de la célébration chrétienne est nommée « communion » : il s'agit du moment de
communication mystique avec la divinité, mais aussi avec les autres membres de la
communauté chrétienne assemblée.
Une telle conception oblige à penser différemment la mémoire sociale et sa
transmission. Celle-ci ne résulte pas d'une opération intentionnelle de transfert, mais
tient à des signes de toute nature. Les rois et les hommes d'Etat le savent de tout
temps, qui ne cessent durant leur « règne » de créer des signes destinés à la mémoire
(statues, bâtiments, rituels, écrits, discours, etc.) Dans les processus réels de
communication culturelle, nul ne peut prétendre dire : « J'ai transmis ma pensée. »
L'anthropologue remarque avant tout, comme le sémiologue Roland Barthes (1915-
1980) l'avait fait, que « tout signifie ». Dans l'exemple de la célébration religieuse, la
transmission et la communication sont autant l'oeuvre des paroles prononcées que de
l'ordonnancement du rituel, de l'architecture et du dispositif scénique utilisé. De manière
générale, on peut dire que si nous transmettons quelque chose de précis aux autres, il
est difficile de savoir quoi. De plus, si nous le pouvons, c'est sur un fond de participation
à une production de sens incessante et collective que nous ne contrôlons pas.
Du point de vue des sciences de l'information et de la communication, ce principe a été
rendu célèbre par l'image de l'orchestre opposée à celle du télégraphe, métaphore
empruntée par Yves Winkin (2) à plusieurs auteurs américains pour définir la « nouvelle
communication ». Ces chercheurs, regroupés dans ce qu'on a parfois nommé l'école de
Palo Alto, se sont appuyés sur le concept central d'interaction. Avant l'école de Palo
Alto, le linguiste Mikhaïl Bakhtine (1895-1975) avait déjà affirmé un « principe dialogique
», qui veut que chacun de nos énoncés soit avant tout une réponse à d'autres énoncés.
Une seconde critique du modèle transitif standard, postulant l'équivalence entre
communication et diffusion, s'est développée à partir de la sémiotique, discipline qui
s'interroge sur l'élaboration des signes de la communication et leur signification (3). La
sémiotique contemporaine n'est pas une simple théorie du code. Elle analyse à la fois la
présence des objets (une affiche, un discours écrit, un tableau) dans leur singularité,
leur inscription dans une histoire des formes, leur utilisation par les individus, etc.
Prenons le cas du développement d'un courant politique, comme le mouvement
antimondialisation actuel. Celui-ci dépend de la diffusion matérielle de nombre d'objets,
livres, revues, mails, etc. Ces supports matériels véhiculent des idées et des réflexions
politiques, les combattent, les discutent. Ce processus n'est ni un simple transport
matériel, ni une pure diffusion intellectuelle, venue d'on ne sait quel centre. Il est fait de
pratiques de dispositifs, de genres d'expression, de formes d'émotion partagée face à
des types de situations : pétitions, essais littéraires ou discours politiques, réunions,
manifestations, meetings. Il convoque des références multiples, impose des présences,
anticipe des usages. Ce mouvement procède d'une construction graduelle de
représentations et d'interprétations, incarnée dans un ensemble d'objets signifiants : des
conversations ont participé à l'émergence de représentations et de notions communes ;
le sentiment partagé d'un certain type d'impuissance face à la mondialisation a
engendré le projet d'un pragmatisme actif (sans compter l'histoire de la lutte sociale des
cinquante dernières années, qui montre la nécessité de prudence face aux idéologies
générales) ; des articles de fond ont dénoncé une uniformisation idéologique et promu
une invention terminologique (la « pensée unique », le « néolibéralisme » la « malbouffe
», etc.) ; une multitude de textes a répercuté des récits exemplaires d'utilisation des
médias ; une manifestation a investi de façon inédite le temps et l'espace de la ville, etc.
A ces critiques disciplinaires du modèle transitif s'est ajouté une réflexion de plus en plus
approfondie sur le rôle et l'importance des médias ou des technologies de l'information
et de la communication, mais aussi une nouvelle attention portée aux formes et
méthodes de la médiation entre « producteurs » et « récepteurs ».
L'examen réel des médiations
Il faut souligner que l'observation des processus de médiation est chose récente pour
les sciences de l'information et de la communication. Au fond, le succès du modèle
transitif a correspondu surtout à un état d'ignorance sur la réalité des pratiques
culturelles ordinaires. La culture légitime était censée s'engendrer spontanément, puis
faire l'objet d'une diffusion, de l'extérieur. Dans ce cadre, aucun réel intérêt n'était
accordé aux pratiques effectives par lesquelles les « objets » de communication
idées, doctrines) deviennent des biens communs : pratiques de collecte
Communication, transmission, un couple orageux
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