Nanotechnologies Un nanocomposite explosif Une équipe toulousaine vient de créer un nanocomposite assemblé grâce à de l’ADN et qui présente une des meilleures densités énergétiques connues. Il pourrait servir de source d’énergie dans un grand nombre d’applications. Entretien avec Fabrice Séverac du LAAS. Dans quel contexte s’inscrivent vos travaux ? Parmi les matériaux énergétiques, les nanothermites suscitent un grand intérêt dans la communauté des nano matériaux énergétiques et des microsources d’énergie car ils sont caractérisés par une densité énergétique très élevée, proche des explosifs, sont peu coûteux, non polluants et « sûrs ». Ainsi, ces matériaux font l’objet d’intenses recherches pour des applications civiles, spatiales et bien sûr militaires. De quoi sont composés ces matériaux et comment fonctionnent-ils ? Les nanothermites sont constituées par des poudres ultrafines d’aluminium et d’oxyde métallique (typiquement CuO, Fe2O3, WO3) mélangés mécaniquement. En chauffant, le métal et l’oxyde diffusent l’un dans l’autre ; l’aluminium s’oxyde pour former de l’alumine (Al2O3) et l’oxyde se réduit. Cette réaction s’accompagne d’un fort dégagement de chaleur. La réduction de la taille des particules d’aluminium et d’oxyde permet, en rapprochant les constituants, de gagner plus d’un facteur 100 sur les vitesses de réaction. De plus, en diminuant la taille des particules, on augmente leur surface de contact, fa- Alain Estève, chargé de recherche CNRS, Carole Rossi, directeur de recherche CNRS, Aurélien Bancaud, chargé de recherche CNRS, chercheurs au Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée à l’UPS) et Fabrice Severac, actuellement ingénieur de recherche chez Nanomade-Concept. vorisant ainsi la réactivité. Enfin, la température d’initiation de la réaction est réduite lorsque les particules d’aluminium ont un diamètre inférieur à 100nm. Quelle a été votre démarche pour améliorer ces matériaux ? Afin d’optimiser les propriétés de réaction, il est idéal de pouvoir disposer les nanoparticules d’oxyde autour des nanoparticules d’aluminium. Pour cela, nous nous sommes inspirés d’une technologie née aux USA et qui consiste à diriger l’assemblage de nanoparticules par des monobrins d’ADN complémentaires. L’idée était donc d’adapter cette technologie à nos matériaux pour mettre en intimité ces deux types de nanoparticules. Comment avez-vous procédé ? Nous avons d’abord effectué un travail de modélisation pour définir la chimie de greffage des brins d’ADN sur l’aluminium et sur l’oxyde de cuivre. Puis nous avons développé un procédé permettant de disperser les nanopoudres en solution, avant de coiffer les nanoparticules d’aluminium et d’oxyde de cuivre avec des monobrins d’ADN distincts pour chacun des matériaux mais complémentaires entre eux. Les nanoparticules sont ensuite mélangées. Les brins d’ADN s’hybrident pour former la fameuse double hélice d’ADN engendrant un assemblage des nanoparticules sous forme d’agrégat de taille micrométrique homogène en composition chimique. La densité d’énergie de ce matériau est surprenante : elle est environ 8 fois supérieure à celle du même composé préparé classiquement. Quels pourraient être les débouchés pour ce matériau ? Intégrées par exemple dans des micro initiateurs ou micro détonateurs, les nanothermites pourraient remplacer certains matériaux énergétiques dangereux. Ils sont également envisagés dans des micropiles thermiques, des assemblages pour effectuer de la soudure in-situ et aussi, comme agents de neutralisation de produits chimiques dans des systèmes miniaturisés. De plus, l’utilisation de l’ADN devrait permettre de « multi-fonctionnaliser » ce type de matériaux. Par exemple, en y attachant des colorants photo-absorbants, il serait possible sous l’action de la lumière de déclencher la libération d’énergie. ■ Propos recueillis par Frédéric Mompiou u Schéma représentant les différentes étapes de fabrication des nanocomposites Al/CuO par assemblage ADN. Les nanopoudres d’aluminium et d’oxyde de cuivre sont d’abord mises en suspension et stabilisées en solution aqueuse, ensuite fonctionnalisées avec des monobrins d’ADN et finalement assemblées grâce à l’hybridation des brins d’ADN complémentaires. Contacts [email protected], [email protected] & [email protected] Pour en savoir a High Energy Al/CuO nanocomposites obtained by DNA-directed assembly. F. Séverac, P. Alphonse, A. Estève, A. Bancaud, and C. Rossi, Adv. Funct. Mater., DOI: 10.1002/adfm.201100763. f é v r i e r 2 0 1 2 PAUL SABATIER 13