’une IVA distale n’a pas d’implication sérieuse, en ce sens que le pronostic est comparable entre une stratégie médicamenteuse et une stratégie de revascularisation [10]. En revanche, il est essentiel de ne pas méconnaître des lésions à haut risque : lésions dont on sait que la revascularisation améliore le pronostic vital, lésions dont les conséquences en périopératoire de chirurgie non cardiaque peuvent être graves. C’est le cas des atteintes du tronc commun et des atteintes tritronculaires (surtout avec une atteinte associée de l’IVA proximale). Une méta-analyse récente portant sur 23 études montre que l’échographie de stress est plus performante que la scintigraphie en termes de sensibilité dans ce type d’atteintes coronaires : sensibilité de 94 % pour l’échographie de réalités Cardiologiques # 283_Janvier 2012 stress et de 75 % pour la scintigraphie (p < 0,001) [11]. Une ischémie équilibrée dans tous les territoires, apanage des lésions du tronc commun ou des lésions tritronculaires, est mal détectée par la scintigraphie dont le diagnostic est basé sur une réduction relative et comparative de la perfusion ; au contraire, en cas d’atteinte diffuse, la tomographie par émission de positons (hélas très chère et très peu disponible) pourra effectuer une quantification du flux coronaire et ne pas méconnaître une réduction multitronculaire ; quant à l’échographie ou l’IRM, elles montreront un trouble de cinétique étendu évoquant le diagnostic. [ Populations particulières En cas de BBG, les données de la littérature sont limitées, particulièrement en échographie d’effort. Une méta-analyse montre que la scintigraphie est plus sensible que l’échographie de stress (88 % vs 74 %, études disponibles en majorité conduites sous dobutamine), mais l’échographie de stress est beaucoup plus spécifique (89 % vs 41 %) [12]. De plus, une échographie d’effort positive chez des patients ayant un BBG a une valeur pronostique indépendante péjorative (mortalité, événements cardiovasculaires) [13]. La valeur pronostique de l’échographie de stress concerne toutes les tranches d’âge, notamment en échographie d’effort ; en dobutamine, la mise en évidence d’une ischémie ne prédirait pas de façon indépendante la mortalité avant 60 ans [14]. Cette valeur pronostique est comparable dans les deux sexes [15]. Chez les diabétiques, l’étendue de l’ischémie en échographie d’effort prédit la survenue d’événements cardiovasculaires à 5 ans ; à l’inverse, une échographie d’effort normale prédit l’absence d’événements cardiovasculaires dans les 2 ans. L’échographie dobutamine-atropine peut également être utilisée pour stratifier le risque chez le diabétique. Chez les patients porteurs de pacemaker, la stimulation par le biais du programmateur peut permettre d’atteindre la FMT. Dans notre expérience, sous dobutamine, 2/3 des patients vont atteindre la FMT en affinant leurs complexes (rythme propre), ce qui permet alors une interprétation optimale. Bibliographie 01. Pellikka PA, Nagueh SF, Elhendy AA et al. American Society of Echocardiography recommendations for performance, interpretation, and application of stress echocardiography. J Am Soc Echocardiogr, 2007 ; 20 : 1 021-1 041. 02. Geleijnse M, Fioretti P, Roelandt JR. Methodology, feasibility, safety and accuracy of dobutamine stress echocardiography. J Am Coll Cardiol, 1997 ; 30 : 595-606. 03. Mulvagh SL, Rakowski H, Vannan MA et al. American Society of Echocardiography Consensus Statement on the Clinical Applications of Ultrasonic Contrast Agents in Echocardiography. J Am Soc Echocardiogr, 2008 ; 11 : 1 179-1 201. 04. Hoffmann R, Marwick T, Poldermans D et al. Refinements in stress echocardiographic techniques improve inter-institutional agreement in interpretation of dobutamine stress echocardiograms. 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