Changement climatique en Méditerranée :

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Changement climatique en Méditerranée :
évidences scientifiques et recherche de solutions durables
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti
Président-directeur général de l’IRD
Forum de la société civile méditerranéenne
pour le climat (MEDCOP21)
Villa Méditerranée (Marseille)
4 Juin 2015
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1 Changement climatique en Méditerranée :
évidences scientifiques et recherche de solutions durables
L’Institut de recherche pour le développement (IRD), dont j’ai l’honneur d’être le président-directeur
général depuis quelques semaines, est, avec le Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement (Cirad), le seul organisme du système public d’enseignement
supérieur et de recherche en France à être totalement dédié à la coopération avec les pays du Sud.
L’IRD collabore depuis plus de 50 ans avec les pays de la région méditerranéenne et, grâce à son réseau
de représentations sur place, il déploie notamment ses activités dans huit d’entre eux (Algérie, Egypte,
Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie). En partenariat étroit avec leurs universités et organismes
de recherche nationaux, il développe des recherches sur les ressources en eau, les aléas et risques
naturels, les écosystèmes terrestres et littoraux, la sécurité alimentaire, les maladies émergentes et les
conditions de vie et de mobilité des populations. Notre Institut codirige, avec le CNRS, le métaprogramme de recherches et d’observations interdisciplinaires Mistrals qui associe 13 organismes publics
de recherche français avec des scientifiques de 36 autres pays. Dédié à la compréhension du
fonctionnement environnemental du bassin méditerranéen sous la pression du changement global, il vise
à en prédire l’évolution future. Une conférence internationale de bilan de ce programme Mistrals se
tiendra d’ailleurs dans cette même Villa Méditerranée en octobre prochain. L’un des objectifs de l’atelier 5
de cette MEDCOP, à l’initiative de l’université d’Aix-Marseille et de l’IRD, vise à mettre en place un
réseau méditerranéen coordonné des formations supérieures sur le changement climatique.
Si mon parcours personnel d’économètre, spécialisé dans la santé et le développement, ne fait pas de
moi le mieux placé pour aborder ces sujets, je me fais ici le porte-parole de toute la communauté
scientifique de l’IRD, et au-delà de la recherche francophone, pour vous délivrer quatre messages qui
paraissent importants dans la perspective de la Conférence Paris Climat de décembre.
1- La science a établi la réalité du changement climatique et le fait que les écosystèmes et les
23-
4-
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sociétés méditerranéennes sont parmi les plus menacées de la planète par cette évolution
annoncée du climat.
Sauf à tomber dans l’idéologie, la science souligne qu’il subsiste de fortes incertitudes quant à la
dynamique réelle de l’impact du changement climatique, en général et en Méditerranée en
particulier.
Ces incertitudes ne doivent pas servir de prétexte à l’inaction mais au contraire nous inciter à
mieux comprendre les chaînes causales complexes qui relient le climat et les autres paramètres
environnementaux et anthropiques. Elles nous invitent aussi à agir sans tarder afin de minimiser
les effets du changement global qui menacent l’environnement, la santé et le bien-être des
populations. Cela implique de lier beaucoup plus étroitement la lutte contre le changement
climatique, les objectifs du développement durable et le financement du développement. C’est à
la science qu’il revient justement contribuer à mieux lier ces trois agendas.
La science ne se contente pas d’aider à faire le constat des risques qui nous menacent. Elle
contribue à proposer des solutions innovantes dépassant les blocages qui freinent actuellement
l’atténuation du changement climatique et qui facilitent l’adaptation en tenant compte des
spécificités du contexte environnemental et sociétal de chaque région.
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
2 PREMIER MESSAGE : il y a déjà de quoi s’inquiéter sérieusement sur la base de l’évidence
scientifique existante.
Les recherches ont montré que si les pays méditerranéens ne sont pas les principaux contributeurs aux
émissions des gaz à effets de serre responsables de l’accroissement observé de la température
moyenne globale depuis le milieu du siècle dernier, le changement climatique se manifeste en
Méditerranée de manière indiscutable par une hausse des températures. En considérant les 6 scénarios
et les 23 modèles utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la
croissance moyenne dans la zone méditerranéenne est estimée, si aucune mesure d’atténuation n’est
mise en œuvre, comprise entre 2° C et 6,5 °C d’ici à la fin de ce siècle, soit une hausse un peu
supérieure à ce qui est prévu au plan mondial. Au-delà de ces moyennes, il existe des disparités
géographiques et saisonnières importantes. Les variations saisonnières concerneront une augmentation
des températures plus marquée en hiver et elles se combineront à des variations infrarégionales : la
hausse automnale des températures devrait être plus marquée à l’ouest du bassin alors que la hausse
estivale devrait concerner davantage les pays du Sud et de l’Est. Du fait d’une inertie thermique de la mer
plus forte que celle de l’air, le réchauffement de la température des eaux méditerranéennes de surface
devrait être moindre, de l’ordre de 2 à 4° C d’ici au dernier quart de ce siècle. Mais c’est suffisant pour
avoir des implications significatives sur les dynamiques de la basse atmosphère (dépressions et
anticyclones) et sur le volume général de la masse d’eau méditerranéenne.
Si le milieu méditerranéen est un environnement semi-aride, dont le climat se distingue intrinsèquement
des zones tempérées par ses fortes variations inter-saisonnières, un second changement indiscutable est
celui de l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (pluies torrentielles et épisodes de
sècheresse) avec des conséquences directes sur les problèmes d’inondation, d’érosion des sols et de
disponibilité de la ressource en eau.
Troisième fait indiscutable. Le fort taux de biodiversité de la zone méditerranéenne la rend
particulièrement vulnérable aux aléas climatiques. Quoique la Méditerranée ne représente que 1,5 % de
la surface terrestre, elle abrite avec 25 000 espèces de phanérogames, près de 10 % de la flore mondiale
dont plus de la moitié lui sont endémiques (c'est-à-dire inconnues ailleurs). Mer semi fermée, la
Méditerranée présente des caractéristiques océanographiques et biogéographiques uniques. De même,
l’acidification consécutive à l’accroissement des concentrations en CO2, couplée aux autres modifications
des équilibres biochimiques générées par le changement climatique, constitue un sujet d’inquiétude pour
la faune. C’est le cas, en premier lieu, pour les populations de mollusques à coquilles carbonées, qui
sont un chaînon essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes marins car liant la production
primaire aux niveaux trophiques supérieurs. Une recherche de l’IRD et de l’université de Palerme, qui
vient d’être publiée dans Nature, montre que la réduction de la taille, observée chez certains organismes
marins au cours des crises d'extinction massive passées, est une conséquence de l'acidification des
eaux marines, cet effet Lilliput leur permettant de survivre en présence de fortes concentrations de CO2.
Les autres conséquences potentiellement catastrophiques de la hausse des températures moyennes
sont multiples mais restent entachées d’incertitudes. Celle qui retient le plus d’attention médiatique est
l’élévation du niveau de la mer avec les menaces qui en découlent sur un littoral concentrant la majorité
des populations et des activités économiques. Au cours de ces deux derniers millénaires, le niveau marin
ème
global s’est élevé très lentement avec des variations inférieures à 6 cm par siècle. Au XX
siècle, le
rythme a triplé pour atteindre plus de 18 cm. Les prédictions du GIEC parlent d’élévations comprises
ème
entre 26 et 88 cm d’ici à la fin du XXI
siècle. La tendance est moins marquée dans le cas de la
ème
Méditerranée (de 11 à 13 cm au XX
siècle). Sur la base des observations satellitaires de la mission
Jason 2, qui a permis une amélioration de la précision et de l’exactitude tant du point de vue de
l’orbitographie que de la détermination de la surface topographique de la mer, nos collègues du Centre
national des techniques spatiales algérien estiment une élévation de l’ordre de 15 cm en Méditerranée
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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3 d’ici à la fin de ce siècle. Cela suffirait à avoir des conséquences considérables en termes d’érosion
côtière et de submersions marines sur des côtes qui s’étendent sur plus de 46 000 kilomètres, et abritent
un patrimoine naturel et culturel sans équivalent. De même, partout où existent des interfaces eau
salée/eau douce, la fréquence des phénomènes d’intrusions salées risque d’augmenter, affectant les
nappes phréatiques comme le bon fonctionnement des eaux de transition – estuaires, lagunes, zones
humides et lacs côtiers. La Directive cadre sur l’eau adoptée par l’Union européenne en 2000 souligne le
rôle écologique et économique prépondérant de ces dernières dans le bassin méditerranéen, ou celui
des bassins versants côtiers méditerranéens, qui sont souvent les seules enclaves fertiles au sein
d’environnements arides.
Néanmoins, du fait des fortes incertitudes sur le rythme de la fonte des glaciers comme de la dilatation de
la masse d’eau des mers, principales causes de l’élévation du niveau marin, aucune estimation robuste
d’ensemble ne peut être fournie pour la Méditerranée et encore moins pour les différences
infrarégionales avec une élévation déjà plus marquée dans la partie occidentale du bassin que dans sa
partie orientale.
Les autres conséquences directes du changement climatique sont moins robustes et plus discutées, en
particulier pour les zones continentales de l’aire méditerranéenne. Ainsi, une éventuelle évolution dans le
temps et l'espace de la distribution des pluies n'est pour l'instant pas démontrée de manière indiscutée,
en positif ou négatif. Les conclusions d’une méta-analyse des modèles existants par le laboratoire
Hydrosciences (CNRS/IRD/Université de Montpellier) soulignent la disparité dans la capacité des
algorithmes utilisés pour reproduire la réalité observée et la grande variabilité des résultats actuellement
ème
disponibles sur l’évolution de la pluviométrie sur le bassin méditerranéen au cours du XXI
siècle.
Sauf à tomber dans le piège des faux débats entretenus par les climato-sceptiques, la science nous
incite à reconnaître explicitement les fortes incertitudes qui subsistent dans notre compréhension
de l’impact du changement climatique, en particulier dans une région où, plus encore qu’ailleurs,
l’anthropisation prend de multiples formes et affecte l'ensemble des socio-écosystèmes, bien au-delà du
seul climat, et où les aspects biophysiques et humains, ainsi que leurs mutuelles rétroactions, sont
totalement intriqués. C’est le DEUXIEME MESSAGE.
Il importe cependant de distinguer deux domaines d’incertitudes qui n’ont pas les mêmes conséquences
quant à nos politiques publiques et aux décisions des différents acteurs politiques, économiques et
sociaux.
Une première incertitude tient à la part causale spécifiquement attribuable au climat par rapport aux
autres paramètres environnementaux et humains dans les phénomènes préoccupants pour la
Méditerranée. En quelques décennies, l’industrie et l’agriculture ont entraîné de nombreuses pollutions
dans les sols, les masses d’eau côtières, les estuaires et les lagunes. L’urbanisation accélérée a
engendré une artificialisation des rivages et la dégradation des milieux naturels. La globalisation des
transports a entraîné l’arrivée dans les écosystèmes d’espèces exotiques et parfois envahissantes.
L’impact de ces pressions sur les milieux est bien sûr couplé avec celui du changement climatique, qui
entraîne par exemple des conditions plus favorables à la pullulation de certaines espèces et accélère
l’eutrophisation des milieux aquatiques. De même, l’accroissement des températures se traduit par des
besoins croissants en eau d’irrigation, qui génèrent en retour des impacts supplémentaires sur le débit
des fleuves côtiers ou la balance recharge-prélèvement des nappes phréatiques. Dans ce contexte
d’interactions multiples, l’attribution d’un impact observé à une cause donnée est une difficulté récurrente
et les scientifiques doivent de toute façon mettre en œuvre une vision holistique et interdisciplinaire des
enjeux régionaux.
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
4 Mais cette incertitude d’attribution causale influe en définitive assez peu sur la nécessité d’agir. Il est
avéré par exemple (et Loïc Fauchon en parlera mieux que moi) que le bassin méditerranéen, comme
l’ont montré les remarquables travaux du Plan Bleu, est soumis à un intense stress hydrique, tant sur les
eaux de surface que souterraines, avec 180 millions d’habitants disposant de moins de 1000 mètres cube
par an dont 80 millions déjà en situation de pénurie (moins de 500 mètres cube/an). C’est 60 % de la
population mondiale dite « pauvre en eau » qui habite en Méditerranée. Plus de 250 millions de
personnes sont menacées d’être confrontées à une pénurie d’eau d’ici à 2050. Il importe alors peu de
savoir, dans cette situation catastrophique, quelle responsabilité respective attribuer au changement
climatique proprement dit (30 % ou 50 % ?) par rapport à la croissance démographique et à la
modification des habitudes alimentaires pesant sur la demande pour les usages agricoles qui
représentent 80 % des prélèvements totaux.
Une deuxième incertitude tient à la mesure même de la dynamique des phénomènes qu’il nous faut
combattre et à la compréhension détaillée de leur distribution spatiale. Sans rentrer dans des discussions
techniques, qui feront plutôt l’objet de la conférence scientifique internationale CFCC (« our common
future under climate change ») du 7 au 10 Juillet prochain à Paris à l’Unesco et à l’université Pierre et
Marie Curie (UPMC), il faut rappeler que les modèles climatiques dont nous disposons aujourd’hui offrent
une représentation discrète (point par point), et non pas continue, de la surface du globe et de ses
interactions avec l’atmosphère. Ceci implique des extrapolations des valeurs calculées entre deux points
d’une maille, les projections globales masquant une grande diversité des évolutions locales, en termes de
température et de précipitations, et les modèles régionaux, bien qu’en affinage constant, présentant le
maximum d’imprécisions. Si certains phénomènes physico-chimiques sont fondamentalement
imprévisibles et chaotiques à mesure que l’échelle considérée décroît et constituent donc des limites a
priori indépassables à l’affinement des modèles, un axe de progression, essentiel dans une perspective
de gestion et d’adaptation, concerne la résolution spatiale des projections, dite « descente d’échelle ».
Elle implique d’alimenter les modèles par des données empiriques fines combinant télédétection
satellitaire et mesures in situ. Disons-le avec netteté, nous avons besoin de construire un système
cohérent d’observation et de surveillance méditerranéennes des anthropo-écosystèmes mettant en
relation les sites focaux déjà existants (comme le projet OMERE qui associe le bassin versant de Roujan
dans l’Hérault avec celui de Kamesh au Cap Bon en Tunisie ou l’observatoire du bassin hydraulique du
Tensift au Maroc, et pardon de ne citer que des exemples où l’IRD est impliqué car d’autres partenaires
travaillent activement sur d’autres sites), ou des sites nouveaux à créer. Côté français, un programme
comme Mistrals, déjà cité, ou les Observatoires des Sciences de l’Univers (OSUs), comme ici l’Institut
Pythéas qui associe l’université d’Aix-Marseille, le CNRS et l’IRD, ou bien l’Institut montpelliérain de l’eau
et de l’environnement (IM2E), s’y emploient. Mais c’est un effort de coopération scientifique massif à
l’échelle de tous les pays de la région qui est indispensable. De même, je me félicite que soit présenté à
cette MEDCOP le projet MC3 (Mediterranean Cities and Climate Change), qui vise à créer un réseau
d’institutions pour analyser la contribution du phénomène de concentration urbaine sur les deux rives de
la Méditerranée au changement climatique et, inversement, l'impact de ce même changement sur les
pratiques urbaines.
L’une des retombées de cette MEDCOP pourrait être de constituer un groupe de travail opérationnel,
inter-pays, inter-ministériel et inter-collectivités territoriales, pour s’atteler à ce chantier décisif, tant pour la
connaissance que pour l’action, de construction d’un dispositif coordonné d’observation et de surveillance
des anthropo-écosystèmes méditerranéens. Pour des raisons scientifiques de fond, notre focale ne peut
d’ailleurs pas être exclusivement méditerranéenne mais doit s’étendre au Sahel et à l’Afrique
subsaharienne. On ne peut pas comprendre l’évolution temporelle du régime des précipitations dans le
bassin méditerranéen sans étendre l’étude du couplage mer/atmosphère aux relations entre les
mécanismes de la mousson tropicale et les conditions de surface de notre mer Méditerranée. On ne peut
pas comprendre les conditions hydrologiques sur le littoral méditerranéen en ignorant l’hypothèse que le
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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5 lac Tchad se serait déversé à certaines époques dans la mer Méditerranée, via un paléo-réseau
traversant la Libye, provoquant des modifications de la circulation de celle-ci, comme on peut le voir dans
le bassin du Nil depuis 10 000 ans et encore aujourd'hui. On peut tirer des leçons pour notre propre
adaptation aux contraintes climatiques d’une meilleure connaissance des routes empruntées par les
hominidés et les premiers hommes pour passer du continent africain vers l’Europe.
Si je me permets un plaidoyer pour plus de recherche, c’est que j’espère vous avoir convaincu que je ne
me fais pas l’expression d’un quelconque corporatisme (même si nous avons effectivement besoin de
plus de crédits pour la science), mais d’une nécessité pour éclairer l’action.
C’est le TROISIEME MESSAGE : les incertitudes qui subsistent ne doivent pas servir de prétexte à la
tergiversation mais, au contraire, à mieux lier l’agenda de l’atténuation et de l’adaptation au
changement climatique avec les autres agendas du développement.
Le calendrier international nous en fait d’ailleurs une obligation puisqu’avant la COP 21 en décembre se
ème
tiennent successivement, du 13 au 16 juillet à Addis-Abeba, la 3
Conférence internationale sur le
financement du développement - celle-ci devra évaluer les progrès accomplis dans la mise en œuvre du
Consensus de Monterrey de 2002 et de la Déclaration de Doha de 2008 et tracer de nouvelles
perspectives -, puis en septembre, à New-York, le sommet des Nations Unies pour l’adoption des
nouveaux Objectifs du Développement Durable, objectifs universels censés, selon le rapport de synthèse
du Secrétaire Général Ban Ki Moon, tracer la route vers « la dignité pour tous d’ici à 2030 » en
« éliminant la pauvreté, en transformant nos vies et en protégeant la planète ».
Ce lien, changement climatique, développement durable et enjeux de financement doit et peut être fait
dans quasiment dans tous les domaines d’activité. Qu’on pense aux migrations qu’une cruelle actualité
nous a rappelé ces dernières semaines. Les statistiques de l’Organisation Internationale des Migrations
rappellent qu’en 2008, 20 millions de personnes ont été déplacées de par le monde du fait de
catastrophes climatiques, soit quatre fois plus que du fait des guerres et conflits armés, et que ce chiffre
pourrait être multiplié par dix ou plus d’ici à 2050. Elles rejoignent l’intuition populaire de ce proverbe
peul qui nous dit « l’herbe ne pousse pas, le mil ne pousse pas, alors il faut s’enfuir ».
Qu’on pense à la santé avec les pics de mortalité et de morbidité provoqués par les canicules et le stress
thermique, les tempêtes ou les inondations, l’augmentation de l’incidence des affections respiratoires
associées aux modifications dans les concentrations d’aéroallergènes (comme les spores ou les
moisissures) ou d’aérocontaminants et, bien sûr, l’émergence ou la réémergence de maladies
infectieuses à transmission vectorielle (on sait que 75% des infections humaines sont des zoonoses
d’origine animale dont la transmission est favorisée par des modifications des facteurs environnementaux
biotiques et abiotiques dont certains sont très climato-sensibles). Dans la lignée de la Conférence GERI
(Gènes, Ecosystèmes et Risques d’Infection), qui vient de se tenir en avril à Héraklion, et des travaux des
collègues du Cirad, de l’Inra, de l’IRD et de l’IHU Méditerranée Infections de Marseille inspirés par le
concept de santé unique (one health) liant biologie végétale, santé animale et humaine, on peut citer : la
prolifération des bioagresseurs affectant les cultures méditerranéennes et, donc, la sécurité alimentaire ;
le rôle des pics de chaleur dans le déclenchement des épidémies de fièvre du Nil Occidental, de la
pluviométrie dans l’abondance des insectes transmetteurs de la fièvre de la Vallée du Rift, de
l’augmentation des températures sur la transmission par les culicoïdes aux troupeaux, des orbivirus
responsables de la fièvre catarrhale ovine ou de peste équine ou par les tiques de l'encéphalite à tique en
Italie, de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo en Europe du Sud-Est, ou de la maladie de Lyme ;
ou, enfin, les effets du climat sur l'habitat des phlébotomes vecteurs qui alimentent la présence
endémique de la leishmaniose dans tout le bassin méditerranéen.
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
6 Faute de temps, je ne mentionnerai pas tous les autres domaines qui seront nécessairement évoqués
dans cette MEDCOP et où il faut concilier adaptation au changement climatique et développement
durable, de la transition énergétique jusqu’aux droits de l’homme, en passant par l’agriculture, le tourisme
(dont la Méditerranée attire le tiers des flux mondiaux), ou encore l’enjeu-clé de l’éducation et du devenir
professionnel de la jeunesse méditerranéenne.
En tout les cas, et c’est le QUATRIEME MESSAGE : la science contribue directement à proposer
des solutions concrètes susceptibles de réconcilier agenda du développement et négociations
sur le climat, conformément au souhait exprimé par Christiana Figueres, secrétaire générale de la
convention climat, que « les solutions au changement climatique procurent un éventail de politiques et de
mesures sécurisées qui sont essentielles pour atteindre un développement durable ».
Là encore, faute de temps, je ne donnerai que deux exemples.
En se fondant sur la Stratégie méditerranéenne pour le développement durable, des chercheurs de l’IRD
ont établi un scénario d’usage de l’eau alternatif basé sur des progrès réalistes en matière d’efficience de
distribution de l’eau dans les réseaux et d’application aux parcelles agricoles irriguées, qui permettraient
d’ici à 2050 de stabiliser les prélèvements totaux en eau dans le bassin méditerranéen, voire même de
les diminuer d’un tiers dans certains bassins de la rive Nord. Cela implique de reconnaitre les limites des
solutions techniques actuelles (barrages, exploitation des eaux fossiles, dessalement, transferts d’eau
inter-zones, recharge artificielle de la nappe) visant à ajuster l’offre à la hausse de la demande au profit
d’une gestion intégrée de la ressource, en premier lieu, des eaux agricoles, qui combine l’offre avec le
changement des cultures, l’éducation et l’élaboration des bons incitatifs économiques, y compris en
termes de régulation publique et de taxation.
Autre exemple : le fonctionnement des sols lié à la matière organique et au carbone qu’ils contiennent
permet la fourniture de nombreux services écosystémiques indispensables aux sociétés humaines, tant
au niveau local (fertilité des sols et donc productivité, lutte contre la désertification) qu’au niveau global
(échanges avec l’atmosphère). Bien que les activités agricoles et forestières soient globalement
responsables d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES), les sols agricoles et forestiers
contribuent significativement à la réduction des concentrations en carbone atmosphérique (via des puits
de carbone dans les biomasses et les sols). C’est cette capacité des sols à séquestrer/stocker du
carbone qu’a exprimé en mars dernier le Ministre Le Foll sous l’appellation du « 4 pour 1000 ». Dans la
perspective d’un grand programme international mettant en avant ce rôle des sols et des systèmes
agricoles à participer à l’atténuation des changements climatiques, l’IRD et ses partenaires en
Méditerranée (et dans d’autres pays) prendront pleinement leur place aux côtés du Cirad et de l’Inra dans
la mise œuvre d’un tel programme. Dans cette dynamique, parmi de nombreux exemples, on peut citer le
développement par les chercheurs de l’IRD, en partenariat avec la FAO (l’Organisation des Nations
Unies pour l’alimentation et l’agriculture), de l’outil de calcul EX-ACT (pour Ex-ante Carbon balance Tool).
Celui-ci quantifie l’émission et le stockage des gaz à effet de serre dans les sols cultivés et permet ainsi
d’évaluer le bilan carbone des projets et des filières de production agricole ou des politiques
environnementales. Cet outil sera prochainement transmis à l’Observatoire du Sahara et du Sahel lors
d’une formation à Tunis. Enfin, la conférence « Changement climatique et agriculture intelligente », qui
s’est tenue à Montpellier en mars dernier, a présenté de multiples innovations technologiques issues de
la recherche. Ces innovations permettraient des solutions gagnant/gagnant d’atténuation des émissions
de CO2 par accroissement de la teneur en carbone organique des sols, tout en améliorant la productivité
agricole dans un meilleur respect de l’équilibre des écosystèmes. Il appartient à tous les acteurs de s’en
emparer et de les expérimenter à plus grande échelle.
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
Discours du Professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l’IRD
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7 En conclusion, je voudrais souligner que la lutte contre le changement climatique a besoin de cadres
organisés de dialogue. Le GIEC a constitué depuis 1988 un tel cadre pour le dialogue entre science et
décision au plan mondial. Nous aurions besoin, me semble-t-il, d’un cadre équivalent, à l’échelon
méditerranéen, pour fonder sur le maximum d’évidences objectives les politiques de réponse au
changement climatique et, plus largement, au changement global de la région. Peut-être cette MEDCOP
sera-t-elle l’occasion d’en prendre (enfin) l’initiative ? Je laisse la table ronde suivante aborder plus en
détail cette proposition.
Et parce que, plus qu'ailleurs, la prévision en Méditerranée est un art que la science se doit d’alimenter
avec modestie, je voudrais terminer en citant deux poètes. Le français Paul Valéry qui en 1934 écrivait
que « la parole de Protagoras, que l'homme est la mesure des choses, est une parole caractéristique,
essentiellement méditerranéenne » ; l’égyptien Taha Hussein qui en écho, quatre ans plus tard, écrivait à
son tour qu’« il n'existe pas de différence de mentalité ou de culture entre les peuples qui ont vécu autour
de la mer des Roum et qui en ont été influencés ».
Professeur Jean-Paul Moatti
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MEDCOP 21, Villa Méditerranée, 4 juin 2015
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