Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues

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DES VALEURS EN HÉRITAGE
Les isomorphismes sémantiques
et la reconstruction des langues
Alexandre FRANÇOIS
(CNRS, LACITO)
[email protected]
1 Typologie, comparatisme et contact de langues
1.1
Les isomorphismes sémantiques
La typologie des langues consiste à observer la récurrence, d'une langue à l'autre, de faits
de structure linguistique. Il peut s'agit de structures morphosyntaxiques, mais aussi, par
exemple, de configurations sémantiques. Désignons, par ce terme, l'ensemble des
valeurs sémantiques propres à une forme particulière (morphème, lexème, phrasème),
autrement dit son signifié ou sémème. Une fois qu'une telle configuration a été mise à
jour par l'observation d'une forme dans une langue, elle peut devenir objet d'étude en soi,
indépendamment de son support formel, et comparée d'une langue à l'autre. Par exemple,
on observera qu'une langue L1 possède un terme X doté d'une certaine polysémie ; puis
l'on rencontrera la même polysémie dans une autre langue du monde L2, tout en
constatant son absence dans une langue L3. On dira alors que L1 et L2, mais pas L3,
partagent une même configuration sémantique, qu'elles sont localement (c'est-à-dire, sur
ce point précis) ―isomorphes‖.
Dans cette démarche, on ne compare pas le matériau phonologique, qui peut être
différent, mais les faits de structure sémantique : de ce point de vue, cette première
Alexandre FRANÇOIS
phase d'observation relève davantage de la typologie que du comparatisme. Cependant,
dans un second temps, on peut chercher à interpréter les isomorphismes observés entre
les deux langues L1 et L2 ; c'est là que la linguistique historique peut entrer en jeu.
Globalement, si une même configuration sémantique se retrouve à l'identique dans
deux langues L1 et L2, trois types d'explications sont possibles :

explication typologique : cette similitude peut être le fruit du hasard – ou pour être
plus précis, d'une convergence typologique, par innovation parallèle

explication aréale : il peut s'agir d'un fait de diffusion aréale, par contact de langues

explication génétique : une configuration sémantique identique entre deux langues
apparentées peut avoir été héritée de leur ancêtre commun.
Pour chaque cas observé, la question sera de savoir comment départager ces trois
explications. Un premier critère résidera dans la nature des relations entre les deux
langues que l'on compare. De toute évidence, l'explication aréale n'a de sens que si L1 et
L2 appartiennent en effet à une même aire linguistique, ou sont entrées en contact au
cours de leur histoire. De même, l'explication génétique ne fonctionne que si l'on sait par
ailleurs que L1 et L2 sont apparentées, et descendent d'un même ancêtre. Le Tableau 1
récapitule les différentes explications possibles, en fonction de la relation entre L1 et L2.
Tableau 1 – Explications possibles d'une similitude structurale
entre deux langues L1 et L2, en fonction de leurs liens génétique et aréal
aire linguistique différente
langues génétiquement
non apparentées
 convergence typologique
langues génétiquement
apparentées
 convergence typologique
 héritage génétique
même aire linguistique
 convergence typologique
 diffusion aréale
 convergence typologique
 diffusion aréale
 héritage génétique
Comme on le voit, la situation la plus ambiguë est celle des langues à la fois apparentées
génétiquement, et coexistant dans la même aire linguistique. Or, c'est précisément sur un
tel cas de figure que nous allons nous pencher (section 2).
1.2
Structures sémantiques et reconstruction historique
Supposons donc que l'on observe, entre deux langues L1 et L2 apparentées et en contact,
une configuration sémantique identique – que celle-ci soit portée, ou non, par des formes
apparentées. La question que souhaite poser cet article est de savoir dans quelle mesure
cette configuration sémantique peut être attribuée à un ancêtre commun.
2
Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
Cette question soulève deux types de difficultés. D'une part, il faut d'abord invalider,
quand c'est possible, les deux autres explications concurrentes : celle de la simple
convergence, et celle de la diffusion par contact. Ainsi, l'originalité typologique de la
structure entrera en ligne de compte pour évaluer la probabilité d'une convergence de
hasard (cf. Wilkins 1996) : plus une configuration sémantique sera idiosyncrasique, plus
sa récurrence dans deux langues proches aura des chances d'être due à une histoire
commune – que celle-ci remonte à un ancêtre commun, ou bien à une situation de
contact. Quant à départager ces deux dernières hypothèses, j'en reparlerai plus loin
(§2.4).
L'autre difficulté que soulève cette problématique est de savoir s'il est concevable de
faire du comparatisme en travaillant sur des valeurs, plutôt que des formes. La question
est paradoxale, tant il est vrai que la linguistique comparée est profondément enracinée
dans la phonétique historique. Ce que recherche le comparatiste, c'est avant tout la
récurrence des mêmes formes, ou plutôt celle de couples signifiant-signifié. Et bien
entendu, cette démarche est indispensable pour établir les apparentements entre les
langues et l'histoire précise de chaque terme.
Pourtant, cet article propose de discuter un cas de figure particulier. Il s'agit d'un
groupe de langues dont on sait déjà – précisément en appliquant la méthode comparative
classique – qu'elles sont étroitement apparentées. Or, à côté des diverses proto-formes
que l'on peut reconstruire, il arrive parfois que l'on achoppe sur une difficulté : c'est
lorsque les langues modernes s'accordent parfaitement sur une même structure
sémantique, alors qu'elles divergent sur le plan formel. Dans ce cas, et selon certaines
conditions que je discuterai, il peut être légitime de reconstruire une proto-forme *X, à
signifiant provisoirement indéterminé, et caractérisée par sa configuration sémantique.
En somme, si une structure sémantique donnée se retrouve en plusieurs langues d'un
même groupe génétique, et qu'il est possible d'écarter les hypothèses du hasard ou de la
diffusion aréale, alors cette configuration doit être reconstruite au niveau de l'ancêtre de
ce groupe. En émettant ce type d'hypothèse, on ne fait que transférer, sur le plan de la
structuration du sens, la rigueur logique qui a déjà fait ses preuves dans le domaine de la
comparaison des formes et de la morphosyntaxe.
2 Diversité des formes, concordance des valeurs au nord Vanuatu
Ces questionnements concernant la reconstruction des structures sémantiques trouvent
leur origine dans le travail d'observation et de description linguistique que j'ai entrepris
en Mélanésie, plus précisément au nord du Vanuatu.
3
Alexandre FRANÇOIS
2.1
Les dix-sept langues du nord Vanuatu
Cette région du monde se caractérise par un émiettement linguistique extrême, avec pas
moins de cent dix langues pour tout l'archipel du Vanuatu. Dans les seuls groupes des
îles Banks et Torres au nord du Vanuatu, j'ai pu recueillir des données sur dix-sept
langues distinctes, pour une population de 7500 habitants tout au plus (Figure 1).
Figure 1 – Carte des dix-sept langues parlées au nord du Vanuatu
Malgré l'absence d'intercompréhension, ces dix-sept langues appartiennent clairement
à un même ensemble génétique : il s'agit de langues austronésiennes, appartenant toutes
au sous-groupe océanien, et plus précisément à un ensemble cohérent d'une centaine de
membres environ, nommé ―Nord-Centre Vanuatu‖ (NCV). Ces dix-sept langues
présentent tant de similitudes entre elles, que de futures recherches pourraient proposer
de les regrouper en un clade spécifique à l'intérieur du groupe NCV, le groupe ―Nord
Vanuatu‖ (François 2005). Ainsi, en fonction du degré de précision voulu et de l'ampleur
des comparaisons, ―l'ancêtre commun‖ à ces langues des Banks et Torres pourra être,
selon les cas, le ―proto Nord Vanuatu‖ (PNV, hypothétique), le ―proto Nord Centre
Vanuatu‖ (PNCV), ou encore le proto-océanien (POc). Par ailleurs, ces communautés
4
Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
ont toujours entretenu des relations de contact à travers leurs échanges économiques et
matrimoniaux, si bien que les exemples de diffusion linguistique sont nécessairement
nombreux (cf. §2.4).
2.2
Des langues à la fois diverses et isomorphes
Or, si l'on met de côté un bon nombre de morphèmes et de lexèmes dont l'apparentement
est évident, ces langues possèdent également toute une part de vocabulaire qui présente
une double propriété : d'un côté, une différenciation marquée du matériau formel ; de
l'autre, une extrême similarité des structures. Le Tableau 2 présente ainsi le même
énoncé traduit dans quelques-unes de ces langues1 :
Tableau 2 – Correspondances terme à terme pour un même énoncé,
dans quelques langues du nord Vanuatu
―Non, je n'ai pas bien dormi.‖
NÉG.EXIST,
1sg
NÉG1
dormir
bien
təɣɔ,
nɔkə
tati
mitiᶢʟ
wuᶢʟɔɣ
lehali
tɛtɣɛ,
nɔ
tɛt
mutuj
ɣalsɛ
tæ
mwotlap
tatɛh,
nɔk
ɛt
mitij
ɣalsi
tɛ
ɣitaɣ,
nɔ
ɪʔ
miʔir
mintɛɣ
rʊs
hiw
lo-toga
lemerig
vera'a
vurës
mwesen
tatəɣɛ,
niβ,
ɔdiaŋ,
ɛnɛŋ,
nɛkə
nœ
nɔ
na
ɪ
mətʉr
miʔir
ɣʊtʊɛtɛ
mʊβʊt
warɛɣ
ʔæ
maŋtɛ
nume
bɛk,
na
βɛta
ŋɔrŋɔr
liŋliŋi
mi
taɣa,
na
tɪ
ŋɔj
βɪlɪː
wʊs
olrat
lakon
ta,
mwerlap
tɪɣɪ,
bislama
NOGAT,
na
na
nɔ
MI
ttɪ
matir
ʔørmaʔ
taɣai,
ɔbɛk,
ɣate
mʊβʊt
ʉrβɛ
mota
dorig
nau
tatə
NÉG2
ŋɔr
ŋɔː
ti-
mɞtʉr
NO
SLIP
mantaɣ
taβul
kɛrɛ
mɪnmɪn
tɪmɪ
aβʊh
tɛ͡a
GUT
Si l'on prête attention aux formes, ce tableau frappe plutôt par son hétérogénéité. En
dépit de diverses similitudes (pronom personnel, formes du verbe ―dormir‖…) qui
donnent à ces langues un air de famille certain, on observe une variation formelle parfois
radicale, d'une langue à l'autre, pour des termes fonctionnellement équivalents. Ainsi, les
1
Les transcriptions sont en API. L'ordre adopté est géographique, du nord-ouest au sud-est (cf.
Figure 1). Pour le cas du bislama (dernière ligne du tableau), voir la discussion infra.
5
Alexandre FRANÇOIS
deux formes négatives, qu'il s'agisse de la négation prédicative (glosée /NÉG.EXIST/) ou
de la négation associée au verbe (/NÉG1/ ou /NÉG1…NÉG2/), présentent une variation
dialectologique extrême. De même, l'adverbe interne au groupe verbal (glosé ―bien‖)
revêt des formes spectaculairement différentes d'une langue à l'autre.
Cependant, cette hétérogénéité au niveau des formes ne trouve pas son équivalent au
niveau des structures, qui sont remarquablement parallèles dans toute la région.
C'est d'abord le cas pour les structures syntaxiques. Le Tableau 2 révèle un
parallélisme rigoureux dans l'ordre des mots ; les langues qui possèdent une négation
discontinue la placent de part et d'autre du syntagme prédicatif ; et ce dernier se présente
invariablement avec l'ordre {tête prédicative + adverbe interne}, à l'exclusion de tout
argument ou circonstant.
Le parallélisme structural se retrouve également sur le plan fonctionnel et sémantique.
Ainsi, quelle que soit sa forme phonologique, l'adverbe du Tableau 2 présentera partout
les mêmes contours sémantiques : ―[accomplir une action] correctement, tout à fait, en la
portant jusqu'à son degré qualitatif d'accomplissement‖. Les contextes d'emploi de cet
adverbe seront rigoureusement identiques dans toutes les langues de la région. De même,
dans chacune de ces langues, le mot-phrase négatif (fr. ―Non‖) se confond avec le
prédicat existentiel négatif (fr. ―il n'y a pas‖) ; et ce terme, ici glosé /NÉG.EXIST/, est doté
d'une configuration polysémique qui se retrouve à l'identique dans toutes ces langues :
{ non ; il n'y a pas, ne pas exister ; être absent ; sans succès ; ce n'est pas grave, ça
va }. Quant au morphème de négation associé au prédicat verbal, il combine sa fonction
de polarité négative à une valeur aspecto-modale de Realis : celle-ci embrasse, à elle
seule, les valeurs de statif, présentatif, parfait, prétérit et aoriste, que distinguent les
énoncés affirmatifs (François 2003: 35, 316). Pour ce morphème comme pour les autres,
les caractéristiques sémantiques et morphosyntaxiques seront essentiellement les mêmes
dans toute la région.
Ainsi, dans la grande majorité des cas, la description fonctionnelle et sémantique que
l'on pourrait donner d'un mot pour une de ces langues conviendrait également pour
toutes les langues voisines… à la forme du mot près. En forçant le trait, on pourrait
présenter ces systèmes comme structuralement isomorphes, au sens où la catégorisation
du sens, dans le lexique comme dans la grammaire, est en tous points parallèle d'une
langue à l'autre2. Tout se passe comme si l'aire linguistique du nord Vanuatu employait
un seul et même ―archi-système‖ linguistique, constitué des mêmes unités de sens,
chaque langue ne différant de ses voisines que par le matériau phonologique qu'elle
2
On trouve bien sûr des exceptions à ce principe d'isomorphisme généralisé. En particulier, le
domaine où il se vérifie le moins est sans doute l'architecture des systèmes aspecto-modaux, en fait
assez variables d'une région à l'autre.
6
Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
associe à ces unités.
Le degré d'isomorphisme structural entre deux langues n'est pas nécessairement
fonction du degré d'apparentement de leurs formes : ainsi, les structures du lemerig et du
lakon demeurent très parallèles, en dépit d'une nette divergence lexicale. Plus
remarquable encore, on retrouve les mêmes catégories fonctionnelles (les mêmes ―unités
de sens‖) lorsque le matériau lexical provient d'une autre famille linguistique : c'est ainsi
que le bislama, pidgin à base anglaise qui sert aujourd'hui de langue véhiculaire dans la
région, épouse systématiquement les structures syntaxiques ou sémantiques des langues
du substrat mélanésien (Keesing 1991). Comme le suggère la dernière ligne du
Tableau 2, le bislama fonctionne de facto comme un nouvel avatar de cet ―archisystème‖ régional, avec cette seule différence, que les moules structuraux sont remplis
par du matériau phonologique d'origine anglaise plutôt qu'austronésienne3. C'est ce que
certains créolistes de tendance substratiste nomment relexification : les valeurs
sémantiques héritées du substrat demeurent inchangées, seul le matériau phonologique
est emprunté à la langue lexifiante4.
Au bout du compte, si la divergence des formes explique l'absence
d'intercompréhension spontanée entre les langues, en revanche, du point de vue
structural, leur concordance quasi parfaite garantit leur traductibilité sans déperdition –
que ce soit entre deux vernaculaires, ou entre un vernaculaire et la langue véhiculaire.
Cet isomorphisme généralisé a pour corollaire la cohérence d'un univers de référence,
associé à une aire culturelle fondamentalement homogène. Pour employer une
formulation de type sociologique, on peut dire que ces communautés mélanésiennes,
tout en utilisant la forme du signifiant comme marqueur identitaire, préservent et
favorisent leur unité régionale en organisant leur univers notionnel selon les mêmes
catégories.
2.3
Les structures sémantiques récurrentes : rétention d'un ancêtre commun ?
Cet isomorphisme généralisé des langues du nord Vanuatu constitue un fait de
synchronie. Mais comment en est-on arrivé là ? Quel processus évolutif est susceptible
d'aboutir à une telle concordance entre les langues d'une même région, qu'elles semblent
toutes taillées selon le même patron, alors que leur lexique est si différent ?
3
Pour ne prendre qu'un seul exemple tiré du Tableau 2, le bislama /nogat/ (< angl. no got) présente
exactement les mêmes valeurs que son équivalent dans les langues vernaculaires : { non ; ne pas
exister ; être absent ; sans succès ; ce n'est pas grave… }.
4
Lefebvre (1998: 9) définit la relexification comme un ―processus de substitution lexicale au cours
duquel la seule information adoptée de la langue-cible, dans l'entrée lexicale, est l'information
phonologique‖.
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Alexandre FRANÇOIS
Une chose est certaine, vue l'idiomaticité des schémas sémantiques, on ne saurait voir
là des cas de simple convergence typologique – l'autre nom du hasard en linguistique.
Restent alors deux explications possibles (cf. Tableau 1) : d'une part, l'héritage génétique
partagé ; d'autre part, la diffusion aréale par contact. Je vais les examiner
successivement.
2.3.1
Des valeurs en héritage
Parler d'un héritage commun des valeurs sémantiques, c'est faire l'hypothèse que
l'isomorphisme structural que l'on observe en synchronie peut s'expliquer par l'existence
de ces mêmes configurations au niveau de l'ancêtre commun à ces langues. On
proposerait ainsi, par exemple, d'attribuer à la proto-langue ancestrale aux langues
modernes – disons, le ―proto Nord Vanuatu‖ (PNV) – les propriétés structurales
présentes dans le Tableau 2 (ordre des constituants, propriétés morphosyntaxiques et
sémantiques de chaque terme, etc.).
Admettons provisoirement – j'en discuterai plus loin – que cette proposition puisse
être démontrée. Elle présenterait alors un grand intérêt : car elle permettrait, au moins au
titre d'hypothèse de travail, de reconstruire des états anciens de langue en reconstituant
non seulement des proto-formes, mais également des proto-valeurs sémantiques. Bien
entendu, par définition, chaque proto-signifié n'avait d'existence que s'il était lexifié par
un proto-signifiant unique, lequel idéalement devrait pouvoir être reconstruit par la
même occasion. Oui mais voilà, il peut arriver que les données suggèrent fortement
l'existence d'un terme *X unique pourvu de certaines propriétés sémantiques, mais ne
permettent pas de reconstruire la proto-forme elle-même. Par exemple, on peut
raisonnablement supposer, au vu du Tableau 2, que le PNV possédait un adverbe interne
de prédicat signifiant ―correctement, tout à fait…‖ ; mais quant à en déterminer la forme
phonologique, voilà qui semble impossible au vu des formes modernes.
D'une certaine façon, la démarche ici proposée renverserait l'ordre usuel des priorités
du comparatiste, lequel fait généralement porter tous ses efforts sur la reconstruction des
formes, avant de leur attribuer – quand il prend le temps de le faire vraiment ! – un
ensemble ordonné de valeurs. En réalité, la même rigueur méthodologique (principe des
innovations partagées, des correspondances régulières…) devrait également permettre de
reconstruire certains proto-signifiés, en tant que propriété structurale de la proto-langue
que l'on cherche à caractériser. Quant à déterminer la forme phonologique de ces
configurations sémantiques (leur proto-signifiant), c'est bien sûr une démarche
souhaitable, mais qui doit parfois être remise à plus tard, en la subordonnant, par
exemple, à l'acquisition ultérieure de nouvelles données.
8
Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
2.3.2
Changement des signifiants, conservation des signifiés
Il est vrai que la linguistique historique a déjà coutume de reconstruire des propriétés
typologiques, notamment syntaxiques, des proto-langues. Mais généralement, la notion
de préservation des faits de structures va nécessairement de pair avec celle de leur
support formel, qu'il s'agisse de marques segmentales, séquentielles ou autres. Dans le
cas que j'analyse ici, l'hypothèse envisagée est plus hardie : c'est l'idée que la
transmission d'une langue au cours du temps puisse consister à modifier les formes tout
en préservant intactes les valeurs sémantiques.
Ce n'est pas là la conception usuelle du changement sémantique. Dans beaucoup de
langues du monde, on observe généralement que tout changement formel – une forme X
étant concurrencée, sur son propre territoire sémantique, par une forme Y – a pour
corollaire une reconfiguration des contours sémantiques de chaque mot, et une
redistribution de leurs sèmes. Par exemple, dans certains registres du français, le sème
―condition naturelle qui différencie les hommes des femmes‖ tend actuellement à être
lexifié par le mot genre plutôt que le mot sexe. Par un effet structural évident, les
contours notionnels de ces deux mots s'en trouvent redessinés, le champ sémantique de
sexe cédant du territoire à celui de genre. C'est ainsi qu'un changement lexical implique
normalement une redéfinition des configurations sémantiques.
Pourtant, il semble que les langues du nord Vanuatu suivent parfois un mécanisme
évolutif différent. D'un côté, les facteurs universels de changement lexical – glissements
métaphoriques, recherche de l'expressivité, tendance sociale à la diversification et à
―l'ésotérogénie‖ (Ross 1996)… – motivent bel et bien, dans ces langues, un renouvellement interne du vocabulaire ; mais, d'un autre côté, le découpage des valeurs
sémantiques tel qu'il existe au niveau de l'archi-système régional semble avoir, pour
ainsi dire, assez de pouvoir contraignant pour imposer à tout nouveau terme un ensemble
de valeurs prédéfini. C'est ainsi que les formes des mots peuvent changer, tout en
laissant intactes, au bout du compte, les unités de sens. On peut comparer ce phénomène,
mutatis mutandis, à la ―relexification‖ observée dans les pidgins et créoles : les
configurations sémantiques sont héritées telles quelles, seul change le matériau
phonologique qui vient se couler dans le moule préexistant.
Ce phénomène de relexification interne peut être illustré par l'évolution d'un des
directionnels spatiaux en dorig. Dans les langues du nord Vanuatu, le directionnel
signifiant ―vers le bas‖ présente une polysémie en fonction du contexte de référence
spatiale (François 2004) : [axe vertical] ―vers le bas, par terre‖ ; [sur l'île] ―vers la côte‖ ;
[en pirogue] ―en s'éloignant de l'île‖ ; [échelle géographique] ―en allant vers le nordouest‖ – sans parler de certaines valeurs métaphoriques de ―vers le bas‖ (action qui
ralentit, nombre qui diminue…). La plupart des langues des îles Torres et Banks
9
Alexandre FRANÇOIS
lexifient cet ensemble polysémique avec des formes que l'on peut reconstruire en un
étymon PNV *suwe ―en bas, vers le bas‖ (François 2005: 499). Or, la langue dorig –
comme d'ailleurs le nume, le koro et l'olrat – a remplacé *suwe par une forme innovative
rɔr. Son étymologie peut être reconstruite : PNV *roro ―profond, bas‖. Dans la mesure
où le trait sémantique à la source du changement est la notion de profondeur ou faible
altitude, la langue dorig a sans doute commencé par élargir le sémantisme de *roro de
―être bas‖ à ―être en bas‖. On peut imaginer que cet élargissement de *roro n'a d'abord
remplacé que l'acception verticale de *suwe, tandis que les autres valeurs (ex. ―vers le
nord-ouest‖), peu transparentes, ont dû continuer pendant un temps à être codées par
*suwe.5 À ce stade-là de l'évolution, on aurait assisté en effet à une véritable
reconfiguration sémique, le sémème de *suwe cédant du terrain à celui de *roro.
Pourtant, cette reconfiguration n'est pas ce que l'on observe aujourd'hui. Au contraire,
on s'aperçoit que le rɔr du dorig contemporain a, d'une part, entièrement perdu les
anciennes valeurs de *roro (―profond‖ se dit aujourd'hui lɛβsʊrsʊr ; ―bas‖ se dit taːβtɪn),
et d'autre part, entièrement endossé celles de l'ancien *suwe {vers le bas ; vers la côte ;
vers le large ; vers le nord-ouest ; action qui ralentit…}. Au bout du compte, on retrouve
exactement les mêmes catégorisations sémantiques qu'au départ, comme si la forme
*roro avait tout simplement quitté son moule sémantique originel pour venir occuper la
place de *suwe, sans même en modifier la signification. Aujourd'hui, les contours
sémantiques de rɔr (< *roro) en dorig épousent étroitement, par exemple, ceux de hʊw
(< *suwe) en lakon voisin : les deux termes sont devenus parfaitement équivalents et
traduisibles d'une langue à l'autre, et n'ont gardé aucune trace sémantique de leurs
différentes étymologies.
Au bout du compte, tout se passe comme si les reconfigurations de signifié qui
―auraient dû‖ se produire au cours d'un tel changement lexical avaient été contrecarrées,
en cours d'évolution, par la rigidité des catégorisations notionnelles préexistantes, ces
unités de sens propres à l'archi-système qui transcende toutes les langues de la région.
Alors que le signifiant apparaît perméable à l'innovation et au remplacement lexical, le
signifié semble résister davantage à toute évolution, en vertu d'un effet d'inertie
qu'entretiennent continuellement les interactions interlangues.
Voilà comment, dans cette région du monde, l'évolution des langues combine
typiquement changement de signifiant (tendance à la divergence lexicale) et
transmission intacte des signifiés (préservation d'une traductibilité optimale interlangues). C'est en tout cas de cette manière que l'on peut justifier l'hypothèse, a priori
paradoxale, selon laquelle un groupe de langues peut hériter d'un ancêtre commun une
5
C'est exactement la situation que l'on trouve dans la langue iaai, parlée à Ouvéa (François 2004:
28).
10
Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
configuration sémantique donnée, tout en remplaçant l'étymon original par des formes
innovantes.
2.3.3
Quelques candidats à la reconstruction sémantique
Cette démarche de reconstruction sémantique permettrait de formuler des hypothèses
historiques pour une bonne partie du vocabulaire de ces langues. Le Tableau 3 présente
ainsi un échantillon de quatre termes qui ont en commun deux propriétés :


un signifié à la fois complexe (idiosyncrasique) et identique d'une langue à l'autre
des signifiants trop hétérogènes pour permettre de reconstruire une proto-forme.
Chaque série de formes est accompagnée d'une brève glose, ainsi que de son équivalent
exact dans le pidgin bislama (§2.2).
Tableau 3 – Quelques candidats à la reconstruction sémantique
*X1
Focus
temporel
bislama
JAS
*X2
Restrictif
NOMO
*X3
Verbe
interrogatif
MEKWANEM
*X4
Déclaratifconjonction
SE
hiw
takə
ŋʷutujə
taβə
tɔm
lo-toga
akə
wərəŋɔ
t ̻aβə
tɛ
löyöp
pɛj
wɛβan
ant͡ʃe
tɔ
lehali
jak
ɛwwɛ
danha
dæ
volow
g͡bʷɔjɔ
ɣɛwɪ
aŋtɛ
gɔ
mwotlap
k͡pʷɔjɔ
ɪwɪ
aktɛɣ
sɔ
lemerig
mak
k͡pʷɔɣɔr
sɒβʔɪ
wœ
vera'a
mak
ɣiβa
dasiβiɛ
sɔ
vurës
kara
ɣɛm
daɣɛsɪ
βita
mwesen
kara
ɣɔp
naɣsɛ
(wɔ)ta
mota
k͡pʷara
ɣap
saβai
was
nume
k͡pʷar
am
dɛsɛ
si
dorig
k͡pʷra
wɔr
(d)aksaβ
(k)ak
koro
k͡pʷara
wɔr
dasβa
(k)ak
olrat
tak
wɔj
ɣasβa
ka
lakon
lak
wɔː
βaha
sa
mwerlap
kʷɛr
ɣɔm
dɪ
si
Voici, résumées, les propriétés morphosyntaxiques et sémantiques de chacune de ces
séries (dénommées ici par leur équivalent bislama).
11
Alexandre FRANÇOIS
o
: proclitique aspecto-temporel dit ―Focus temporel‖ (François 2003: 199-216).
Localise un événement dans le temps, en sorte que cette localisation se trouve
focalisée contrastivement (―c'est alors [et pas avant] que P‖). Employé comme passé
immédiat (ex. ―je viens juste de le voir‖), présent inauguratif (―c'est la première fois
JAS
que je le vois‖) ou futur dilatoire (―c'est seulement alors que je le verrai‖).
o
NOMO
o
MEKWANEM
: adverbe à valeur de restrictif quantitatif ou d'atténuateur qualitatif :
―ne… que ; seulement‖. Accompagne les prédicats notionnellement orientés vers la
faible quantité (ex. ―juste petit‖, ―juste léger‖, ―juste quatre‖…). Atténue le prédicat
―bien‖ avec effet de politesse (―c'est bien seulement‖ = ―tout va bien‖).
:
verbe
interrogatif,
non
analysable,
compatible
interprétations : dynamique agentif (―X fait quoi ?‖),
(―qu'arrive-t-il à X ?‖), statif (―X est comment ?‖).
o
avec
dynamique
trois
patientif
: particule déclarative introduisant le discours rapporté (avec ou sans verbe
introducteur6), fonctionnant également comme complémenteur universel (―que‖), et
comme conjonction de but.
SE
Pour le linguiste qui cherche à remonter à l'ancêtre commun de ces systèmes,
l'absence d'indice permettant de proposer une proto-forme plausible pour chacune de ces
séries ne devrait pas empêcher d'émettre des hypothèses sur le plan sémantique. Étant
donnée la concordance quasi parfaite de ces termes d'une langue à l'autre, il semble
légitime de supposer que le proto-système était caractérisé par des structures
sémantiques analogues à celles qui sont attestées de nos jours. Dans ce cas, à côté de
reconstructions authentiques (ex. *suwe ―en bas‖…), on obtiendrait au moins des semireconstructions, du type *X1 ―Focus temporel‖, *X3 ―verbe interrogatif‖, etc.
Malgré l'apparence d'inachèvement, on ferait ainsi avancer à grands pas le travail de
reconstruction historique. Il ne resterait plus ensuite qu'à acquérir des données
manquantes – soit à l'intérieur de cette région, soit à l'extérieur – pour compléter ces
hypothèses de structure par des hypothèses de forme, la première étape du travail
favorisant nécessairement la seconde.
2.4
2.4.1
Et la diffusion ?
L'interprétation diffusionniste
La section précédente vient de montrer la possibilité, tout du moins théorique, de traiter
un isomorphisme structural entre langues d'une même famille – même en l'absence de
6
Les sept dernières langues du tableau emploient un morphème différent pour introduire le discours
direct sans verbe introducteur.
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Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
formes apparentées – comme un cas de préservation d'une structure sémantique présente
au niveau de leur ancêtre commun. On a vu les effets importants qu'une telle hypothèse
peut comporter en matière de reconstruction historique.
Pourtant, il demeure une objection possible à un tel raisonnement, et c'est l'argument
de la diffusion aréale. En effet, les connaissances historiques et anthropologiques dont
on dispose sur le nord Vanuatu montrent clairement que les îles Banks et Torres
constituent une aire de contacts culturels, et partant linguistiques, particulièrement
intenses. Dès lors, comment savoir si telle similitude structurale entre ces langues est
due à la rétention de traits propres à leur ancêtre commun, ou bien à des phénomènes de
contact ?
Prenons le cas du Focus temporel (Tableau 3). On peut imaginer que l'ancêtre
commun de ces langues (le PNV) ne possédait pas une telle catégorie, mais par exemple,
deux morphèmes en distribution complémentaire : l'un opérant dans le domaine realis,
l'autre dans le domaine irrealis. Puis serait apparue, dans une de ces langues, la tendance
à fusionner ces deux opérations en une seule, donnant naissance à ce que je décris
comme ―Focus temporel‖. Pour peu que cette tournure émergente ait paru
fonctionnellement plus efficace, elle aura pu se diffuser, de proche en proche, tant et si
bien que toutes les langues de la région auront fini par adopter cette nouvelle catégorie
aspectuelle.
Que ce dernier scénario soit plausible ou non, sa simple possibilité théorique apporte
un contre-argument à l'idée que l'on devrait expliquer tout cas d'isomorphisme par la
rétention de structures appartenant à la proto-langue. En fait, il peut aussi bien s'agir de
convergence par contact.
2.4.2
Une solution : élargir le champ d'observation
En somme, la concordance structurale forte que l'on observe aujourd'hui dans ce groupe
de langues doit être attribuée, pour partie, à un héritage génétique commun – impliquant
donc des structures que l'on est en droit de reconstruire au niveau de la proto-langue – et
pour partie, à des phénomènes ultérieurs de convergence par diffusion aréale. Comment
faire le départ entre ces deux interprétations, pour chaque structure considérée ?
Tant que l'on demeure à l'intérieur d'une même aire de contacts, et qu'on ne dispose
pas de documents historiques anciens, la solution à cette énigme sera probablement
impossible à trouver, car tout parallélisme de structure pourra s'expliquer aussi bien, en
principe, par diffusion que par héritage génétique. Pourtant, une solution est possible,
suggérée par le Tableau 1 (§1.1) : elle consiste à élargir le champ d'observation à
d'autres langues du même groupe génétique, mais appartenant à une aire linguistique
distincte. Dans le cas du nord Vanuatu, les déterminismes géographiques et historiques
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Alexandre FRANÇOIS
permettent de considérer, pour l'essentiel, la zone des Banks et des Torres comme
formant un ―Sprachbund‖ homogène, et toute langue parlée en dehors de cette zone,
comme appartenant à une aire différente.
Ainsi, supposons qu'une structure aujourd'hui récurrente dans le nord Vanuatu ne
trouve son équivalent nulle part ailleurs dans la famille océanienne : on n'aura alors
aucun moyen de savoir s'il s'agit là d'une innovation datant de l'ancêtre commun PNV
(isomorphisme par héritage) ou bien si elle est apparue localement après la
fragmentation dialectale, et répandue par diffusion au sein de cette aire linguistique
(isomorphisme par contact). À l'inverse, imaginons maintenant que cette structure soit
également attestée dans d'autres langues apparentées, et restées historiquement à l'écart
de notre aire : ce sera alors un argument solide pour éliminer l'hypothèse aréale, et
reconstruire la structure en question au niveau de la proto-langue.
Voici quelques exemples empruntés à l'araki (François 2002), une langue NCV parlée
au sud de l'île de Santo, environ 200 km au sud des îles Banks, assez loin pour être
considérée externe au Sprachbund du nord Vanuatu :
o
en araki, la marque aspectuelle pa consiste à focaliser un événement dans le temps,
comme passé immédiat, présent inauguratif, ou futur dilatoire. C'est la preuve que la
configuration dite ―Focus temporel‖ doit être reconstruite au niveau de leur protolangue commune, le PNCV (et donc aussi de sa langue-fille le PNV).
o
l'araki possède un verbe-interrogatif inanalysable ro ―faire quoi, être comment,
qu'arrive-t-il‖. Ce fait de structure peut donc être reconstruit avec certitude au moins
au niveau du PNCV.
o
l'araki possède un verbe ®e ―dire‖ qui introduit le discours rapporté, fonctionne
comme complémenteur universel et conjonction de but. Certes, la relative fréquence
d'une grammaticalisation {―dire‖ > complémenteur} dans le monde pourrait
suggérer qu'il pourrait s'agir là d'une simple convergence typologique entre les
langues du nord Vanuatu et l'araki. Mais si d'autres langues du groupe NCV
présentent exactement la même propriété structurale, alors il y a de fortes
probabilités pour qu'une telle structure polyfonctionnelle doive être reconstruite dès
le niveau de la proto-langue (le PNCV).
o
enfin, le prédicat existentiel négatif se dit mot͡ʃere (François 2002: 65), lequel
fonctionne comme mot-phrase (―non‖) et signifie également ―[faire] sans succès‖,
―ce n'est pas grave‖, etc. Il en va d'ailleurs de même pour tae en teanu (langue
océanienne parlée à Vanikoro, îles Salomon) : ceci suggère de reconstruire la
catégorie /NÉG.EXIST/, avec sa polysémie, non seulement au niveau du PNCV, mais
même du proto-océanien…
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Les isomorphismes sémantiques et la reconstruction des langues
3 Conclusion
En somme, pour peu que l'on réussisse à croiser et départager les trois types d'interprétation – typologique, génétique et aréale – il doit être possible de formuler des hypothèses
historiques portant sur la structuration du sens dans des états de langue anciens. Cette
démarche, ne l'oublions pas, s'applique d'abord aux proto-formes que l'on peut
reconstruire. Mais de façon légèrement plus hardie, j'espère avoir montré qu'elle peut
également enrichir le travail du comparatiste lorsque les cartes du signifiant ont été
brouillées par des phénomènes de relexification interne. C'est du moins là une discussion
qui méritait d'être commencée.
4 Références
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irregularity in language change. Oxford: Oxford University Press.
FRANÇOIS, Alexandre. 2002. Araki. A disappearing language of Vanuatu. Pacific Linguistics,
522. Canberra: Australian National University.
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Société de Linguistique de Paris, 84. Paris, Louvain: Peeters.
—— 2004. ―Reconstructing the geocentric system of Proto Oceanic‖. Oceanic Linguistics 43-1,
1-32.
—— 2005. ―Unraveling the history of the vowels of seventeen northern Vanuatu languages‖.
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LEFEBVRE, Claire. 1998. Creole genesis and the acquisition of grammar: The case of Haitian
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WILKINS, David. 1996. ―Natural tendencies of semantic change and the search for cognates‖. In
M. DURIE & M. ROSS (éds.), 264-304.
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