Stage « Nouvelle œuvre de théâtre au programme de terminale » / académie de Caen
Première journée, le 14 novembre 2011 à la Comédie de Caen, CDN de Normandie.
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empreinte de la présence du spectre ? Les sons qui ponctuent dans la mise en scène de Chéreau les
apparitions s’étendent à d’autres scènes. Et que deviennent les monologues d’Hamlet où celui-ci se
reproche son inaction, s’accuse de lanterner, si on les place sous les auspices de ce regard fantomatique ?
Deuxième point, le spectre est liminaire, il est une figure du seuil, mais ambiguë ; certes, il
marque déjà la frontière entre les vivants et les morts, bien sûr, mais du point de vue dramaturgique il
constitue surtout l’entrée dans la pièce, tant au niveau de la structure (la première scène) que de la fable
(le meurtre premier). Il s’est déjà manifesté deux fois auparavant et occupe très largement l’acte I, entre
ses apparitions et les discussions qu’il entraîne, et le deuil évoqué dans la scène de conseil royal. On
retrouve ici sa nature prologale ; il ouvre l’intrigue par ses révélations en même temps qu’un nouvel
horizon, celui de l’absolu, de l’éternité. L’arrivée du spectre, dans le même temps qu’elle révèle une vérité
et infirme le mensonge de la cour de Claudius, reste aussi profondément sujette à caution : si les
apparences mentent, ce que proclament l’apparition du spectre comme ses dires, alors quelles apparences
sont crédibles ? Et qu’en est-il de sa propre présence, de ses propos ? En tant que figure introductive, le
spectre lance la vengeance dans le même temps qu’il la retarde en attente de confirmation : Hamlet avoue
lui-même à la fin de l’acte II : « il me faut un sol plus ferme ». Le spectre est donc, dans une dramaturgie
qui ne se construit pas de façon linéaire mais poétique, par contrastes, métaphore, déplacement, un
centre, mais c’est un centre absent, ce qui ouvre un vertige.
Autre point : son indétermination : le spectre est décrit comme une forme, une image sans qu’on
puisse le réduire à un sens. Dans l’univers du Danemark où le sens fait l’objet d’une surveillance, d’un
contrôle, d’un discours, il est un signe qui échappe. Le spectre manifeste son hétérogénéité et son
ambivalence : des personnages comme Hamlet ou Horatio peuvent mettre en doute les autres, les
discours, les actes, mais le spectre n’intéresse pas par ce qu’il pense, mais par sa seule existence qui
menace la norme admise de renversement. Avant son arrivée, Hamlet peine à faire son deuil, est critique,
mais sa rébellion reste intérieure, monologale. Et le roi et la reine peuvent donner les signes extérieurs de
l’attention, de l’humanité, de l’affection. En revanche, l’apparition du spectre suffit pour renverser les
opinions établies : « tout n’est pas bien », « quelque chose est pourri », « le temps est hors de ses gonds »,
le spectre est le signe qui permet aux sentiments et aux intuitions de s’étendre à la perception du réel, de
le mettre en forme. Mais comme signe sans détermination, il est labile, commutable : ainsi son caractère
fantomatique est un signe qui appelle à la fois au scepticisme à son égard (Horatio pense que les gardes
évoquent une illusion, la mère refuse de voir le fantôme), à la mise en doute du mensonge de Claudius,
mais ensuite potentiellement au refus de croire en chaque personnage (Gertrude, Ophélie, Rosencrantz,
Guildenstern…), voire en chaque discours… A l’inverse, le spectre devient alors une réponse au scepticisme
d’Hamlet : fini le doute et le rejet du monde stérile et de ses usages défraîchis, l’au-delà incarné par le
spectre fournit une nouvelle transcendance, une nouvelle somme de repères pour penser et agir : il serait
le seul réel ! Troisième point, donc : le spectre est un personnage mais aussi une forme, un signe, comme
tout personnage élisabéthain ; problème ce signe s’offre au sens dans le même temps qu’il lui échappe,
et il menace par sa variabilité, les systèmes de pensée, de discours construits. Il est mystérieux, douteux,
mais à l’image des personnages dont il révèle l’ambiguïté.
Revenant, il se signale par sa récurrence : retour obsédant du revenant, du destin, du refoulé ?
Toutes ses apparitions sont-elles à mettre sur un même plan ? Retour mais pas répétition, la redondance
du spectre marque en effet des modulations, des inflexions curieuses. Il apparaît d’abord aux gardes
avant le début de la pièce, puis à eux et à Horatio, auquel s’ajoute Hamlet la fois suivante. Puis il s’efface
progressivement, apparaissant dans la chambre de la reine au seul Hamlet ; la course du spectre se
termine d’ailleurs par l’épisode du cimetière où les morts sont des objets bien concrets, des crânes
muets, et irrémédiablement perdus, loin de l’espoir de devenir des revenants. Quatrième point : si les
apparitions du spectre sont libres, contrairement à celles d’un personnage mû par des nécessités ou
limité par des contraintes, leur courbe et leurs fluctuations infléchissent-elles la fable, ou sont-elles des