Chances et risques de la politique d`austérité en Europe

Thème du mois
15 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
D’après une estimation de l’OCDE, les bilans primaires sous-jacents des budgetspublics de la zone eurosesont amélio-
sde4%enmoyenne par rapportauPIB entre2009 et 2013. Photo: Keystone
En Europe,les dettes publiques ontatteint
dessommets au coursdelacrise financière.
Dans la zone euro,elles ontaugmenté de
près de 30% en moyenne entre2007 –der-
nièreannée avant la crise –et2013. Dans
plusieurspays, le taux d’endettement ap-
proche 100% du PIB(définitiondeMaas-
tricht de la dettepublique) et les dépasse
même significativementpour quelques-uns.
Quels sont les effets d’une forte dettenatio-
nale? Comment la politique budgétairede-
vrait-elleyréagir?
Le poids de la dettepublique
duit le potentiel de croissance
Diverses études montrent qu’une dette
nationale élevée affecte la croissanccono-
mique, les taux d’intérêt jouant un rôle im-
portant de courroie de transmission. Àun
certain niveau, les taux d’intérêt augmentent,
et il existedes arguments sérieux quidé-
montrent quecette poussée est particulière-
ment marquée dans les pays où les exporta-
tionssontfortement déficitaires. Toutes
choses égales par ailleurs, cetteaugmentation
destaux d’intérêt réels auneffet négatif sur
les investissements privés et surlestock de
capital productifdel’économie. Elle réduit
ainsi le potentieldecroissanceetlacapacité
desentreprises àcréerdes emplois. Si l’on
veut relancer durablementles économies eu-
ropéennes, il convient de réduirefortement
les dettes nationales.
Complexitédel’impact de la politique
budgétairesur les cycles économiques
D’autres facteurs jouent un rôle impor-
tant dans la faiblesse actuelledelacroissance
en Europe.Ladiminutiondes dépenses pu-
bliques ou l’augmentationdes impôts
freinent la demandemacroéconomique, ce
quis’accompagne en général de pertes de
croissanceàcourtterme. Jusqu’où? Cela dé-
pend de plusieursfacteurs. Ainsi, plus la po-
litique monétaireales coudées franches pour
corriger le cap dans le cadredesamissionde
stabilisationdes prix, plus l’effet négatif sur
la demandeserafaible. Un autreparamètre
décisif est la mesuredans laquellelapoli-
tiquedeconsolidationbudgétaireaffecte les
attentesdes agents économiques. Si desdis-
positions sont prises àtemps et qu’elles pro-
Chances et risques de la politique d’ausrien Europe
En Europe, le niveau éledes
dettes publiques amoindrit le po-
tentiel de croissance et d’emploi
des économies nationales, et
constitue un risque pour la stabi-
lité. Il doit donc êtreréduit dura-
blement. Les mesures de consoli-
dation draconiennes adoptées
laissent apparaîtredes premiers
succès dans plusieurspaysde
l’UE. Il faut, toutefois, redoubler
d’efforts. Pour gêner le moins
possible le tablissement de la
conjoncture, il faudrait laisser
librecoursaux stabilisateursau-
tomatiques. Il convient, en outre,
de combiner l’assainissement des
budgetsavecdes formes struc-
turelles favorables àlacroissance
et àl’emploi.
EckhardWurzel
Directeur du bureau Union
européenne, département
des Affaires économiques,
OCDE, Paris
Thème du mois
16 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
endommagé le système de crédit et accru
encore les dettes publiques par un méca-
nisme de spirale négative. Or,les pays les
plus touchés par la crise ne disposaient que
d’une faible margedemanœuvrebudgétaire.
Pour renverser les attentesetstabiliser, voire
améliorer, l’activité économique, il leur fal-
lait répondrepar desefforts de consolida-
tion et desréformes économiques crédibles.
Unedette publique excessive aurait conti-
nuéàsignifierunrisque d’instabilité pour
l’économie.
Plusieurspaysappliquent un programme
de consolidation ambitieux
Cesquatre dernières années, la plupartdes
pays européens ontréagiàlaprécarité des
budgetspublics en adoptant d’impression-
nants dispositifsdeconsolidation. D’après
une estimationdel’OCDE, les déficits pu-
blics, corrigés desfluctuations conjonctu-
relles et du paiement desintérêts (bilans pri-
maires sous-jacents),ont diminué de 4% par
rapportauproduit intérieur brut (PIB) entre
2009 et 2013 (moyenne de la zone euro).
Dans les pays les plus touchés par la crise, la
diminutionest encore plus marquée: presque
16% en Grèce, près de 8% en Irlande, 6,5%
au Portugal et 8,5% en Espagne. De telles es-
timations sont certes entachées d’incertitude,
d’autantplusque l’onnedispose pas encore
de données complètes fiables pour 2013. Elles
révèlent toutefoisuneffortdeconsolidation
historique. Cesdernières décennies, en effet,
l’OCDE n’aguèreconnu d’épisodesde
consolidationd’une telleampleur.
Depuis le début de la crise, la croissance
économique de l’UE et de la zone euro n’a
cessé d’être inférieureaux prévisions, ycom-
pris celles de l’OCDE. Plusieurspersonnes
voient dans la forte consolidationdes budgets
desdernières années la principale coupable
de cetat de fait. Untudeprésentée ré-
cemment par l’OCDE dessine, cependant, un
tableau différent. Sesconclusions, quiportent
surles prévisions provenant de cettemême
organisation, relèventeneffet desfacteursqui
peuventaffectersingulièrementlarésilience
d’une économie nationale face àdes chocs
négatifs. Ainsi, l’évolutioconomique est
restée très inférieureaux attentesdans les
pays où les marchés du travail et desbiens
étaient réglementés de façonparticulière-
ment restrictiveavantlacrise. La fragilité du
secteurbancairejoue également un rôle im-
portant.
Premierssuccès
Combiné àd’autres mesures politiques
prises au niveau national et européen, le ca-
mettentune amélioration durabledes fi-
nances publiques, cela peut avoir un effet
positif surlademandeprivée. On évitera
ainsi de futures surcharges du secteurpri
par le biais d’augmentations d’impôts ou de
réductionsdes dépenses.
Peut-onescompter pareils effets positifs
surlademandedurant l’actuellephase de
consolidation? La politique monétaireex-
pansive de la BCE pourrait effectivement
avoir contribué, par différents canaux, àévi-
terundéclin encore plus profonddelacrois-
sancependant la crise. To utefois, comme les
taux d’intérêt desbanques centrales ontqua-
siment été ramenés àzéro, la margedema-
nœuvredelapolitique monétaires’est rétré-
cie, du moins surleplan desinstruments
classiques. En outre, une longue phase de
politique monétairefortement expansive
comporte ses propresrisques. Enfin, le ni-
veau élevé du chômage, qui, dans quelques
pays,concerneplusd’un quartdelapopula-
tion active,nepermetpas de renforcerla
consommationprivée. Parallèlement, les
adaptations du système de crédit nécessitées
par la crise financièreetl’endettement sou-
vent élevé desménages limitentles crédits
disponibles, ce quiaffaiblit àson tour la de-
mandeintérieure.
Il yadoncdebonsarguments pour dire
qu’à l’heureactuelle, les dommages quela
demandeasubis en raisondes contractions
budgétaires sont particulièrementpronon-
cés. Le tableau ne s’arrêtepas là: pour évaluer
complètementles effets conjoncturelsdela
politique de consolidation, il fautencorete-
nir compte desrisques quisurviendraient s’il
n’yavaitpas de consolidationdurable desfi-
nances publiques.
La crise en Europe,
une suitedenchaînements
En Europe,lacrise économique té mar-
quée par les éléments suivants:
–déséquilibresprononcés –etcroissants
dans les années précédant la crise –dela
balancedes paiements courants;
–selon les pays,niveau élevé de la dettein-
térieureetextérieurepublique ou privée;
–nouvellvaluationdes risques de crédit,
entraînant une chute abruptedeladispo-
nibilité àfinancer de nouveaux déficits de
la balancedes paiements courants («sud-
den stops»); dans plusieurspays, les
primes de risque s’aggravent pour les in-
térêts desdettespubliques et privées.
Dans ce processus, la croissancerapide
desdettespubliques acontribué àfairebas-
culerles bilans de plusieursbanques euro-
péennes dans le rouge. Ce basculement a
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17 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
On chercheunconcept favorable
àlacroissance et àl’emploi
Il est très important de concevoirla
consolidationdes budgetsdefaçonàfavori-
serlacroissanceetl’emploi. Il faugalement
desréformes structurelles susceptibles de
renforcerlacapacité économique du pays.La
questiondel’équité sociale auraaussi sa per-
tinence, ne serait-ceque parce qu’il s’agit de
s’assurer le soutien de l’opinionpublique en-
vers une politique budgétairestricte de plu-
sieursannées.
Considéronsquelques exemples impor-
tants du côté desdépenses dans le budget de
l’État. Àcourtterme, releverl’âgeeffectif
d’entrée àlaretraite–une mesureconforme
àl’augmentationdel’espérancedevie –
n’obère pas la croissancconomique, alors
qu’à long terme, cela renforce le potentiel
d’emploietdeproductioconomique, avec
un effetpositif surlebudget,recettesfiscales
comprises. Entre-temps, de nombreux pays
européens ontadapté leurssystèmes de re-
traites, en particulierenréduisant le recours
aux préretraites, mais plusieursd’entre eux
disposent encore d’une nettemargedema-
nœuvrepour se réformer.
Il est relativementfréquent de réduireou
de plafonnerles dépenses allouées aux in-
frastructures et au système de santé. Des en-
quêtes empiriques indiquent pourtant que,
dans cesdeuxdomaines, ainsi quedans celui
de la formation, les dépenses peuventrenfor-
cerlepotentiel de croissanced’une écono-
mie. Couper les budgetssans gain d’efficaci-
té, c’est donc courir le risque de payerun
succès àcourtterme par une diminutiondu
potentieldecroissanceàlongterme. De plus,
il est possible queles effets néfastes ne se re-
marquentpas immédiatement. Des estima-
tionsconcernant les pays de l’OCDE sug-
gèrenteneffet qu’enmoyenne, l’impact sur
la croissanced’une augmentationcontinue
desdépenses dans les domaines cités ne se
déploie complètementqu’après plus de dix
ans. Parallèlement, les baisses de qualité dans
les services publics –formationetsanté, no-
tamment –peuvent être particulièrement
défavorables pour les personnes àfaible reve-
nu.Des enquêtes de l’OCDE démontrent
d’ailleursqu’il est possible de fairedes éco-
nomies notables tant dans le secteurde
l’éducationque dans celuidelasanté sans
sacrifierlaqualité. Cesdeuxdomaines ab-
sorbentlamajeurepartiedes dépenses pu-
bliques. Pour être efficaces, de telles réformes
exigent, cependant, une planificationetune
mise en œuvreconsciencieuse.
ractèrnergique desdispositions adoptées
en matièredeconsolidationdevrait avoir
contribuéàl’amélioration du climat écono-
mique quel’onobservedepuis quelque
temps dans l’UE. Cesmesures ontaidé àéli-
minerles déficits de la balancedes paiements
et réduit les primes de risque calculées dans
les intérêts desdettespubliques et privées.
Autrechose: pour la premièrefoisdepuis le
but de la crise, la dettepublique de plu-
sieurspaysdelazoneeurodiminue par rap-
port au PIB. Des estimations de l’OCDE,
fondées surdes hypothèses modélisées de
l’évolutionàmoyen termeduPIB et destaux
d’intérêt, montrent quel’éliminationdes dé-
ficits structurelsréalisée cesdernières années
dans les budgetspublics constitue la majeure
partiedelaconsolidationnécessairepour ré-
duired’ici 2030 la dettepublique despaysde
la zone euro à60% de leur PIB. Cetespoirne
devrait, cependant, pas masquerlefait que
de nombreux pays doiventencoreentre-
prendredes effortsdeconsolidationconsidé-
rables et qu’il faudradégager desexcédents
budgétaires pendant desannées pour at-
teindrelebut fixé.
cessitédepoursuivrel’assainissement
des finances publiques
La plupartdes pays européens ne peuvent,
dès lors,renonceràpoursuivre l’assainisse-
ment de leursbudgetspublics surlabase de
programmes de consolidationcrédibles. À
elle seule, en effet, la croissancconomique
ne parviendrapas, dans la plupartdes cas, à
réduiresuffisamment la dettenationale, d’au-
tant plus qu’il est peuprobable quelareprise
conjoncturelle soit flamboyanteenEurope.
En outre, le vieillissementdémographique
croissant continuera àmettresous pression
les budgetspublics dans les années àvenir,
tant du côté desrecettesque desdépenses, si
la politique budgétairenerépondpas au défi
de façonappropriée.
Lesactuels plansbudgétaires detats pré-
voient une consolidationmoindreque celle
quiavaitprévaluces dernières années. D’après
une estimationdel’OCDE de novembre 2013,
le bilan primairedelazoneeuro, corride la
conjoncture, s’améliorera en moyenne de 1%
entre2013 et 2015. Du même coup,les
charges conjoncturelles résultant de la poli-
tiquebudgétairedevraient diminuerdans un
proche avenir.Silacroissancconomique
devaitrester inférieureaux attentes, il serait
judicieux de laisserles stabilisateurs automa-
tiques agir,autrement dit d’accepter la réduc-
tion desrecettesetl’augmentationdes dé-
penses publiques dictées par la conjoncture,
ce afin de ne pas grever cettedernièrepar des
restrictions budgétaires supplémentaires.
Encadré1
Bibliographie
–BarbieroO.etCournède B., NewEconome-
tric Estimates of Long-termGrowthEffects of
Different Areas of Public Spending, Départe-
ment des affaires économiques, Working
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–Joumard I., Hoeller P. AndréC.etNicq C.,
HealthCareSystems: Efficiency and Policy
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–OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE,
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–Rawdanowicz Ł., Wurzel E. et Christensen
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miques, Working Paper n° 1013ditions
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–Sutherland D., Price R., Joumard I. et Nicq
C., Performance Indicatorsfor Public Spen-
ding Efficiency in Primaryand Secondary
Education, Département des affaires écono-
miques, Working Paper n° 546, éditions
OCDE, 2007.
–Turner D. et Spinelli F., The Effect of Govern-
ment Debt, External Debt and Their Inter-
action on OECD InterestRates, Département
des affaires économiques, Working Paper
1103, éditions OCDE, 2013.
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