karla homolka

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LA PRESSE
MONTRÉAL
DIMANCHE
19
JUIN
A3
2005
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KARLA HOMOLKA TOUJOURS UNE ÉNIGME
Karla Homolka, la plus célèbre criminelle du pays, pourra quitter la prison de Joliette entre le 30 juin et le 5 juillet, après avoir purgé une peine de 12 ans.
PHOTO PC, ARCHIVES LA PRESSE
Mêmes les experts ne s’entendent
pas sur son profil psychologique
Comment une femme peut-elle s’opposer à son mari
quand il veut battre le chien, mais ne pas trouver cette
force quand il s’agit de participer avec lui à la torture, aux
viols et aux meurtres d’adolescentes terrorisées et sans
défense ? À la veille de la libération de Karla Homolka de
la prison de Sainte-Anne-des-Plaines, La Presse a
consulté les nombreux rapports psychiatriques rédigés sur
elle pendant ses 12 ans d’incarcération.
CHRISTIANE DESJARDINS
Malgré la multitude d’évaluations
psychiatriques que la criminelle
ontarienne Karla Homolka a subies au cours des 12 dernières années, la criminelle la plus célèbre
du pays reste une énigme, même
pour les experts. C’est l’impression qui se dégage à la lecture de
leurs nombreux rapports.
L’explication numéro 1, avancée
en 1993 lors de cette affaire qui
s’est déroulée dans la région de
St. Catharines, le syndrome de la
femme battue, a rallié sa part
d’experts par la suite, mais pas
tous. Karla, elle, s’est toujours accrochée à cette commode bouée de
« femme battue ». À l’époque,
l’explication arrangeait aussi la
Couronne, qui avait besoin d’un
témoin crédible pour témoigner
contre Paul Bernardo. Dans beaucoup d’évaluations plus récentes,
on reproche cependant à Karla
Homolka de se complaire dans
son rôle de victime de Bernardo,
plutôt que d’aborder franchement
celui d’agresseur à ses côtés. Au
cours des thérapies, celle qui a
changé son nom en 1992 pour
Teale, en même temps que son
mari — du nom d’un tueur en série de film — a le plus souvent refusé de parler de ses crimes. Pour
une majorité d’experts, il s’agit
toutefois d’un exercice incontournable pour réussir un traitement.
La psychologue Hélène Naud,
dans un rapport daté du mois
d’avril 2003, parle même d’une
« victimisation excessive » de la
part de Karla Homolka.
Superficielle et conformiste
D’autres constantes se dégagent
aussi de plusieurs rapports, comme sa superficialité, son absence
d’empathie et la troublante façade
conformiste qu’elle a conservée
toute sa vie, même en prison.
Avant de connaître Bernardo, et
même pendant qu’elle commettait
des monstruosités avec lui et qu’il
la battait, Karla Homolka fonctionnait normalement. Au pire de
leur association, elle travaillait,
tenait la maison, payait ses factures et recevait sa famille, même
pour la fête des Pères de 1991,
alors que le cadavre de Leslie Mahaffy gisait dans la cave à légumes. Quand la psychologue Naud
a questionné Homolka pour savoir comment elle avait pu vivre
trois ans d’horreur sans présenter
de signes extérieurs de détresse,
cette dernière s’est braquée : « La
sujette s’impatiente et nous met
au défi de réussir là où les thérapeutes ont échoué. »
« Toute tentative de contact en
profondeur s’avère impossible et
cela a été vécu durant toute la thérapie, au point qu’assez souvent
j’ai songé à tout arrêter. Le contact
manquait d’authenticité », explique pour sa part le Dr Bertrand
Major, dans un rapport daté de février 2001.
Ce psychiatre, qui a suivi Karla
Homolka pendant plus d’une année, trace un portrait sombre de la
femme de 35 ans. Il la voit comme
une égocentrique et une manipulatrice, dotée d’une intelligence
au-dessus de la moyenne, qui a
très bien compris les règles et les
attentes du système judiciaire et
carcéral et qui y répond habilement. Même si cette avenue a été
abondamment explorée au cours
des ans, il est le seul à affirmer
que Karla Homolka présente un
trouble de la personnalité antisociale et psychopathique. « Personne n’est en mesure de vérifier si
Mme Homolka s’est véritablement
sentie coupable, bien qu’elle ait
admis sa culpabilité lors de son
procès. Elle ne semble pas avoir
reconnu sa culpabilité au plan hu-
seghem abonde dans ce sens.
Dans un rapport rendu en août
2000, il critique les premières
évaluations faites sur Karla Homolka : « Les diagnostics présentés sont pour la plupart de l’ordre
du syndrome de la femme battue
et désordre de stress post-traumatique. Or, il nous semble qu’il y a
dérive. » Il poursuit en disant que
ces deux troubles sont liés à des
états souvent passagers et situationnels, et non à une structure de
la personnalité susceptible d’expliquer les gestes posés. Et si syndrome il y a, il se demande si celui-ci n’est pas plutôt attribuable
au dévoilement et à ses conséquences pour Homolka, plutôt
qu’aux traitements que lui a infligés Bernardo. Il est à noter que
cet expert n’a pas rencontré Karla
Homolka, car celle-ci a refusé,
ayant renoncé à demander sa libération d’office, en 2001. Mais il signale avoir fait une étude très approfondie de tout son dossier et
avoir rencontré des intervenants
de la prison de Joliette pour dresser son rapport.
Que Karla Homolka ait été soumise et terrorisée par son mari, on
peut le concevoir. Mais est-ce seulement de la soumission que de
revêtir les vêtements de sa soeur
morte pour avoir des rapports
sexuels avec Bernardo dans la
chambre de la défunte, et cela
quelques jours seulement après ce
tragique décès qu’ils avaient provoqué ? En 2001, le psychiatre
Major s’interrogeait d’ailleurs sur
les véritables motifs qui avaient
poussé Homolka à tapisser les
murs de sa cellule de Joliette avec
d’immenses photos de Tammy.
« Cela nous semble plus une forme d’exhibitionnisme, d’absence
de culpabilité », dit-il. Par ail-
PHOTO PC, ARCHIVES LA PRESSE
Karla Homolka lors de sa comparution à Joliette le 2 juin dernier.
sible, à expliquer. » Le médecin
évoquait la possibilité d’une déviance de type sadomasochiste,
mais l’attitude de Homolka n’aidait en rien à poser un diagnostic.
« Malheureusement, elle est incapable ou refuse d’admettre tout
intérêt sexuel déviant. »
Cette négation, Homolka l’a
maintenue pendant les 12
années de son incarcération,
Au cours des thérapies, celle qui a changé son nom
et trouvait même offensant
qu’on en doute. Quand il
en 1992 pour Teale, a le plus souvent refusé de
s’agit de délinquants mâles,
les
possèdent des
parler de ses crimes. Pour une majorité d’experts, il outilsexperts
pour percer à jour
leurs secrets intimes. Un des
s’agit toutefois d’un exercice incontournable pour
tests consiste à poser un anréussir un traitement.
neau de mercure autour du
pénis du sujet pour mesurer
main. Son comportement n’est leurs, si elle a été une femme in- son degré d’excitation à la vue
pas celui de quelqu’un qui souffre capable de s’affirmer avec Bernar- d’images sexuelles précises. Mais
de ce qu’il a fait », écrit-il. Il si- do, ce n’est pas l’image qu’elle les cas de femmes abuseuses sont
gnale aussi qu’à son avis, Homol- projetait avant de le rencontrer ni beaucoup plus rares, et il n’existe
pas de tests équivalents pour elka n’a jamais souffert de trouble après en prison.
les. Des expériences avec des sonde stress post-traumatique, en dédes vaginales ont été tentées, mais
pit de tout ce qui a été dit à ce su- Pas d’excitation
Karla Homolka a toujours affir- sans succès.
jet. Après avoir quitté Bernardo,
au début de 1993, elle est sortie mé qu’elle n’avait éprouvé aucune
dans les bars et a rapidement eu excitation sexuelle pendant les Pas de danger
Karla Homolka est convaincue
des relations sexuelles avec un crimes, et qu’elle l’avait fait seuleautre homme. Elle a presque tou- ment par crainte de son mari et qu’elle ne représente pas un danjours bien dormi. Par ailleurs, pour lui plaire. La majorité des ger pour la société. Rien ne se sealors qu’elle était confinée dans experts semblent adhérer à cette rait passé si elle n’avait pas connu
une cellule 23 heures sur 24 à la théorie, mais certains sont scepti- Bernardo, a-t-elle répété tout au
prison de Kingston, en Ontario, ques. En 1995, le psychiatre An- long de ses années d’incarcéraelle a entrepris des études en psy- gus MacDonald décrivait le cas tion. Aujourd’hui, elle se sent enchologie. Tout cela est incompati- Homolka comme un « diagnostic core plus sûre d’elle. Elle affirme
ble avec quelqu’un souffrant de mystère ». « Malgré son habileté à qu’elle a plus de maturité, qu’elle
trouble de stress post-traumati- se présenter sous un jour favora- a appris à reconnaître les signes
ble, il y a une vacuité morale en de relations abusives et qu’elle ne
que, croit-il.
Le psychologue Hubert Van Gij- elle qui est difficile, sinon impos- s’y fera plus prendre. Les théra-
peutes n’en sont pas si sûrs, puisqu’elle a entrepris une relation
amoureuse par correspondance
avec le détenu Jean-Paul Gerbet,
condamné pour avoir tué la femme qui venait de rompre avec lui.
Lorsque confrontée par ses intervenants, Karla Homolka a assuré
que Gerbet n’était pas comme
Bernardo. « Elle dit le connaître
et est convaincue qu’il a changé »,
peut-on lire dans un rapport.
Le Dr Louis Morissette, le dernier psychiatre à avoir évalué
Karla Homolka (en mai dernier),
a pour sa part tracé un portrait
fort positif de la jeune femme. Il
faut se distancier de l’horreur des
crimes pour évaluer le chemin
parcouru en prison, a-t-il fait valoir en juin devant le juge Jean
Beaulieu, chargé de décider s’il y
avait lieu d’imposer exceptionnellement des conditions de remise en liberté à Homolka.
Le 6 juillet 1993, quand l’entente avec Homolka a été entérinée
par le juge Francis Kovacs, on a
fait valoir ceci au magistrat : « Les
médecins sont unanimement
d’avis que Karla Homolka n’est
pas dangereuse, tant qu’elle n’est
pas en contact avec son ex-mari
ou quelqu’un comme lui. » Douze
ans plus tard, après d’innombrables thérapies, le juge Beaulieu
s’est fait servir le même argument
par la partie représentant Karla
Homolka. Faut-il s’étonner que le
magistrat ait tissé un épais filet de
sécurité autour de cette inélucta-.
ble libération ?
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