éthique - GENOTOUL Societal

publicité
Neuroéthique
Un concept en émergence
ou
une discipline nouvelle ?
DIU Éthique de la santé
14 janvier 2011
Bref historique
2002. Roskies A. Neuroethics for the new millenium.
Neuron, 35:21-23
Farah M. Emerging ethical issues in neuroscience.
Nature Neuroscience, 5;1123-1129
2003. Damasio A. Spinoza avait raison
Odile Jacob éd.
2006. Chneiweiss H. Neurosciences et Neuroéthique
Alvik éd.
2009. Evers K. Neuroéthique. Quand la matière s’éveille.
Odile Jacob éd.
Baertschi B. La neuroéthique. Ce que les neurosciences
font à nos conceptions morales. Ed. La Découverte
Damasio (2003)
Antonio Damasio
- est médecin neurologue,
- professeur et directeur
du département de neurologie
à l’Université de l’Iowa (USA)
1. Et voici les sentiments
2. Des appétits et des émotions
3. Les sentiments
4. Depuis qu’il y a des sentiments
5. Le corps, le cerveau et l’esprit
6. Visite à Spinoza
7. Qui est là ?
285 pages
Chneiweiss (2006)
Hervé Chneiweiss
- est médecin neurologue,
- Directeur de Recherche CNRS
Directeur de l‘Unité 752
« Plasticité gliale » de l’INSERM
1. Forte dépression en mer de Chine
et du Japon
(introduction aux neurosciences)
2. La poursuite du bonheur
3. Une écologie du comportement
4. Émotion n’est pas déraison
5. Ce que le cerveau veut
6. Le temps de cerveau disponible
223 pages
Evers
Kathinka Evers
- est philosophe,
- professeur au Center for
Research Ethics & Bioethics
Université d’Uppsala
Suède
1. Quand la matière s’éveille
2. Le cerveau responsable :
libre-arbitre et responsabilité
individuelle à la lumière des
neurosciences
3. Les bases neurales de la
moralité : la pertinence normative
des neurosciences
4. La responsabilité naturaliste :
vers une philosophie
pour la neuroéthique
209 pages
Baertschi
Bernard Baertschi
-est philosophe,
- Maître d’enseignement et
de recherche
à l’Institut d’éthique biomédicale
et au département de philosophie
de l’Université de Genève
1. Le rôle et la place des émotions
dans l’éthique
2. La responsabilité et la liberté
à l’épreuve du neurodéterminisme
3. Lire dans l’esprit
4. Les médicaments du cerveau
et la neuroamélioration
160 pages
La neuroéthique
Définition
• Continent inexploré qui s’étend entre les deux rivages
peuplés de l’éthique et des neurosciences…,
nouvelle ère du discours intellectuel et social,
Roskies, 2002
• Discipline que « embrasse les implications éthiques
des avancées en neurosciences et en neuropsychiatrie. »
L. Kass, 2004
La neuroéthique
Définition
• Interface entre les sciences empiriques du cerveau,
la philosophie de l’esprit, la philosophie morale,
l’éthique et les sciences sociales,
• elle étudie des questions qui surviennent lorsqu’on étend
les découvertes scientifiques sur le cerveau
à des analyses philosophiques, à la pratique médicale,
aux interprétations légales, aux politiques sociales et de
santé.
• Elle peut être considérée,…, comme une sous-discipline
des neurosciences, de la philosophie ou de la bioéthique,
selon la perspective que l’on souhaite privilégier.
K. Evers, p. 29
La neuroéthique
A chaque siècle son éthique ?
• Selon Baertschi,
- le XVIIIème siècle (les Lumières) a vu la naissance
du déontologisme kantien, qui fait du devoir
l’alpha et l’oméga de la morale,
- le XIXème, celle de l’utilitarisme, qui prescrit d’agir
pour maximiser le bonheur du plus grand nombre,
- le XXème siècle, celle de la bioéthique.
• Le XXIème sera-t-il celui de la neuroéthique ?
Neil Levy. Neuroethics. Challenges for the 21st century,
Cambridge University Press, Cambridge, 2007
La neuroéthique
Ses deux composantes
• « L’éthique de la neurobiologie » (H. Chneiweiss)
ou « éthique des neurosciences » (B. Baertschi)
ou « neuroéthique appliquée » (K. Evers)
- Elle s’inscrit dans le cadre des questions éthiques posées par
le progrès des connaissances biologiques (de la bioéthique),
- avec une spécificité liée à celle des neurosciences par rapport
aux autres sciences biologiques.
• « La neurobiologie de l’éthique » (H. Chneiweiss)
ou « neurosciences de l’éthique » (B. Baertschi)
ou «neuroéthique fondamentale » (K. Evers)
- Elle s’inscrit dans le cadre de la réflexion philosophique
avec un présupposé matérialiste
- c’est le point de vue adopté prioritairement par K. Ever
La neuroéthique
Le lien entre les deux NE
• « Dans la mesure où la responsabilité scientifique
ne peut s’exercer en l’absence d’adéquation scientifique,
la neuroéthique appliquée doit être menée
au sein de cadres théoriques plausibles, développés
par la neuroéthique fondamentale.
Je suggère alors qu’une conception du cerveau
selon les lignes du matérialisme éclairé peut constituer
un point de départ scientifiquement adéquat
et philosophiquement fructueux en vue d’atteindre
un tel objectif. »
K. Ever, p. 75
• Que pensez-vous de cette suggestion ?
1. Les neurosciences cognitives
Elles se sont formées, dans la 2ème moitié du XXème siècle,
par l’interaction progressive de plusieurs disciplines,
et, surtout, par la réunion 2 courants parallèles :
• la psychologie cognitive
- Interaction de la psychologie et l’informatique,
elle est née à la fin des années 40,
sur la base de la théorie de l’information (Shannon, 1948)
et se poursuit avec l’intelligence artificielle
• les neurosciences biologiques
- Intégration des approches anatomique, physiologique, biophysique
et biochimiques du système nerveux,
elle a créé les notions de neurone, d’influx nerveux, de
neurotransmission, d’excitation et d’inhibition, de circuits nerveux
• grâce à l’imagerie fonctionnelle cérébrale
1.1. Les neurosciences cognitives
L’imagerie fonctionnelle cérébrale
• En 1971, J. Olesen visualise l’activation des aires motrices
• Les techniques spatiales
- la tomographie par émission de positons (TEP ou PET)
- l’IRMf (effet bold)
• Les techniques temporelles
- l’EEG (les potentiels évoqués
- la MEG
Modalités d’imagerie: IRMf / PET / EEG / MEG
10
EEG / MEG
8
résolution
spatiale
6
(mm)
TEP
IRMf
4
2
IRMa
1 ms
1 seconde
1 min 10 min
résolution temporelle
1.1. Les neurosciences cognitives
Le paradigme d’activation
Iréf.
Tréf.
I1
T1
I2
T2
In
Tn
Iréf.
Tréf.
I1 – Iréf.
Iréf. – I1
I1 – I2
I2 – I1
etc…
1.1. Les neurosciences cognitives
Le paradigme d’activation
Ses objectifs :
- les localisations,
- la chronologie,
- les connexions.
Les modèles
Modèles
connexionnistes
Modèles
symboliques
2. Les neurosciences de l’éthique
• Les neurosciences modernes permettent d’étudier
les relations entre le fonctionnement du cerveau et
les activités mentales.
Elles ont déjà fourni de très nombreuses données
cohérentes qui ont fait progresser notre compréhension
des mécanismes de la vision et de l’audition,
du langage et de la mémoire.
• Elles ont également fait progresser la physiopathologie
et le diagnostic de nombreuses affections cérébrales
• Elles permettent d’éclairer d’un jour nouveau
quelques grandes questions philosophiques,
comme celles du libre-arbitre et du bonheur
2. Les neurosciences de l’éthique
La prudence scientifique
« Du fait de la puissance des nouveaux moyens
d’investigation de la complexité de nos processus
de pensée et de nos comportements,
la communauté scientifique en neurosciences est
responsable d’une explication nuancée, précise et modeste
des résultats actuellement disponibles et des conclusions
qu’il ne faut pas en tirer en termes de catégorisation
sociale des personnes. »
Chneiweiss, p.125
2. Les neurosciences de l’éthique
Idéologie & pseudo science
Influence des préjugés sociaux et des idéologies
« Toutes choses égales par ailleurs, il y a un rapport
remarquable entre le développement de l’intelligence et
volume du cerveau… En moyenne, la masse de l’encéphale
est plus considérable chez l’adulte que chez le vieillard,
chez l’homme que chez la femme, chez les hommes
éminents que chez les hommes médiocres, et chez les
races supérieures que chez les races inférieures. »
Paul Broca, 1861
2. Les neurosciences de l’éthique
La réserve philosophique
Henri Bergson.
L'énergie spirituelle. Essais et Conférences, 1919 :
« Celui qui pourrait regarder à l’intérieur d’un cerveau
en pleine activité, suivre le va-et-vient des atomes
et interpréter tout ce qu’ils font, celui-là
saurait sans doute quelque chose de ce qui se passe
dans l’esprit, mais il n’en saurait que peu de chose.
Il en connaîtrait tout juste ce qui est exprimable
en gestes, attitudes et mouvements du corps,
ce que l’état d’âme contient d’action en voie
d’accomplissement, ou simplement naissante :
le reste lui échapperait.
…
2. Les neurosciences de l’éthique
Bergson (suite)
« Il serait, vis-à-vis des pensées et des sentiments
qui se déroulent à l’intérieur de la conscience,
dans la situation du spectateur qui voit distinctement
tout ce que les acteurs font sur la scène, mais
n’entend pas un mot de ce qu’ils disent. Sans doute,
le va-et-vient des acteurs, leurs gestes et leurs attitudes,
ont leur raison d’être dans la pièce qu’ils jouent ;
et si nous connaissons le texte, nous pouvons prévoir
à peu près le geste ; mais la réciproque n’est pas vraie,
et la connaissance des gestes ne nous renseigne
que fort peu sur la pièce, parce qu’il y a beaucoup plus
dans une fine comédie que les mouvements par lesquels
on la scande.
…
2. Les neurosciences de l’éthique
Bergson (fin)
« Ainsi, je crois que
si notre science du mécanisme cérébral était parfaite,
et parfaite aussi notre psychologie,
nous pourrions deviner ce qui se passe dans le cerveau
pour un état d’âme déterminé ; mais l’opération inverse
serait impossible, parce que nous aurions le choix,
pour un même état du cerveau, entre une
foule d’états d’âme différents, également appropriés. »
Henri Bergson.
L'énergie spirituelle. Essais et Conférences, 1919.
2. Les neurosciences de l’éthique
Trois grandes questions
1. La douleur et l’éthique
2. Le libre-arbitre
3. Le bonheur
Douleur et souffrance
• Elles sont au cœur de l’expérience humaine et contribuent
à la structurer.
• Dès l’Antiquité :
- épicurisme : les éviter
- stoïcisme : leur résister
• "Vaine est la parole d'un philosophe qui ne guérit
aucune souffrance de l'homme.
Car de même qu'il n'y a aucun profit dans la médecine
si elle ne chasse pas les maladies du corps,
de même il n'y a aucun profit dans la philosophie
si elle ne chasse pas les souffrances de l'esprit. "
• Mais aussi, un mystère en voie d’éclaircissement.
Le mécanisme de la porte
10
Voies nociceptives
afférentes et efférentes
Nocicepteurs périphériques
Voie discriminative
Voie émotionnelle
Corne dorsale
Faisceaux spinothalamiques
Noyau postéro-ventral
du thalamus
Noyaux médian et
intralaminaire du thalamus
Cortex sensitif primaire
Cortex cingulaire antérieur
-------------------------Aires prémotrice et
motrice supplémentaire
Cortex moteur primaire
Cortex préfrontal
-------------------------Hypothalamus
Amygdale
Seconds neurones moteurs
Noyaux du tronc cérébral
Muscles squelettiques
Système nerveux autonome
11
Les projections corticales
Dissociation des composantes sensorielle et émotionnelle
La douleur d’autrui
• Plusieurs études concordantes ont montré que
- la vue d’une personne soumise à une douleur physique
activait les mêmes zones corticales.
- la vue d’une personne exprimant une émotion
activait les régions corticales correspondantes.
• Les mécanismes neuraux sous-jacents sont complexes :
- ils impliquent les neurones miroirs,
- mais aussi le CCP et le CPFVM, qui participent aussi
aux processus d’empathie (personnes insensibles à la
douleur).
• Ces mécanismes ne seraient pas impliqués dans les
phénomènes décrits par Lévinas dans sa description
de la souffrance ?
Lévinas
• Ce philosophe a décrit le vécu de la souffrance comme
- inassumable, réfractaire à la synthèse, insupportable,
- un subir qui remplace la prise de conscience,
- dépourvue de sens, si ce n’est de constituer un appel.
« Cette finalité de la souffrance…
c'est de souffrir pour autrui et donc l'aimer,
ou plutôt aimer autrui et donc souffrir pour lui.
La dignité humaine que chaque être possède vient de là ;
et nous sommes aussitôt, et sans aucun doute,
dans le plan éthique. »
La juste souffrance en moi
pour la souffrance inutile d’autrui.
Damasio et Spinoza
• D. propose une conception originale de la vie psychique
dans laquelle les sentiments occupent une place centrale.
1. Il prend soin de les distinguer des émotions
- temporellement : les émotions précèdent les sentiments
- spatialement : les structures neurales sous-jacentes
sont différentes (amygdale, CPFVM… pour les émotions,
les cortex sensitifs pour les sentiments)
2. Ceci permet de situer les sentiments au sommet de la
hiérarchie homéostasique qu’il compare au "conatus"
de Spinoza « chaque chose s’efforce de persévérer dans
son être ».
3. Il rejoint également Spinoza en distinguant
les sentiments positifs des sentiments négatifs
Damasio et Spinoza
4. Il leur attribue un rôle décisif
- dans le comportement social (CPFVM),
- et dans la prise de décision
5. A partir de là, il élabore une conception neurobiologique
des comportements sociaux (éthique, droit…)
6. "En contrôlant nos interactions avec les objets qui causent
des émotions, nous exerçons effectivement
un certain contrôle sur le processus de vie et menons
notre organisme vers plus ou moins d’harmonie,
comme Spinoza le souhaitait. Nous arrachons ainsi à la
tyrannie automatique et aveugle de la machinerie
émotionnelle."
1.2. L’éthique des applications des neurosciences
Les applications juridiques
• Il existe une demande de plus en plus forte des tribunaux,
juges comme avocats, ou des politiques, d’avoir
une possible base rationnelle, ou qui en aurait toutes les
apparences scientifiques (normes, chiffres, taux
hormonaux, images d’activation cérébrale), pour pouvoir :
- catégoriser les comportements entre le normal et l’anormal
- démêler le délinquant du déviant, le contrevenant responsable
du malade ne relevant pas de la sanction pénale.
• Ces demandes ne sont :
- ni spécifiques (applications de la génétique),
- ni nouvelles (expertise psychiatrique, sérum de vérité)
• Le débat sur le dépistage précoce de la délinquance chez
l’enfant est un exemple récent des dangers que fait courir
une interprétation rapide et abusive de certains résultats.
1.2. L’éthique des applications des neurosciences
Les applications juridiques
• Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale ont
renouvelé le débat :
- IRM et PET scan ont déjà été utilisés par les tribunaux
aux Etats-Unis
- en France, un séminaire a été organisé en décembre 2009
par le Centre d’analyse stratégique.
• Les débats ont porté :
- sur les conséquences des tumeurs cérébrales,
- sur les lésions orbito-frontales (Phineas Gage) :
« ces anomalies augmentent le risque de comportement antisocial,
ce qui ne veut pas dire qu’elles y conduisent systématiquement.
Surtout, la plupart des comportements antisociaux sont le fait
de sujets au cerveau normal. »
2. Les neurosciences de l’éthique
2.2. Le libre-arbitre
• Pour K. Ever, le libre-arbitre est une structure neuronale
fondamentale, un trait inaliénable de nos conceptions du
monde, qui reçoit un support empirique de la théorie de
l’évolution et des neurosciences.
• L’expérience individuelle, comme les activités du cerveau,
sont ordonnées ou organisées
selon certaines catégories ou structures, dont la nature
dépend de l’architecture du cerveau.
2. Les neurosciences de l’éthique
Liberté et responsabilité
• Cette architecture se développe à l’intérieur d’une
« enveloppe génétique », en interaction continue avec les
environnements physique et socioculturel immédiats,
de telle sorte que certaines structures sont fondamentales,
universelles, alors que d’autres sont relatives (à une culture
donnée)
2. Les neurosciences de l’éthique
2.3. Le bonheur
• La notion de bonheur court à travers toute l’histoire
de l’humanité, inspirant poètes, littérateurs et philosophes
• Il occupe une place centrale :
- dans les mythes fondateurs, il est donné à l’homme :
- l’âge d’or, l’Eden.
- dans la philosophie grecque, il est recherché par la
raison : - de Socrate à Marc-Aurèle.
- dans la pensée éthique, il inspire un des deux principaux
courants : - Aristote, Spinoza, l’utilitarisme, Ricœur
• La religion chrétienne et le Moyen-Age le rejette dans
l’au-delà.
• La réflexion et la quête reprennent avec les Lumières et
s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui.
2. Les neurosciences de l’éthique
Aristote: le bonheur
• « … nous appelons parfait au sens absolu ce qui est
toujours désirable en soi-même et ne l’est jamais
en vue d’une autre chose. Or le bonheur semble être
au suprême degré une fin de ce genre,
car nous le choisissons toujours pour lui-même
et jamais en vue d’une autre chose : au contraire,
l’honneur, le plaisir, l’intelligence ou toute vertu
quelconque, sont des biens que nous choisissons
pour eux-mêmes, mais nous les choisissons aussi en vue
du bonheur
On voit donc que le bonheur est quelque chose de parfait
et qui se suffit à soi-même, et il est la fin de nos actions
Aristote. Éthique à Nicomaque, I, 5
2. Les neurosciences de l’éthique
JS Mill: le bonheur
• « Le bonheur est la seule fin de l’action humaine
et la promotion du bonheur est la pierre de touche qui
permet de juger la conduite humaine;
de là s’ensuit nécessairement que le bonheur doit être
la critère de la moralité. »
J. S. Mill. L’Utilitarisme, 1861
2. Les neurosciences de l’éthique
Ricœur: les 2 héritages
• En 1990, dans un essai de synthèse de la pensée éthique(1),
P. Ricœur distingue deux héritages irréductibles
l’un à l’autre :
- un héritage aristotélicien, qui met l’accent sur
ce qui est bon et fait de la recherche du bonheur
le fondement de l’éthique, caractérisée par sa
perspective téléologique
- un héritage kantien, qui met l’accent sur ce qui s’impose
comme obligatoire et fonde la morale sur la notion
de devoir, dans une perspective déontologique.
(1)Ricoeur.
Soi-même comme un autre. Le Seuil éd. Paris
2. Les neurosciences de l’éthique
Ricœur: le choix
• P. Ricœur défend ensuite :
1 ) la primauté de l'éthique sur la morale ;
2) la nécessité néanmoins pour la visée éthique de passer
par le crible de la norme ;
3) la légitimité d'un recours de la norme à la visée,
lorsque la norme conduit à des conflits pour lesquels
il n'est pas d'autre issue qu'une sagesse pratique
qui renvoie à ce qui, dans la visée éthique, est le plus
attentif à la singularité des situations.
• Il définit ensuite la visée éthique par les trois termes :
visée de la vie bonne, avec et pour les autres,
dans des institutions justes.
Soi-même comme un autre. Le Seuil éd. Paris
2. Les neurosciences de l’éthique
Le bonheur (Chneiweiss)
• H. Chneiweiss consacre un chapitre de son livre aux
perspectives offertes par les neurosciences à
« La poursuite du bonheur »
• Il note tout d’abord :
- que les conceptions du bonheur sont extrêmement
variables (peut-être aurait-il du se référer davantage
aux conceptions de Spinoza et de Damasio)
- que les hommes ont toujours recherché le bonheur
momentané que procure les drogues depuis l’alcool,
l’opium et la belladone jusqu’aux plus récentes
découvertes de la pharmacologie moderne.
2. Les neurosciences de l’éthique
Le bonheur (Chneiweiss)
• Il présente ensuite les possibilités nouvelles que les
neurosciences pourraient développer dans un futur proche.
Il s’agit de procédés déjà à l’œuvre pour lutter contre
le malheur :
- la neurostimulation profonde (traitement des TOC)
qui pourrait en outre bénéficier de la miniaturisation
permise par les nanotechnologies, et
- surtout, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine,
dont le chef de file, le Prozac, a été surnommé la pilule
du bonheur.
2. Les neurosciences de l’éthique
Le bonheur (Chneiweiss)
• Observant que, chez les sujets normaux, le Prozac
n’altère pas les facultés normales tout en favorisant
les relations sociales, il en arrive à se demander s’il
ne faudrait pas arriver « à en mettre dans les boissons
ou les corn-flakes, comme cela se fait pour le calcium
ou la vitamine B, pour mettre tout le monde à un niveau
égal de capacité au bonheur. »
• « Il n’existe cependant pas en nous un standard de bonheur,
ni même un standard de bien-être correspondant à une
concentration précise de sérotonine. » (p. 80)
• Une réflexion approfondie est donc nécessaire.
2. Les neurosciences de l’éthique
Le bonheur (Chneiweiss)
• N’y-t-il pas un risque (p. 81)
- d’obtenir un bonheur halluciné, sans raison réelle autre
que la molécule absorbée ?
- de voir disparaître notre capacité de passion, d’émotion
réelle et intense, au profit d’une vie de confort monotone,
toujours d’humeur égale… où le fait de bénéficier en
permanence d’une estime de soi moyenne signifierait
aussi une perte de l’aspiration au dépassement de soi et
à un affaiblissement final de la capacité de développer
une forte personnalité ?
• « La morale n’est pas à proprement parler la doctrine
qui nous enseigne comment nous devons nous rendre
heureux, mais comment nous devons nous rendre dignes
du bonheur » (Kant, Critique de la raison pratique)
Conclusion
• Les progrès accomplis par les neurosciences cognitives
au cours des trente dernières années ont déjà
profondément bouleversé nos connaissances et
notre conception de la pensée humaine.
• Dès à présent, un dialogue constructif
- est engagé entre philosophes et neuroscientifiques
(pour beaucoup, la philosophie est partie intégrante
des neurosciences),
- et commence à tracer quelques lignes directrices
autour desquelles devrait s’organiser le débat des
prochaines années.
• L’immensité du champ des recherches sur le cerveau fait
espérer, dans le domaine de l’esprit, un progrès
comparable à celui que la biologie a apporté à la santé.
1.2. L’éthique des applications des neurosciences
La neuro-amélioration
Quelques exemples (Chneiweiss, pp. 51-54) :
• Le modafinil, développé pour traiter la cataplexie, est utilisé
par des militaires, pour augmenter la durée des périodes de veille et
de combat, par des navigateurs solitaires, par des cadres supérieurs
pour avancer un dossier urgent, par des étudiants…
• Le méthylphénidate (Ritaline), proposé aux USA pour le traitement
du « syndrome des enfants agités », est devenu un complément
nutritionnel sportif en milieu scolaire américain.
• Le donezepil (Aricept), qui améliore légèrement la mémoire dans les
formes débutantes de la maladie d’Alzheimer, est utilisé dans le
« déficit cognitif lié à l’âge », et chez des sujets normaux souhaitant
améliorer leur mémoire.
• Le sildenafil (Viagra), conçu pour les malades souffrant de troubles
de l’érection, est devenu la molécule de l’amélioration des performances
sexuelles masculines.
1.2. L’éthique des applications des neurosciences
La neuro-amélioration
Ses perspectives sont a priori séduisantes et le seront
de plus en plus, mais posent plusieurs questions éthiques
• Nous ne connaissons pas les effets indésirables
à long terme de ces produits. L’exemple des drogues
génératrices de toxicomanie (opiacés, barbituriques,
tranquillisants…) devraient nous inciter à la prudence.
• Une amélioration des performances cérébrales humaines
risque de bouleverser les équilibres fonctionnels,
fruits d’un vaste et long processus évolutifs,
qui conditionnent notre efficacité comme les mécanismes
de la mémoire qui permettent l’oubli ou l’effacement
des informations inutiles et le rappel des bonnes
informations dans le bon contexte.
1.2. L’éthique des applications des neurosciences
La neuro-amélioration
• Cette amélioration pourrait aussi supprimer :
- le plaisir de la récompense à l’effort
- la relation morale que nous établissons entre un gain, un
apprentissage ou un exploit
et le prix que nous payons et/ou la peine que nous prenons
pour les réaliser.
• Dernier danger, le prise généralisée de neuroaméliorateurs
pourrait devenir une contrainte sociale, voire même une
dictature implicite (cf. le Meilleur des Mondes), menaçant
la notion de liberté individuelle. Dans une société où une
partie de la population prendrait un cocktail efficace, ceux
qui n’en prendraient pas des laissés-pour-compte. Pire, ce
cocktail pourrait être l’apanage d’une élite dominante.
La neuroéthique - Annexes
Les 22 avis du CCNE
1. États végétatifs chroniques (avis n° 7) – Mort cérébrale (avis n° 12)
2. Toxicomanies (avis n° 15 et 43)
3. Greffes de cellules nerveuses et Parkinson (avis n° 16 et 23)
4. Maladies mentales :
- utilisation de placebo dans les essais d’antidépresseurs (avis n° 34)
- neurochirurgie fonctionnelle d’affections psychiatriques (avis n° 71)
5. Comportement humain (avis n° 38)
6. Comportements sexuels :
- traitement antiandrogénique chez les délinquants sexuels (avis n° 39)
- contraception chez les handicapées mentales (avis n° 49)
- prévention et répression des atteintes sexuelles contre les mineurs
(avis n° 51)
La neuroéthique - Annexes
Les 22 avis du CCNE
7. Handicaps de l’enfant :
- Surdité de l’enfant (avis n° 44 et 103)
- Autisme (avis n° 47 et 102)
- Handicaps congénitaux et préjudice (avis n° 68)
- Prédiction fondées sur la détection de troubles précoces
du comportement de l’enfant (avis n° 95)
8. Creutzfeldt-Jacob (avis n° 55 et 85)
9. Consentement et refus :
- Consentement éclairé et information (avis n° 58)
- Consentement en faveur d’un tiers (avis n° 70)
- Refus de traitement et autonomie (avis n° 87)
2. Les neurosciences de l’éthique
2.1. La conscience
Comme fondement de toute connaissance transmissible :
« … je me résolus de feindre que toutes les choses qui
m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus
vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt
après, je pris garde que, pendant que je voulais aussi
penser que tout était faux, il fallait nécessairement
que moi, qui le pensais, fusse quelque chose.
En remarquant que cette vérité : “je pense donc je suis”,
était si ferme et si assurée que toutes les plus
extravagantes suppositions des septiques n’étaient pas
capables de l’ébranler, je jugeais que je pouvais la recevoir
sans scrupule pour le premier principe de la philosophie
que je cherchais. »
Descartes, 1641
2. Les neurosciences de l’éthique
La conscience
« Sans ce sentiment d’existence individuelle que nous
appelons en psychologie “conscience”, il n’y a point de fait
que l’on puisse dire connu, point de connaissance
d’aucune espèce; car un fait n’est rien s’il n’est pas connu,
c’est-à-dire s’il n’y a pas un sujet individuel et permanent
qui connaît. »
Maine de Biran, 1812
« L’existence dont nous sommes le plus assurés et que
nous connaissons le mieux est incontestablement la nôtre,
car de tous les autres objets nous avons des notions qu’on
pourra juger extérieures et superficielles, tandis que
nous nous percevons nous-mêmes intérieurement,
profondément. »
Bergson, 1907
2. Les neurosciences de l’éthique
La conscience
« Mettons toutes ces thèses “hors jeu” ; n’y prenons plus
part : nous dirigeons notre regard de façon à pouvoir
saisir étudier théoriquement la conscience pure dans
son être propre absolu. C’est donc elle qui demeure
comme le résidu phénoménologique cherché ; elle
demeure, bien que nous ayons mis “hors circuit ” le
monde tout entier, avec toutes les choses, les êtres
vivants, les hommes, y compris nous-mêmes.
Nous n’avons proprement rien perdu, mais gagné la
totalité de l’être absolu lequel, si on l’entend
correctement, recèle en soi toutes les transcendances
du monde, les “constitue” en son sein. »
Husserl, 1913
2. Les neurosciences de l’éthique
Les réseaux neuronaux
• La conscience est sous la dépendance de deux systèmes
complémentaires et interactifs :
- un système sous-cortical, responsable de l’alternance
veille-sommeil, constitué de la formation réticulée
activatrice ascendante (raphé médian)
- un système cortical indispensable à la perceptivité et
aux phénomènes cognitifs dont l’ensemble définit
la conscience, c’est à dire la connaissance qu’un individu
a de lui-même et de son entourage
• L’utilisation des techniques d’imagerie fonctionnelle
du cerveau dans les états de sommeil, d’anesthésie
générale, d’états végétatifs chroniques et de coma
ont permis de cartographier ces réseaux corticaaux.
2. Les neurosciences de l’éthique
Les réseaux corticaux
La recherche n° 439, mars 2010, p. 47
2. Les neurosciences de l’éthique
Le matérialisme « éveillé »
• K. Ever :« La neuroéthique doit s’élever sur les
fondements scientifiquement et philosophiquement sains
du matérialisme éclairé. Celui-ci :
1. adopte une conception évolutionniste de la conscience,
selon laquelle celle-ci constitue une partie irréductible
de la réalité biologique, fonction du cerveau apparue
au cours de l’évolution et un objet qui se prête à l’étude
scientifique ;
2. reconnaît qu’une compréhension adéquate
de l’expérience subjective consciente
doit prendre en considération
l’information subjective obtenue par auto-observation
et l’information objective obtenue lors d’observations
et de mesures anatomiques et physiologiques ;
2. Les neurosciences de l’éthique
Le matérialisme « éveillé »
• 3. décrit le cerveau comme un organe :
- plastique, projectif et narratif,
- agissant consciemment et inconsciemment
de manière autonome,
- et résultant d’une symbiose socioculturelle-biologique
apparue au cours de l’évolution ;
4. considère l’émotion comme la marque caractéristique
de la conscience. Les émotions ont fait s’éveiller la
matière et ont permis de produire un esprit dynamique,
flexible et ouvert. »
Téléchargement