
comment une activité pensante, une certaine manière de réflé-
chir, d’écrire et de discourir pourraient être de la substance, de la
formule ? Quelle serait la molécule active ?
L’hypothèse d’une drogue présentera au moins l’intérêt,
espérons-le, de jeter quelque lumière sur cette affaire décon-
certante qu’est la philosophie. Que penser de la gravité avec
laquelle on s’occupe de l’être, du non-être, de la nécessité, de
la liberté, des discours, du sens ? On suit cérémonieusement
des parcours, on construit des concepts. Mais qu’est-ce que la
philosophie ? Pourquoi marche-t-elle si bien, de cette façon si
assurée ? Que réussit-elle ? Que font les philosophes ? Quelle
est leur activité ? En outre, comment naît la philosophie ?
Comment est-elle venue au jour historiquement ? Quels rôles
respectifs ont joué Socrate et Platon ? Quelle est l’origine du
besoin de philosopher ?
Il est vrai que les questions d’origine première, de genèse, sont
délicates. Quelle est l’origine du sentiment amoureux ? D’où
vient la croyance en Dieu ? D’où procède le besoin de connais-
sance ? On connaît les apories où l’on tombe en posant ces ques-
tions. Mais dans le cas de la philosophie, la question de la genèse
est à part. Le problème que pose son existence est spécifique.
À nouveau parce qu’on ne sait pas ce que le philosophe fait au
juste. Aime-t-il ? Croit-il ? Connaît-il ? De même : Espère-t-il ?
Veut-il quelque chose ? Qu’est-ce qui le satisfait ? Qu’attend-il
des autres ? Qu’attend-il de la vie ? Aussi étonnant que cela
puisse paraître, il n’y a sans doute aucune réponse à ces ques-
tions. On peut en proposer, mais aucune n’aura un semblant de
généralité. L’origine de la philosophie, comme l’origine de son
besoin, se perdent dans un vague énigmatique.
Proposons une manière d’élucidation. Une manière, presque
un semblant. Car nous allons, peut-être, nous perdre tout à fait
dans le vague. La philosophie commence quand on expérimente,
quand on arpente une zone d’ivresse. Le philosophe prend part à
un banquet originel. Ses discours sérieux, graves, sont d’ébriété.
Au lieu où ils prennent leur source, les pensées deviennent à
boire, les idées à s’injecter. De la sorte, elles quittent le champ
de la conscience grave et sérieuse. Ce que fait le philosophe est