L’édito 5 SEPTEMBRE 2014 Comportement schizophrène Très souvent, ou plutôt presque toujours, les marchés financiers sont soumis à des forces contradictoires dont il est difficile de prévoir lesquelles prendront le dessus. Mais, en la matière, la situation que nous vivons aujourd’hui atteint des sommets. Non seulement nous assistons actuellement à un découplage conjoncturel presque historique entre deux zones géographiques (Europe et Etats-Unis) plutôt étroitement corrélées ces dernières années en termes de directionnel économique, mais, de surcroît, l’appréhension de l’évolution du cycle sur les deux rives de l’atlantique induit un comportement schizophrène chez les intervenants de marché. Explications. Evacuons d’emblée les problématiques géopolitiques qui ont affecté les marchés cet été. Assurément source de stress ponctuel, celles-ci n’en constituent pas pour autant la préoccupation profonde des gérants. Ces derniers retiennent bien évidemment comme repère ultime l’évolution des fondamentaux économiques. Mais, curieusement, aujourd’hui, l’appréhension de ceux-ci ne s’effectue pas de la manière que l’on croit. Car le casse-tête actuel ne réside pas tant dans le décryptage de la conjoncture des deux côtés de l’atlantique que dans l’anticipation des réactions induites des banques centrales et de leurs conséquences. En résumé, le tableau est le suivant : le formidable regain de croissance aux EtatsUnis, annonciateur d’une poursuite de la croissance bénéficiaire des sociétés cotées, devrait normalement ravir les marchés financiers. Or, par crainte, en réaction, d’un durcissement plus précoce de la politique monétaire de la Fed, synonyme de contraction future de la liquidité disponible, toute embellie conjoncturelle supplémentaire devient paradoxalement source d’incertitude (quant au timing et au rythme de normalisation de cette politique monétaire). Pour faire court : un trop bon chiffre pour l’économie peut, du coup, devenir un mauvais chiffre pour les marchés. C’est déjà pas simple en temps normal… Mais pour compliquer encore un peu plus la tâche, on assiste exactement au phénomène inverse en Euroland où des doutes sérieux se font jour quant au scénario annoncé d’une reprise graduelle de la croissance. En clair, la croissance européenne menace sérieusement de flancher et de compromettre les perspectives d’amélioration des profits des sociétés. Croyez-vous que le marché en soit affecté ? Pensez-vous. Au contraire, ce dernier a même amorcé un rattrapage depuis la miaoût, au moment précis où la nouvelle dégradation des indicateurs avancés aurait eu de quoi refroidir bien des ardeurs. Pourquoi donc ? Parce qu’à l’inverse de la situation américaine, toute dégradation supplémentaire de la conjoncture fait miroiter une action inédite et d’envergure de la BCE, génératrice de liquidité abondante pour les mois à venir. Du coup, toute mauvaise nouvelle économique déclencherait presque des clameurs de satisfaction sur les marchés, au grand dam du profane qui, pour le coup, lui, n’y comprend carrément plus rien. Ainsi, après un trou d’air inattendu au premier trimestre (-2.1%), les Etats-Unis ont enregistré, comme prévu, un fort rebond du PIB (+4.2%) sur les trois mois qui ont suivi. Mieux : tous les indicateurs économiques avancés, à l’image de l’ISM, qui culmine sur un point haut depuis mars 2011 (à 59 contre 57.1 en juillet), attestent d’une poursuite et d’un raffermissement de la croissance économique au cours des prochains mois. La progression des commandes à l’industrie affiche un record (+10.5% sur un mois) depuis que la statistique est mesurée. Toutes les composantes de la croissance sont au beau fixe : le cumul des emplois créés soutient la confiance des ménages qui nourrit une consommation en progression continue. La demande étant au rendez-vous, les entreprises n’hésitent pas à investir, comme en atteste le poste « Nouvelles commandes » de l’ISM qui tire une nouvelle fois l’indice global. Ces perspectives presque « idylliques », d’un point de vue macroéconomique, ont constitué jusqu’à ce jour un soutien majeur pour des marchés d’actions américains qui, à l’image d’un S&P 500 ayant franchi le seuil des 2000 points, volent de record en record. A contrario, l’Europe attaque le troisième trimestre sur des bases on ne peut plus fragiles. Anémique, la reprise ne suffit pas à combler la sous-utilisation massive des capacités de production. En résumé, l’Italie est officiellement en récession, la France est à l’arrêt et l’Allemagne flanche. Quant aux indicateurs avancés, ils ne suggèrent pas d’amélioration prochaine. Comment, dans ce contexte, croire en la capacité des sociétés à améliorer leurs résultats pour justifier leurs niveaux de valorisation boursière (plutôt généreux avant la correction estivale) ? Certes, la baisse de la monnaie unique redonnera sans doute une bouffée d’oxygène aux entreprises. Mais c’est désormais dans les mesures annoncées jeudi par la BCE que les marchés fondent tous leurs espoirs. La difficulté pour les gérants se résume dès lors à l’interrogation suivante : doit-on prendre acte de l’essoufflement de la croissance européenne dont la précarité militerait plutôt pour une réduction de voilure en matière d’investissement actions ? Ou doit-on, une fois de plus, faire fi d’une réalité économique objectivement préoccupante aujourd’hui, et miser, au-delà du choc psychologique immédiat des annonces, sur l’efficacité et la capacité de celles-ci à redynamiser de manière pérenne l’activité économique en Europe ? Le marché semble vouloir opter pour cette deuxième option et jouer la carte de la confiance. Pourquoi pas ? Joseph Alfonsi LGA INVESTISSEMENT ASSOCIÉ - 32, rue Notre Dame des Victoires - 75002 Paris - Tél : 01.56.33.88.00 - [email protected] - www.lga-ia.com Société de gestion de portefeuille - SA au capital de 700 000 euros - RCS Paris 347 493 702 - Agrément AMF GP90040