5
renaissance ait lieu plus ou moins longtemps après le décès. Pour nombre de
bouddhistes, jadis surtout, la renaissance suit immédiatement la mort, puisque le
Buddha n'a parlé nulle part, dans les milliers de sermons qui lui sont attribués, d'un
intervalle de temps entre les deux. Selon d'autres, au contraire, cet intervalle de
temps est nécessaire pour parcourir l'intervalle d'espace séparant le lieu du décès de
celui de la renaissance. Telle est aujourd'hui la croyance générale chez les
bouddhistes, qui utilisent cette « existence intermédiaire » (antarabhava) - dont la
durée ne dépasse pas quelques semaines - pour diriger les défunts vers une
renaissance agréable et les détourner des enfers en leur transmettant leurs propres
« mérites » produits par l'accomplissement de pieuses actions et de cérémonies
spéciales.
Désignant le salut, c'est-à-dire la fin des transmigrations, le mot nirvana vise en fait
deux phénomènes différents quoique complémentaires qui ne sont pas toujours
clairement distingués dans les textes ni, semble-t-il, dans l'esprit de leurs auteurs.
L'un est la cessation de la soif de renaître, la cessation des trois vices fondamentaux,
désir, haine et erreur, (raga, dvesa, moha) l'épuisement des courants impurs, c'est-à-
dire la suppression complète et définitive de tous les liens qui retenaient l'être dans la
série des existences successives.
Le saint chez lequel ce phénomène se produit sait alors qu'il ne renaîtra plus, qu'il a
atteint le terme de la longue voie menant à la Délivrance, que « sa tâche est
accomplie ». Dans la plupart des cas, il continue à vivre pendant plusieurs années,
jusqu'à ce que s'arrêtent ses propres fonctions physiologiques, comme la roue du
potier continue à tourner quelque temps après qu'on l'a lâchée, mais il jouit d'une
sérénité imperturbable, étant désormais inaccessible aux atteintes des passions et
des erreurs, des vices et des craintes. S'il lui arrive de souffrir encore, il supportera la
douleur avec la plus grande patience, voyant en elle les derniers effets des
mauvaises actions commises par lui dans ses vies antérieures.
L'autre phénomène, qui est parfois nommé « extinction complète » (parinirvana) pour
le distinguer du premier, se produit au moment où le saint, déjà délivré, parvient au
terme de sa dernière existence. Tous les éléments et phénomènes matériels et
mentaux qui composaient sa personne cessent alors définitivement, si bien qu'il ne
renaît plus nulle part. Puisque la doctrine bouddhique nie l'existence de tout principe
personnel, comme le « soi » (atman) ou le « principe vital » (jiva), admis par les
autres religions de l'Inde, cette « extinction complète » doit être logiquement un
anéantissement total du saint, ce que les adversaires du bouddhisme ne se sont pas
privés de faire remarquer, accusant celui-ci de « nihilisme ».
Comme ces deux phénomènes sont les deux étapes du salut, de cette délivrance à
laquelle aspirent tous les bouddhistes dignes de ce nom, les textes les confondent
souvent, en particulier quand ils en exaltent les avantages ou quand ils entendent
définir les relations, plus exactement l'absence de relations, de cet état de libération
avec les choses et les phénomènes constituant le monde et les êtres qui y vivent. Le
nirvana est appelé incomposé (asamskrta), c'est-à-dire absolu, ni causé ni
conditionné, dépourvu de naissance et de cessation, de transformation et de durée,
car il échappe à la grande loi de l'impermanence à laquelle sont soumis tous les
êtres et toutes les choses, lesquels sont par nature composés (samskrta). Il ne peut
donc être classé dans aucune des catégories où la doctrine bouddhique range ceux-
ci ; il n'est ni matière ni pensée, ni bon ni mauvais, sans rapports avec les vices ni
avec les vertus, situé au-delà des étages les plus élevés, les plus subtils qu'on
puisse atteindre par les méditations et les exercices analogues, en dehors de