Karma, Samsara et Nirvana

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Karma, Samsara et Nirvana
Sources
Encyclopédia Universalis.
Données encyclopédiques, copyright © 2001 Hachette Multimédia / Hachette Livre
Site Athéisme : http://atheisme.free.fr/index.html
Site bouddhiste: http://www.buddhaline.net
Encyclopédie Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Karma
PLAN
Karma, Samsara et Nirvana ................................................. 1
Le Karma.............................................................................. 2
Karma dans les religions orientales ..................................... 2
Karma dans les conceptions occidentales. .......................... 3
Le « samsara » et ses diverses interprétations .................... 3
Le nirvana selon le Mahayana ............................................ 7
Le nirvana dans les autres religions de l'Inde ...................... 8
Le Nirvana par Ajahn Thanissaro....................................... 9
Bibliographie ...................................................................... 11
Le mot nirvana désigne la cessation de la transmigration ou succession indéfinie des
existences que les Indiens appellent samsara. Il est surtout utilisé dans le
bouddhisme où il possède un sens très particulier, la conception du salut étant
différente dans cette religion de ce qu'elle est dans l'hindouisme et le jainisme. Le
terme et la notion apparaissent dès les origines du bouddhisme, dans les textes
canoniques contenant les sermons attribués par la tradition au Buddha. Le mot
nirvana désigne la disparition complète, mystérieuse pour un homme de l'Antiquité,
d'une flamme sur laquelle on a soufflé, l'« extinction » de cette flamme. Par
extension, il est utilisé pour signifier la disparition totale d'une chose dont on ne peut
savoir ce qu'elle est devenue ni où sont allés les éléments qui la constituaient. Dans
la terminologie bouddhique, il exprime l'idée de salut, c'est-à-dire la délivrance
(vimukti, vimoksa) de la nécessité de renaître et de mourir sans cesse, la fin (anta)
des transmigrations (samsara), la cessation (nirodha) de la douleur (duhkha)
inhérente à toute existence, l'épuisement (ksaya) des courants impurs (asrava) des
passions et des erreurs qui obligent l'être à renaître.
Le nirvana ne se comprend donc bien que si l'on se fonde sur la signification du mot
samsara qui désigne, au sens propre, l'action de circuler, de parcourir, et, au sens
figuré (le plus généralement employé), le fait de passer d'une existence à une autre,
puis, par dérivation, la suite de ces existences, la condition des êtres vivants qui sont
tous soumis à ce phénomène.
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Le Karma
Karma est un terme utilisé dans plusieurs religions orientales, il désigne le cycle des
causes et des conséquences lié à l'existence des êtres sensibles. Le karma est la
somme de ce qu'un individu a fait, est en train de faire ou fera. Dans les religions
incorporant les concepts de réincarnation ou de renaissance, les effets de ces actes
karmiques se répercutent sur les différentes vies d'un individu.
Le terme se transcrit également Kamma (depuis le pali), kan (birman), rinne gō
(japonais) ou las (en tibétain).
La loi du karma est un concept central dans nombre de religions indiennes, telles
que l'hindouisme, le sikhisme, le bouddhisme ou le jainisme. Chaque être y est
responsable de son karma, et donc de sa sortie du samsara. Les premières
références au karma auraient pour origine les Upanishads.
Le concept de karma peut également être retrouvé dans des mouvements
ésotériques occidentaux, comme le mouvement de la Rose-Croix.
Karma dans les religions orientales
Hindouisme
Pour les hindouistes, les actions ont des conséquences karmiques en fonction de
l'état d'esprit dans lequel elles sont faites, mais on peut cependant dire que pour les
hindouistes, le karma ne porte ses fruits que dans les vies futures, et en fonction
d'une volonté divine. Du fait du système des castes, il est impossible à un hindouiste
de s'élever dans cette vie-ci, plus haut que le niveau spirituel (et social, incidemment)
dans lequel il est né. Son seul espoir est de créer autant de karmas positifs que
possible avec l'espoir de se réincarner dans une caste plus élevée dans une vie
future.
Bouddhisme
Pour les bouddhistes, le karma que l'on crée en agissant, que ce soit avec le corps,
la parole ou l'esprit, est essentiellement favorable ou défavorable, positif ou négatif
(kusala ou akusala en sanskrit ; ces termes n'ont pas de traduction exacte en
français), (sens global pour, kuçala :juste, approprié, convenable, bon, bienveillant..
et pour akuçala: leur contraire..), en fonction de l'état d'esprit qui sous-tend l'action.
Ainsi, si l'on donne quelque chose à quelqu'un de manière désintéressée, on crée du
karma positif. Ce n'est pas le cas, en revanche, si l'on donne parce que l'on attend
quelque chose en retour. Enfin, le karma créé peut donner ses fruits dans cette vie
ou dans une vie future.
Dans le bouddhisme ancien, pour produire un karma, il faut réunir l'intention d'agir,
l'acte lui même et la satisfaction d'avoir agi. En dehors de ces conditions, l'acte ne
produit pas de karma.
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Jainisme
Pour les jaïnistes, l'action n'est pas le seul critère, et l'état d'esprit la sous-tendant
peut entrer aussi en compte, surtout s'il s'agit d'un laïque jaïn, car contrairement aux
moines et nonnes auxquels il est interdit de commettre toutes les violences
(accidentelles, professionnelles, défensives et intentionnelles), les laïques sont
obligés d'éviter au minimum la violence intentionnelle, par la pensée, la parole et le
corps. C'est pour cela, par exemple, que certains jaïna (moines et nonnes de
certaines sectes, laïques lors d'une cérémonie...) portent souvent des tissus sur la
bouche; faisant cela, ils évitent de tuer des insectes en les avalant par inadvertance.
Karma dans les conceptions occidentales.
Kabbale
Pour les kabbalistes modernes, le karma n'est pas un fardeau que l'on porte en
provenance de ses vies antérieures, mais une série d'épreuves que l'on s'est
choisies juste avant sa naissance; le but de la vie étant de réussir ces épreuves.
Ainsi, chacun se choisit les grandes épreuves de sa vie, le reste faisant parti du libre
arbitre et pouvant être vécu comme l'individu le souhaite.
Le « samsara » et ses diverses interprétations
La croyance en la transmigration apparaît dans l'Inde vers le début du VIe siècle
avant notre ère, soit juste avant le bouddhisme, le jainisme et les premières
Upanisad du brahmanisme, qui reposent tous sur elle. Dès cette époque, elle semble
avoir été adoptée par la grande majorité des Indiens, bien que les anciens sutras
bouddhiques signalent quelques sectes hétérodoxes qui la rejetaient. Pour ce qui est
de l'origine et de la formation de cette croyance, on est réduit aux hypothèses
construites à partir de rares données trouvées dans les Brahmana, textes antérieurs
aux Upanisad.
Tout en étant d'accord sur le principe général de la transmigration, brahmanistes des
Upanisad, hindous, bouddhistes et jainas en fournissent cependant des
interprétations différentes. Les diverses sectes de chacune de ces religions
proposent des solutions variées, parfois opposées, aux deux problèmes
fondamentaux que soulève la notion même de samsara : quel est le mécanisme de
cette transmigration, autrement dit quelles sont les causes qui expliquent les
différences entre les conditions d'existence, de renaissance, et quel est l'élément de
l'être qui passe ainsi d'une vie à l'autre ?
Les Upanisad et l'hindouisme à leur suite, le bouddhisme et le jainisme s'accordent
en gros sur la réponse à la question du mécanisme de la transmigration : c'est la
valeur morale des actes (karman) accomplis dans une existence qui détermine les
conditions de la renaissance, comme elle détermine le bonheur ou le malheur qu'on
connaîtra dans cette nouvelle vie. Les êtres qui commettent le mal renaîtront dans
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les enfers, dans des corps d'animaux ou d'hommes misérables, souffrant de
pauvreté, de maladie, de mépris, d'oppression sociale, etc., tandis que ceux qui font
le bien renaîtront parmi les dieux ou dans des corps d'hommes jouissant de richesse,
de santé, de considération, de puissance sociale.
En somme, le phénomène de la transmigration, auquel sont soumis tous les êtres
vivants, est régi par ce que le bouddhisme appelle « maturation » (vipaka) des actes,
sorte de justice immanente qui oblige l'auteur d'un acte à recevoir, automatiquement
et inéluctablement, au bout d'un temps plus ou moins long, le châtiment ou la
récompense de l'action qu'il a accomplie. Cependant, tel n'était pas l'avis de toutes
les sectes antiques, si l'on en croit notamment les textes bouddhiques qui les
combattent. Pour certaines, seul le hasard conditionne la renaissance, et la valeur
morale des actes n'explique nullement le bonheur ou le malheur des conditions de
l'existence. Selon d'autres, composées de brahmanes obnubilés par leurs
préoccupations religieuses et par l'orgueil de leur position sociale, c'est uniquement
l'accomplissement correct des actes rituels, nombreux et variés, accomplissement
dont ils se réservaient jalousement le privilège, qui détermine le bonheur dans les
vies futures, et non la valeur morale des actions ordinaires.
Les solutions proposées au problème de savoir quel est l'élément transmigrant
n'étaient pas moins multiples. D'après les Upanisad, suivies en cela par le Vedanta
qui a dominé la pensée hindoue jusqu'à nos jours, c'est le « soi » (atman), principe
impersonnel de la personnalité, qui transmigre, cet atman qui est reconnu identique
au brahman universel. Pour d'autres écoles brahmaniques, il s'agit d'un élément
désigné sous des noms divers - « homme » (purusa), « principe vital » (jiva), etc. - et
conçu également de façon variée comme pourvu de connaissance, de volition et
même de sensation, parfois aussi sous l'aspect d'un homuncule invisible en raison
de sa taille exiguë. C'est à de telles conceptions que se rattache le jainisme, lequel
désigne l'élément transmigrant des noms de jiva et d'atman et lui prête différents
attributs.
Le bouddhisme se distingue de toutes les autres sectes indiennes admettant la
transmigration en ce qu'il nie obstinément l'existence de tout élément transmigrant
comme l'atman ou le jiva. Bien que quelques sutra obscurs aient conduit certains
exégètes modernes à penser qu'il n'en fut pas ainsi à l'aube du bouddhisme, il est
pourtant clair et indéniable que la doctrine commune exposée dans les textes
canoniques longtemps avant notre ère rejetait toute idée d'un élément transmigrant.
Cette négation entraîna du reste de graves difficultés pour expliquer le dogme,
essentiel au bouddhisme, de la maturation des actes et le phénomène de la
connaissance. Certaines écoles importantes, vivement combattues par les autres
sectes bouddhiques, soutinrent l'existence d'une « personne » (pudgala) qui
transmigrait et même subsistait au sein de la béatitude définitive du nirvana ; mais
elles ne surent jamais définir nettement les relations entre cette « personne » et les
cinq « agrégats » (skandha) de phénomènes physiques et mentaux qui composent
tout être selon l'orthodoxie bouddhique. Les explications fournies par cette dernière
pour résoudre les difficultés nées de la contradiction entre l'affirmation de la
transmigration et la négation de tout élément transmigrant sont trop diverses et trop
subtiles, voire sophistiques, pour qu'on puisse les exposer ici.
La doctrine de la transmigration posait encore un problème important, que les
bouddhistes ont bien vu et sur lequel leurs sectes anciennes se sont vivement et
longuement opposées. S'il est évident, en effet, que l'être ne renaît pas à l'endroit
exact où il est mort mais à un autre, souvent fort éloigné, rien ne prouve que cette
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renaissance ait lieu plus ou moins longtemps après le décès. Pour nombre de
bouddhistes, jadis surtout, la renaissance suit immédiatement la mort, puisque le
Buddha n'a parlé nulle part, dans les milliers de sermons qui lui sont attribués, d'un
intervalle de temps entre les deux. Selon d'autres, au contraire, cet intervalle de
temps est nécessaire pour parcourir l'intervalle d'espace séparant le lieu du décès de
celui de la renaissance. Telle est aujourd'hui la croyance générale chez les
bouddhistes, qui utilisent cette « existence intermédiaire » (antarabhava) - dont la
durée ne dépasse pas quelques semaines - pour diriger les défunts vers une
renaissance agréable et les détourner des enfers en leur transmettant leurs propres
« mérites » produits par l'accomplissement de pieuses actions et de cérémonies
spéciales.
Désignant le salut, c'est-à-dire la fin des transmigrations, le mot nirvana vise en fait
deux phénomènes différents quoique complémentaires qui ne sont pas toujours
clairement distingués dans les textes ni, semble-t-il, dans l'esprit de leurs auteurs.
L'un est la cessation de la soif de renaître, la cessation des trois vices fondamentaux,
désir, haine et erreur, (raga, dvesa, moha) l'épuisement des courants impurs, c'est-àdire la suppression complète et définitive de tous les liens qui retenaient l'être dans la
série des existences successives.
Le saint chez lequel ce phénomène se produit sait alors qu'il ne renaîtra plus, qu'il a
atteint le terme de la longue voie menant à la Délivrance, que « sa tâche est
accomplie ». Dans la plupart des cas, il continue à vivre pendant plusieurs années,
jusqu'à ce que s'arrêtent ses propres fonctions physiologiques, comme la roue du
potier continue à tourner quelque temps après qu'on l'a lâchée, mais il jouit d'une
sérénité imperturbable, étant désormais inaccessible aux atteintes des passions et
des erreurs, des vices et des craintes. S'il lui arrive de souffrir encore, il supportera la
douleur avec la plus grande patience, voyant en elle les derniers effets des
mauvaises actions commises par lui dans ses vies antérieures.
L'autre phénomène, qui est parfois nommé « extinction complète » (parinirvana) pour
le distinguer du premier, se produit au moment où le saint, déjà délivré, parvient au
terme de sa dernière existence. Tous les éléments et phénomènes matériels et
mentaux qui composaient sa personne cessent alors définitivement, si bien qu'il ne
renaît plus nulle part. Puisque la doctrine bouddhique nie l'existence de tout principe
personnel, comme le « soi » (atman) ou le « principe vital » (jiva), admis par les
autres religions de l'Inde, cette « extinction complète » doit être logiquement un
anéantissement total du saint, ce que les adversaires du bouddhisme ne se sont pas
privés de faire remarquer, accusant celui-ci de « nihilisme ».
Comme ces deux phénomènes sont les deux étapes du salut, de cette délivrance à
laquelle aspirent tous les bouddhistes dignes de ce nom, les textes les confondent
souvent, en particulier quand ils en exaltent les avantages ou quand ils entendent
définir les relations, plus exactement l'absence de relations, de cet état de libération
avec les choses et les phénomènes constituant le monde et les êtres qui y vivent. Le
nirvana est appelé incomposé (asamskrta), c'est-à-dire absolu, ni causé ni
conditionné, dépourvu de naissance et de cessation, de transformation et de durée,
car il échappe à la grande loi de l'impermanence à laquelle sont soumis tous les
êtres et toutes les choses, lesquels sont par nature composés (samskrta). Il ne peut
donc être classé dans aucune des catégories où la doctrine bouddhique range ceuxci ; il n'est ni matière ni pensée, ni bon ni mauvais, sans rapports avec les vices ni
avec les vertus, situé au-delà des étages les plus élevés, les plus subtils qu'on
puisse atteindre par les méditations et les exercices analogues, en dehors de
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l'univers sans bornes où vivent les êtres, les dieux comme les hommes, en dehors
même du temps, car on ne peut dire qu'il soit passé, présent ou futur. Il est appelé
l'autre rive, l'île, le refuge, l'abri, la protection, la sécurité, la quiétude, l'état où l'on est
délivré de la douleur, de l'affliction, du désir, des impuretés... Il est encore appelé
l'immortel (amrta), le but suprême, la fin, l'état excellent, extraordinaire, merveilleux,
subtil, très difficile à voir, invisible aux yeux des hommes ordinaires. Le nirvana
apparaît ainsi comme un état de béatitude imperturbable où il n'y a rien de ce qui
appartient à notre monde et aux êtres qui le peuplent, un état hors de l'espace et du
temps que le bouddhisme concevait pourtant, en fait, comme infinis l'un et l'autre.
Cette béatitude est-elle la sérénité dont jouit ici-bas le saint qui s'est complètement
délivré de ses passions et de ses erreurs, en attendant la fin de sa dernière
existence ? Il est évident que cette sérénité n'est pas aussi totale ni aussi continue
qu'il pourrait l'espérer puisqu'il demeure soumis aux peines et aux souffrances
inhérentes à la vie humaine, maladies, accidents, vieillesse, déceptions, chagrins,
comme le montrent abondamment les textes canoniques racontant la vie du
Bouddha et de ses meilleurs disciples. Cette béatitude est-elle atteinte seulement
après la mort, après « l'extinction complète » ? Mais, on l'a vu, elle ne peut être, en
toute logique, que l'anéantissement total du saint, qui ne peut donc plus goûter une
telle béatitude non plus qu'aucun autre sentiment.
Cette dernière objection est cependant repoussée par les bouddhistes, qui se
fondent sur certains sermons où le Buddha déclare qu'on ne peut absolument rien
dire de celui qui s'est « complètement éteint », qu'aucun mot ne permet de le
désigner, qu'on ne peut prétendre ni qu'il existe, ni qu'il n'existe pas, ni qu'il existe et
n'existe pas tout à la fois, ni nier, conjointement, qu'il existe et n'existe pas. Comment
interpréter alors de telles paroles, contraires à toute logique ? Les adversaires et les
défenseurs du bouddhisme, aujourd'hui comme dans l'Antiquité, en Occident comme
en Orient, ont proposé des explications très différentes, dont on peut résumer ainsi
les principales.
Selon les uns, le Buddha savait très bien que ce parinirvana était l'anéantissement
complet ; toutefois, pour ne pas effrayer ses disciples, il a voulu le leur cacher en
tenant des propos sibyllins mais rassurants. Selon d'autres, le Bienheureux n'aurait
rejeté toutes les thèses d'ordre métaphysique, en particulier celle de l'existence du
« soi » (atman) et celle de l'existence du saint après « l'extinction complète », que
pour détourner ses disciples des vaines spéculations et pour les aider à se détacher
de toutes les passions fondées sur de telles croyances, égoïsme, désir, haine,
orgueil, etc.
On ne pourrait donc pas lui attribuer vraiment l'idée que le « soi » n'existe pas ni la
thèse du nirvana pur néant. D'après certains, le Buddha admettait un principe
personnel très subtil, immuable et éternel, qui, après avoir traversé la longue série
des transmigrations, goûte enfin la béatitude de la Délivrance. Mais pour d'autres, le
nirvana atteint par le saint après sa dernière existence serait un état de béatitude
sans fin, inconcevable et ineffable, au-delà des limites que peut toucher la pauvre
raison humaine, là où les notions d'existence et de néant n'ont plus aucun sens.
Ces divergences s'expliquent surtout par les contradictions et les imprécisions des
textes canoniques anciens, ces milliers de sermons que l'orthodoxie considère tous
comme ayant été prononcés par le Buddha lui-même et cela sous la forme où ils
nous ont été transmis. Or, presque tous ont été plus ou moins remaniés, et la plupart
même inventés, durant les deux ou trois siècles qui ont suivi le parinirvana du
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Bienheureux, par des disciples trop zélés, désirant donner ainsi un caractère
d'orthodoxie à leurs propres idées. Pour résoudre les contradictions que présentent
ces textes, il faudrait pouvoir y distinguer ce qui appartient réellement à la doctrine
prêchée par le Buddha de ce qui fut ajouté après. Malheureusement, cette tâche est
fort difficile, voire impossible.
Le nirvana selon le Mahayana 1
Le mot nirvana vient du mot sanskrit qui signifie « extinction ». Dans le bouddhisme,
il désigne un état de l'âme tenu pour parfait dans lequel tout désir, toute tension, et
donc toute anxiété a disparu. C'est la troisième « Noble Vérité » énoncée dans le
Sermon de Bénarès: le remède à l'universelle souffrance est le détachement
universel. Seul le détachement suprême peut alléger le karma, ce poids qui émane
de chacun de nos actes, et réaliser à notre mort le nirvana intégral (parinir vana). On
pourrait donc le définir comme l'anéantissement de tout désir, celui d'exister et celui
de ne pas exister.
Il est délivrance de la chaîne des réincarnations, du samsara. Bouddha a parlé du
nirvana dans des paraboles telles que celle de la lampe à huile: de même qu'une
lampe s'éteint faute d'huile, l'homme qui n'alimente plus les feux de ses désirs
s'éteint définitivement. Le nirvana n'est ni un lieu, ni un temps, ni bonheur éternel, ni
néant. Bouddha ne l'a pas défini autrement que par rapport à ce dont il faut se
libérer. En effet, le nirvana est un absolu sans cause (sinon il serait un effet «relatif»
à sa cause et cesserait d'être un « absolu »). Seul Bouddha a réalisé cet état en ce
monde, et connu la libération de toute illusion grâce à l'éveil (bodhi). La tradition
populaire bouddhiste représente cet état merveilleux comme un « refuge » de pureté
et de paix, comme une « autre rive », un séjour immuable. Dans la philosophie
hindoue, le nirvana est aussi appelé moksa. Pour un hindouiste, il y a en chacun un
souffle vital, une sorte d'âme immortelle (atman) qui est la manifestation individuelle
de la force créatrice de l'univers. Chacun n'est qu'un aspect du grand tat, « rien que
ce tout » (tat twan asi). Et le destin de chaque atman est de rejoindre ce grand tout.
Le nirvana est ce retour de l'atman au brahman (l'Absolu
Le nirvana perd de son importance dans le Mahayana, le grand mouvement de
réforme du bouddhisme du début de notre ère. La recherche de l'« extinction » y est
regardée avec dédain, comme entachée d'égoïsme, et les saints du Mahayana, les
Bodhisattva ou candidats à la condition de Buddha, font vœu de sauver tous les
êtres avant de goûter eux-mêmes la béatitude suprême, ce qui recule indéfiniment
leur propre délivrance.
La notion de nirvana diffère du reste sensiblement de ce qu'elle était dans le
bouddhisme ancien. Tout d'abord, elle n'implique plus la disparition complète et
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Dans le bouddhisme, le Nirvana correspond au dernier état de la contemplation caractérisé par
l'absence de souffrance et la connaissance de la vérité. Cet état transcendantal peut être atteint en
parvenant à se détacher complètement du monde réel et ordinaire, en particulier du désir et de la
concupiscence, considérés comme la source du malheur existentiel.C'est un état sans condition, ni
décomposition, au-delà de toute forme de vie connue et imaginée. L'âme se trouve alors délivrée de
toute transmigration ultérieure.Dans le bouddhisme hynayana (Petit Véhicule) il correspond à
l'extinction de la vieillesse et de la mort, à la fin des souffrances, au détachement et l'extinction des
passions.Dans le bouddhisme mahayana (Grand Véhicule), c'est un état de paix, de plénitude, de
félicité, terme de la recherche de la sagesse.Dans le brahmanisme, c'est un anéantissement total et
volontaire qui correspond à la fin du cycle des réincarnations.
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définitive des liens attachant le saint délivré au monde ordinaire et surtout aux êtres
qui y vivent ; il s'agit au contraire d'une « extinction non établie »
(apratisthitanirvana), c'est-à-dire non définitive, d'où l'on peut sortir à son gré pour
continuer à mener les hommes vers le salut. C'est pourquoi les légendes du
Mahayana montrent des Buddha quittant leur tombeau (stupa) pour prêcher la
doctrine.
Le Mahayana, pour qui tout est vide (sunya) de nature propre et par conséquent
illusoire, purement phénoménal, associe le nirvana au samsara ou monde des
transmigrations en un couple de contraires. Le nirvana est comme l'envers du
samsara, la réalité ultime cachée derrière les apparences de celui-ci, son aspect
incomposé (asamskrta), éternel, immuable, autrement dit sa nature de « vacuité »
(sunyata), laquelle n'en est pas moins elle-même vide de nature propre. Le salut est
atteint lorsque cesse le jeu des phénomènes et qu'on connaît enfin la vérité, tout
comme, pour prendre l'image qui est à l'origine du mot « bouddhisme », la réalité
apparaît lorsque l'« éveil » fait s'évanouir les illusions du songe. Cette réalité ultime,
qu'on appelle encore quiddité (tathata), élément des choses (dharmadhatu), nature
des Buddha (buddhata), est dite inconcevable et ineffable, hors du temps et de
l'espace, et, malgré sa nature vide, on ne peut affirmer qu'elle n'est pas.
Le nirvana dans les autres religions de l'Inde
Le mot nirvana sert aussi parfois à désigner le salut dans la littérature des autres
religions de l'Inde, des diverses sectes du jainisme et de l'hindouisme ; cependant il y
prend un sens différent puisque celles-ci admettent l'existence d'un principe
personnel - « soi », « principe vital » ou autre - qui, étant éternel, subsiste donc dans
l'état de délivrance et peut en goûter la béatitude. Ce salut, généralement appelé
« délivrance » (moksa), n'a guère de commun avec le nirvana du bouddhisme que sa
nature de cessation complète et définitive des renaissances, et ainsi des souffrances
qui accompagnent toute existence.
Pour le jainisme, la libération est atteinte quand le « principe vital » (jiva), ayant rejeté
toutes les conséquences de ses actes (karman) et toutes ses activités corporelles, se
retrouve « isolé » (kevalin), dans sa pureté naturelle, jouissant enfin pleinement,
grâce à sa conscience, de la « vue » infinie, de la connaissance infinie, de la
béatitude infinie et de la puissance infinie.
Si les diverses écoles du brahmanisme et de l'hindouisme s'accordent pour définir le
salut comme la délivrance du monde des transmigrations et de tout ce qu'il implique,
souffrance, mal, souillure, ignorance, illusion, retribution des actes, elles diffèrent sur
leurs conceptions de cet état. Selon les unes (Samkhya, Yoga), il serait
l'« isolement » (kaivalya) du principe personnel dans sa pureté essentielle ; pour
d'autres, l'union du « soi » (atman) avec le brahman universel, soit que le premier se
fonde dans le second, thèse soutenue par les Upanisad et par Sankara, soit que
l'atman conserve plus ou moins son individualité (autres écoles du Vedanta).
Presque toutes ces écoles affirment que cet état de libération est pure et éternelle
béatitude, bien que nombre d'entre elles précisent en même temps qu'il est une
inconscience totale, analogue à celle du sommeil profond, par suite de l'arrêt définitif
de toute activité mentale. Plusieurs d'entre elles reconnaissent l'existence de
« délivrés vivants » (jivanmukta) comparables aux saints bouddhiques qui ont atteint
le premier nirvana mais non pas encore l'« extinction complète ».
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Le Nirvana par Ajahn Thanissaro
Cet article a été publié dans le journal de la communauté vipassana de Barre, Massachussets "Insight
Journal" au Printemps 2005. Traduction par Christian Ousset.
Il y a longtemps, à l’époque du Bouddha, Nirvana (Nibbana en Pali) avait un verbe qui lui
était propre : "nibbuti". Il signifiait "éteindre", comme une flamme. Comme on pensait que le
feu était prisonnier lorsqu’il était en train de brûler, à la fois s’attachant au combustible dont il
se nourrissait et prisonnier de lui, son extinction était vue comme une libération. S’éteindre
c’était être sans entraves. Parfois un autre verbe était utilisé : "parinibbuti". Avec le préfixe
"pari", qui signifie total, ou tout autour, pour montrer qu’une personne sans entraves, comme
le feu, ne serait plus jamais prisonnière.
Maintenant que Nirvana est devenu un mot anglais, il devrait avoir son propre verbe pour
traduire également le sens d’ "être sans entraves". Actuellement, nous disons qu’une
personne "atteint" le nirvana, ou "entre" dans le nirvana, comme s’il s’agissait d’un lieu où
l’on peut aller. Mais le nirvana n’est absolument pas un endroit. Il n’est réalisé que quand
l’esprit cesse de se définir lui-même en termes d’endroit : d’ici, de là, ou d’entre les deux.
On croirait que l’on est en train de couper les cheveux en quatre - qu’est ce qu’un mot ou
deux peuvent faire pour notre pratique ? - mais l’idée du Nirvana comme un endroit a créé
de graves malentendus dans le passé, et pourrait facilement en créer de nouveaux. Il y eut
un temps où certains philosophes, en Inde, pensaient que si le Nirvana est un endroit et le
Samsara un autre endroit, alors quand vous entrez dans le Nirvana, vous êtes coincé ; vous
avez limité votre possibilité de mouvement parce que vous ne pouvez pas revenir dans le
Samsara. Pour résoudre le problème ils ont inventé ce qu’ils pensaient être un nouveau type
de Nirvana : un Nirvana non établi, dans lequel on pouvait être à deux endroits - Nirvana et
Samsara - en même temps.
En fait ces philosophes n’avaient pas compris deux points importants des enseignements du
Bouddha. Le premier c’est que ni le Samsara ni le Nirvana ne sont des endroits. Le Samsara
est un processus qui crée des endroits, parfois même des mondes complets (ce qui est
appelé le devenir), et qui permet ensuite de s’y promener (ce que l’on appelle la naissance).
Le Nirvana c’est la fin de ce processus. Vous pouvez être capable d’être à deux endroits en
même temps, mais vous ne pouvez nourrir un processus et faire l’expérience de sa fin en
même temps. Soit vous nourrissez le Samsara, soit vous ne le nourrissez pas. Si vous
éprouvez le besoin de parcourir librement et le Samsara et le Nirvana, alors vous êtes
simplement en train de créer davantage de Samsara et de continuer à vous enfermer.
Le deuxième point c’est que le Nirvana, depuis le tout début, est réalisé par une conscience
non établie - une conscience qui ne vient pas, ne s’en va pas, ne reste pas en place. Il n’est
aucun moyen que quelque chose de non établi puisse rester coincé où que ce soit, car il
n’est non seulement non localisé mais également non défini.
L’idée d’un idéal religieux reposant au-delà de l’espace et de la définition n’est pas une
exclusivité des enseignements du Bouddha, mais les problèmes de localisation et de
définition, aux yeux du Bouddha, avaient un sens psychologique spécifique. C’est pourquoi il
est important de comprendre la non localité du Nirvana.
De la même façon que tous les phénomènes ont leur racine dans le désir, la conscience se
localise elle-même par la passion. La passion est ce qui crée le "ici" où la conscience peut
prendre pied ou s’établir, que le "ici" soit une forme, un sentiment, une perception, une
construction de l’esprit ou un même un type de conscience. Une fois que la conscience s’est
établie sur un quelconque de ces agrégats, elle s’y attache et commence à proliférer, se
nourrissant de tout ce qu’elle y trouve et créant toutes sortes de désordres. Où qu’il y ait
attachement, c’est là que vous êtes défini en tant qu’être. C’est là que vous créez une
identité, et ce faisant vous vous limitez là. Même si ce là est un sens de conscience infinie
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prenant racine dans tout ce qui s’y trouve, l’entourant et le pénétrant, elle n’en reste pas
moins limitée, car "prendre racine" et ainsi de suite sont toujours des aspects d’une
localisation. Où qu’il y ait un endroit, aussi subtil soit-il, la passion gît dans l’attente,
cherchant davantage de nourriture pour s’en nourrir.
Cependant, si la passion peut être ôtée, alors il n’y a plus de "là". Un Sutta illustre ce point
avec un exemple : le soleil brillant au travers du mur est d’une maison et éclairant le mur
ouest. Si le mur ouest, le sol qui le soutient, et les eaux souterraines étaient tous enlevés, la
lumière du soleil ne pourrait pas se poser. De la même manière, si la passion pour la forme,
etc, pouvait être ôtée, la conscience n’aurait pas de "la" pour se poser, et de ce fait
deviendrait non établie. Cela ne veut pas dire que la conscience serait annihilée, mais
simplement que - comme le soleil - elle n’aurait plus maintenant de localisation. Sans
localisation elle ne pourrait plus être définie.
C’est pourquoi la conscience du Nirvana est dite "sans surface" (anidassanam), car elle ne
se pose pas. Comme l’agrégat de la conscience recouvre seulement la conscience proche
ou lointaine, présente ou passée ou future - c’est-à-dire en relation avec le temps et l’espace
- la conscience sans surface n’est pas comprise dans les agrégats. Elle n’est pas éternelle
car l’éternité est fonction du temps. Et comme non local signifie également indéfini, le
Bouddha insistait sur le fait qu’un être éveillé - à la différence des gens ordinaires - ne peut
en aucune manière être localisé ou défini par rapport aux agrégats dans cette vie ; après la
mort elle/lui ne peut être décrite comme existante, non existante, ni l’un ni l’autre ou les
deux, car les descriptions ne peuvent s’appliquer qu’aux choses définissables.
L’étape essentielle pour avancer vers cette réalisation non locale, indéfinie, est d’élaguer les
proliférations de la conscience. Cela comprend d’abord la contemplation des inconvénients à
garder la conscience prisonnière de ce processus de nourriture. Cette contemplation donne
un sentiment d’urgence pour avancer vers les étapes suivantes : amener l’esprit à se
concentrer en un seul point, raffinant peu à peu cette unicité, pour la réduire à zéro. Les
inconvénients du processus de nourriture sont décrits très graphiquement dans Samuytta
Nikaya XII.63 La chair d’un fils. Le processus de raffinage de la concentration en un point est
sans doute le mieux décrite dans Majjima Nikaya 121, Le discours mineur sur la vacuité,
alors que la réduction à zéro est le mieux décrite dans les célèbres instructions du Bouddha
à Bahiya :
"En référence à ce qui est vu, il n’y aura que ce qui est vu ; en référence à ce qui est
entendu, que ce qui est en-tendu. En référence à ce qui est senti, que ce qui est senti. En
référence à ce qui est connu, que ce qui est connu. C’est ainsi que vous devriez vous
entraîner. Quand pour vous il n’y aura que le vu en référence au vu, que l’entendu en
référence à l’entendu, que le senti en référence au senti, que le connu en référence au
connu, alors, Bahiya, il n’y a pas de vous en connexion avec cela. Quand il n’y a pas de vous
en connexion avec cela, il n’y a pas de vous ici. Quand il n’y a pas de vous ici, vous n’êtes ni
ici, ni là bas, ni entre les deux. Cela, cela seulement, est la fin de la souffrance ".
Alors sans ici, ni là bas, ni entre les deux, vous ne pouvez à l’évidence utiliser le verbe
"atteindre" ou "entrer" pour décrire cette réalisation, même de façon métaphorique. Peut-être
devrions nous faire du mot Nirvana un verbe : "Quand il n’y a pas de en connexion avec
cela, vous ’nirvana’". De cette façon nous pouvons montrer que cette libération est une
action que l’on ne peut comparer à aucune autre, et nous pouvons couper court à cette
interprétation erronée d’être "coincé" dans une totale liberté.
Ajahn Thanissaro
Association Terre d’Eveil - Méditation Samatha-Vipassana
01 43 28 29 51 ou 06 08 30 62 36
Email : [email protected]
http://www.vipassana.fr/
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Bibliographie
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F. CHENET dir., Nirvana, L'Herne, Paris, 1993
J. GONDA, Les Religions de l'Inde, t. I : Védisme et hindouisme ancien, Payot, Paris,
1962 ; t. II : L'Hindouisme récent, ibid., 1965
R. GROUSSET, Les Philosophies indiennes, Desclée De Brouwer, Paris, 1930
L. DE LA VALLÉE-POUSSIN, Nirvana, Nouvelle Librairie nationale, Paris, 1925 ; La
Morale bouddhique, Beauchesne, Paris, 1927
L. RENOU & J. FILLIOZAT, L'Inde classique, Maisonneuve et Larose, Paris, 19471953.
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