Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015 5
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
Mais cette incertitude d’attribution causale influe en définitive assez peu sur la nécessité d’agir. Il est
avéré par exemple (et Loïc Fauchon en parlera mieux que moi) que le bassin méditerranéen, comme
l’ont montré les remarquables travaux du Plan Bleu, est soumis à un intense stress hydrique, tant sur les
eaux de surface que souterraines, avec 180 millions d’habitants disposant de moins de 1000 mètres cube
par an dont 80 millions déjà en situation de pénurie (moins de 500 mètres cube/an). C’est 60 % de la
population mondiale dite « pauvre en eau » qui habite en Méditerranée. Plus de 250 millions de
personnes sont menacées d’être confrontées à une pénurie d’eau d’ici à 2050. Il importe alors peu de
savoir, dans cette situation catastrophique, quelle responsabilité respective attribuer au changement
climatique proprement dit (30 % ou 50 % ?) par rapport à la croissance démographique et à la
modification des habitudes alimentaires pesant sur la demande pour les usages agricoles qui
représentent 80 % des prélèvements totaux.
Une deuxième incertitude tient à la mesure même de la dynamique des phénomènes qu’il nous faut
combattre et à la compréhension détaillée de leur distribution spatiale. Sans rentrer dans des discussions
techniques, qui feront plutôt l’objet de la conférence scientifique internationale CFCC (« our common
future under climate change ») du 7 au 10 Juillet prochain à Paris à l’Unesco et à l’université Pierre et
Marie Curie (UPMC), il faut rappeler que les modèles climatiques dont nous disposons aujourd’hui offrent
une représentation discrète (point par point), et non pas continue, de la surface du globe et de ses
interactions avec l’atmosphère. Ceci implique des extrapolations des valeurs calculées entre deux points
d’une maille, les projections globales masquant une grande diversité des évolutions locales, en termes de
température et de précipitations, et les modèles régionaux, bien qu’en affinage constant, présentant le
maximum d’imprécisions. Si certains phénomènes physico-chimiques sont fondamentalement
imprévisibles et chaotiques à mesure que l’échelle considérée décroît et constituent donc des limites a
priori indépassables à l’affinement des modèles, un axe de progression, essentiel dans une perspective
de gestion et d’adaptation, concerne la résolution spatiale des projections, dite « descente d’échelle ».
Elle implique d’alimenter les modèles par des données empiriques fines combinant télédétection
satellitaire et mesures in situ. Disons-le avec netteté, nous avons besoin de construire un système
cohérent d’observation et de surveillance méditerranéennes des anthropo-écosystèmes mettant en
relation les sites focaux déjà existants (comme le projet OMERE qui associe le bassin versant de Roujan
dans l’Hérault avec celui de Kamesh au Cap Bon en Tunisie ou l’observatoire du bassin hydraulique du
Tensift au Maroc, et pardon de ne citer que des exemples où l’IRD est impliqué car d’autres partenaires
travaillent activement sur d’autres sites), ou des sites nouveaux à créer. Côté français, un programme
comme Mistrals, déjà cité, ou les Observatoires des Sciences de l’Univers (OSUs), comme ici l’Institut
Pythéas qui associe l’université d’Aix-Marseille, le CNRS et l’IRD, ou bien l’Institut montpelliérain de l’eau
et de l’environnement (IM2E), s’y emploient. Mais c’est un effort de coopération scientifique massif à
l’échelle de tous les pays de la région qui est indispensable. De même, je me félicite que soit présenté à
cette MEDCOP le projet MC3 (Mediterranean Cities and Climate Change), qui vise à créer un réseau
d’institutions pour analyser la contribution du phénomène de concentration urbaine sur les deux rives de
la Méditerranée au changement climatique et, inversement, l'impact de ce même changement sur les
pratiques urbaines.
L’une des retombées de cette MEDCOP pourrait être de constituer un groupe de travail opérationnel,
inter-pays, inter-ministériel et inter-collectivités territoriales, pour s’atteler à ce chantier décisif, tant pour la
connaissance que pour l’action, de construction d’un dispositif coordonné d’observation et de surveillance
des anthropo-écosystèmes méditerranéens. Pour des raisons scientifiques de fond, notre focale ne peut
d’ailleurs pas être exclusivement méditerranéenne mais doit s’étendre au Sahel et à l’Afrique
subsaharienne. On ne peut pas comprendre l’évolution temporelle du régime des précipitations dans le
bassin méditerranéen sans étendre l’étude du couplage mer/atmosphère aux relations entre les
mécanismes de la mousson tropicale et les conditions de surface de notre mer Méditerranée. On ne peut
pas comprendre les conditions hydrologiques sur le littoral méditerranéen en ignorant l’hypothèse que le