quelle médecine de l`âme ? un atelier de philosophie en SEGPA

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Numéro 7-8 : Soin de l’âme
Entre psychologie et philosophie :
quelle médecine de l’âme ?
un atelier de philosophie en SEGPA
Nathalie Renaut
Psychologue clinicienne
ENTRE PSYCHOLOGIE ET PHILOSOPHIE :
QUELLE MEDECINE DE L’AME ?
UN ATELIER DE PHILOSOPHIE EN SEGPA1
« La réponse est le malheur de la question »
M. Blanchot.
Introduction :
L’énoncé de la question se réfère à des champs différents et je dois dire que
le plus énigmatique pour moi a été l’intitulé « médecine de l’âme ». La question
s’est alors posée de l’articulation de ces différents champs, à savoir, la
psychologie, la philosophie, la médecine et de surcroît, celle de l’âme. Enoncé qui
sous-tend donc que des disciplines telles que la psychologie et/ou la philosophie
auraient des vertus soignantes. Il s’agit donc de discuter en quoi la philosophie
pourrait être une médecine de l’âme, ou encore s’occuper, soigner, traiter la
souffrance psychique.
De quels soins s’agit-il ? Que s’agit-il de soigner et comment ?
Pour participer à cette communauté de recherche, constituée autour du
thème : les nouvelles pratiques de la philosophie, il va s’agir de dire quelque
chose des nouvelles « maladies de l’âme » de la jeunesse. Je vais pour cela
m’appuyer sur mon expérience de psychologue clinicienne pour en dégager
réflexions et questionnements. A partir de ma pratique de psychologue
clinicienne, nous examinerons aussi ce que cela implique en termes de
changement dans l’aménagement des dispositifs de soins et de l’intérêt du
philosopher pour en prendre soin.
1 Cet article témoigne d’une démarche professionnelle innovante sous l’éclairage d’une approche clinique.
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1. Un atelier philosophie avec une classe de SEGPA
1. 1. Ma démarche.
C’est avant tout celle d’une clinicienne orientée par la psychanalyse,
soucieuse à la fois des jeunes et de leur inscription dans le monde et la parole. Il
est admis que souvent les adolescents échappent au dispositif traditionnel de
consultation et pourtant certains d’entre eux sont en réelles difficultés, souffrances
psychologiques et en impasse dans leur existence.
Alors vers quelle clinique nous engage la jeunesse ? Quel espace pourrait
accueillir les paroles d’adolescents sans prendre le risque d’étouffer l’originalité
de leur dire ? Comment ne pas réduire l’adolescence en « troubles du
comportement » ? Comment les rendre responsables de leur malaise, comment les
inviter à se dire sans risquer d’être figé dans un discours enfermant ?
Les adolescents sont des êtres en devenir, en quête de leur singularité, ils
doivent donc pouvoir se dire dans un espace qui respectera cette originalité et ses
mouvements.
1. 2. Mise en place du projet.
Je travaille dans un CMPP et il m’a été proposé d’intervenir dans une
structure socioculturelle qui accueille des adolescents. Cette structure fait partie
du quartier se situe le CMPP. L’origine de cette demande prend appui sur le
fait que les professionnels de l’animation qui y travaillent se trouvent parfois
confrontés à des adolescents en souffrance et difficultés psychologiques. Ce qui
n’est pas sans les interroger. Cette demande a fait écho à mes réflexions et mon
désir de travailler auprès d’adolescents, qui bien souvent ne font pas la démarche
de consulter. Il s’agissait alors de se lancer dans un projet expérimental et pouvoir
proposer autre chose qu’un lieu de consultation tel que le CMPP, ou qu’un point
écoute jeune.
Le fil qui va alors constituer ma réflexion est celui de la parole et si l’idée
était de pouvoir proposer un temps d’écoute et de parole, les modalités quant à
mon intervention n’étaient pas définies. Quand je suis arrivée dans ce lieu, la
première question pour moi, a été de réfléchir à comment rencontrer les
adolescents. J’avais idée de me décaler des cadres habituels de la consultation ou
d’attendre une éventuelle demande, mais plutôt d’inventer, de proposer un
dispositif qui fasse rencontre et permettrait de se nouer autour de la parole.
Il me faut préciser que cette structure se trouve prés d’un collège et se situe
au cœur d’un quartier de la périphérie rennaise, classé ZUS (zone urbaine
sensible). Il existe un partenariat et des liens importants entre ce collège et ce lieu
d’accueil. C’est ainsi que j’ai eu connaissance qu’une enseignante de ce collège
s’intéressait aux « ateliers-philo » et était soucieuse de proposer à ses élèves un
lieu pour parler.
Nous nous sommes donc rencontrées et avons décidé, avec l’animatrice du
lieu de nous lancer dans cette aventure, l’enseignante avec ses objectifs
pédagogiques, l’animatrice qui incarne le lieu et moi avec comme objectif de
proposer un lieu, un espace qui puisse faire rencontre. Pour moi, l’idée était aussi
qu’un dispositif collectif pourrait être le support à la parole et à une énonciation
singulière.
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1. 3. Le fonctionnement de cet atelier.
Pour la mise en place de ces rencontres, nous avons chacune de notre côté,
tenté de formaliser les objectifs de ce dispositif. Selon notre positionnement
professionnel, les attentes, le sens ne revêt pas la même chose mais s’avèrent tout
aussi important.
Il s’est adressé à une classe de 4ème SEGPA, que nous retrouvions environ
toutes les quatre à cinq semaines. L’atelier a fonctionné pendant une année
scolaire Trois adultes y participaient : l’animatrice du lieu, l’enseignante du
collège et la psychologue.
La classe se déplace du collège vers la « maison verte » (nom de la structure
qui accueille les jeunes). C’est un lieu neutre, non scolaire, même si l’atelier
s’inscrit dans les objectifs de la classe de français.
C’était la première expérience de ce genre pour chacune de nous et nous
avons construit, élaboré au fur et à mesure des rencontres. Le cadre et les objectifs
qui ont été posés au départ sont les suivants : il s’agit de parler, de réfléchir
ensemble, argumenter, construire sa pensée autour des questions de l’existence. Il
s’agit de mobiliser les moyens linguistiques à sa disposition pour exprimer cette
pensée. Il s’agit aussi de respecter les règles du débat : écouter, attendre d’avoir la
parole, respecter, tenir compte des idées de l’autre. C’est oser prendre la parole
dans le groupe en exprimant une pensée personnelle et à laquelle on accorde de la
valeur.
Il y a eu sept rencontres au cours de l’année, les thèmes abordés ont été : la
solitude, choisie par l’enseignante, puis les autres thèmes ont été choisis par les
jeunes : la mort, les peurs, qu’est ce qu’apprendre, grandir, la liberté.
Cet atelier n’est pas abouti, nous sommes toujours dans une démarche de
construction, de tâtonnements, de questionnements quand à ce dispositif. Nous
avançons pas à pas avec ce que nous enseigne chaque rencontre, chaque séance.
Nous continuons par exemple de nous interroger sur le choix des thèmes : qui les
propose ? faut-il les travailler en amont ? comment ?
Nous avons été amenées à aménager, préciser certaines choses. Le cadre
s’est davantage structuré, comme par exemple limiter le temps et s’arrêter même
si il y a encore des choses à dire. Nous avons précisé également que parler n’est
pas obligatoire, une position d’écoute est possible.
Nous laissons les choses se dérouler assez librement, ce qui présente
l’avantage de laisser émerger beaucoup de choses riches et surprenantes, mais qui
présente l’inconvénient aussi de l’éparpillement. Nous réfléchissons actuellement
à cela, c’est à dire comment maintenir cette possibilité de la surprise, de
l’inattendu, tout en structurant la rencontre et les échanges. Cet atelier ne peut
exister sans le désir de chacune, et la décision de s’engager sans trop savoir ce qui
se passera.
Nous accueillons cette année une nouvelle classe de 3ème SEGPA, c’est une
nouvelle enseignante qui a accepté de s’engager dans ce projet. Au vue de la
première rencontre et de ce qui s’y est dit, nous avons décidé de faire un peu
autrement et travailler autour d’un fil conducteur. Nous avons entendu lors du
premier atelier, que beaucoup d’élèves se préoccupaient de l’avenir. Nous avons
donc décidé de décliner la parole autour de ce thème suffisamment large pour
nous permettre d’aborder différentes choses.
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2. Les effets de cet atelier.
2.2. Des effets de rencontre et de surprise.
Nous étions et sommes toujours très interrogatives quant à l’accueil que les
jeunes collégiens font à ce dispositif. Il y a toujours un temps de perplexité :
« Mais que vient-on faire là ? » Beaucoup arrivent en soufflant, en chahutant, en
râlant… Et puis au fil du temps, la plupart témoignent de leur intérêt pour ce
temps, à la fois dans et hors scolaire, un temps ou les attentes, les demandes
habituelles se décalent.
Nous avons du faire avec les réactions des jeunes et avons été interrogés par
certains sur le terme « philo » : « C’est quoi la philo ? » Pourquoi leur proposer
cela alors qu’en principe ça s’adresse aux classes de terminales ? Pourquoi la
présence d’une psychologue ? Autant de questions auxquelles il a fallu répondre
et qui nous ont d’emblée mis au travail.
L’étonnement de notre côté, c’est de constater comment ils s’engagent dans
la parole quand cela leur est proposé. Au fil des rencontres, il y a du plaisir à se
retrouver, à parler. Il s’instaure d’autres liens avec le professeur, mais aussi entre
eux, les relations au sein de la classe changent.
A chaque fois nous sommes surprises des thèmes, réflexions amenées
pendant l’atelier.
En tant que psychologue, j’ai été intéressée par cette démarche qui consiste
à aller vers eux, à aller rencontrer ces adolescents, de faire le pari de ces
rencontres, et de me laisser enseigner sur qui ils sont. Dans l’atelier-philo, peut se
produire une rencontre qui peut-être les décalera de leurs impasses ou modifiera
leur rapport au monde. Il s’agit d’accueillir, d’accuser réception de leurs
interrogations, leurs désirs.
2.2. Une pratique du dire, un rapport à la parole.
L’atelier philo est avant tout un prétexte, un espace pour la parole. La
discussion à visée philosophique pourrait-on dire, est un outil privilégié d’échange
et d’expression. Face à la prévalence de l’image, de la vie pulsionnelle, ce
dispositif nous introduit dans le monde du langage et nous propose d’en faire
usage. En effet à qui peuvent s’adresser ces jeunes, quand ils n’ont pas à leur
disposition un environnement et entourage propice à cela. Ces ateliers participent
à mon sens à la création d’espace pour la parole, à faire valoir la parole plutôt que
l’agir. Ces jeunes peuvent découvrir, retrouver le goût à la parole et au sentiment
d’être écouté. Il s’agit ici de parler pour exprimer sa subjectivité et non pas
seulement transmettre des informations.
2. 3. Une pratique du questionnement.
Nous présentons la philosophie comme une discipline qui parle des grandes
questions de la vie, et surtout ce que nous faisons valoir, c’est que le philosophe
n’est pas celui qui sait mais celui qui interroge le monde.
Nous introduisons la philosophie sous cet angle. C’est un lieu l’on peut
se poser des questions, un espace qui permet de chercher, penser, trouver,
construire ses modes de pensée. Cela n’a rien d’évident de s’interroger sur les
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grands thèmes qui jalonnent nos existences. Il s’agit alors de les accompagner
dans leur questionnement et faire apercevoir la complexité humaine et ses
nuances. Cela permet de construire son propre savoir, de produire un savoir non
constitué d’emblée. Cette façon d’aborder le savoir pour les élèves est assez
inédite et instaure un autre rapport au savoir.
2. 4. Un autre rapport au savoir.
Il faut rappeler que les jeunes que nous avons rencontrés tout au long de
l’année, ont un parcours scolaire difficile. Pour eux l’accès au savoir, aux
apprentissages s’est trouvé souvent empêché au cours de leur histoire. L’école, le
savoir, ce n’est pas trop leur « truc ». Ils se vivent souvent comme « nuls ».
Ici dans l’atelier le savoir apparaît tout autre, car il n’est pas dans un schéma
vertical du maître à l’élève, il n’est pas représenté par quelqu’un. Ici, chacun y va
de son bout de savoir à lui pour essayer de penser des questions sur l’existence.
Le savoir n’est pas détenu par l’enseignant ou les autres adultes. Dans cet
espace, ils sont à la fois élèves mais aussi sujets auxquels qui il est proposé de
produire leur propre savoir. C’est d’ailleurs assez déroutant pour eux et difficiles
de découvrir, accepter qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses.
Pour illustrer ce qui a pu se passer dans cet atelier, et comment il fonctionne,
je me souviens d’un jeune garçon qui râlait beaucoup, critiquait tout, se met à dire
un jour : « C’est nul votre truc et de toute façon on apprend rien ! ».
J’ai trouvé ça formidable et je me suis immédiatement saisie de cette parole
pour lui faire entendre son désir d’apprendre. De là, s’en est suivi le thème de la
rencontre suivante : « Qu’est ce qu’apprendre ? »
Conclusion et piste de réflexion :
Concernant la pratique des ateliers philosophiques avec des adolescents, je
laisserais de côté une approche qui laisserait penser que cela aurait des effets
thérapeutiques. En effet, il y a une pente actuelle au fourre-tout thérapeutique,
ainsi fleurissent les programmes de développement personnel pour retrouver
confiance en soi, les thérapies par le rire, les massages….
L’approche du philosophe, de l’enseignant fait valoir l’exercice de la pensée
rationnelle, de la volonté, la dimension inconsciente en est radicalement écartée.
Que peut elle donc dire et traiter de la névrose, de la psychose, que peut-elle dire à
celui qui souffre ?
Je ne sais pas si ces ateliers soignent quelque chose de l’âme de ces jeunes
sujets, en tout cas ils permettent de se rencontrer autour de la parole adressée à
quelqu’un. Je choisis pour parler de ce qui s’y passe, de rencontre avec son lot
d’effet dans le court, moyen ou long terme. Dans cet espace collectif, on peut
parler à mon sens de rencontre avec l’autre et la parole qui peut s’avérer le point
de départ possible pour qu’émerge du transfert, à savoir une demande. Ce travail
ne s’inscrit pas dans une démarche thérapeutique, même si il y a des jonctions
possibles. Je pense en effet que, en dehors des aspects strictement pédagogiques et
éducatifs qui ont toutes leurs pertinences et intérêt, c’est de cela dont il peut
s’agir : susciter du transfert.
D’avoir été entendu, faire l’expérience de cela pourra être de nature à
épauler un travail psychothérapeutique, pourra participer à l’émergence d’une
demande, et ainsi participer du processus thérapeutique, mais n’est pas
thérapeutique en soi. Ce dispositif particulier, organisé autour de la parole, ne
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