Monsieur Jean-Pierre Digard
Perspectives anthropologiques sur l'Islam
In: Revue française de sociologie. 1978, 19-4. pp. 497-523.
Citer ce document / Cite this document :
Digard Jean-Pierre. Perspectives anthropologiques sur l'Islam. In: Revue française de sociologie. 1978, 19-4. pp. 497-523.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1978_num_19_4_6649
Résumé
Jean-Pierre Digard : Perspectives anthropologiques sur l'Islam.
Après avoir défini de quelle anthropologie il entendait parler — non pas d'une anthropologie de l'Islam,
mais d'une anthropologie-méthode qui permet de situer cette religion dans le contexte total des sociétés
qui s'en réclame, l'auteur dresse un rapide bilan de l'insuffisance tant de l'ethnologie en milieu
musulman que de l'islamologie classique sur son propre terrain. Puis, après avoir rappelé quelques
caractéristiques essentielles de l'Islam, à la fois religion et civilisation, il explore, à titre d'exemple, trois
domaines où l'anthropologie lui semble susceptible d'apporter à l'islamologie une contribution originale :
1°) les décalages entre norme et pratique, et les différences d'impact de cette religion en fonction des
genres de vie, des catégories socio-économiques ; 2°) les représentations, très variées et parfois même
contradictoires, que se font de l'Islam les acteurs sociaux ; 3°) des diverses « fonctions » sociales de
cette religion.
Abstract
Jean-Pierre Digard : Anthropological Perspectives on Islam.
After a definition of the kind of anthropology he is speaking of not an anthropology of Islam, but a
methodical anthropology that allows one to situate this religion within the overall context of the societies
that espouse it the author quickly sums up the shortcomings both of ethnology in Muslim contexts
and of classical Islamology in its own field. Then, after a review of some of the basic features of Islam,
both as religion and civilization, he explores three areas where anthropology might make an original
contribution to Islamology: 1) Discrepancies between norm and practice, and the differences in the
religion's impact on different ways of life or socio-economic categories ; 2) The quite varied and
sometimes even contradictory images that those acting within societies have of Islam ; 3) The various
social "functions" of this religion.
Zusammenfassung
Jean-Pierre Digard : Anthropologische Perspektiven zum Islam.
Eingehend defmiert der Verfasser seine Anthropologie : nicht die Anthropologie des Islams, sondern
eine Anthropologie-methode, die gestattet, diese Religion in den gesamten Zusammenhang der sich auf
ihn berufenden Gesellschaften zu stellen. Anschliessend gibt er eine Bilanz der Unzulänglichkeiten
sohwohl der Ethnologie in muselmanischer Umgebung als der klassischen Islamologie auf ihrem
eigenen Gebiet. Er streift einige Haupteigenschaften des Islams, Religion und Zivilisation, und
untersucht als Beispiel drei Gebiete auf denen die Anthropologie, seiner Ansicht nach, einen eigenen
Beitrag zur Islamologie liefern kann : 1°) der Abstand zwischen Norm und Praxis, und der
unterschiedliche Impakt dieser Religion in Abhängigkeit von den Lebensweisen und den
sozioökonomischen Kategorien ; 2°) die Vorstellungen, sehr unterschiedlich und manchmal selbst
widersprüchlich, die sich die sozialen Aktoren von Islam machen ; 3°) die verschiedenen sozialen
Funktionen dieser Religion.
Resumen
Jean-Pierre Digard : Perspectives antropológicas acerca de Islam.
Después de définir la antropologia de que se trata no de una antropologia de Islam sino de una
antropologia método que permite si,tuar esa religion dentro del contexto total de las sociedades que
dependen de ella — háce el autor un estado rápido de las insuficiencias tanto de la etnologia del medio
musulmano como de la islamogía clásica. Luego después de recordar algunas caracteristicas
esenciales de Islam, juntamente religion y civilización, explora como ejemplo, tres dominios en que la
antropologia a su parecer, puede dar a la islamologia una contribución original : 1) las diferencias entre
norma y práctica y las diversidades de impacto de esa religion según los modos de vida, de las
categories socio-económicas, 2) las representaciones muy variadas y a veces contradictorias que
imaginan los actores sociales a propósito de Islam, 3) las diverses « f unciones » sociales de esa
religion.
R.
franc,
sociol.,
XIX,
1978,
497-523
Jean-Pierre
DIGARD
Perspectives
anthropologiques
sur
l'islam*
Quelle
anthropologie
?
Quel
islam
?
Il
a
jusqu'à
présent
été
fort
peu
traité
des
rapports
entre
anthropologie
(ou
ethnologie,
comme
l'on
voudra)
et
islam.
Ou,
quand
cela
a
été
fait
(Chelhod
1969)
(1),
c'est,
me
semble-t-il,
sans
qu'on
se
soit
suffisamment
attaché
à
dégager
toute
la
signification
et
les
ambiguïtés
de ces
rapports,
ni
surtout
à
situer
leur
étude
dans une problématique
solide,
aux
limites
bien
définies.
Je
crois
donc
difficile
pour ma
part
de
faire
l'économie,
avant
d'entrer
dans
le
vif
d'un
tel
sujet,
d'un
certain
nombre
de
précisions
et
de
développements.
Premier
point
:
ce
que
cet
article
se
propose
d'examiner,
c'est
la
question
de savoir
pourquoi,
comment
et
dans
quelle
mesure
l'anthropologie
peut
apporter
une
contribution
spécifique,
originale
à
la
connaissance
de
l'islam,
autrement
dit
à
l'islamologie.
Cette
question
en
appelle
immédiatement
deux
autres,
auxquelles
il
convient
de
répondre
préalablement
:
qu'entend-on
ici
par
anthropologie
?
de
quel
islam
et
de
quelle
islamologie veut-on
parler
?
Pour
maintenir
cet
exposé dans
des
limites
raisonnables,
je
donnerai
au
terme
anthropologie
son
acception
restreinte,
seule
compatible
avec
le sujet
traité
ici.
Cette
acception,
rappelons-le,
recouvre
à
la
fois
une
méthode,
un
objet
et
une
perspective
propres.
La
méthode,
c'est
l'enquête
directe
fondée
sur
l'observation
et
l'entretien
ouvert
(Gutwirth
1973),
et
qui
requiert
du
chercheur
un
séjour
prolongé
au
sein
même
de
la
société
qu'il
étudie,
de
telle
façon
que la
relation
qui
s'instaure
entre
lui
et
ses
hôtes
donne
lieu
à
une
véritable
élaboration-transmission
dialec
tique
du
savoir anthropologique
(Lacoste-Dujardin
1977)
(2).
L'objet
visé
*
Je
remercie
Maxime
Rodinson
pour
(Gutwirth
1973,
p.
781)
d'«
observation
le
secours
de
son
érudition
et
de
son
participante
».
J'ai
critiqué
(Digard
1976
expérience
de
l'islam;
cet
article
lui
doit
a),
après
d'autres
(Copans
1971,
pp.
34-
beaucoup.
47),
cette
notion
qui,
sans
être
totalement
(1)
Les
références
bibliographiques
se
à
rejeter,
repose
à
la
fois
sur
une
con-
trouvent
en
annexe.
ception
fausse
de
l'extériorité
et
de
la
(2)
Cf.
la
grounded
theory
des
Améri-
distance
soi-disant
constitutives
de
l'ob-
cains
(Adams
&
Preiss
1960).
On
parlait
jet,
et
sur
l'illusion
de
la
participation/
autrefois,
à
propos
de
la
méthode
ethno-
intégration
au
groupe
étudié,
logique,
on
parle
encore
aujourd'hui
497
Revue
française
de
sociologie
par
cette
méthode,
c'est
un
groupe
humain
quel
qu'il
soit
(rural,
urbain,
etc.)
pourvu
qu'il
se
reconnaisse
et
«
fonctionne
»
comme
tel,
c'est-à-dire
comme
totalité
cohérente
sinon
auto-suffisante
(tribu,
village,
quartier,
etc.;
cf.
Arensberg
1954,
Redfield
1955),
et
que
ses
membres
entretiennent,
entre
eux,
des
rapports
de
communication
directs,
fondés
sur
l'oralité
et
pas
ou
peu
médiatisés
par
l'intervention
d'une
institution
du
type
admi
nistration
par
exemple
(Poirier
1968,
pp.
335-338);
il
doit
s'agir
en
outre
d'une
communauté
de
dimensions
démographiques
relativement
restreint
es,
la
taille
de
la
sociosphère
intervenant
également
dans
la
méthode
d'approche
elle-même,
pour
des
raisons
évidentes
de
commodité.
Enfin,
la
perspective
visée
à
travers
cette
méthode
et
l'objet
auquel
elle
s'appl
ique
est
une
perspective
holistique
(Gutwirth
1973,
p.
776)
(3),
c'est-à-dire
qui
s'attache
à
cerner
un
fait
social
global,
dont
il
s'agit
non
seulement
d'inventorier
et
de
décrire
les
éléments
constitutifs
la
«
morphologie
»,
pour
reprendre
une
comparaison
chère
à
Mauss
(1967,
pp.
14-15)
mais
également
de
découvrir
et
d'expliquer
les
rapports
internes,
bref
le
«
fonctionnement
»
la
«
physiologie
»
comme
totalité.
Bien
entendu,
les
trois
critères
méthode,
objet
et
perspective
interviennent
inégalement
et
à
des
niveaux
différents
selon
les
cas
:
ainsi,
il
n'est
pas
exclu
qu'au
regard
de
la
méthode
par
exemple,
l'ethnologue
puisse
recourir
à
des
questionnaires
fermés,
à
des
échantillonnages,
etc;
cependant,
la
combin
aison,
entendue
souplement,
de ces
trois
critères,
qui
se
déterminent
mutuellement,
reste
la
plupart
du
temps
la
règle.
La
conséquence logique
de
ce
qui
précède
est
qu'il
ne
saurait
se
concevoir,
en
ce
sens
précis,
d'ethnologie
religieuse
ou
d'anthropologie
de
la
(des)
religion(s)
(ni
a
fortiori
d'anthropologie
de l'islam),
pas
plus
d'ailleurs
que
d'anthropologie
économique,
d'anthropologie
sociale
ou
d'anthropologie
politique,
comme
disciplines
autonomes
spécialisées
dans
l'étude
de
telle
catégorie
de
faits,
de
tel
niveau ou
de
tel
aspect
d'une
réalité
sociale
découpée
en
tranches...
«
Ce
qui
est
vrai,
ce
n'est
pas
la
prière
ou
le
droit,
mais
le
Mélanésien
de
telle
ou
telle
île
»,
écrivait
encore
Marcel
Mauss.
Je
suis convaincu
qu'il
avait
raison
et
que,
si
l'anthropologie
peut
apporter
une
contribution
spécifique
à
la
connais
sance
des
religions
(et
donc
de
l'islam),
c'est
précisément
en
les
replaçant
dans
leur
contexte
obligé
que
constituent
l'économie,
l'organisation
sociale,
etc.
des
peuples qui
les
pratiquent.
C'est
dire
aussi
que
je
crois
aux
vertus
de
la
«
formule
monographique
»
tant
décriée
par
certains
(c/.
Jaulin
1970,
pp.
281-299).
Ce
qui
est
critiquable
en
réalité,
et
à
juste
titre,
c'est
la
mauvaise
monographie,
les
faits
sont
entassés
comme
dans
des
tiroirs
qui
porteraient
toujours
les
mêmes
étiquettes...
Mais
si
l'on
réussit
à
éviter
ce
travers,
et
c'est
possible,
la
monographie
reste
la
seule
formule
qui
permette,
actuellement
du
moins,
de
mettre
en
lumière
les
nécessaires
liaisons
qui
constituent
les
sociétés,
les
cultures
en
ensemb
les
intégrés
(cf.
Gutwirth
1973,
pp.
776
et
779;
Pelras
1973,
p.
726).
Qu'en
est-il
donc,
maintenant,
de
la
connaissance
de
l'islam,
et
quels
ont
été,
jusqu'à
présent,
les
rapports
de
l'anthropologie
avec
l'islam
et
(3)
Cf.
la
«
vision
stéréoscopique
»
prônée
par
Redfield
1955.
498
1 / 30 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !