manque pas de souligner au passage que le nœud lui-même, comme nom, comporte
une équivoque. « Ce n’est certainement pas par hasard qu’en français le mot ne se
prononce d’une façon équivoque avec le mot nœud
. » C’est donc l’équivoque
grammaticale entre le ne explétif qui n’est pas porteur de la négation (je crains qu’il
ne vienne) et la négation redoublée dans le ne..pas qui vient se glisser au moment où
nous prenons au sérieux cette analogie.
L’équivoque qui s’entend ramène à l’écriture donc à ce qui se lit. L’écriture
recueille les débris du sens qui s’est rompu. C’est par l’écriture que les différents
sens peuvent se différentier et se lire : en corps / encore, les tours dits / l’étourdit. Le
moment de la lecture de l’équivoque, moment de coupure qui tranche dans l’inertie
de la langue, est aussi celui où la langue reprend vie et peut produire dans le corps
une ouverture, un réaménagement du circuit pulsionnel.
D’équivoques, Lacan en distingue en fait trois. « Ces équivoques dont
s’inscrit l’à-côté d’une énonciation, se concentrent de trois points nœuds » :
l’homophonie
, la grammaire et la logique
. La grammaire et la logique sont
encore plus clairement en rapport avec l’écriture.
L’ombilic, le nœud, l’écriture
La formulation « trois points nœuds » nous permet de reprendre le deuxième
terme à approfondir : l’ombilic. Lacan fait, à ce propos, une analogie entre l’ombilic
et le nœud borroméen. Qu’est ce qui permet cette analogie? Tous deux comportent
un « trou fermé ». La formulation « trou fermé » n’est pas évidente dit-il. Pourquoi ?
Parce que c’est précisément, à nouveau une équivoque, une équivoque dans la
logique cette fois-ci. Cette équivoque logique est de l’ordre d ‘un oxymore soit la
réunion de deux sens opposés qui donnent une « obscure clarté ». Nous trouvons
cette même modalité de l’équivoque dans le terme d’extimité, le fait que le plus
extérieur, étranger est notre intime.
Déplions cette équivoque. Un trou est un orifice. Dans la clinique c’est un
trou qui aspire. La pensée s’affole à le combler. Le trou pulsionnel produit un effet
imaginaire d’aspiration, de succion, de pompage. Ca nous pompe l’air, nous prend
la tête, nous bouffe, nous donne le vertige. Mais par ailleurs l’analogie avec
l’ombilic nous renvoie bien à un trou fermé. L’ombilic, comme cicatrice, porte la
trace du fait qu’on est né de ce ventre maternel là et qu’après neuf mois tout ce qui
provenait de ce lieu de vie s’est bouclé, fermé. De fait le nœud borroméen est centré
sur un trou, une jouissance opaque à l’imaginaire et énigmatique au sens.
L’équivoque nous avait ramené à l’écriture : le nœud également. Le nœud est
pour Lacan une écriture. « J’ai inventé ce qui s’écrit comme le réel…je l’ai écrit
sous la forme du nœud borroméen
». A l’époque de l’imagerie médicale, le nœud
borroméen peut sembler être une imagerie bien étrange. En fait ce n’est pas une
Lacan Conférence à Genève.
E. Laurent L’impossible nomination, ses semblants, son sinthome. Cause freudienne n° 77
p. 74 sq
Lacan Autres écrits « L’étourdit » 1973, p. 491
Lacan J. Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Seuil, 2005, p. 129