ÉDUCATION THERAPEUTIQUE : CONTRE-PROPOSITIONS AU RAPPORT JACQUAT Erreur sur le remède, remède à l’erreur Pour une éducation thérapeutique intégrée dans un programme personnalisé d’accompagnement et de suivi des patients souffrant d’affections chroniques Position Paper – Septembre 2010 1 « L’éducation thérapeutique a le mérite immense de donner consistance au principe de solidarité qui unit soignants et soignés. Il s’agit pour les patients d’une avancée considérable.» Roselyne Bachelot-Narquin Discours de remise du rapport du CISS « Mission Éducation thérapeutique du Patient » 2 septembre 2008 2 QUELQUES MOTS DE SYNTHESE … R econnue par la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires, l’éducation thérapeutique doit constituer une priorité de santé publique et devrait être équitablement accessible à toute personne souffrant d’une pathologie chronique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, loin s’en faut. « La plupart des malades chroniques ne bénéficient d’aucun programme d’éducation thérapeutique », déplore la Société française de santé publique (1), regrettant que les programmes proposés soient essentiellement hospitaliers «alors que les patients atteints de pathologies chroniques résident à domicile ». Faute de reconnaître le rôle propre des infirmiers en matière d’éducation, la France a pris un retard préoccupant dans l’accessibilité des programmes d’éducation thérapeutique. Si ce retard ne constitue pas une fatalité, les recommandations formulées par Denis Jacquat ne permettent toutefois aucunement de répondre à cette exigence de déploiement rapide et pérenne. Elles sont totalement irréalistes, comme la FNI le démontre dans ces quelques pages. Ainsi, et à en juger aux faits, l’exception française dans le concert international consisterait-elle à systématiquement renier et sous employer ses propres talents, pour créer ex nihilo des maisons de santé dont la généralisation chimérique sur le territoire serait un préalable à l’accès à l’éducation thérapeutique ? Eu égard à la formation et aux compétences des infirmières, ainsi qu’à leur proximité et à leur présence quasi quotidienne sur le lieu de vie de leurs patients, et eu égard à l’impérieux besoin de cohérence entre soins et éducation, entre soins et suivi personnalisé, l’accompagnement par les infirmiers libéraux des patients atteints de pathologies chroniques constitue une véritable opportunité pour la collectivité nationale. Sur cette évidence et de l’aveu même de Denis Jacquat, auteur du rapport remis au Premier Ministre et lui-même médecin, « Seule la formation d’infirmier intègre aujourd’hui l’éducation thérapeutique. La formation conduisant au diplôme d’État assure à l’infirmier la compétence nécessaire pour concevoir, formaliser et mettre en œuvre une démarche d’éducation thérapeutique. ». L’éducation thérapeutique est donc bien une affaire de soignants ! 3 Dès lors, pourquoi s’obstiner à cloisonner, à fantasmer sur la montée en puissance de nouvelles et dispendieuses structures ou à spéculer sur la formation d’une prochaine génération de médecins à l’éducation thérapeutique ? La FNI, première organisation représentative des 70.000 infirmiers libéraux, propose, au contraire, d’apporter de la cohérence au système de santé en reliant l’éducation avec le suivi personnalisé des patients. Ce faisant, la France pourra enfin rejoindre les options prises par tous les autres pays du G5 et répondre aux recommandations de ses propres autorités compétentes de santé publique en intégrant l’éducation dans la stratégie de traitement et de soins. Cette éducation, qui sera sécurisée avec l’appui des technologies de communication aujourd’hui disponibles bien que non encore déployées, s’inscrit dans la prise en charge au long cours des personnes atteintes de pathologies chroniques pour leur bien-être, et permettra subsidiairement de maîtriser le risque inflationniste des dépenses de soins consacrées aux ALD. Dans un contexte budgétaire délétère et face au déficit abyssal de la sécurité sociale, notre pays est contraint par l’impérieuse nécessité de contenir la hausse des dépenses liées au vieillissement de la population sans altérer la qualité des prestations de santé. Dans ce contexte, les programmes hautement efficients, qui améliorent à budgets maîtrisés la qualité des soins, sont les seuls qui doivent conduire la politique de la santé publique. C’est ce type de programme au service de la collectivité que propose la FNI, dont la présente note précise la pertinence et l’urgence de mise en œuvre. Suivi personnalisé et éducation réduisent les ré hospitalisations, limitent la progression de la maladie et le risque de complications, et constituent autant de dépenses inutiles évitées. L’appui avisé sur les infirmiers libéraux permettra de cibler le suivi personnalisé au bénéfice de près d’un million de patients en ALD qui génèrent à eux seuls plus de 50 milliards d’euros de dépenses de santé (3), soit près du tiers de l’ONDAM ! Consciente de ses responsabilités et de sa mission, la FNI formule dans la présente note une série de contre-propositions simples, réalistes et sans surcoûts, qui constituent un gisement d’efficience au service du patient et de la collectivité. 4 Ces propositions alternatives sont au reste parfaitement en ligne avec les recommandations du Conseil de la CNAMTS qui plaçait, en juillet 2010, en tête de liste de ses propositions pour améliorer l’efficience du système de santé « l’accompagnement des personnes souffrant de pathologies chroniques ». Pour la sécurité et le bien-être équitables des patients, l’éducation thérapeutique doit rester un domaine d’exercice des professionnels de santé. Le rapport Jacquat, qui encourage et invite les industriels à financer directement les programmes d’éducation, soulève de graves questions d’éthique, dont la presse et les assureurs complémentaires se sont largement fait l’écho. D’ailleurs, est-il raisonnable de les confier aux firmes pharmaceutiques et de leur déléguer des missions au service supposé de l’intérêt des patients ? Est-on prêt à prendre le risque de soumettre la santé de nos concitoyens aux conflits d’intérêts auxquels ces firmes sont régulièrement confrontées ? Au final, comme le réclament les Associations de patients, l’éducation, le suivi personnalisé doivent être rapidement et équitablement rendus accessibles pour améliorer la qualité de vie de tous, pour prévenir les complications, et pour maîtriser la hausse des dépenses de santé sans sacrifier la qualité des soins. La présente note a été rédigée en ce sens, afin que la France comble enfin le retard dramatique qu’elle affiche en matière d’éducation thérapeutique dans le concert international. 5 SOMMAIRE Une analyse correcte, des préconisations inadaptées Les trois incohérences rédhibitoires du rapport Jacquat Contre-propositions réalistes et rapidement opérationnelles Un risque politique et sociétal majeur Annexes – Exemples d’améliorations attendues 6 UNE ANALYSE CORRECTE DE LA SITUATION, DES PRECONISATIONS INADAPTEES Si la FNI a accueilli avec grand intérêt le rapport du député Denis Jacquat, sa lecture laisse une question prégnante en suspens : peut-on encore se permettre de perdre une vingtaine d’années dans ce qui constitue certainement le moyen le plus efficace et avec une efficience renforcée de contenir la hausse des dépenses liées aux affections de longue durée ? En effet, le retard et le constat de carence de la France dans le développement de l’éducation des patients sont pénalisants pour des millions de malades qui aspirent, à juste titre, à une gestion plus autonome de leur maladie. A cet égard, le rapport du député Jacquat pose une série de constats tout à fait pertinents. Il relève ainsi avec justesse le décalage entre « le lieu où se situe l’offre d’éducation thérapeutique essentiellement hospitalo-centrée et le lieu où se situe la demande des patients chroniques suivis en secteur ambulatoire ». Il observe que tous les patients en affection de longue durée doivent avoir la possibilité de bénéficier d’une éducation personnalisée. Mais il reflète également un manque de connaissances de la médecine ambulatoire et s’éloigne des grandes préconisations des sociétés savantes telles que celles du Haut Conseil de la santé publique ou encore de la Haute Autorité de Santé. La FNI déplore donc vivement certaines préconisations du rapport qui, de toute évidence, n’ont pas été élaborées à l’issue d’un solide raisonnement intellectuel consécutif aux diagnostics posés, mais semblent avoir été téléguidées, en cohérence avec la volonté politique de développer des maisons et pôles de santé. La FNI se propose, dans la présente note, de souligner les incohérences et de formuler des propositions en rapport avec les besoins réels de la collectivité. PREMIERE INCOHERENCE La FNI met en relief une première interrogation eu égard au postulat retenu pour définir l’éducation thérapeutique. Elle fait remarquer que, dans les autres pays européens et anglo-saxons, l’éducation thérapeutique en tant que telle n’existe pas, mais est incluse dans un concept plus large d’éducation du patient, encore appelé autonomisation ou empowerment. L’approche française, campée dans une posture issue de l’héritage de pratiques du siècle dernier, est probablement issue de la tradition culturelle de notre pays, Peut-on, de façon réaliste dissocier l’apprentissage d’un patient au bon usage de son traitement de son accompagnement général ? … centrée sur l’approche exclusivement médicale de la santé. Comme l’indiquent sans ambiguïté Messieurs Christian Saout, Bernard Charbonnel et Dominique Bertrand dans leur rapport remis en juin 2010 (1), « La France a choisi de décomposer l’éducation thérapeutique du patient selon trois modalités opérationnelles ». Ces modalités s’articulent autour de trois axes : « des programmes médicalisés, des actions d’accompagnement, des programmes d’apprentissage », dont la finalité vise « l’appropriation par les patients des gestes techniques permettant l’utilisation d’un médicament le nécessitant. » Si la somme de ces actions correspond aux concepts validés au plan international, il est permis de s’interroger sur la nécessité de compartimenter ainsi cette approche dans un système de santé qui souffre déjà cruellement, au détriment des professionnels de santé et des patients, de solides cloisonnements. Or, peut-on de façon réaliste dissocier l’apprentissage d’un patient au bon usage de son traitement de son accompagnement général? Le statut quo entretenu est-il bien raisonnable alors que les instances spécialisées françaises et internationales postulent clairement l’inverse ? La réponse tombe d’autant plus sous le sens que ces instances, à commencer par le Haut Conseil de Santé Publique, recommandent depuis de nombreuses années d’intégrer l’éducation thérapeutique aux soins de premier recours. L’avis des instances spécialisées que la France a missionnées serait-il donc purement consultatif sur ces enjeux essentiels de santé publique ? En effet, il est désormais généralement admis que l’éducation du patient à la prise en charge de sa maladie ne peut être dissociée des soins qui lui sont prodigués. Ceci d’autant plus que cette position fait l’objet d’un consensus international. Ainsi, pour l’OMS, l’éducation thérapeutique devrait être systématiquement intégrée dans les soins délivrés aux personnes souffrant de maladie chronique. En France, dans une recommandation publiée en novembre 2009, c’est le Haut conseil de santé publique qui se prononce pour l’intégration de l’éducation thérapeutique aux soins de premier recours. Cette vision est au reste partagée par 1 Christian Saout, Président du CISS , telle que consignée dans le rapport pour une politique nationale d’éducation remis par cette personnalité en septembre 2008 au ministère de la Santé. Il conclut à une définition opérationnelle de 1 Collectif Inter associatif sur la santé, www.leciss.org 7 l’éducation thérapeutique du patient comme processus structuré, intégré à un plan de soins. « L’éducation thérapeutique constitue, pour un certain nombre de pathologies chroniques, un élément indispensable de la stratégie de traitement et de soins dont elle fait partie intégrante. » Enfin, pour la Haute Autorité de Santé, l’éducation est indissociable des traitements et des soins, du soulagement des symptômes, de la prévention des complications. La France va-t-elle rester encore durablement à contre-courant et de ses propres instances spécialisées et des recommandations internationales en matière de politique de santé publique ? DEUXIEME INCOHERENCE Le rapport place le médecin traitant au cœur de l’action d’éducation des patients et au cœur du développement des actions d’éducation. Or, de l’aveu même des praticiens, ces derniers « méconnaissent à la fois l’intérêt et le contenu de l’éducation thérapeutique », et ignorent l’existence de professionnels dûment formés à cette fonction inscrite dans leur rôle propre, à savoir les infirmiers. Le rapport Jacquat, dont l’auteur est luimême médecin, constate pourtant que « les professions paramédicales sont plus en avance que les formations médicales… seule la formation d’infirmier intègre aujourd’hui cette thématique. » La formation conduisant au diplôme d’Etat assure à l’infirmier la compétence nécessaire pour « initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs, notamment concevoir, formaliser et mettre en œuvre une démarche d’éducation thérapeutique. » Le bon sens et l’efficience en matière de politique de santé publique voudraient que l’on s’appuie sur les professionnels déjà formés et dont l’éducation thérapeutique est partie intégrante du métier, à savoir les infirmiers. Faire le choix d’attendre de créer de nouveaux métiers ou de former les médecins qui, jusqu’à présent, ne suivent pas d’enseignement en éducation thérapeutique, aura pour conséquence de retarder d’une dizaine d’années la montée en puissance du nombre de patients qui bénéficient d’une éducation personnalisée à la prise en charge de leur pathologie. Est-ce ainsi que la France veut faire évoluer son système de santé déjà fortement malmené ? La FNI rappelle que l’éducation fait partie des missions dévolues aux infirmiers et inscrites dans leur décret de compétences. L’infirmier est le professionnel le mieux placé pour assurer cette éducation puisque les compétences requises sont au cœur de son rôle propre. De plus, quasi La France va-t-elle rester encore durablement à contre-courant de ses propres instances spécialisées et des recommandations Internationales ? quotidiennement au contact des patients sur leur lieu de vie, il est le vecteur idéal pour assurer la rencontre entre l’univers des soignants et celui des patients. A ce titre et comme l’indique le docteur Houlbert, endocrinologue diabétologue CHIC Alençon Mamers, il assure, dans un environnement sécurisé, la confrontation du savoir théorique médical à l’univers vivant des soignants ce qui est la définition de l’éducation thérapeutique. Comme le rapport Jacquat le souligne très justement, les infirmiers sont les seuls professionnels formés à l’ETP dans leur formation initiale. Il convient évidemment de capitaliser sur les savoir et savoirfaire de ceux dont les missions d’éducation sont clairement définies par leur rôle propre. L’éducation - ce ne sont pas les infirmiers qui le disent mais le docteur Jacquat - est donc bien une affaire de soignants. Faut-il encore rappeler, comme le formule le Conseil national de l’Ordre des médecins (2) que « L'éducation thérapeutique du patient concerne les actions d'éducation liées au traitement curatif ou préventif d'une pathologie chronique et repose pleinement « sur le ou les soignants » dont l'activité d'éducation thérapeutique fait partie intégrante de la définition de la fonction soignante. Il s'agit d'un processus éducatif continu, intégré dans les soins et centré sur le patient. Il comprend des activités organisées de sensibilisation, d'information, d'apprentissage et d'accompagnement psychosocial concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, l'hospitalisation et les autres institutions de soins concernées. » TROISIEME INCOHERENCE Alors que la mission première du rapport doit répondre à l’exigence d’une mise en œuvre rapide et pérenne, Denis Jacquat positionne les maisons et les pôles pluridisciplinaires de santé comme des structures et lieux de référence de l’éducation thérapeutique (proposition n°8). Il est pour le moi ns curieux de postuler un développement rapide et pérenne de l’éducation du patient, véritable enjeu de santé publique, en misant sur le développement de structures durablement isolées, voire franchement putatives. Plutôt que de mettre en place, dans la concertation avec les professionnels principalement intéressés, la dynamique appropriée, la France va-t-elle continuer d’accroître son retard dans le concert international en se contentant de publier de savants rapports sur son retard et ses 8 carences ? A l’évidence, dans un contexte budgétaire délétère et de mobilisation incertaine des praticiens concernés, attendre la généralisation des maisons de santé sur le territoire est totalement irréaliste. De plus, la spéculation autour d’une montée en puissance de ces structures putatives emporte le risque de générer de très fortes inégalités d’accès à l’éducation thérapeutique. En effet, d’une part, l’implantation de ces maisons, en admettant que soient levés les impératifs juridiques et budgétaires, ne résoudra pas les problèmes de désertification médicale puisqu’elle nécessite un seuil populationnel de patients. D’autre part, elle contribuera, à l’inverse, à accentuer la désertification en rassemblant dans des pôles de regroupement des professionnels qui jusque là exerçaient dans une logique de proximité du patient en milieu rural ou défavorisé. Dans un entretien accordé à Rémy Fromentin et publié dans la revue Réseaux, Santé & Territoire, le professeur Guy Vallancien, co-auteur avec Annick Touba du récent rapport sur le développement des MSP, décrit très bien ce phénomène stratégique du choix du lieu. « On peut même dire qu’une MSP devrait adopter les mêmes techniques de géomarketing que toute infrastructure commerciale… une MSP devrait pouvoir s’installer près des grandes surfaces, ou dans les zones commerciales à la périphérie des villes ou dans un hôpital local », comme à Chamonix où 5 médecins viennent de se regrouper pour créer une maison de santé dans l’enceinte de er l’hôpital. La maison de santé conçue comme le 1 étage du CHU, n’est-ce pas en contradiction avec la nécessité d’une part d’accélérer la mise à disposition des programmes d’éducation et la nécessité d’autre part d’exercer au plus près des lieux de vie et de soins des patients ? DES CONTRE-PROPOSITIONS REALISTES ET RAPIDEMENT OPERATIONNELLES Pour la FNI, intégrer l’éducation au sein d’un programme de suivi personnalisé des patients à leur domicile relève d’une absolue nécessité. A ce sujet, elle alerte sur le très grave danger visant à dissocier, d’une part, les actions d’éducation des patients atteints de pathologies chroniques, d’autre part, celles qui concernent leur suivi. Elle propose donc que l’éducation fasse partie intégrante de programmes d’accompagnement des patients atteints de pathologie(s) chronique(s), répondant ainsi à l’exigence d’intégration dans un plan de soins. Cette recommandation est en droite ligne avec celles énoncées dans le rapport remis en septembre 2008 par Christian Saout au ministère de la Santé, ainsi qu’avec l’invitation L’auteur du rapport Jacquat lui-même le confirme, les infirmiers sont les mieux placés pour assurer cette éducation thérapeutique en raison de leur formation et de la proximité qu’ils ont avec leurs patients … pressante du Haut Conseil pour la Santé Publique. En effet, le HCSP considère « qu’une éducation thérapeutique sera véritablement intégrée aux soins lorsqu’elle sera ancrée dans la relation soignant/soigné, faisant partie intégrante des activités de tout soignant en étant adaptée au contexte de chaque soin, et lorsqu’elle fera l’objet d’une coordination et d’un partage d’informations entre soignants. Elle devra enfin être accessible à tous les patients, sans obligation d’adhérer à un programme particulier pour en bénéficier. ». L’éducation du patient ne peut être dissociée du suivi de sa pathologie. La nécessité d’inclure l’éducation dans les soins s’impose dans toutes les pathologies, entre autres les cardiopathies et l’insuffisance cardiaque, le diabète, l’asthme ou l’insuffisance respiratoire chronique. Dans l’exemple des plaies chroniques, comme le fait remarquer le docteur Sylvie Meaume, Présidente de la Société Française et Francophone des plaies et cicatrisations, il n’est pas possible de traiter correctement un ulcère de jambe sans une éducation des patients sur sa diététique, son hygiène de vie, l’observance de son traitement. Au final, et l’auteur du rapport Jacquat lui-même le confirme, les infirmiers sont les mieux placés pour assurer cette éducation thérapeutique en raison de leur formation et de la proximité qu’ils ont avec leurs patients. La mise en œuvre urgente d’une action de formation systématique des patients à la gestion de leur maladie chronique, dans l’objectif de retarder l’évolution de la maladie, constitue donc aujourd’hui un véritable enjeu de Santé publique. Cette éducation, qui doit s’inscrire dans la prise en charge au long cours des personnes atteintes de pathologies chroniques, permettra subsidiairement de maîtriser le risque inflationniste des dépenses de soins consacrées aux ALD. Sans avoir été réellement entendus jusqu’à présent, les infirmiers libéraux sont de longue date convaincus de cette urgence et se sont activement impliqués dans les réseaux de santé ambulatoires permettant de proposer des programmes d’éducation à leurs patients. En soulignant la prééminence de leur rôle en matière d’éducation, le rapport Jacquat donne rétrospectivement raison aux infirmiers, eu égard à leur investissement dans 9 cette approche éducative. Leurs travaux ont d’ailleurs permis d’en documenter les bénéfices, clairement démontrés lorsque des évaluations ont été menées, en matière de gains financiers générés par l’éducation au travers des économies sur la consommation en soins par rapport à une population non suivie. En effet, si l’éducation vise à rendre le patient plus autonome, elle vise aussi à limiter la progression de la maladie et éviter la survenue de complications. La faible observance est génératrice de coûts directs et indirects importants et en partie inutiles, car sans bénéfice pour les personnes. Pour ne citer que cet exemple, le coût moyen d’un patient diabétique du réseau Professionnels de Santé du Pays Beaunois est de 9 812 € alors que le coût moyen d’un patient diabétique de Côte-d’Or est de 13 592 €. L’économie réalisée de 3 780 € par patient se retrouve surtout sur les postes de frais d’hospitalisations, de transports et de revenus de remplacements. (source HAS BMJ 2010) Consciente des enjeux et de ses responsabilités, la FNI ne recommande naturellement pas que les 8 ou 9 millions de patients en affection longue durée (ALD) soient éduqués par les infirmiers libéraux, mais suggère très fortement que ceux qui nécessitent un suivi personnalisé, soit environ 20% d’entre eux, en bénéficient dans les meilleurs délais. L’éducation thérapeutique intégrée dans un programme de suivi, tel que préconisé par la FNI, se destine au million de patients en ALD qui représentent à eux seuls 50 milliards € de dépenses ! (3) Pour ces patients, qu’ils soient fragilisés par leur âge ou atteints de polypathologies, le suivi et l’éducation par un infirmier se justifient avec une évidence d’autant plus grande qu’ils bénéficient déjà de soins prodigués par ces professionnels de façon régulière ou intercurrente. L’intégration de cette éducation et du suivi au service de ces personnes fragilisées pourra se faire lors du déplacement des infirmiers libéraux sur leur lieu de vie, cette prestation étant sécurisée par leur connaissance du milieu de vie des patients concernés. Le suivi infirmier sera alors facile à mettre en œuvre très rapidement et pour un investissement modéré. De nombreux réseaux ont d’ores et déjà élaboré des protocoles de suivi et d’éducation des patients ayant fait leurs preuves et qu’il sera très facile de rassembler autour des principales pathologies, y compris s’agissant de l’observance médicamenteuse. Le développement rapide de la télésanté, qui fait aujourd’hui l’objet d’annonces de la part de la sphère politique, doit symétriquement devenir une réalité qui va permettre de rendre enfin possible l’indispensable partage d’informations et le recueil L’éducation thérapeutique intégrée dans un programme de suivi se destine au million de patients en ALD qui représentent à eux seuls 50 milliards € de dépenses ! informatisé de données. Aux côtés des industriels spécialisés représentés par 2 le LESISS , et en concertation avec l’ASIP Santé, la FNI a mené des réflexions très abouties qui ne demandent plus qu’une impulsion politique pour devenir opérationnelles. La mise en œuvre de ces travaux aura pour conséquence d’affranchir les infirmiers libéraux d’un pesant carcan en matière de temps passé à la recherche de ces informations, voire d’actes. Les outils technologiques appropriés vont rapidement permettre de libérer un temps infirmier utile qui pourra être aisément investi dans l’éducation thérapeutique et le suivi des patients chroniques, assurant enfin une reconnaissance de ce rôle essentiel. Rappelons que les infirmiers disposent déjà des compétences requises. Au final, une question reste prégnante : mais qu’attend-on ? UNE REMUNERATION FORFAITAIRE APPROPRIEE Reconnaissance législative, plan gouvernemental, cahier des charges national : les pouvoirs publics semblent vouloir donner toute sa place à l’éducation thérapeutique du patient. Pour un développement réel, il faudra y accorder des financements conçus comme des investissements permettant de contenir la hausse des dépenses liées aux ALD sans préjudice de la qualité des prestations servies. Cette amélioration au service d’une politique avisée de santé publique suppose une juste rémunération des infirmiers liée à une prise en charge personnalisée et à un programme de suivi des patients chroniques, défini et protocolisé en concertation avec le corps médical par pathologies. Ainsi intégrée aux soins, cette éducation mobilisera un investissement financier largement compensé par les hospitalisations évitées et par le temps utile gagné pour lutter contre la survenue des complications. Les expériences d’accompagnement personnalisé de patients au sein de réseaux de ville et impliquant les infirmiers (Prévarance,..) ont fait la preuve des économies sur les coûts de santé, sans bien sûr obérer la qualité du service rendu. Par manque de courage politique ou par manque d’éthique, la France va-t-elle encore longtemps laisser se déliter 2 www.lesiss. org 10 l’actuelle situation, dans laquelle chaque laboratoire et chaque assureur complémentaire financent ses propres programmes d’éducation ? Cette absence de cohérence, à l’heure où la plupart de nos partenaires mondiaux agissent pour y mettre un terme, conduit au mieux à un empilement de programmes et d’approches, dont les professionnels de santé motivés par l’intérêt général de leurs patients sont méticuleusement écartés. Cette situation soulève de graves questions éthiques et de conflits d’intérêts, risques dont le ministère de la Santé est d’autant plus conscient qu’il a confié au Président du CISS le soin de produire des recommandations en vue d’éviter les dérives mercantiles. UN RISQUE POLITIQUE ET SOCIETAL MAJEUR Qu’il s’agisse du traitement des risques cardiaques, de l’asthme ou du diabète, il est inutilement risqué de confier aux firmes pharmaceutiques et de les leur déléguer des missions au service supposé de l’intérêt général des patients. Ceci d’autant que par le passé, certains programmes d’observance, développés par cette industrie, ont clairement mis en lumière des pratiques de sauvetage financier de médicaments « à problème ». A plusieurs reprises, le collectif Europe et médicament a alerté sur les dérives de programmes financés par des laboratoires pharmaceutiques dont les motivations étaient davantage la rentabilisation de certaines molécules que le bien-être des bénéficiaires. Ce sujet ne manquera pas d’émouvoir l’opinion publique si l’éducation des patients venait à ne pas demeurer dans le domaine des professions de santé. Rappelons à ce sujet que l’IGAS, (Inspection générale des affaires sociales) s'est opposée, dans un rapport de 2008, à toute participation des firmes à des programmes d'observance et d'accompagnement qui sont deux formes d'éducation thérapeutique. Le rapport Jacquat, qui encourage et invite les industriels à financer directement les programmes d’éducation, est à ce titre inquiétant, comme la presse n’a pas manqué de le souligner cet été, et comme l’ont dénoncé les assureurs complémentaires. Annexe - Exemples d’amélioration attendue REDUCTION DES RISQUES IATROGENIQUES CHEZ LES PERSONNES AGEES L’éducation intégrée au suivi personnalisé des personnes âgées permettra de sauver des vies et d’éviter de nombreux accidents et dépenses liés à la iatrogénie médicamenteuse. Chaque année, en France, 130 000 personnes sont hospitalisées en raison d’un accident ou d’un malaise lié à la prise de médicament. Cela représente directement près de 1,2 millions de jours d’hospitalisation dont le coût - sans doute aujourd’hui largement en augmentation avec la croissance rapide du nombre de patients concernés - est estimé à 320 millions d’euros (source Assurance maladie 2003 (4). Premiers concernés : les personnes âgées chez lesquelles la poly-médication est un phénomène très généralisé, car, souffrant généralement de plusieurs pathologies. Dans la tranche d’âge au-delà de 75 ans, plus de 95 % de la population prend des médicaments à raison de 5 à 6 molécules différentes en moyenne par jour. Les risques liés à la poly-médication des personnes âgées est un fait avéré : pour preuve les accidents médicamenteux sont en moyenne deux fois plus fréquents chez les plus de 65 ans que dans le reste de la population. La iatrogénie imputable aux médicaments est un problème de santé publique tant en termes de morbidité/mortalité qu’en termes de coût. 11 EDUCATION THERAPEUTIQUE DES INSUFFISANTS CARDIAQUES La pathologie cardiovasculaire est le 2ième risque de mortalité en France. L’Assurance Maladie en a fait une priorité en 2010 en lançant récemment un vaste programme de prévention primaire des risques, directement adressé par courrier aux Français. « Les maladies cardiovasculaires, 1ère cause de mortalité chez les femmes, sont responsables de 350 000 hospitalisations/an et constituent un enjeu sanitaire et économique (au premier rang des ALD) », précise le professeur Hubert Allemand. médecin conseil national de la CNAMTS. Les insuffisants cardiaques devraient tous pouvoir bénéficier d’une éducation thérapeutique dont il a été démontré qu’elle améliore leur qualité de vie et permet d’éviter des ré hospitalisations, et donc subsidiairement des surcoûts pour la collectivité. A l’heure où des réseaux ont déjà mis en œuvre un suivi des patients par un infirmier de proximité associant une éducation thérapeutique, la FNI propose de généraliser un accompagnement personnalisé associé à l’éducation auprès de tous les patients déjà suivis par un infirmier libéral. L’éducation est en effet un enjeu essentiel pour ces patients, comme l’explique le professeur Jean-Noël Trochu de l’Institut du Thorax à Nantes : « Dans plus de 50% des cas, les causes les plus fréquentes de décompensation brutale de l'insuffisance cardiaque pourraient être prévenues car elles sont en rapport avec une mauvaise compliance vis-à-vis des traitements médicaux et/ou de la diététique. En outre, dans plus de 30% des cas, les symptômes sont reconnus depuis plus de 24 heures sans qu'aucune mesure thérapeutique ne soit engagée avant l'hospitalisation. » Le rôle des infirmiers s’inscrit dans l’organisation du suivi, de la surveillance biologique et de l’éducation : mieux faire comprendre les mécanismes de sa maladie, prévenir les facteurs de risque associés, enseigner au patient comment assurer l’auto surveillance, comment bien dépister les signes d’alerte et repérer les signes précurseurs d’une décompensation… De plus, sous délégation de protocole médical, ces professionnels nativement formés peuvent adapter les traitements afin de prévenir toute dégradation de l’état du patient. Ce gisement d’efficience au service du patient et de la collectivité suppose toutefois de mettre en place des outils et un recueil de données sur la surveillance des signes et symptômes mais également d’élaborer des protocoles de réadaptation des traitements, comme cela peut être développé avec succès dans d’autres pathologies. L'éducation continue des insuffisants cardiaques doit être considérée comme une optimisation de la prise en charge des insuffisants cardiaques dans leur milieu de vie, par la connaissance de leur conditions et hygiène de vie, de leur entourage, de leur niveau d’observance,… EDUCATION THERAPEUTIQUE DES PATIENTS PORTEURS D’UN PACEMAKER OU D’UN DEFIBRILLATEUR SUIVI A DISTANCE La télécardiologie se développe rapidement au bénéfice de ces patients qui, une fois de retour après une hospitalisation, doivent pouvoir bénéficier d’un suivi infirmier sur leur lieu de vie. Lors de ce retour, le matériel – aujourd’hui opérationnel et nomenclaturé – peut permettre une transmission sécurisée des 12 informations techniques et médicales pertinentes pour apporter sans surcoût un confort de vie autrefois inespéré. L’un des freins actuels de la généralisation du système est le manque de disponibilités du personnel hospitalier pour cette éducation et l’absence d’accompagnement au domicile. A cet égard, le rôle de l’infirmier sera précisément d’éduquer le patient à ce mode innovant de suivi dont il a été démontré qu’il améliore la prise en charge de cette population de patients, la détection précoce d’événements évitant des consultations, voire des hospitalisations, inutiles. Le dossier infirmier partagé, aujourd’hui dans une phase de réflexion parfaitement mature, doit devenir le support indispensable à la mise en œuvre de réelles coopérations interprofessionnelles. La technologie est prête. La Belgique entre autres, qui comme la France dispose d’un réseau d’infirmières indépendantes de proximité, a pris une avance remarquable dans ce domaine. Qu’attend-on dans notre pays?! Références (1) « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique », rapport présenté à la ministre de la Santé par Christian Saout, président du CISS, Bernard Charbonnel, médecin endocrinologue et Dominique Bertrand, médecin de santé publique, université Paris 7 en juin 2010 (2) Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 3 avril 2009 (3) Etudes statistiques Assurance Maladie et ALD à fin 2007 : les remboursements de soins pour les ALD représentent 64% de l’Ondam et 5% des assurés en ALD représentaient en 2004 41,5% des dépenses remboursées aux patients dans cette situation. (4) « Poly-médication des personnes âgées : un enjeu de santé publique » – dossier de presse – Assurance Maladie – 4 septembre 2003 7 rue Godot de Mauroy 75009 PARIS - F Téléphone : 33 (0)1 47 42 94 13 [email protected] 13