Caractérisation de l’influence des contraintes mécaniques sur les propriétés de transport dans les nouvelles architectures MOS Florent ROCHETTE CEA – LETI / D2NT / LSCDP 17 rue des Martyrs 38 054 GRENOBLE Cedex 09 en collaboration avec l’IMEP 23 rue des Martyrs BP 257 38 016 GRENOBLE Cedex 01 Email : [email protected] Résumé Dans cet article, nous expliquons les avantages liés à l’utilisation des contraintes mécaniques dans le canal des MOSFETs. Nous montrons leurs impacts sur la structure de bande du silicium ainsi que la répercussion sur la mobilité des porteurs, paramètre essentiel pour le fonctionnement des dispositifs à effet de champ. Nous montrons aussi l’effet d’une contrainte uniaxiale et biaxiale pour différents types d’architectures (« bulk » et sSDOI) en soulignant les points qui demandent à être approfondis. de la contrainte sur le transport dans les dispositifs MOS est donc fondamentale. Nous commencerons cet article par une introduction à la physique du silicium contraint ainsi qu’à l’explication des avantages liés à ce matériau vis-à-vis du paramètre de transport ici étudié, à savoir la mobilité des porteurs. Nous illustrerons ensuite ceci par quelques résultats expérimentaux en insistant sur les points qui restent à éclaircir d’un point de vue de la compréhension des phénomènes physiques associés (confrontation prédictions théoriques / résultats expérimentaux). 2. Pourquoi utiliser du silicium contraint ? 1. Introduction Depuis l’invention du transistor en 1947, la réduction d’échelle (« scaling ») des circuits CMOS en silicium a non seulement permis une croissance exponentielle de la densité d’intégration des circuits CMOS (loi de Moore [1]), mais aussi une augmentation simultanée des performances du transistor lui-même. Mais avec des longueurs de grille décananométriques et des épaisseurs de grille de l’ordre du nanomètre comme spécifiées par l’ITRS1 [2] pour les futures générations de transistors à effet de champ à structure de grille métal-oxyde-semiconducteur (MOSFETs), des limitations physiques, telles que les courants de fuite à l’état bloqué et le transport balistique, font de la réduction continuelle des dimensions un difficile défi à relever pour les années à venir. Pour continuer l’amélioration historique des performances des dispositifs CMOS, l’industrie de la microélectronique a désormais besoin d’utiliser de nouvelles architectures et de nouveaux matériaux. En particulier, l’amélioration des propriétés de transport est devenue une nécessité pour assurer simultanément un gain en rapidité et une réduction de la consommation des circuits CMOS. Ayant commencé avec le nœud technologique 90-nm, l’amélioration de la mobilité des porteurs grâce à l’introduction de contraintes mécaniques dans le canal de conduction induites par le procédé de fabrication, est apparue comme le prochain vecteur de « scaling », largement adopté dans les technologies logiques aujourd’hui [3]. La compréhension et la maîtrise des effets 1 International Technology Roadmap for Semiconductors Le silicium contraint est étudié depuis plus de 50 ans [4], mais il attire actuellement un regain d’intérêt pour étendre son application aux couches d’inversion contraintes des architectures MOSFETs actuelles [5]-[6]. Figure 1. Structures de bandes du silicium (a) non contraint et (b) contraint en tension biaxiale (épitaxié sur un substrat SiGe0.3) calculées par une méthode k.p 30x30 d’après [7] 2.1 Effet d’une contrainte mécanique sur la structure de bande du silicium L’application de contraintes mécaniques sur un matériau cristallin modifie la périodicité et les symétries de son réseau et peut même changer la nature de sa maille ; ce qui affecte directement sa structure de bande. La contrainte mécanique agit donc directement sur la structure de bande d’un matériau semi-conducteur et ainsi sur ses propriétés électroniques. Deux effets fondamentaux en découlent : une levée de dégénérescence des minima des bandes de conduction et de valence (visible sur les Fig.1 (a) vs Fig.1 (b)) et une modification des masses effectives (principalement pour les trous) [6]-[7]. Dans le cas d’une contrainte en tension biaxiale, ayant pour origine la différence de paramètre de maille lors de la croissance par épitaxie d’une couche de silicium sur un substrat relaxé en SiGe, les vallées ∆2 descendent en énergie par rapport aux vallées ∆4 (Fig. 1). Les vallées ∆2 représentent les deux vallées de la bande de conduction possédant une masse de confinement (perpendiculaire au plan du transport) longitudinale alors que les quatre vallées ∆4 possèdent une masse de confinement transverse. Ainsi les vallées ∆2 seront préférentiellement peuplées sous l’effet d’une contrainte en tension. 2.2 Effet d’une contrainte mécanique sur la mobilité des porteurs La mobilité des porteurs est donnée par une relation du type : q.τ (σ ) µ= (1) m* (σ ) où 1 / τ représente la somme des fréquences d’interactions (prenant en compte les différents mécanismes de dispersion que subissent les porteurs) et m * est la masse effective de conductivité. La contrainte permet d’augmenter la mobilité en réduisant les fréquences des interactions et/ou la masse effective de conductivité. 2.2.1 Gain en mobilité des électrons d’un gaz 2D Pour les électrons d’une couche d’inversion (gaz 2D), l’augmentation de la mobilité avec la contrainte s’explique principalement par deux aspects. Du fait de la levée de dégénérescence des six vallées de la bande de conduction du silicium, il y a d’une part une réduction voire une suppression des interactions entre les électrons et les phonons inter-vallées ∆2-∆4 et d’autre part un peuplement préférentiel des vallées ∆2 qui présentent une meilleure mobilité puisqu’il y a moins d’interactions avec les phonons dans les vallées ∆2 que dans les vallées ∆4 [8]. Alors que la diminution de la masse effective de conduction moyenne, due au dépeuplement des vallées ∆4 au bénéfice des vallées ∆2 (ayant une masse de conductivité plus faible que celle des vallées ∆4), permet d’expliquer quasi-totalement l’augmentation de la mobilité dans le silicium massif (gaz 3D), cela n’explique plus l’amélioration de la mobilité des électrons confinés dans une couche d’inversion de silicium contraint [9], comme cela a longtemps été admis. En effet la mobilité limitée par les interactions avec les phonons acoustiques (interactions intra-vallée) est le mécanisme dispersif dominant (à température ambiante) et a presque la même valeur dans les vallées ∆2 et ∆4. Ceci vient du fait que la différence de masse effective de conductivité est compensée par les différences entre l’épaisseur de la couche d’inversion (qui dépend de la masse effective) et le niveau de dégénérescence des vallées ∆2 et ∆4 [8]. La mobilité limitée par les seules interactions avec les phonons intra-vallées s’écrit sous la forme µ ac = h ρs l2 e 2 m c m d n v D ac k BT 3 W (2) où mc est la masse de conductivité parallèle à la surface, md est la masse de densité d’états parallèle à la surface, nv est la dégénérescence des vallées dans lesquelles les électrons subissent des collisions et W est l’épaisseur effective de la couche d’inversion (les autres valeurs sont des constantes physiques). Ainsi le rapport des mobilités correspondant à chacune des vallées ∆2 et ∆4 est donné par µ ac 4 m c 2 m d 2 n v 2 W4 = µ ac 2 m c 4 m d 4 n v 4 W2 (3) 0.19 0.19 2 4.7 ≈ ≈1 0.315 0.42 1 2.7 Les valeurs de W ayant été estimées pour une concentration de porteurs en surface de 1012 cm-2. On comprend clairement à partir de la relation (3) que l’augmentation des fréquences d’interactions avec les phonons acoustiques intra-vallées (liées au confinement plus important dans les vallées ∆2) compense le gain de masse de conduction. Le gain en mobilité provient bien alors des seules réductions des interactions électrons/phonons inter-vallées pour un gaz 2D (qui est le deuxième type d’interaction électrons/phonons). 2.2.2 Gain en mobilité des trous d’un gaz 2D En revanche, pour les trous, les mécanismes prépondérants permettant d’expliquer les gains en mobilité sont à la fois le changement de masse effective dû à la déformation de la structure de bande et la repopulation des trous puisqu’aux niveaux de contraintes actuels dans les dispositifs, la levée de dégénérescence de la bande de valence est plus faible que pour la bande de conduction. La mobilité des trous est beaucoup plus complexe à modéliser puisque la bande de valence est profondément affectée sous l’effet d’une contrainte mécanique. On comprend à travers ces explications que la piézorésistivité du silicium massif (gaz 3D) diffère de celle d’un gaz 2D. 3. Résultats expérimentaux pour des n-MOS sous contrainte uniaxiale ou biaxiale Nous avons étudié la mobilité de transistors nMOS sous deux types de contraintes mécaniques, comparativement à leur référence sans contrainte. 3.1 Mesures sur dispositifs bulk sous contrainte uniaxiale faible selon [110] Figure 2. Banc expérimental de flexion quatre points permettant d’appliquer une contrainte uniaxiale externe en tension ou en compression jusqu’à 200 MPa 400 σ = 0 à 156 MPa µeff (cm²/V/s) 350 3.2 Mesures sur dispositifs innovants fortement contraints en tension biaxiale selon [110] 300 200 150 s-Si s-Si L x W = 50 x 50 µm 100 50 BOX substrat SiGe NMOS bulk 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 1.2 1.4 Eeff (MV/cm) Figure 3. Evolution de la mobilité effective en fonction du champ électrique effectif pour différents niveaux de contraintes uniaxiales en tension pour un n-MOSFET Tout d’abord nous avons mesuré la mobilité effective en fonction du champ effectif sur un transistor à architecture classique (bulk) pour différents niveaux de contrainte mécanique uniaxiale appliquée de façon externe grâce à un banc de flexion 4 points (Fig.2) développé au laboratoire. Ce banc nous permet d’appliquer une contrainte constante entre les deux appuis internes. La valeur de la contrainte dans le canal du transistor est estimée par un calcul issu de la théorie des poutres nous donnant une relation analytique entre la contrainte en surface de l’échantillon, la flèche (déplacement des deux appuis externes par rapport aux deux appuis internes), les dimensions de l’échantillon et ses propriétés mécaniques (module de Young). La figure 3 montre les résultats expérimentaux de mobilité effective sur un transistor long et large (50 x 50 µm). La mobilité des électrons augmente avec une contrainte uniaxiale en tension, ce qui est conforme aux prédictions théoriques sur du silicium massif [4] et aux mesures expérimentales déjà observées sur des technologies plus anciennes [5]. Sur la figure 4 est représentée l’évolution du gain en mobilité en fonction de la contrainte appliquée pour deux valeurs de champ effectif. On peut remarquer qu’à fort champ (1,44 MV/cm), il existe toujours un gain en mobilité de l’ordre de 6 % pour une contrainte de seulement 160 MPa. Le gain maximal (8 %) est obtenu pour un champ effectif plus faible (0,57 MV/cm). Figure 5. Architecture à canal contraint en tension biaxiale directement sur isolant (sSDOI) Nous avons ensuite mesuré le gain en courant sur un transistor à canal contraint directement sur isolant (sSDOI pour strain Silicon Directly On Insulator). Un schéma de la structure du dispositif est représenté sur la figure 5. Dans ce type d’architecture, la contrainte est de type biaxiale en tension, ce qui permet d’augmenter la mobilité des électrons. Sur la figure 6 on constate, comme dans le cas d’une contrainte uniaxiale, que le gain est très bien conservé à fort champ. À noter ici que le gain est beaucoup plus fort (60 %) puisque le niveau de contrainte est plus élevé (de l’ordre de 1,4 GPa) dans ce type d’architecture, comparé à notre méthode expérimentale. On remarque également que le gain augmente lorsque la tension de grille devient légèrement supérieure à la tension de seuil du dispositif. En régime de faible inversion, la mobilité est limitée principalement par les interactions coulombiennes (défauts chargés électriquement) qui sont a priori insensibles à la contrainte. Ces interactions diminuent à cause de l’écrantage des charges par les porteurs en inversion (à plus forte densité de porteurs). La mobilité devient alors principalement limitée par les interactions avec les phonons du réseau cristallin (vrai à température ambiante ou plus et pour des champs électriques modérés, typiquement < 1MV/cm). Ainsi plus la part des phonons augmente dans la limitation de la mobilité, plus le gain dû à la contrainte augmente (Fig.6), et c’est dans cette zone de champ que le gain en mobilité est théoriquement le plus important. 8 70 Eeff=1.44 Mv/cm Eeff=0.57 MV/cm 7 6 Gain en courant (%) gain en mobilité (%) nFET sSDOI 250 5 4 3 2 1 0 0 20 40 60 80 100 120 140 160 Contrainte (MPa) Figure 4. Gain en mobilité effective pour une architecture bulk à faible et fort champ en fonction de la contrainte appliquée de façon externe selon [110] 60 SSDOI 50 40 20% Ge 1,4 GPa sSDOI vs FDSOI 30 20 10 0 0.0 NMOS 0.2 0.4 L x W = 10 x 10 µm 0.6 0.8 1.0 1.2 1.4 Vg-Vt (V) Figure 6. Gain en courant mesuré en régime linéaire pour un transistor sSDOI (σ σ ≈ 1,4 GPa) par rapport à un transistor SOI non contraint 4. Gain à fort champ effectif 5. Conclusions Alors que le gain observé à champ effectif modéré est relativement bien compris aujourd’hui [8], le gain observé à fort champ effectif sous l’action d’une contrainte mécanique est toujours incompris. Et il est observé aussi bien pour une contrainte uniaxiale que pour une contrainte biaxiale [§3.1 et §3.2]. En effet, à fort champ, la mobilité est essentiellement limitée par les interactions avec la rugosité de surface, a priori indépendantes de la contrainte. En outre, plus le champ électrique augmente, plus le confinement quantique est fort, ce qui a pour effet d’accroître la séparation des niveaux d’énergies des vallées ∆2 et ∆4 et donc le peuplement des vallées ∆2 par rapport à celui des vallées ∆4. Ainsi à fort champ effectif, seules les vallées ∆2 sont peuplées d’électrons puisque leur masse effective de confinement (selon la direction [001]) est supérieure à celle des vallées ∆4. Le gain entre une architecture à canal contraint et non contraint dû à la séparation des vallées par la contrainte n’a alors plus lieu d’exister. Pour rendre compte de ce phénomène, un effet de la contrainte sur la rugosité de surface est envisagé [10]-[11]. Pour la suite de cette étude, nous nous focaliserons sur ce phénomène important puisque les dispositifs MOS fonctionnent habituellement dans ce régime de fort champ effectif. Les prochaines générations de circuits CMOS intégreront des transistors à canal contraint. Il est alors nécessaire de comprendre quelles sont les architectures les plus prometteuses en terme de gain en courant et dans quelles plages elles sont efficaces. Ce travail nous a permis de poser les bases de la compréhension des mécanismes physiques responsables des gains observés avec des canaux contraints. Certains points non compris restent à résoudre, notamment le gain conservé à fort champ vertical pour du silicium en tension uniaxiale ou biaxiale. Références [1] G. Moore, Electronics, vol. 38, n°8, p. 114-117, 1965 [2] http://public.itrs.net [3] S.E. Thompson, IEEE EDL, vol.25, p.191-193, 2004 [4] C.S. Smith, Phys. Rev., vol. 94, n°1, p.42-49, 1954 [5] J. Welser, IEEE EDL, vol.15, n°3, p.100-102, 1994 [6] M.V. Fischetti, J. Appl. Phys., vol. 80, n°4, p.2234-52, 1996 [7] S. Richard, J. Appl. Phys., vol. 94, n°8, p. 5088-5094, 2003 [8] S. Takagi, J. Appl. Phys., vol. 80, n°3, p. 1567-1577, 1996 [9] G. Dorda, J. Appl. Phys., vol. 42, n°5, p. 2053-2060, 1971 [10] J.R. Watling, SSE, vol.48, p.1337-1346, 2004 [11] F. Andrieu, Transistors CMOS décananométriques à canaux contraints sur Si massif ou sur SOI, thèse INPG, 2005.