gagne pas un surplus de sens, du fait, par exemple, que c‟est telle personne (un parent) et non telle autre
(une inconnue) qui l‟a proposé. Ceci contraste à nouveau avec d‟autres formes d‟échange, comme la
dynamique du don, qui mélange échange, religion, magie et morale dans un même geste (Mauss,
2012).Dans les sociétés décrites par Marcel Mauss, l‟objet acquiert une signification religieuse, magique
ou sociale, par le fait même d‟être donné. Et tous les participants au don en sont affectés.
Quelle conclusion peut-on donner, après cette analyse, au sujet de la monnaie marchande ? D‟une
part, la monnaie marchande est l‟instrument de l‟échange marchand.Elle y remplit une fonction de
compte,une fonction de paiement, et une fonction de réserve. Ces fonctions sont généralement
reconnues par tous les courants de la pensée économique, y compris l‟institutionnalisme monétaire
(Aglietta et Orléan, 2002, p. 106‑115). Toutes trois sontnécessaires au bon fonctionnement de
l‟échange marchand. Premièrement, la monnaie est l‟unité de compte qui permet l‟évaluation des biens
échangés. Deuxièmement, elle est le moyen de paiementqui garantit la circulation des marchandises.
Enfin, elle est une réserve de valeur qui prolonge la possibilité de l‟échange dans le temps.
Mais la monnaie n‟est pas seulement l‟instrument de l‟échange marchand. Elle est également liée à
l‟existence même de la société marchande et en constitue l‟institution« fondatrice » (Aglietta et Orléan,
2002, p. 98). Sans elle, pas d‟échange marchand. Sans unité de compte commune, sans moyen de
paiement, l‟échange ne peut avoir lieu. Mais il existe une explication plus complexede cette dépendance
entre monnaie et société marchandes, que suggèrent les paragraphes précédents. En effet, la relation
marchande est bien plus une relation entre objets, entre marchandises, qu‟une relation entre personnes.
Ces dernières, dans la société marchande, sont séparées et isolées les unes des autres. En conséquence,
les relations entre personnes sont « transposées »,et confinées, dans les relations entre les marchandises
qu‟elles échangent, et entre la valeur de ces marchandises.2Ainsi, la monnaie marchanden‟est pas
seulement l‟intermédiaire entre deux marchandises. Bien plus, à travers cette relation entre marchandises,
elle médiatise les relations entre personnes. On peut donc parler d‟une véritable institution, fondatrice
pour la société marchande.La monnaie marchande en porte toutes les caractéristiques présentées plus
haut : elle consacre la séparation entre personnes, entre personnes et choses, et est neutre et sans
influence vis-à-vis des buts poursuivis dans l‟échange.
Afin de mieux comprendre ces deux conceptions de la monnaie marchande, qui est à la fois
instrument et institution constitutive de l‟échange marchand, il peut être utile d‟utiliser ici la distinction
de Searle entre une règle régulative et une règle constitutive(Searle, 2005, p. 9). Une règle régulative est
celle qui donne des règles de conduite utiles au fonctionnement d‟une société. Par exemple, le code de
2 Cette transposition d‟une relation entre personne vers une relation entre marchandises, qui peut paraître abstraite, n‟inspire
pas moins de nombreux économistes. George Stigler et Gary Becker(1977), par exemple, considèrent que pour étudier
diverses formes de relations sociales entre personnes, depuis la discrimination jusqu‟à la famille, le mieux est d‟étudier les
rapports de prix (mêmes fictifs) entre différentes situations possibles.