Contact de langues et conceptualisations spatiales
Aspects de la sémantique et de la grammaire
de la référence spatiale en sursilvan, vallader et surmiran1
1. Introduction
La coexistence des dialectes du romanche avec l’allemand durant de nombreux
siècles (cf. Liver 2000)2a laissé d’importantes traces dans les usages linguistiques
des locuteurs romanchophones, à tel point que le romanche est aujourd’hui consi-
déré par beaucoup de ses locuteurs comme une langue mixte – bien que cela soit
souvent avoué avec une certaine gêne.
Deux langues en contact font souvent apparaître des ressemblances à tous les
niveaux structurels. Selon Thomason/Kaufmann 1988: 50, les emprunts lexicaux
peuvent être distingués des emprunts structurels, le lexique et la structure mor-
phosyntaxique étant affectés différemment en fonction du type de contact lin-
guistique. En ce qui concerne les emprunts lexicaux, il va sans dire que le roman-
che a adopté beaucoup de mots allemands, et ce dans pratiquement tous les
domaines du lexique. L’exemple 1, tiré du corpus analysé dans cette contribution
(cf. p. 61 ci-dessous pour de plus amples détails au sujet de ce corpus), illustre à
quel point il est usuel et facile pour un locuteur d’intégrer du matériau lexical al-
lemand dans des énoncés en romanche:
(1) e lu ei quella tscharva halt vegnida in tec verruckta (sursilvan)
et puis est ce cerf tout simplement venu un peu fâché
Les dialectes du romanche sont également affectés par des influences considérées
parfois comme plus fondamentales, parce qu’elles agissent sur la structure syn-
taxique de la langue. Un exemple souvent cité est celui de l’adjectif épithète qui,
depuis un certain temps, peut précéder le substantif, comme en allemand (Cari-
giet 2000: 239).
Toutefois, comme l’a fait remarquer Weinreich en 1953 déjà, le contact linguis-
tique n’induit pas uniquement le transfert de formes et de structures, mais égale-
ment celui de contenus sémantiques (cf. Weinreich 81974: 48). Selon Muysken
2006: 161, les mécanismes de contact dans le domaine de la sémantique lexicale
1Je remercie Franziska Heyna, Didier Maillat et Amelia Lambelet pour leurs précieuses
remarques concernant des versions antérieures de cet article.
2Ce n’est pas le lieu ici de décrire la situation plutôt précaire du romanche en Suisse
aujourd’hui.
Vox Romanica 66 (2007): 60-71