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25 janvier 2012 Revue Médicale Suisse
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présentation clinique
1.
Une patiente de 37 ans souffre d’une
schizophrénie paranoïde depuis une quin-
zaine d’années. Elle présente des idées
de culpabilité qui lui font pratiquer des ri-
tuels de prre, à l’insu de ses proches,
pour se laver de ses fautes pases. Il y
a quelques années, elle dit avoir commis
une tentative de suicide, encouragée par
le diable. Actuellement toutefois, elle ex-
plique que Dieu l’empêche de faire du
mal aux autres. Elle discute souvent avec
son pasteur qui l’a convaincue que Dieu
souhaitait qu’elle vive.
2.
Un patient taïwanais de 54 ans souf-
fre d’un cancer invasif de lœsophage.
En proie à d’importantes douleurs thora-
ciques, il demande l’aide de l’aumônier
bouddhiste, qu’il avait jusque-là refusée.
Celui-ci l’initie aux rituels de passage vers
Bouddha. Il parle alors de l’angoisse qu’il
éprouve lorsqu’il sent cette masse tumo-
rale pulser en lui. Laumônier argumente
que cette tumeur est vivante, qu’elle na
dautres lieux où aller. Il dit en outre au
patient qu’il va forcément l’emporter avec
lui et qu’il devrait laider à trouver un re-
fuge auprès de Bouddha… Sa mort sur-
vient dans un contexte plus cohérent,
apaisé.
commentaire
Depuis l’aube des temps, la religion a eu
pour fonction de fournir de laide aux per-
sonnes en souffrance. La médecine a peu
à peu complété (et même parfois remplacé)
ces apports. Aujourd’hui, selon les cul tu-
res, médecine et religion se complètent,
s’opposent ou s’exercent en parallèle. Il en
découle parfois des situations complexes,
illustrées brièvement par ces vignettes.
Les chercheurs se sont assez récemment
penchés sur la question du religieux en mé-
decine.1 En particulier le concept de
coping
religieux
a été développé. Il décrit laide –
positive ou négative – que la religion peut
offrir en cas de difculté.2
Dans le domaine de la psychiatrie, la re-
cherche a montré que la religion peut aider
à soulager les symptômes et à trouver du
sens, même dans le cas de psychoses sé-
vères comme par exemple, la schizophré-
nie.3 Cependant, les symptômes psycho-
tiques s’expriment parfois par des thèmes
religieux. Dans les délires de grandeur ou
de persécution par exemple, le patient peut
se prendre pour Dieu ou le diable, ou se
sentir persécuté par des forces occultes.
La dimension spirituelle peut également être
utilisée pour interpréter des expériences
hallucinatoires («Dieu me parle…»). Cette
inclusion de thèmes religieux dans la symp-
tomatologie psychotique mène à des con-
séquences diverses : acceptation ou refus
des traitements, souffrance spirituelle ou
aggravation des symptômes.
D’autres travaux, d’essence essentiellement
anthropologique, portent sur les
modèles
explicatifs
. Ils nous montrent que, à l’instar
des personnes souffrant d’autres patholo-
gies, les patients psychotiques se créent
une représentation de leur trouble qui peut
avoir des composantes scientifique, cultu-
relle et/ou religieuse.4 Ce champ de re-
cherche est particulièrement important dès
lors qu’il met en évidence que certains pa-
tients acceptent – ou pas – de prendre
leurs traitements, selon les modèles expli-
catifs qu’ils ont des causes et de la nature
de leur(s) maladie(s).
Globalement, la recherche en psychiatrie a
pu mettre en évidence le rôle positif ou né-
gatif du
coping religieux
par rapport à la
dépression, les risques suicidaires y rela-
tifs, les addictions, et même les troubles
psychotiques.5
La religion peut également jouer un rôle im-
portant en cas de douleurs chroniques, lors
de situations de fin de vie ou de deuil.5 Dans
ces circonstances, les patients, parfois jus-
que-là immergés dans un environnement
matériel (pour ne pas dire matérialiste), sont
inévitablement amenés à se poser des ques-
tions nouvelles, relatives à leur vie, ses li-
mites et son sens. Le praticien peut être
amené à composer avec cette dimension,
notamment du fait des répercussions qu’elle
peut avoir sur le soin et l’accompagnement
demandé.
Enfin, selon les cultures, différentes techni-
ques inspirées de la religion (par exemple :
méditation) ont intégré et complémenté la
médecine, parfois de manière positive.5
quel rôle pour le praticien ?
Les médecins sont plus souvent non croyants
en comparaison à la population générale.
Ils sont en outre parfois peu informés sur la
manière de prendre en compte cette dimen-
sion. Cela, comme nous l’avons illustré,
alors que les patients en souffrance utili-
sent la religion pour le meilleur ou le pire (et
parfois les deux en même temps
!). Notre
intervention est par conséquent souvent dif-
ficile à délimiter : il s’agit en effet de n’être ni
directif (par exemple : en prescrivant ou au
contraire en désapprouvant la religion), ni
jugeant, donc de rester dans notre rôle de
professionnels de la santé.
Pour le praticien, lessentiel doit être de con-
duire une
évaluation spirituelle
auprès des
patients dont la pathologie paraît influencée
par leur religion (tableau 1).6 Cette évalua-
tion, facilement réalisée à laide de questions
simples, nous permettra le cas échéant, de
mettre en évidence le rôle positif ou négatif
exercé par la religion, et déventuellement
soutenir l’appui qu’elle fournit. Lévaluation
spirituelle nous permettra également de
discuter puis de reprendre les modèles ex-
Santé mentale et religion
Quadrimed 2012
P. Huguelet
Dr Philippe Huguelet
Service de psychiatrie générale
Département de santé mentale
et de psychiatrie
Consultation des Eaux-Vives
Rue du 31 Décembre 36
1207 Genève
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 198-9
• Affiliationreligieuse
• Evolutiondelaspiritualitésurlavie
 (enparticulierinfluencedutroublepsychiatrique
 oudelamaladiesurlareligiosité)
• Croyancereligieusedupatient(pasforcément
 superposableàcequ’onconnaîtdel’Egliseen
 question!)
• Pratiquesreligieusescommunautaires
• Pratiquesreligieusesindividuelles
• Importancesubjectivedelareligiondanslavie
Cesquestionsdebasedoiventpermettred’iden-
tifierdespatientspourlesquelslareligionest
importante.Pourcespatients,l’évaluationdevrait
rentrerensuitedansplusdedétails:
• Interprétationspirituelledutroublepsychia-
 trique/delamaladie(parexemple:punition,
 épreuvesinfligéesparDieu,originedémo-
 niaque…)
• Utilisationdelareligionpourfairefaceaustress
• Utilisationdelareligionpourfairefaceaux
 symptômes
• Synergieouantagonismedelareligionpar
 rapportauxsoinset,lecaséchéant,au
 traitementmédicamenteux
• Bénéficepotentieldel’envoiversunaumônier
 ouunreligieuxdesaconfession
Tableau 1. Evaluation spirituelle
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plicatifs que les patients se sont forgés par
rapport à leur(s) maladie(s). Au terme de
cette évaluation, il sera donc possible de
discuter avec le patient ce qui est de notre
ressort, puis si nécessaire de l’orienter vers
la personne de choix (aumônier, membre
de sa communauté religieuse…).
Implications pratiques
Lespatientsrecourentfréquemmentàlareligionpourfairefaceàleurssouffrances.Cet
apportpeutêtrepositif,négatif,etaussiparfoislesdeuxsimultanément
Lesreprésentationsqu’ontlespatientsdeleur(s)maladie(s)etdeleurstraitementspeu-
ventêtreinfluencéesparlemodèleexplicatifqu’ilsontàcesujet,quiinclutparfoisune
dimensionreligieuse
Afind’aideraumieuxlespatientsetd’éviterunéventuelrefusdetraitement,parailleurs
pasforcémentavouéaucabinet,ilestimportantdepouvoirdiscutercesthématiques
Cetteévaluationsefaitsansrisquepourautantqu’ons’entienneàuneattitudeneutre
etnonjugeante
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