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Page de bienvenue des Cahiers de psychologie politique
Les C@hiers de
Psychologie politique
revue interactive d'information et de dialogue
N° 3 - Avril 2003
file:///D|/Encours/AFPP/CDROMAFPP/SiteAFPP/Revue00/bienvenue.htm [26/04/2003 17:06:08]
Editorial
Articles
Point de vue : la face émergente d'un
nouvel empire
Le retour aux chantiers de la
psychologie politique
Particularités du post-communisme en
Roumanie
Actualidad e historia de la psicologia
politica latinoamericana
La création d’un délit de manipulation
mentale.
Histoire d'un débat faussé.
Les aspects culturels de la négociation
internationale
Les leçons morales de l'histoire
La terreur comme fondation, de
l’économie émotive de la terreur.
L’effet “groupthink” dans “la
révolution roumaine” (1989)
Communications
brèves
Entretiens et
débats
Chronique des
livres
A. DORNA
A. DORNA
L. BETEA
A. RODRIGUEZ
KAUTH
M. VILLATTE,
D. SCHOLIERS et
E. FREIXA i BAQUé
S. RADTCHENKODRAILLARD
S. TOMEI
S. WAHNICH
L. BETEA
EPoPs
European Political Psychology
Network
Considérations psychopolitiques sur
une actualité de crise
Les perspectives de contrôle social
offertes par le behaviourisme
Le leadership politique en Russie – de
Gorbatchev à Poutine
Le terrorisme : un sujet d’étude
scientifique ?
A propos de "La Société défensive" de Michel
Monroy
La question des guerres civiles et le
processus de réconciliation
J. BARUS-MICHEL
D. LESUEUR et E.
FREIXA i BAQUE
A. MELNIK
P. MANNONI
In memoriam
Harold GERARD
Françoise SUBILEAU
Point de vue : la face émergente d'un nouvel
empire
Une fois n'est pas coutume, je n'abuserai nullement des éditoriaux
de notre revue pour faire passer mes opinions politiques. Or, la
guerre si longuement annoncée est là avec la triste logique des
raisons qui se camouflent sous les méandres des interprétations
psychologiques. Cela nous concerne donc, et exige un certain
positionnement, pour y voir un peu plus clair. C'est une
responsabilité citoyenne et intellectuelle.
Je ne pense pas que l'étude (simple hypothèse) de la personnalité de G.W. Bush nous
apportera plus d'explications que l'analyse des circonstances. Car, ce qui se passe dans
la "tête" d'un homme politique est en rapport étroit avec une situation, dans laquelle
l'histoire et la culture pèsent autant que les expectatives d'une guerre. Bref, si la
psychologie est un mauvais oracle politique, elle permet néanmoins de saisir quelques
mécanismes utiles. Certes, il n'est question d'oublier ni la géopolitique ni les intérêts
économiques en jeu, mais d'évoquer une variable : l'effet d'expectative.
Certains travaux de la psychologie politique montrent comment l'enjeu militaire et
politique (pléonasme!) est surdéterminé par les expectatives, puisque la nature des
actions n'est pas la même selon qu'on prédit une réussite ou un échec.
L'expectative d'une victoire peut, au moment décisif, faire la part du risque pour ne
voir que le gain. C'est le cas aujourd'hui avec la décision américaine d'intervenir en
Irak, car une partie importante de la classe gouvernante américaine pense que les
États-Unis se trouvent devant un dilemme: gérer le déclin ou bâtir un véritable empire.
Deux thèses se sont de tout temps affrontées au Pentagone : la politique de
l'endiguement ("contaiment") et celle de la maîtrise par la force ("liberation"). Le jeu
de la domination en tant que superpuissance économique à moindre risque et le saut
vers la construction d'un empire territorial. Colombes contre faucons, donc ? Choix
tactique plutôt, la stratégie d'une volonté de puissance étant inscrite dans la culture
politique américaine.
La chute de l'empire soviétique marque la fin de l'endiguement et l'exigence d'un ordre
politique nouveau, capable de mener à terme la mondialisation culturelle et
économique selon le modèle américain.
Ainsi fallait-t-il quelques tests symboliques pour réfléchir sérieusement à la deuxième
thèse : développer la stratégie de l'empire. La première guerre du Golfe est alors
l'épilogue de la stratégie de l'endiguement (Gorbatchev était encore le responsable de
l'Union Soviétique), tandis que celle-ci est le moment de la cristallisation de la
politique d'expansion territoriale de l'empire. Car l'ouverture historique de la fenêtre de
tir ne durera pas très longtemps. L'avertissement de S. Huntington ("Le Choc des
civilisations", 1995) est fort parlant, car d'autres superpuissances menacent à long
terme l'avenir hégémonique de l'Amérique.
Dans ce contexte, les attentats du 11 septembre ont permis à Bush fils et à sa cohorte
de conseillers conservateurs, de mettre en pratique la thèse de l'exportation de la
démocratie à l'américaine par la force.
Dans un ouvrage, effacé par le temps, J. Burnham (1953) expose l'arrière-pensée
politique américaine en ces termes :
" Il y a des raisons de croire que ce qui paraît aujourd'hui une crise mondiale
est, historiquement, la crise de la civilisation occidentale. Dans cette hypothèse, la
question dont il s'agit est celle de savoir si la civilisation occidentale est capable de
surmonter sa tendance au suicide... "
Aujourd'hui, l'Union Soviétique disparue et l'Europe divisée, rien n'empêche les
États-Unis de franchir le Rubicon. La nouvelle "croisade" peut commencer.
Les prémisses sont claires. La tactique de la "pax americana" doit céder sa place à la
stratégie de l'empire. Les conditions géopolitiques sont réunies pour faire des USA
l'empire romain du XXIe siècle, car les guerres impériales sont l'issue pour un
Occident en manque de renouveau.
Ainsi la question irakienne n'est-elle pas une lubie du président américain (transmise
de père en fils), mais le résultat d'une ancienne vision d'empire qui arrive à maturité au
bon moment. Cette guerre lui semble une question vitale: les États-Unis se sentent
menacés et en danger, tout en étant les plus forts.
Paradoxalement, l'Amérique profonde a compris, depuis le 11 septembre, qu'elle est
mortelle. D'où la position d'une majorité des Américains en faveur de la guerre.
Logique. C'est la conséquence d'une société dont la mentalité, défensive et
isolationniste, s'est forgée sur un sentiment d'invulnérabilité et sur la croyance d'être
porteuse de grandes valeurs morales. Or, aujourd'hui, cela leur semble être remis en
question.
Et du côté de la France ? La crise irakienne a montré le flou de la
construction européenne, la fragilité des institutions internationales,
et le rôle ambigu de la "vieille Europe". Le jeu diplomatique est
piégé entre les principes et le pragmatisme. La France se trouve mutatis mutandis- dans la position de l'ancienne Grèce, devant les
légions romaines et au milieu d'une crise dont personne ne peut
déceler les conséquences.
Les réflexions de Plutarque, grec d'origine et romain d'adoption,
sont devenues d'une étonnante actualité : " (L'homme d'État ) ... s'il
ne peut garder son pays entièrement à l'abri des troubles, essaiera
du moins de guérir et de contrôler de l'intérieur le désordre et
l'agitation, en les cachant, afin d'avoir le moins possible des
médecins et des remèdes extérieurs"
Les conseils de Plutarque sont certes une parabole exemplaire, car
la concorde est le but de toute véritable république.
Alexandre Dorna
Références :
Burnham J. (1953) : Contenir ou libérer. Calmann-Levy.
Huntington S. (1996 ) : Le Choc des civilisations.
Le retour aux chantiers de la
psychologie politique
Particularités du
post-communisme en Roumanie
Actualidad e historia de la
psicologia politica
latinoamericana
La création d’un délit de
manipulation mentale.
Histoire d'un débat faussé.
Les aspects culturels de la
négociation internationale
Les leçons morales de l'histoire
La terreur comme fondation, de
l’économie émotive de la terreur.
L’effet “groupthink” dans “la
révolution roumaine” (1989)
Le retour aux chantiers de la psychologie politique
Alexandre Dorna
La vivacité de la psychologie politique se mesure par la profondeur de la crise. Il n'est pas question ici de
refaire l'inventaire de malaises et de représentations qui l'accompagnent (Dorna 1998). En revanche,
plusieurs "chantiers" se sont re-ouvert, notamment : la mémoire collective, le discours politique, le
néo-populisme, le charisme, le machiavélisme et surtout l'énergie de fond : la crise de la démocratie
représentative. Il y a bien d'autres chantiers qui se développent pas à pas : la citoyenneté, la justice, la
corruption, les médias, les femmes en politique, la démocratie participative, les stratégies identitaires, le
nouveau syndicalisme, etc. Ces chantiers concernent des préoccupations concrètes des nos sociétés et
méritent toute notre attention, afin d'essayer, si cela est possible, de résoudre, ou d atténuer, certains
dysfonctionnements socio-politiques qui menacent l'équilibre social.
1. Comprendre les mécanismes de crise de la société moderne.
Voilà un vaste chantier. Comprendre les changements et les crises fait partie de l'enjeu de la psychologie
politique. Il faut insister sur un point : la crise actuelle de la modernité est d'autant plus profonde qu'elle
résulte d'un télescopage des crises préalables. C'est une des raisons qui expliquent en partie l'impuissance du
discours politique contemporain et le rétrécissement de la conscience citoyenne. Pour ce faire, un diagnostic
aussi complet que possible se révèle indispensable. L'art de l'analyse nécessite non seulement de cerner les
éléments en jeu et de délimiter les enjeux, mais surtout d'en tirer une vision d'ensemble et de proposer une
stratégie d'ajustement ou de changement.
Une telle démarche n'a pas été encore clairement envisagée, sauf dans un cas exceptionnel : au moment de la
montée du fascisme en Allemagne, avec la création de l'Institut des Recherches Sociales à Francfort.
Pour mémoire : l École de Francfort représente l apport le plus systématique au développement de la
psychologie politique dans les années 30 en Allemagne. C est le groupement dans l urgence d un nombre
considérable de penseurs, autour d un projet d explication de l autoritarisme antisémite et fasciste.
Les noyaux durs de la réflexion sont:
- sociologiques-économiques: le nazisme n est pas un accident historique, mais le fruit d une conjoncture
précise au regard du développement du capitalisme monopoliste.
- politiques: le capitalisme monopoliste trouve une solution à ses contradictions dans un régime autoritaire
fasciste.
- psychologiques: si la société accepte le nazisme, on en découvre la raison dans la formation psychosociale
des préjugés et de la culture.
C est un travail théorique considérable et inachevé. Fortement marquée par le marxisme, l'originalité des
penseurs de l'école de Francfort porte sur le déplacement de l'objet d'étude économique et politique vers le
politique, le psychologique et le culturel. C'est une tentative de reprendre une approche critique de la société
de leur époque.
Faut-il rappeler que l arrivée d Hitler au pouvoir, en 1933, oblige l Institut à prendre le chemin de l exil,
d abord à Genève, puis à Paris où est publié l ouvrage collectif «Études sur l autorité et la famille» en
l936, ensuite à Londres, et finalement à New York Leurs travaux sont encore des outils puissants pour
comprendre les processus de crise de la société et de la culture occidentales.
Quelques membres de l École de Francfort ont marqué profondément la psychologie sociale dans son
approche de la politique. Notamment:
Max Korkheimer (1895-1973), directeur à partir de 1930 du groupe des chercheurs, est un analyste des
mécanismes de socialisation. Il développe dans «Autorité et famille» (1935) la thèse selon laquelle la
disproportion entre ce que la société promet à ses membres et ce qu elle leur accorde, joue un rôle très
important dans la formation de la personne. La famille est le ciment et le lien psychologique par lequel la
société imprègne l enfant de la structure sociale spécifique qui lui correspond ainsi à l âge adulte. C'est le
terrain prédisposé à la production des préjugés sociaux. Le nationalisme (allemand) s explique à travers ces
paramètres.
Eric Fromm (1900-1980) est un autre des théoriciens dont la formation psychanalytique est hétérodoxe. Très
tôt, il développe une interprétation qui s écarte de la pensée dominante même à l'intérieur du groupe de
Francfort. L homme n est pas figé dans une nature biologique, dit-il, s opposant à Freud. La nature de l
homme, ses passions et ses angoisses sont un produit de la culture. Il s inscrit ainsi comme l un des
fondateurs de la tendance «culturaliste» qui connaîtra un développement formidable aux États-Unis autour de
M. Mead et K. Horney.
L ambition de Fromm est de réinterpréter Freud selon Marx. La liberté (dit-il) est un fardeau quand les
conditions économiques et politiques la rendent illusoire. Ce sentiment accélère le besoin de s intégrer
autrement dans la société. Le sujet, dont la frustration est devenue insupportable, remplace les déterminismes
de l enfance (famille) par ceux qui émergent des structures sociales autoritaires (rassurantes) et des actions
d évasion. Cela s accompagne d un état psychologique paradoxal : les gens ne sont pas conscients de
leurs besoins de conformisme. Ils vivent dans l illusion de leur autonomie. En fait, le consensus leur fournit
la preuve de la justesse de leurs croyances. C est la recherche par des millions d hommes d un refuge
contre la «peur de la liberté» qui explique l autoritarisme: «le nazisme est un phénomène économique et
politique, écrit-il, dont les répercussions sur l ensemble d un peuple doivent être expliquées en termes de
psychologie».
Theodor Adorno (1903-1970). Philosophe de la culture, musicologue de renommée mondiale, théoricien
marxiste et psychologue politique, dont l'Suvre se révèle être le vecteur de la réunion de tendances théoriques
et méthodologiques diverses, et même contradictoires. Cependant ce sont les recherches sur «la personnalité
autoritaire» qui ont rendu Adorno intensément connu dans le milieu psychologique. Elles ont fait de lui un
des piliers de la psychologie politique contemporaine.
Reprenons le fil central de nos propos. Dans l'histoire collective (autant qu'individuelle), les crises sont des
périodes critiques (l'étymologie est la même: discerner, décider, juger) entre deux équilibres. C'est le moment
décisif pour envisager les formes du passage, et pour éviter des conséquences incontrôlées. La crise est une
conjoncture accoucheuse d'idées novatrices et de comportements extrêmes. La dynamique et l'énergie des
crises sont en relation directe avec l'idée que les hommes se font des conséquences de leurs actions.
Pour le psychopolitologue, dont le regard est nuancé, les effets des crises sont multiples : perturbations
émotionnelles, troubles devant le désordre et l'incertitude. Surtout, il faut ne pas oublier que les changements
issus des crises sont associés, dans le vécu des sujets, à des sentiments d'incompréhension, d'insécurité,
d'anxiété, de souffrance, d'espoir et de déception.
Le symptôme majeur d'une crise sociale profonde, écrit Ridel (1991), est la déstructuration de l'identité
collective et individuelle. L'homme est confronté dans des situations critiques à un cadre flou et souvent
chaotique, il n'arrive pas à se faire une idée d'ensemble ni à trouver un fil conducteur. Il éprouve le sentiment
d'être dans un dédale incompréhensible où personne ne semble capable de mettre l'ordre du monde à la
portée de tous. Observé de manière (quasi) clinique, l'homme qui cherche du sens au cSur d'une crise sociale
profonde est une masse qui s'ignore, une force qui se pense faible, un questionnement multiple dans l'attente
d'un éclairage qui ordonne le monde confus d'une manière simple. Cet état psychologique est un processus
social, un mouvement au rythme asynchrone. Une accélération peut se déclencher à tout instant, car les
forces politiques et sociales se mettent en marche généralement à la suite d'événements mineurs.
La crise est le résultat d'une interruption (plus ou moins aiguë) des liens entre le vécu immédiat et le cumul
d'explications acquises par la personne dans son interaction avec le milieu social. L'homme est un animal
intersubjectif, qui a besoin, pour se coordonner avec les autres hommes, d'une image cohérente du monde.
C'est une figure de protection, qui fixe la conscience immédiate, la manière d'être perçu par les autres,
l'estime de soi et les émotions. Ici, la crise est un processus de ré-organisation de l'expérience personnelle. Il
n'y a pas un ordre (externe) objectif, normal et salutaire, et universellement explicable. Aussi la crise est-elle
une émergence, c'est une coupure du sens et de la continuité temporelle de l'unicité. Le débordement
émotionnel affaiblit la conscience ; la personne ne réussit pas à échapper à l'expérience immédiate du
danger ; le cadre perceptible (le degré de conscience) se rétrécit ; le processus d'intégration des perceptions
(nouvelles) et les mécanismes de la cohérence se font plus rigides. L'épisode psychotique représente un cas
extrême, où la séparation entre l'expérience immédiate et l'explication évoquée devient brutale.
En conséquence, le diagnostic de la société actuelle est un véritable défi épistémologique sur
l'importance des croyances. Les travaux récents de Garzon et Seoane (1996) sur les systèmes de croyances
"postmodernes" s'inscrivent dans cette perspective. Ils renouvellent l'étude des mentalités et de l'historicité
psychologique. Un modèle général à partir de trois dimensions (politique, sociale et culturelle) est proposé.
La dimension politique est le reflet de la volonté et la direction de ce que les hommes veulent à un moment
donné ; la dimension culturelle correspond à leurs représentations du monde et la dimension sociale n'est rien
d'autre que l'expression de leurs sentiments.
Enfin, pour mieux comprendre le sens et l'irruption des crises, il est prioritaire non seulement d'actualiser
certains thèmes (par exemple la soumission à l'autorité, le modèle de la personnalité démocratique, la
personnalité machiavélique) mais encore d'explorer la psychopathologie des situations, le leadership
charismatique, l'expérimentation des comportements de contre-pouvoir, d'examiner les méthodes d'éducation
civique, les tests de cohésion sociale, la connaissance du rythme politique, l'intégrisme sous ses diverses
formes.
2. La mémoire sociale : un chantier stratégique en reconstruction.
La mémoire collective est un de plus riches chantiers dont dispose la psychologie politique actuellement. Si
les sources sont anciennes, Bartlett, Berr, Blondel, Halbwachs et d'autres, l'actualisation est en cours et tisse
une toile très étendue qui englobe d'autres disciples anciennement proches, mais jusqu'à présent cloisonnées
par les structures académiques.
C'est le cas en France ces dernières années où, dans le cadre de la psychologie sociale et clinique, de
nombreuses études, Jodelet (1992), Rouquette (1994), Hass (1997), Kiss (1999), Laurens et Roussiau (2002)
mettent en relief d'une manière très pertinente le rôle et la portée de la mémoire dans les contextes politiques.
H. Arendt (1972) avait évoqué jadis, à propos du procès d'Eichmann, la signification psychopolitique et le
fonctionnement technocratique de la machine meurtrière du nazisme, mais c'est l'analyse de Jodelet ( 1999)
qui met en lumière la signification de la mémoire dans les conflits entre les propres victimes lors du
jugement de Barbie. Par ailleurs, l'étude monographique de Hass (1999) articule finement la mémoire
collective avec le processus identitaire, en fonction des traces historiques qui imprègnent l'histoire de la ville
de Vichy. L'essai de Rouquette sur la psychologie des masses réserve une belle place à la mémoire sociale,
mais sans l'analyser directement. Quant au travail clinico-social de Kiss ( 1999 ) sur l'obéissance contraire
aux droits humains, il éclaire les processus de la mémoire, à partir des entretiens, concernant des "collabos",
des tortionnaires, des criminels de guerre et des dictateurs.
D'autres contributions sont à retrouver dans les travaux du sociologue Namer (1987) à la fois sur l'Suvre
d'Halbwachs et les pratiques commémoratives en France. Le philosophe Debray (1998) propose une grille de
lecture très érudite sur les "monuments" comme médiation de la mémoire collective. Le monument cache
une tragédie : c'est une masse mise en valeur par le vide, écrit-il. C'est le jeu entre l'oubli et le motif. Le
paraître qui risque de ne rester qu'un vestige en l'absence d'une éducation publique du sens. La mémoire est
une affaire de pouvoir, tel que certains le posent aujourd'hui.
Par ailleurs, faut-il insister, la mémoire n'est pas une chose. Elle est changeante, mais obéit à des règles de
transformation ; elle est à la fois sélective et culturelle ; elle incorpore les expériences, afin de fabriquer de
nouvelles cohérences au fur et à mesure que les évènements se passent, se stockent et s'actualisent. Processus
historique et social donc. Un "bricolage" de pièces d'origines différentes dans une cohérence culturelle
nouvelle.
Toutefois, la mémoire travaille à la fois pour oublier et se souvenir. Il y a là une sorte de solidarité des
termes, puisque les données de la mémoire ne sont pas fixes pour toujours. La synergie de la mémoire se
manifeste dans le rapport entre l'affectif et la raison au sein d'une histoire, d'une culture et d'une société.
Mais, bien entendu, tout ne se passe pas sans conflits. Quant le passé possède une autorité transcendante, le
présent se reproduit, c'est la dimension "normative" de la mémoire sociale ; mais le conflit est latent avec
ceux qui sont attirés par le changement. C'est la dimension "innovatrice", chacun s'approprie le passé selon
ses re-lectures et ses inserts. Certes, ce conflit n'est pas inexorable : la tradition peut incorporer les
innovations et vice versa.
La tradition, écrit Trompson (1995), concerne quatre éléments :
- L'herméneutique : il y a un cadre perceptif avec lequel les individus et les masses s'expliquent la réalité et
donnent sens au présent en fonction des expériences passées ;
- Le normatif : c'est le magistra vitæ. La tradition donne la définition de ce qui est licite, tolérable,
acceptable ou ne l'est pas dans une situation donnée,
- L'identitaire : la tradition collabore à défendre l'identité sociale, à en rendre la spécificité et même à fournir
une "stratégie identitaire" (Cuche 1999) ;
- La légitimation : la mémoire des mythes fondateurs est source de la légitimité du pouvoir traditionnel.
Cette grille s'avère utile dans l'analyse des "corrélations de forces" entre les dimensions normatives et
innovantes. Mais c'est un tort de croire que la seconde remplace clairement la première. La société a
tendance à consolider une mémoire officielle dans une nébuleuse de souvenirs devenus symboles et presque
invisibles à l'Sil nu. Paroles perdues donc ? C'est là que l'actualisation des mémoires peut constituer une
stratégie de résistance. Car l'histoire officielle finit, malgré elle ou à cause d'elle, par devenir une aliénante
source de domination.
C'est là que la mémoire peut être perçue comme un espace stratégique de résistance. La présence d'un
phénomène "charismatique" (Dorna 1998 a) au sein d'une société dans un moment de crise, où l'affectif et la
logique du politique s'affrontent, est propice à l'actualisation de la mémoire innovatrice.
Pour illustrer, brièvement, ces propos, il est utile de faire appel à une situation actuelle largement médiatisée
de surcroît : l'irruption de l'armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au Mexique et l'émergence d'un
leader charismatique (Marcos), dont la parole, la persévérance et la stratégie médiatique marquent un
tournant dans l'histoire politique de ce pays. C'est au fond un vrai cas d'école pour l'étude de la mémoire
collective politique. Ici, la relation sujet-histoire-mémoire-politique se montre à ciel ouvert.
L'EZLN est porteuse d'une histoire (populaire) et d'un discours (politique) où la mémoire de la nation
indigène représente le pivot central. C'est un défi à la culture réifiée et à l'idéologie de la fin de l'histoire, qui
exprime le besoin de redéfinir les termes de la relation entre démocratie et néo-libéralisme, l'idée de la
société civile comme sujet historique et la question de l'indigénisme et du sort des opprimés.
Étrange mélange de tradition et de modernité, de culturalisme et de cosmopolitisme, de figures
révolutionnaires et d'une utilisation étonnante des médias. Il y a là une vision transversale des enjeux
idéologiques actuels et une volonté de dépassement des impasses de la mondialisation. Ainsi, le discours
zapatiste fait-il la critique de la démocratie (représentative) dominante et d'une politique institutionnelle
oligarchique devenue une "cage de fer" pour le peuple. Le zapatisme (ré)introduit la question de la
subjectivité dans la politique et le rôle (psychologique) de l'histoire dans la politique contingente.
La mémoire s'illustre par des images fortes. Voir Marcos à cheval et les armes en bandoulière est une image
que la mémoire collective mexicaine actualise, car c'est le rappel d'un personnage légendaire: Zapata. Si
Marcos renvoie à Zapata, ce dernier renvoie à la figure du général Morelos, qui s'enracine à son tour dans la
mémoire biblique.
L'histoire est un enchaînement de souvenirs fait d'images, dont le pouvoir et la politique se servent, soit pour
les effacer, soit pour les utiliser comme des drapeaux ou les ritualiser. D'où l'observation classique : l'avenir
n'est que le reflet de la manière dont le passé est traité.
Finalement, il semble utile, afin de démontrer encore le besoin de revenir sur la question de fond de la
mémoire politique que pose la psychologie politique: re-construire un regard d'ensemble. Non seulement au
sens de la ré-introduction du sujet, dont tous conviennent, mais de débattre avec ceux qui tendent à
fragmenter l'histoire-sujet elle-même.
L'important travail des historiens sur la mémoire des lieux l'illustre parfaitement : Pour ce faire, ils
fragmentent l'unité nationale et proposent implicitement une politique décentralisée. C'est de la
micro-histoire : l'histoire événementielle, qui s'oppose à l'histoire comme processus.
En somme : il n'y a plus une histoire générale& ni une identité commune, mais une parcellisation. C'est là
une manière subtile de gommer une histoire passée pour nouer des liens inédits avec le passé au service d'un
présent. Les résonances de la mémoire ne sont pas innocentes ni sans perversions possibles.
3. Le discours politique : un chantier en permanente reconstruction
Le plus classique des moyens politiques est le discours. C'est un chantier inépuisé et inépuisable. La
recherche en France est riche, immense et périodiquement réexaminée, avec des résultats encore fort
limités.
Les travaux sur les discours politiques se sont multipliés ces dernières années, les références universitaires en
témoignent (Cotteret 1973, Guespin 1984, Bellenger 1992, Brechon 1994, Breton 1996). Mais c'est dans le
cadre de la "communication contractuelle" (Ghiglione et al. 1986, Ghiglione et al 1989, Dorna et Ghiglione
1990, Dorna 1995, Ghiglione et Bromberg 1998), qu'on peut constater les avancées les plus significatives.
Le discours est un processus dialectique de co-construction de la réalité ; la réalité sociale n'est pas une
donnée que le langage ne ferait que traduire, copier, véhiculer, mais une réalité qui se construit (se
renouvelle) par des transactions sémantiques que les personnes actualisent dans leurs interactions sociales.
Le postulat de base se résume ainsi: toute parole est à visée persuasive. D'autres études (Argentin, Ghiglione
et Dorna (1990), Dorna (1991), proposent comme complément une grille d'analyse gestuelle du discours,
afin d'identifier l'impact persuasif des gestes dans une situation politique réelle et directe.
Ces recherches de laboratoire ont permis de dégager quelques postulats théoriques :
" la parole politique fait partie du paradigme de l'influence et de la persuasion sociale ;
" le discours politique vise un but: faire agir l'autre dans le sens souhaité par la source ;
" il y a toujours dans le processus de persuasion discursive un enjeu quelle que soit l'importance de celui-ci ;
" il y a des patterns stratégiques et des logiques persuasives ;
" la persuasion discursive, spécialement en politique, est articulée, à la fois, par une logique du vraisemblable
et des contrats de communication dans des situations à des moments donnés.
Trognon et Larrue (1994) participent à la recherche sur le discours politique avec un autre outil
méthodologique: l'analyse conversationnelle dans le cadre de la linguistique pragmatique. C'est la parole
d'affrontement dans un débat public ou lors d'échanges de points de vue entre militants. Dans un cas comme
dans l'autre s'opère une co-construction du référent, dont on décèle les échanges successifs. Tout se passe
dans le cadre des règles conversationnelles et c'est la règle d'alternance qui se révèle une pièce-clef de la
stratégie discursive.
Les discours politiques, analysés par divers méthodes, montrent tous le poids sémantique des mots et la force
persuasive de la retordre dans le cadre des stratégies argumentatives. C'est ainsi que les grands débats à la
télévision offrent les moments les plus frappants de la manipulation par les mots. L'affrontement entre
Mitterand et Giscard ( Labbé 1963) reste un classique : le vocabulaire de Mitterrand ne se différencie pas malgré sa richesse lexicale - de celui des autres hommes politiques de son époque. Or, c'est son caractère
aristocratique qui le rendait redoutable et lui permettait, à travers un choix des figures, de garder une distance
à la fois polie et fascinante. Aussi la machine rhétorique de J. Chirac est redoutable : les échanges vifs du
débat Chirac-Fabius ( Ghiglione et al 1989) est un des exemples à retenir dans les anthologies de l'analyse du
discours politique. C'est là que la maîtrise et la lourdeur de la technique rhétorique de Chirac l'a emporté sur
le discours lise et technocratique de Fabius.
Force est de constater que l'ensemble de ces travaux fait du discours seulement le lieu d'articulation entre la
langue et les conditions (sociologiques) de la production discursive. Ainsi, le discours politique est-il vidé de
ses autres composants, notamment de l'émotion. Certes, la reconnaissance d'une intentionnalité demeure,
mais son traitement purement cognitif ne prend pas en compte la partie affective. La tâche reste donc
inachevée. Il y a là, de toute évidence, une nouvelle piste pour un travail empirique. Question à vérifier.
4. La crise politique actuelle : démocratie représentative et république.
Certains redoutent l'étude de la crise politique moderne ; loin d'être un problème théorique, c'est une
question éminemment pratique. C'est l'acceptation passive d'un consensus mou qui renforce le statu quo et le
glissement vers un mode d'existence où la volonté citoyenne est remplacée par la volonté d'une nouvelle
caste d'experts et de technocrates solidement incrustés dans toutes les sphères décisionnelles, marquant ainsi
la subordination du politique (l'intérêt général) au corporatisme des intérêts particuliers. Les institutions
politiques sont touchées de plein fouet. Quelques-unes (la justice, le Parlement, le gouvernement, l'éducation,
la République) ne sont plus en accord, dans leur fonctionnement, ni avec les principes fondateurs ni avec la
demande actuelle. N'est-il pas évident que l'actuelle Constitution française fige encore davantage l'action
politique. La dérive est devenue visible y compris dans un domaine où la réflexion semblait bien arrêtée :
l'État de droit. Car force est de constater (Gueraine 1998) que l'influence croissante du pouvoir
constitutionnel sur la société s'accompagne d'un malaise intense. Le consensus légal démocratique ronge de
l'intérieur le régime démocratique lui-même. Faut-il rappeler que le déclin de la volonté politique marque la
fin de l'intégration des hommes dans la société politique? Le trop de droit risque de tuer le droit à faire de la
politique sans intermédiaires. C'est dans ce contexte que divers travaux, dans des domaines très varies
(travail, prisons, hôpitaux, écoles, municipalités), profilent une recherche sur les remparts de la démocratie
participative où se mêlent à la fois les questions des droits humains et les principes du contre-pouvoir.
L'élément clef de ce mouvement de ressourcement social reste, dans la tradition française ( Duchesne 1998)
la notion de citoyen.
Le système démocratique représentatif moderne (Manin 1995) est une savante alchimie de régimes politiques
contradictoires. Un compromis entre l'autoritarisme monarchique et le libéralisme utopique. Et, si la
démarche moderne reste incertaine, l'ancienne est encore enracinée. La raison en est simple et la forme
complexe. A la différence de celui d'hier, le monde d'aujourd'hui se précipite vers l'avenir sans se donner le
temps de saisir le présent ni de se souvenir du passé. Les points de repère à l'échelle individuelle diffèrent de
ceux de l'échelle collective. La perception en est proche, mais virtuelle. Vouloir percevoir le monde dans sa
globalité contradictoire est une charge psychologique trop lourde. D'où son caractère sélectif, dont une des
conséquences est l'effritement des valeurs communes. Ainsi, morale et politique se cherchent dans un jeu de
cache-cache polémique qui conduit à des impasses. Ce sont des impasses où l'idéal grec de virtus s'est
transformé en simple représentation au sens scénique du terme et la volonté en résignation. Myopie ou
démission ? Ce n'est pas l'absence de lucidité qui caractérise les hommes politiques dans les situations
critiques, mais l'absence de courage.
L'affaiblissement des valeurs républicaines et l'affaissement des institutions démocratiques rend de plus en
plus légitimes les pratiques de manipulation et la démagogie. Aussi l'ambiguïté est-elle de retour en
démocratie, mais avec un élément supplémentaire et auto-mutilatoire : la stagnation. C'est une telle
démocratie qui est en train de produire une République sans républicains et une élite machiavélique et
technicienne.
5. L'ambiguïté de la post-modernité: l'homme démocratique est-il machiavélique ?
La question des élites est toujours au cSur des impasses et le machiavélisme dans les raisonnements des
hommes de pouvoir. Le Bon n'a-il pas désigné Machiavel comme le premier des psychologues de la politique
? Mosca et Pareto n'ont-ils montré les mécanismes de la circulation des élites et leurs pratiques suicidaires ?
Bien entendu, la réflexion théorique sur le machiavélisme a gagné en ampleur : cinq siècles de polémiques se
sont télescopés. La psychologie politique retrouve avec le machiavélisme (Dorna 2001) un ancien chantier
cognitif qui fait le lien avec la crise du politique.
La représentation que se font les hommes ordinaires de la situation de crise actuelle évoque un parfum de
puissance machiavélique. Le pouvoir politique républicain (issu des valeurs de la modernité) est de plus en
plus perçu comme une oligarchie technocratique, paradoxalement à l'aide des stéréotypes anciens avec
lesquels le machiavélisme vulgaire est jugé : cynisme, manipulation, fourberie, arrogance, froideur, mépris,
langue de bois, et surtout raison d'État. D'où quelques questions (im)pertinentes à l'égard des élites modernes:
Et si le progrès n'en était pas un? Et si l'évocation des droits n'était qu'une grande mascarade bien orchestrée
par une élite machiavélique? Et si l'absence de morale politique des gouvernants était directement
responsable d'un étouffement juridique qui semble vider de sens l'action politique au profit des condottieri?
Questions qui renvoient au prétendu amoralisme de la pensée machiavélique. L'ambiguïté des situations de
crise rend la morale insaisissable. N'est-ce pas dans de tels moments, où tout se vaut, que des personnages
bariolés et volontaristes émergent de partout? Cette pensée n'est-elle pas l'expression d'un sentiment profond
de vide collectif dans des périodes charnières et des grandes mutations? N'est-elle pas l'intériorisation de
l'éclatement d'individualités dont la volonté de puissance semble sans mesure? Le mérite de Machiavel
consiste probablement à avoir observé avec acuité, dans un contexte bouleversé, les rapports des hommes
politiques avec le pouvoir, de ces mêmes hommes avec d'autres hommes, et éclairé ainsi la zone d'ombre qui
couvre les passions humaines et rend (trop) subtils les raisonnements rationnels. Enfin, la société est-elle en
train de vivre une transformation de la morale au sein de la crise de la démocratie représentative moderne ?
La recherche empirique fournit des informations capables d'approfondir la recrudescence générale. Christie
et Geis (1979) sont les premiers à étudier le machiavélisme d'un point de vue expérimental. Leurs recherches
s'étendent sur une longue période qui commence aux années 60. Au départ, Christie s'intéresse
particulièrement au sujet manipulateur, dont le comportement se révèle assez différent du comportement des
individus ordinaires. Son profil est assez clair : un grand détachement à l'égard des conventions sociales,
ainsi qu'une relation peu affective avec autrui. D'où l'hypothèse que l'individu manipulateur tire un maximum
de bénéfice d'un comportement rationnel stratégique. Après un programme d'expériences, l'élaboration d'une
échelle permet d'identifier le type machiavélique et les situations dans lesquelles son influence est la plus
performante.
Quelques expériences dans le cadre du groupe de recherches psychosociales et politiques à l'Université de
Caen ont corroboré les résultats obtenus par les expérimentalistes américains, bien qu'il ne s'agisse pas de
réplications à l'identique. Certaines ont déjà fait l'objet d'autres publications (Dorna 1996, Desmezières et
Lehodey 1994, Reboul 1994, Dorna 2001), mais leurs objectifs portent sur de nouvelles situations. Par
exemple, l'étude de la relation entre le positionnement politique des sujets et leur degré de machiavélisme
s'avère statistiquement significative. Schématiquement les résultats indiquent que le machiavélisme politique
s'établit ainsi :
Certes, les différences sont minimes, mais elles existent. Il y a là des pistes à explorer plus en détail. Une
autre enquête cherche à préciser la capacité persuasive de sujets machiavéliques et non machiavéliques. Bien
que les résultats ne permettent pas de conclure, les données brutes indiquent que, "dans la situation explorée"
(rédiger un texte sur la semaine de 32 heures, puis le défendre devant quelqu'un), contrairement à l'attente, ce
sont les non-machiavéliques qui semblent plus convaincants que les machiavéliques. C'est une situation où
les grands machiavéliques sont moins motivés, mais la question n'est pas tranchée. En revanche, d'autres
éléments s'y ajoutent : si la richesse de vocabulaire dans les divers textes était assez semblable, le nombre de
mots des non-machiavéliques était plus important. D'ailleurs, il y a quelques différences dans la structure de
leurs discours : les machiavéliques ont une structure plus marquée par les verbes factifs que par les verbes
déclaratifs, ils personnalisent davantage leurs discours, utilisent plus de modélisations. Plus originales sont
deux observations qualitatives : d'une part, on convainc mieux ses pairs, d'autre part, on est plus convaincant
quand on part d'une position critique.
Par ailleurs, si l'ensemble des résultats visent l'existence d'un système de pensée, c'est la mise en évidence du
poids de l'ambiguïté des situations qui le rend plus performant. L'homme machiavélique n'est pas un froid
ordinateur rusé et sans scrupules, ce sont certaines situations d'interaction qui renforcent ces comportements.
A savoir : les relations face à face, peu structurées (l'ambiguïté règne), et lorsque les règles et les moyens ne
sont pas définis préalablement. Encore davantage quand les situations sont d'une grande intensité affective, la
performance des non-machiavéliques se détériore.
Le profil de la personnalité machiavélique semble confirmé. Ce qui le rend redoutable est la neutralité
émotionnelle et le goût pour les rapports de force. Il sait mesurer la puissance des situations avec une grande
maîtrise de soi. De fait, le grand machiavélique ne se laisse pas arrêter par les contraintes, les conventions
morales ou culturelles de son propre milieu. La capacité de percer les points faibles d'autrui, le calme et le
manque d'engagements idéologiques lui sont autant d'atouts. D'où l'aura de cynisme et la logique froide qui
l'entoure dans son pouvoir. L'action des machiavéliques s'inscrit dans l'ordre établi des choses.
En somme, le machiavélisme hante les situations de crise. Comme personne n'arrive à cerner l'avenir, il y est
comme un poisson dans l'eau. Un sentiment de non-sens s'empare de l'action citoyenne. La peur de la liberté,
selon la fameuse formule de Fromm, reste le syndrome de notre temps. Il y a là une situation que l'ambiguïté
transforme en un vivier de machiavélisme, dans lequel les grands mangent les petits dans le silence et
l'impuissance des masses orphelines d'un projet de société autre.
Enfin, le machiavélisme des élites est un symptôme. Quand la démocratie ne répond pas aux aspirations
profondes des masses qui l'ont plébiscitée, alors la déception est grave. C'est une glaciation subite.
Le "règne" de F. Mitterrand peut se prêter à une interprétation de ce type, mais ce n'est pas ici le lieu pour
développer le caractère démocratico-machiavélique du personnage ni d'analyser, en amont ou en aval, le
processus politique qui lui est propre. Il suffit de poser une telle hypothèse.
En vérité, les crises démocratiques sont de véritables "boîtes de Pandore". Le spectre de la révolte peut se lire
à travers les indices socio-économiques, mais encore mieux dans l'anxiété sociale, la violence latente,
l'apathie, l'individualisme effréné, la fascination de l'éphémère. Il y a là encore une quête mythique de
certitudes et de vérités palpables.
Parmi les issues, le populisme offre dans ces cas une porte de sortie chaleureuse, et un élan pour débloquer
les situations devenues coincées.
6. Le leadership politique: charisme et populisme.
Formidable vieux chantier en pleine expansion, le leadership est une notion capitale qui traverse toute la
problématique de l'homme et de la cité. C'est le vecteur psychologique fondateur de toutes les organisations
qui composent la structure sociale. Ce n'est pas un hasard que la question du leadership se trouve dans l'Sil
du cyclone de la crise globale de la modernité. L'idéal d'autonomie de l'homme moderne se décompose ainsi
que le système qui lui donne sens. Le conformisme a épousé l'individualisme et le statu quo rend la situation
tendue entre une masse dans l'attente d'un sauveur et une élite de moins en moins en phase avec la réalité
concrète. Là, le charisme rejoint le populisme toujours latent dans les systèmes démocratiques.
Comment reconnaître le syndrome populiste ?
L'attitude populiste (Dorna 1999) est la constituante de toute politique démocratique : il n'y a pas de discours
politique sans référence au peuple. C'est un phénomène de transition éruptif et presque éphémère, qui se
développe sous la pression d'une crise généralisée devenue chronique. C'est le désarroi des masses populaires
devant l'immobilisme d'une aristocratie d'état au pouvoir, qui se considère compétente et propriétaire des
lieux.
Une constatation s'impose: le populisme est associé soit à l'échec des régimes autocratiques, soit à l'échec des
régimes démocratiques corrompus. C'est le manque de liberté autant que la désillusion de l'égalité qui
poussent les masses vers d'autres issues.
Le plus poignant et, à la fois, le plus insondable de la réalité populiste est le fond émotionnel qui l'anime. Le
ciment n'est pas sociologique, mais psychologique. Véritable socle sur lequel tous les autres composants
(sociologiques et économiques) s'installent. L'étonnante vitalité que dégage le populisme est, en ultime
analyse, plus une sonnette d'alarme qu'une explosion violente capable de tout emporter sur son passage.
Mais, c'est une lame de fond: une réaction de colère et de méfiance à l'égard des institutions.
Le populisme contemporain, mutatis mutandis, a trouvé un nouvel élan dans la société de consommation et
les moyens modernes de communication. Or, c'est là une perversion remarquable des attitudes populistes de
naguère. Il faut donc se méfier des contrefaçons : le néo-populisme peut s'apparenter au néo-fascisme. Mais,
c'est une erreur stratégique de les confondre. Les médias, notamment la télévision, démultiplient en images la
portée des discours ; la forme émotionnelle l'emporte sur la parole réfléchie.
Il y a un appel au peuple. L'homme populiste s'adresse à tout le peuple, mais surtout à ceux qui n'ont pas de
pouvoir, ceux qui subissent en silence l'impasse et la misère. Il y a dans cet appel l'évocation des grands
mythes fondateurs. C'est là sa force et sa raison d'être. Les symboles jouent un rôle de reconnaissance,
formidablement accéléré par l'espérance d'un retour à l'équilibre d'antan.
Pour mieux comprendre, le mouvement populiste s'incarne toujours dans une des figures les plus classiques
du maître : l'homme providentiel charismatique. Le style du leader compte pour beaucoup : la forme entraîne
le fond. C'est le jeu de la séduction et du savoir-faire, la finesse dans l'esquive, le contact direct et
chaleureux. La dimension anti-dépressive n'est pas absente. Le leader charismatique épouse la rhétorique,
mais rarement la démagogie. Si l'imposture guette le chef démagogue, la démesure accompagne le leader
populiste.
Le leader populiste émerge d'une manière abrupte, apparemment de nulle part, sans appareil structuré ni
doctrine élaborée. Un self-made man. Populaire par sa démarche autant que par son langage, il incarne la
tradition de la terre et l'innovation technique, avec une farouche volonté de contestation. Ce n'est pas un
prophète, encore moins un César, mais quelqu'un qui traverse le firmament social et politique comme un
météore avec beaucoup de prestance et une parole fracassante.
Le leader populiste se distingue d'autres types charismatiques (Dorna 1998) par la plasticité pragmatique et
l'habileté émotionnelle exubérante avec laquelle il féconde le temps du changement. L'attitude de base est
celle du grand frère proche qui cherche le contact direct et le dialogue avec tous. La communication est
horizontale et chaleureuse. Les échanges sont ouverts, vivaces, directs. C'est l'image vivante de l'homme
disponible, simple, qui apparaît sans affectation ni calcul.
Quelques chercheurs pensent (House 1992, Rondeau 1986, Barbuto 1997) que le leader charismatique
assume un rôle de transformation. Quatre points sont ainsi évoqués :
° l'inspiration : le leader incite les membres du groupe à se dépasser eux-mêmes pour la réussite de
l'ensemble ;
° la considération : le leader agit comme un mentor auprès de ceux qui ont besoin d'aide pour se
développer ;.
° l'encouragement : le leader stimule de nouvelles manières d'envisager le changement de croyances et de
valeurs ;
° l'identification : le leader représente, à la fois, l'incarnation d'un projet collectif et l'adhésion du plus grand
nombre.
Par ailleurs, le leadership charismatique est définissable essentiellement à partir de ses rapports avec
l'émotion par la parole. Il possède la maîtrise des émotions en même temps qu'il dégage des émotions fortes.
Ce n'est pas un trait de caractère, mais une forme de savoir, savoir qui s'apprend et se développe même
tardivement. (Goleman, 1995). Il faut rappeler que la logique du syndrome néo-populiste est de nature
affective. Aussi le discours explicatif purement rationnel ne suffit-il pas. Encore pis : il induit des erreurs de
diagnostic et néglige, par méconnaissance, les données subjectives, c'est-à-dire les vraies questions d'une
société en crise.
Rien ne remplace dans une argumentation l'appel à l'exemple vivant. Si nous avions évoqué en introduction
la figure de Berlusconi, d'autres sont tout aussi identifiables. Les traiter en épiphénomène serait une erreur
issue de la méconnaissance de la lame de fond néo-populiste qui traverse le monde. Il y en a bien d'autres, et
la figure de Berlusconi n'est pas quun des exemples européens. Jeter un regard ailleurs peut s'avérer fort
utile: Que penser du néo-populisme charismatique d'Hugo Chavez et de la récente tentative de coup d'état
dont il fut l'objet?
Toutes les conditions d'un néo-populisme étaient réunies lors de l'arrivée tumultueuse de Hugo Chavez à la
présidence du Venezuela en 1998 . La récente tentative de l'évincer du pouvoir et la riposte populaire qui le
rétablit dans son fauteuil sont une preuve supplémentaire du caractère charismatique de son leadership.
La volte-face de la situation vénézuélienne re-pose la question des causes et des formes du populisme, dont
l'histoire est longue et complexe. Encore davantage lorsque les transgressions et les défis à la "main
invisible" se répandent comme une tache d'huile dans un contexte de réchauffement de la planète.
Chavez incarne dans son pays, de manière paradigmatique, le renouveau et la renaissance médiatique du
néo-populisme. Jeune colonel en 1992, à l'issue d'un putsch avorté, il est devenu le symbole de la cause
"bolivarienne" (mythe têtu d'une Amérique latine autonome et unifiée) et le porte-parole d'un discours
libérateur. Il ne faut pas oublier qu'il est aussi un diplômé de la prestigieuse Université Simon Bolivar en
sciences politiques. Rien d'étonnant alors d'observer que ses premiers actes politiques témoignent d'une lutte
ouverte contre lestablishment et la corruption, associés à la crise structurelle du pays. Enfin, une fois
président, son programme le conduit à faire voter plusieurs lois sur l'expropriation des terres improductives et
le contrôle de lindustrie pétrolière.
Récapitulons : cet exemple, face à lembarras conceptuel, permet de dégager quelques signes de
reconnaissance, afin de mieux saisir les caractéristiques de la question populiste et ses manifestations
charismatiques. On peut en tirer trois constats:
Premier constat : le populisme n'est pas un simple mouvement de masse, mais la réponse des masses à
l'action (jugée courageuse) d'un homme charismatique. Le style du leader compte pour beaucoup, car la
forme entraîne le fond. Cest le jeu de la séduction et du savoir-faire, de la finesse dans lesquive, du contact
direct et chaleureux. L'énergie étant contagieuse, la dimension anti-dépressive du charisme nest pas absente.
Le leader charismatique épouse la rhétorique, mais rarement la démagogie et, si limposture guette le chef
démagogue, la démesure accompagne le leadership populiste.
Deuxième constat : leffervescence sociale nest pas la caractéristique principale du populisme, mais la
volonté farouche de rupture. Le ciment qui le fonde nest pas sociologique, mais psychologique. Véritable
socle sur lequel tous les autres composants (sociologiques et économiques) se mettent en place pour former
un nouveau monde imaginaire.
Enfin, troisième constat : lappel populiste s'adresse à tout le peuple, à tous ceux qui subissent en silence l
impasse et la misère. Il y a dans cet appel lévocation des grands mythes fondateurs, cest là sa puissance et
sa raison dêtre. Les symboles jouent ici un formidable rôle de reconnaissance.
Par ailleurs, il faut insister sur le contexte : le populisme émerge toujours associé à une situation de crise
sociétale. Sa signification se trouve en amont lorsque le fonctionnement de l'état s'est rendu hermétique au
peuple et la classe politique coupable d'une confiscation sournoise du pouvoir. Cela s'accompagne d'un
épuisement culturel et idéologique, d'un manque de confiance dans lavenir et dune dose létale de
conformisme. La cohésion sociale (nationale) cesse dêtre un rempart contre le processus de désintégration et
laction corrosive de limmobilisme des institutions. D'où la sensation de vieillissement. En réalité, il y a une
absence de projet commun. C'est l'enchaînement de trois facteurs : la déception, la frustration et lattente. La
croyance dans le gouvernement se fissure et lavenir fait peur. Le doute se transforme en silence politique
complice et en individualisme étroit. Il y a un sentiment diffus et contradictoire dordre et de changement.
En somme, le néo-populisme n'annonce pas la fin dun système, ni le commencement dun autre, mais l'état
de délabrement de la gouvernance démocratique. D'où la nécessité de le (re)connaître, l'utilité de le
comprendre et l'intérêt de le canaliser autant que possible.
Pour revenir au cas de Chavez, nous nous trouvons devant une des multiples expériences actuelles de
recomposition des forces politiques institutionnelles dans le monde. Si les partis de gauche et de droite se
décomposent dans un libéralisme gestionnaire, des mouvements de résistance s'incarnent sous la forme de
remakes populistes inattendus. La question néo-populiste est devenue, aujourd'hui, le symptôme politique de
la crise de la démocratie représentative.
Il peut paraître naïf de remonter à Pascal pour rappeler que la logique de la raison dérape sans l'aperçu de la
logique du cSur. Mais, incontestablement, c'est là que se situe le talon d'Achille de la science politique
classique, et encore davantage des élites tristes au pouvoir, trop prises dans le carcan technocratique et la
mécanique calculatrice de la pensée unique. La psychologie politique retrouve là une de ses raisons d'être.
7.- Le chantier du discours sécuritaire : la ville et l'insécurité.
La ville est généralement le centre de nombreuses représentations associées à la politique, ainsi l'étude
de ce phénomène est devenu un chantier pour la psychologie politique. Pour les responsables de la fameuse
école de Chicago, la ville est un "état de l'âme" ( R. Park), d'autant que la matrice psychologique urbaine
marque profonde mente les mentalités et les comportements de ses habitants.
Chacun sait que la politique est le résultat de l'urbanisation. La racine étymologique de ville, cité,
politique est la même : polis. Ainsi toutes les ville ont une histoire politique, côté rue, des journées
herboriseurs, et côté jardin, les officines de corruption. L'urbain engendre des représentations affectives,
comportements stratégiques, personnalités "citadines", émotions qui terrorisent ou charment. La ville attire et
elle répugne. Et elle dégage des style de vie contradictoires.
Faut-il rappeler l'importance - dès tous les temps - octroyé par le pouvoir politique à l'aménagement
de l'espace public de la ville ? Cela fait partie de la legitimisation de l'État : la mémoire collective de masses
s'en nourrie en permanence. Il y a là, au milieu des jardins et à l'ombre des monuments, une véritable agenda
historique de l'identité politique des peuples, de ses héros et martyrs, de ses batailles, de l'idéalisation des
grands projets, et rarement le souvenir des grands échecs..
Par ailleurs, comme à la fin du XIXe siècle, la ville (les mégapoles et plus particulièrement leurs
banlieue ) sont perçues sous l'optique du danger et l'insécurité : le sentiment de menace permanente se traduit
par une demande de plus en plus forte de mesures répressives. La littérature psychologique sur le syndrome
des "foules délinquantes" est a la base des interprétations politiques à la fin du XIX siècle. Aujourd'hui la
question de la sécurité est devenu le centre et la pierre d'achoppement des discours politiques.
L'idéologie politique puise dans les scènes de la vie quotidienne des villes: le bruit, la promiscuité, la
saleté, les maladies, le vice, le désordre, le melting-pot culturel, l'anonymat, la marginalité, mais également
se dégagent d'autres arguments plus positifs: le changement, la vitesse, l'échange, l'animation, la technologie,
les divertissements, les équipements sportifs et culturels. Nul ignore que le gigantisme des villes est devenu
le symbole à la fois de la gestion politique et la vitrine de l'ambiguïté intrinsèque de la modernité. Singapour,
Mexico, Sao Paulo, New York, sont là pour rappeler la puissance et l'arrogance du pouvoir.
L'attentat terroriste du 11 Septembre 2001 aux tours jumelles de New York mêle dans un même acte
politique les multiples représentations contradictoires de l'urbanisation, l'idéologie et le sentiment
d'insécurité.
8.- L'État et la solidarité
Rarement les rapports entre l'Etat, la solidarité_ humaine et l'auto estime sont analysés comme un chantier
psychopolitique. Pourtant, le principe de solidarit_ est un trait d'union qui traverse le temps. En effet, l'idée
solidariste est restée latente depuis saint Paul et Marc-Aurele, sans oublier les actualisations
social-chretiennes, au cour de la première moitié du XIXéme siècle de Pierre Leroux. C'est chez lui que le
mot trouve une acception politique, pour devenir à la fin du siècle un grand thème donnant lieu à de
nombreux débats avec la participation de plusieurs universitaires (H. Marion, F. Passy, C. Janet, Ch. Gide, H.
La Fontaine, F. Buisson, E. Boutroux, E. Durkheim, C. Bouglé et bien d'autres, dont les contributions
montrent la richesse.
Plus politique que philosophe, Leon Bourgeois (1912) est le catalyseur intellectuel de l'ensemble bigarré de
positions solidaristes, afin de réaffirmer une évidence théorique : l'organisation politique de la société est la
condition première de l'évolution vers une société plus juste. D'autant que l'idéal social démocratique ne peut
se réaliser en dehors d'une République au sens de la "politeia" grecque. C'est là que la pratique humaine qui
concerne l'ensemble de citoyens. Car la sécurité et le bien-être, l'instruction et la justice, l'assurance contre
les risques prévisibles, et les garanties de la liberté individuelle, passent par la structuration du "bien
commun", dont le lien n'est autre que la solidarité réciproque. Le solidarisme se caractérise par des
interventions spécifiques du politique sur les structures sociales, donc l'Etat.
Parce que l'idée de solidarité exprime, selon Bourgeois, une valeur politique, il faut lui proposer un cadre
juridique et sociologique dont la justification est à la fois morale et scientifique. C'est le propre du
raisonnement poussé jusqu'aux limites par le positivisme politique. Ainsi, il écrit : " La nature n'est ni juste
ni injuste, c'est l'homme qui détermine la valeur de choses et des comportements". Et ajoute : " Le propre de
l'homme c'est non pas de se révolter contre les lois de la nature mais de s'en servir, de les plier à son usage,
de choisir parmi les moyens ceux qui le mènent à ses fins. Il asservit les lois, la nature, et par là conquiert sa
propre liberté".
Quel est l'argumentaire explicatif du solidarisme. Un point de départ : la vie humaine est individuelle et
sociale. C'est un truisme de dire qu'elle est faite d'interdépendance, de réciprocité, d'association et d'équilibre.
A y réfléchir l'humanité est une solidarité de fait: l'homme est un animal social, voire politique. C'est à cause
de la rupture du trait d'union que l'injustice montre sa laideur et les antagonismes d'intérêts effacent
l'essentiel commun des hommes. D'où la recherche d'une issue politique capable de désamorcer la spirale de
la violence et la reproduction de l'injustice. C'est un impératif moral, mais démunis des vieux démons
métaphysiques. L'esprit de justice n'est pas une simple idée sortie de la tête des quelques sages, mais l'issue
rationnelle à la violence et au désir de domination que la "lutte pour la survie" avaient imposé aux hommes la
satisfaction des besoins primaires à l'aube de l'humanité.
Par conséquent, la théorie solidariste de Bourgeois s'interroge et souhaite répondre à la question de la valeur
sociale de devoir. C'est par l'expérience récurrente des générations, l'éducation et le raffinement progressif et
cumulée des cultures aussi diverses que complémentaires. Mais, si le mécanisme est simple, à première vue,
il opère d'une manière complexe. D'abord, c'est la reconnaissance des "créances" et des "dettes", autant que la
présence des "quasi-contrats" de réciprocité.
Il y a ainsi un même mécanisme qui fonctionne dans deux temps:
Premier temps : la reconnaissance de la dette envers l'humanité. L'homme est le produit d'une culture et des
connaissances cumulées par l'humanité de génération en génération. De fait, il est débiteur et par conséquent
l'homme doit s'acquitter de sa dette envers ses ancêtres, et ses coassociés ( ici et maintenant); de plus, il faut
qu'il s'occupe de ceux qui viendront après lui. C'est là où l'économie est un acte politique et moral, individuel
et collectif.
Deuxième temps : le quasi-contrat. Contrairement à Rousseau qui propose un mythe pour expliquer les
origines de l'humanité, sous la forme d'un contrat-social, Bourgeois parle d'un quasi-contrat, rétroactivement
consenti, en tant que reconnaissance de la dette de chacun avec autrui. C'est le prix à payer à la nation pour
la liberté; sa juste part - écrit Bourgeois - " selon une progression qui imposera nettement à chacun une
charge véritable correspondante aux bénéfices qu'il tire de la société".
La question psychologique pousse la réponse politique dans une unité dialectique : Comment réparer la
cassure de la solidarité sociale qui engendre l'injuste, donc le sentiment de perte de liens? La seule prise de
conscience ne suffit guerre. Il n'y a plus de place à une "utopie" quelconque. C'est là que l'État (républicain)
peut jouer un rôle central et devenir une force de proposition. Certes, à condition que les principes de l'intérêt
général soient respectés et la justice sociale puisse retrouver un point d'équilibre. La démocratie, étant une
méthode pour gouverner, peut le permettre dans un espace public ouvert au dialogue, afin de ne pas
escamoter les contradictions. Car, il serait une erreur de ne pas reconnaître que derrière toute solidarité, des
conflits existent en puissance, même si la concertation les adouci. De fait, le moteur du changement n'est pas
ici la "lutte de classes", mais l'effort pour l'harmonisation de forces en tension grâce à la parole et la
délibération collective.
Ici, l'État joue son rôle d'arbitre et selon Bourgeois : "L'État, dont la raison d'être est d'établir la justice entre
les hommes, à donc le droit et, par conséquent, le devoir d'intervenir pour établir l'équilibre". Or, l'expérience
montre la distance considérable entre la théorie abstraite de juristes et la pratique concrète de la citoyenneté.
Car, l'État prend corps avec son appareil administratifs et s'oppose parfois aux citoyens, c'est à dire à la
Nation qu'il est censée de représenter. Le pouvoir de l'État est ainsi ressenti comme une contrainte, voire une
anti-liberté. Telle dérive bureaucratique n'échappe pas à la réflexion de Bourgeois. L'Etat-Républicain doit se
garder non seulement de ses propres perversions, mais des effets de la pression de l'oligarchie financière qui
pénètre et corrompe de façon insidieuse l'appareil administratif.
C'est là l'appel à la citoyenneté, profondément encré dans la démarche solidariste, afin de dénoncer les abus,
et de plaider pour l'instauration des contre-pouvoirs. Car, le pouvoir tend à faire croire à des réformes
illusoires, dénaturer et déformer l'information, ou encore à distribuer le chaud et le froid en fonction des
directives qui échappent au contrôle de la Nation.
Voilà pourquoi, Bourgeois pose le problème de la liberté, de la "propriété" et du couple "capital-travail" dans
le droit fil de l'approche de l'Etat-Républicain, sous le contrôle de la Nation, afin de ne pas tomber dans les
excès d'une vision collectiviste ni l'égoïsme d'une pratique purement individualiste. Ainsi, il n'est pas
question de transférer dans les mains de l'État les moyens de production, mais d'équilibrer les secteurs où les
excès sont flagrants. Car, l'analyse de la société réduite à l'ordre économique est à la fois incomplète et
trompeuse. La loi est une ressource puissante pour contraire l'emprise de corporatismes sans avoir recours à
la violence.
La théorie solidariste peut se retrouver dans les réflexions de R. Lane (1982), dont l'approche
psychopolitique réaffirme l'idée que la justice et l' équilibre n'existent spontanément dans la nature, en même
temps qu'il s'agit des valeurs qui découlent de l'expérience collective et se canalisent à travers l'intervention
de l'Etat. Ainsi, l'estime de soi est devenue une affaire d'Etat. Dans ses travaux Lane met en évidence les
rapports étroits entre l'estime de soi et le pouvoir public. Car, c'est l'Etat, à travers ses agents, qui confère des
récompenses psychologiques puissantes : des honneurs et de la reconnaissance sociale, le statut et la
renommée.
Par conséquent, explique Lane, l'Etat peut favoriser (ou pas ! ) les comportements sociaux et l'equilibre
psychologique collectif, lorsque le respect à soi même et autrui sont renforcés, la dignité de chacun est
garantie, et l'importance de l'argent et du pouvoir trouvent une juste place dans l'echelle des valeurs
communes.
L'Etat n'est pas un simple appareil administratif, mais une communauté d'inserts collectifs, dont le rôle est
d'assurer la distributions de richesses matérielles, mais le garant de l'équilibre et des valeurs communes. D'où
son caractère politique. Certes, hors du cadre républicain, l'Etat peut se transformer en tyrannie ouverte ou
déguisée.
9.- Le chantier de l'économie politique et de ses rapports avec la psychologie.
Faut dire que ce chantier est en pleine évolution, voire en quête d'autonomie fontionnelle. Si, la vieille
question du pouvoir politique, est représenté par un triptyque fort ancien, dont les éléments sont
symbolisables par une figure triangulaire en mouvement rotatif, l'économie politique réintroduit le
psychologique, mais d'une manière équivoque avec la formule : "l'homo economicus". Car, ici la question
psychologique est autour du leadership à un moment donné. Rappel : tout pouvoir ( commandement) à un
visage
L'histoire des processus politiques et de ses régimes illustre à merveille la complexité de l'interaction de leurs
composants. Certains auteurs classiques ont postulé une éternelle circularité de la structure du pouvoir.
Pourtant, sans revenir aux querelles idéologiques, il semble utile de re-situer un quatrième composant du
pouvoir qui progressivement surdétermine l'ensemble, et dont la particularité est de toujours rester à l'ombre,
bien que de nos jours sa présence est devenue d'une grossière évidence : le système économique.
Si, dans ces dernieres décennies, il y a eu plusieurs tentatives pour développer une psychologie
économique (Katona 1963, Albou 1884, Lassare 1995
) pratiquement personne s'est occupé de ses liens
avec les régimes politiques. Certains on voulu introduire un rapprochement avec le concept de "besoin". Or,
telle initiative s'est transformé en vSu pieux. Ni les économistes ni les psychologues sont arrivés à en faire
une notion commune. L'effort est épistémologique. Il faudrait revenir au dialogue (subjectif-objectif)
proposé par H. Berr et certains de ses disciples, notamment Simiand, dans le cadre d'une théorie synthétique.
Et surtout sans oublier l'Suvre de G. Tarde ( 1902) qui porte déjà justement le titre de "psychologie
économique". Il dénonce dans ce cours au Collège de France l'erreur de méconnaître la nature " éminemment
psychologique des sciences sociales , dont l'économie politique n'est qu'une branche" ( souligné par nous).
Or, contrairement à ce vSu la économie politique s'est situé hors du champs des sciences humaines et
sociales pour devenir une technique.
C'est pourquoi le "vide" persiste encore. Or ce "vide" la psychologie politique est en mesure de le
combler, à condition dépasser la simple utilisation des méthodes psychosociologiques pour étudier les
comportements de "consommation".
Pour y parvenir il faudrait la re-ouverture des vieux chantiers épistémologiques qui renforcent le
cloisonnement de chaque discipline. Car le manque de dialogue et d'inter-communication entre les
disciplines humanistes et sociales a fortement contribué à leur propre épuisement sous la forme des
micro-théories autonomes.
1O.- Un chantier sorti de la nuit des temps : religion, psychologie et politique
La question de la relation omniprésente de la religion avec l'ensemble des phénomènes sociaux,
politiques et psychologiques est un truisme. Tous les auteurs classiques en conviennent. L'histoire en
témoigne. Or, le poser dans le cadre actuel, quand l'emprise religieuse est évanescente en occident, relève
d'une réflexion plus récente. La montée de l'islamisme dans le monde et son caractère terroriste (l'attentat du
11 septembre 2001 à N. York) sont des faits, dont l'amalgame est fâcheux, mais non moins pertinent.
Sans vouloir évoquer les clichés, largement vulgarisés par la presse, les réflexions des quelques
sociologues et politologues tels Kepel (1991), Barber ( 1997), puis Huntington (1996) montrent l'importance
contingente de la question religieuse de nos jours. L'islam n'étant que le sommet d'un iceberg, le renouveau
religieux se trouve au cSur de la transmutation culturelle, du malaise de société moderne et de la crise
politique de la démocratie représentative.
Faut-il rappeler l'hypothèse du rôle la religion dans l'organisation sociale, à l'aube de l'humanité, et dans les
périodes de crises profondes (le moyen âge en occident reste un paradigme), pour comprendre son poids
aujourd'hui ? Ainsi la figure que nous avons utilisée (ci-haut) pour montrer l'interaction des grandes
représentations du pouvoir nous permet de reposer la question de la religion comme le sommet historique de
la pyramide de la notion d'autorité. C'est l'ordre religieux au sens théocratique qui reste dans l'ombre, encore
aujourd'hui, de ordre "politique" .
Sans rallier les conclusions de l'essai de S. Huntington (1996) faire attention à l'éventualité d'un retour
du refoulé religieux est une attitude candide. La société occidentale est sortie depuis un moment des guerres
de religion, quoique la virulence et la durée du conflit d'Irlande du Nord devrait (nous) faire réfléchir
davantage. D'ailleurs, la séparation de l'État et l'église reste un vSux pieux dans un occident profondément
marqué par la tradition judéo-chrétienne.
Le réveil musclé de l'Islam fait partie d'une longue série d'évènements qui montre la fragilité des
valeurs laïques et le retrait des positions matérialistes, scientifiques et rationalistes.
Le retour du religieux en politique - sous diverses formes - s'inscrit dans la crise qui traverse depuis
plus d'un siècle la culture dite occidentale. Faut-il insister sur le fait qu'il s'agit d'une crise de "sens" plutôt
que de "vérité" ? Il y a là un vaste terrain vide, jadis occupé tant bien que mal par ce que certains appellent
encore le "sacré", c'est à dire le rapport psychologique de l'homme avec le cosmos. Question ancienne, mais
jamais vraiment dépassée, qui retrouve une place dans les nouveaux rapports à ciel ouvert que la religion
tisse avec la politique à travers la reconversion religieuse des anciens pays communistes, la vision
providentielle de l'idéologie libérale de G.W. Bush ou l'engagement des islamistes dans le terrorisme
politique.
Comment expliquer cette renaissance religieuse ? Les réponses sont multiples, Spengler n'a-t-il pas
déjà parlé au début du XX siècle de la "décadence d'occident", l'impact de la modernisation et la technologie
sur les structures traditionnelles, les traumatismes affectifs et sociaux, la fragmentation de l'homme
moderne, et les besoins qui en découlent autour de la recherche d'une nouvelle identité dans un monde sans
repères. En somme : c'est une réaction en chaîne à la laïcisation de la société, au relativisme culturel et moral,
à l'individualisme et la solitude des masses. Les conséquences sont une réaffirmation des valeurs canoniques
d'ordre, de discipline, de solidarité de groupe et de cohérence psychologique.
En quelque sorte la religion prend la place de l'idéologie de l'émancipation politique, et, le nationalisme
confessionnel celle du cosmopolitisme révolutionnaire issu des révolutions modernes. La force de la
transfiguration du religieux nous révèle un fait étonnant : le retour de la religion touche toutes les couches
sociales, notamment dans les pays occidentaux : les secteurs urbains, les immigrés, les jeunes et certains
intellectuels déçus de la modernité.
Impossible donc de faire comme si ce chantier n'existait pas. Or, les psychosociologues
expérimentalistes campent sur des positions révolues en matière de religion, sauf quelques rares exceptions.
Il faut se tourner du côté de la sociologie classique et des études en sciences politiques pour reprendre les
traces d'une si longue histoire et d'une rentrée si peu attendue, malgré les signes existants depuis fort
longtemps.
IV.- Le besoin d'une réflexion inattendue : les rapports entre l'état de la science et la pratique politique.
L'emprise du modèle de sciences dures sur les SHS s'est effrité. Nombreux sont les voix qui se prononcent
pour une révision de l'état de la question. L'écart entre l'émotion et la raison est en train d'être dépassé.
La fragmentation des sciences humaines et sociales (SHS) dont nous avons décelé une de raisons du retour
de la psychologie politique et de la tache de se doter d'une nouvelle transdisciplinarité pose un problème
encore majeur : la crise de l'approche scientifique et des modèles issus de la modernité est-elle responsable
de l'absence d'un projet alternatif de société ?
La crise de la modernité frappe tous les domaines. C'est une déflagration, dont les conséquences sont
politiques. Le marasme démocratique réponde - à notre avis- à l'essoufflement du projet humaniste et
rationaliste des lumières. De fait, les SHS esse trouvent dans l'Sil du cyclone. Comment ne pas s'apercevoir
que la fragmentation du savoir en SHS et la multiplication de micro-théories laissent sans réponse les
grandes questions de société de ces deux derniers siècles.
En réalité, l'époque contemporaine traverse une crise aiguë de manque de synthèses, dont le symptôme est la
perte du sens collectif et d'un horizon théorique. L'avenir est envisagé subjectivement d'une manière
incertaine et indéchiffrable. L'ambiguïté brouille les pistes, renverse les perspectives et fragmente la vision
du monde introduite par la modernité. Le siècle des lumières s'obscurcit. La perception de ses grands
principes fondateurs (la rationalité, l'universalisme, l'humanisme et la laïcité) se trouble et la réalité se fait
évanescente.
La société actuelle est perçue en conséquence comme plus complexe et son processus d'évolution fort peu
maîtrisable. Les cadres de compréhension de ses racines, la relation entre société et individu, culture et
politique, se trouvent profondément altérés et méconnus de surcroît. D'ailleurs, si la société moderne retrouve
une nouvelle phase de globalisation, la transformation des rapports humains et des rapports de production
modifie les mentalités autant que les contours de la civilisation. De fait, dans ce contexte, le modèle
démocratique montre ses limites, curieusement, au moment même où il s'impose à l'échelle de la planète.
Certes, la société est devenue réflexive, autocritique et globale, mais la sociologie de la modernisation est en
train de développer un fatalisme négatif et des comportements à la fois plus compétitifs et davantage
individualistes. Les rapports sociaux et les expectatives psychologiques ont changé de nature. En
conséquence, l'approche des SHS n'échappe guère à cette évolution générale.
Si une telle incertitude touche à la fois le domaine de l'expérience individuelle et celui des institutions
collectives, c'est la pertinence, non seulement des gouvernements, mais également des sciences, autant les
"naturelles" que les "sociales", qui est en cause. Certes, la question n'est pas nouvelle en ce qui concerne les
sciences sociales, mais elle pose à nouveau deux problèmes, l'un évoqué dans les années 60 par Snow, sur la
séparation progressive de la culture scientifique (dure) et de la culture littéraire (molle), l'autre un bilan
paradoxal de la production de la connaissance en sciences sociales : le syndrome des "micro-théories". Plus
elles se multiplient (via les expériences de laboratoire ou les travaux purement empiriques), moins on dispose
d'une théorie sociale explicative compatible avec l'évolution vertigineuse du monde. En conséquence, la
connaissance s'émiette, se fragmente et finit par se transformer en connaissance de rien. Il existe deux
politiques du savoir que les politiques eux-mêmes sont en train d'écarteler : l'attitude de l'expert, de plus en
plus légitimé par les pouvoirs, est trop partielle, car munie de la sensibilité de l'histoire. En revanche,
l'attitude du généraliste correspond mieux à l'urgence de tenir compte de l'ensemble. Il s'agit de renverser ou
plutôt re-équilibrer la tendance à la micro-specialisation et l'in communication du savoir qu'en résulte. Une
manière d'envisager une telle démarche consiste en réconcilier à la fois la raison et l'émotion, la subjectivité
et l'objectivité, ainsi que la volonté de réduire la distance entre les approches qualitatives et quantitatives. A
fin d'illustrer la tâche, voici un schéma (provisoire) de las variables à considérant en el analyses de las
perceptions de l'interaction sociale et politique.
Ce schéma ( simple échafaudage à revisiter) re-introduit trois dimensions, à notre avis négligées par la
psychologie sociale et les SHS lorsqu'elles se penchent dans la recherche d'explication de la réalité construite
par les hommes. A savoir : la culture, l'historie et le temps. Les éléments que nous appelons "antécédents"
sont le levier de la situation hic nunc, autant que les variables dites d'expectatives ( conséquences perçus par
les individus) permettent d'envisager le cadre large dans lequel se situe le processus psychologique des
changements politiques.
En réalité, notre démarche appel la coopération transversale des connaissances, au lieu de chercher le
paradigme perdu ou le retour à la matrice originale Voilà la question d'une heuristique psychopolitique :
simplement observer les phénomènes en mouvement, et l'interaction des comportements humains dans un
devenir historique (avec continuité et ruptures), dont les conséquences peuvent être perçues, sans faire de la
rationalité un système fermé, ni postuler une connaissance unique et indépassable, en dehors de la
expérience, à la fois objective et subjective.
Alexandre Dorna
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Bonnes feuilles extraites de l'ouvrage De l'âme et de la cité d' A. Dorna
(à paraître chez In Press prochainement)
Particularités du post-communisme en Roumanie
Lavinia BETEA
L année 1989 - annus mirabilis, comme il est souvent appelé - reste le point de repère
des démarches ayant pour thème lhistoire récente des sociétés ex-communistes.
Quelles que soient les disciplines socio-humaines qui les encadrent, celles-ci sont
compliquées par labsence dhypothèses explicatives, antérieures au fait historique. Les
changements au niveau du mental individuel et collectif sont difficiles à estimer, pour
de diverses raisons. Les modifications survenues dans la configuration de la
personnalité de lindividu, dont une grande partie de la vie a été soumise au programme
de formation de lhomme nouveau ne comportent pas de termes de comparaison. En
même temps, le fait de se rapporter, de la perspective psychologique individuelle et
sociale, à la situation précédant linstauration des régimes communistes nest pas
opérationnel.
Comme les autres pays des Balkans, la Roumanie se caractérise par labsence des
traditions démocratiques.
Le système politique roumain de la période dentre les deux guerres, basé sur le
suffrage censitaire, est designé comme une démocratie mimée (Doggan, 1999). Les
conditions sociales, économiques et culturelles nétaient pas à mêmes de favoriser la
culture civique et politique de lélectorat. En plan politique, la Roumanie se situait,
comme tous les autres pays du sud-est de lEurope, dans la phase de constitution de la
nation après lécroulement des grands empires où ils avaient été incorporés. Le besoin
de consolider leur identité nationale constituait le dénominateur commun de ces pays.
Cest ainsi que, entre les deux guerres -le bolchévisme et le fascisme- loption des
élites roumaines et dune partie de la population sera lextrêmisme de droite, répresenté
par le mouvement légionnaire. Linterdiction du pluripartisme par la loi électorale de
mai 1939 a été succedée par le régime des démocraties populaires´(1944-1948), étape
dans laquelle on a imposé le régime communiste, par des techniques de manipulation
spécifiques.
Il faut y ajouter que dans la Roumanie communiste, le régime Ceausescu (1965-1989)
a excellé par le nationalisme promu, par lempechement et lanéantissement de toute
forme de résistance r travers le contrôle exercité par la police politique sur les citoyens
et la censure sur linformation avec laquelle ceux-ci pouvaient venir en contact. Cest
ainsi que, dans le processus décroulement des régimes communistes en éurope, afin de
changer léquipe au pouvoir, en Roumanie on a mis en sccne une révolution typique
en 1989 (Karnoouth, 2000).
Dans les analyses concernant la révolution de Roumanie, la seule révolution sanglante
par rapport r la révolution de velours des autres états communistes dEurope, il faut
signaler les particularités suivantes du transfert du pouvoir:
En Roumanie seulement il y a eu lieu un renversement sanglant du régime, pendant
lequel (22-25 décembre 1989) 1104 hommes sont morts et 3352 ont été blessés.
On a fait recours r la violence non seulement avant la fuite du couple Ceausescu de
Bucarest, mais encore plus aprcs cela. Le but de cette action était de créer lapparence
de legitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe dirigeante et dassurer ce
pouvoir par les changements institutionnels et des élites de premier rang.
En Roumanie seulement, le chef du parti et de létat a été executé aprcs un proccs
représentant une rémanence des proccs staliniens.
A peine aprcs le renversement de la dictature ayant une teinte idéologique
national-communiste, en Roumanie les communistes réformistes ont pris le pouvoir.
La competence du nouveau groupe décisionnel est remarcable par lorganisation du
Front du Salut National (FSN) - formation qui assume la direction du pays. Pendant 3
jours (le 22-25 décembre 1989), sur le fond des manipulations appelées laffaire des
terrotistes, celui-ci se substitue aux organization du parti communiste à tous les
niveaux du politique dans tout le pays. Dans une première étape, les nouveaux
dirigeants veulent se légitimer en tant quagents du changement, en maintenant leurs
positions au sommet de la hiérarchie par des mesures populistes. Leurs attentes ont été
satisfaites par lélectorat qui a crédité FSN aux élections du mois de mai 1990 de 87,
5% des suffrages. Son leader Ion Iliescu - en compétition finale pour le fauteuil
présidentiel avec les représentants, récemment revenus de lexil, des deux partis
historiques qui renaissent (Le Parti National Liberal et Le Parti National Paysan
Chrétien et Démocrate) - est paru comme le facteur de déclenchement des effets
positifs de lépoque.
Son avantage, pour occuper la position de premier rang dans la hiérarchie du pouvoir, a
consté dans son habileté d organisateur et dans sa capacité de détenir des relations
clientélistes basées sur sa propre personne parmi les élites du temps (Gabanyi, 1999).
Ainsi, par sa biographie, Ion Iliescu représente les relations et les groupes suivants:
les répresentants et les continuateurs des communistes illégalistes de 1922-1944 (son
père et sa mère adoptive avaient été illégalistes);
les anciens étudiants des facultés de Moscou (pendant 1950-1953 il avait été étudiant à
lInstitut dEnergétique dans la capitale soviétique et leader des étudiants roumains de l
URSS)
lorganisation de la jeunesse communiste UTC (1957-1971 - il a été premier secrétaire
de lUTC),
les activistes de premier rang du parti (février-juillet 1971, sécretaire de la propagande
du CC de PCR; 1971-1974, sécretaire de la propagande du département de Timis,
1974-1979, premier secrétaire r Jassy);
les technocrates (1979-1989, directeur du Conseil National des Eaux);
les gens de culture (1984-1989, directeur de la Maison dEdition Technique ayant le
sicge r Casa Scânteii); dans sa qualité de dirigeant départamental ou national de la
propagande, les écrivains, les gens de culture et dart et ceux de lenseignement lui
étaient subordonnés)
La démocratie non-représentative du pluripartisme. La promulgation de certaines lois
démocratiques en vue de la libre association a donné naissance au phénomène appelé
la démocratie non-répresentative(Revel, 1990)
Tout comme dans lex-Union Sovietique, les partis parus en Roumanie - des dizaines peuvent être groupés en cinq catégories (Thom, 1994)
des partis qui essaient de renouveler la tradition pré-bolchevique, respectivement celle
dentre les deux guerres (Le Parti Liberal, Le Parti National Paysan Chrétien et
Démocrate);
des partis qui prétendent sinspirer des modèles occidentaux (Le Parti Démocrate, Le
Parti Ecologiste);
des partis qui ne sont, en réalité, que des groupements autour dun leader plus ou moins
charismatique;
des partis qui expriment lorganisation politique et les interêts de certains groupes de l
administration et de léconomie;
des partis résiduels, qui renaissent du parti communiste et/ou des services spéciaux.
Malgré la dénomination et les doctrines déclarées, les partis politiques qui dominent à
présent la vie publique roumaine ressemblent peu aux partis politiques propres à la
société moderne. Lidentification avec un parti na pas les connotations connues (l
apparition de nouveaux partis se produit par la fragmentation de ceux déjà existents,
dans le cadre dun phénomène qui ressemble à la multiplication des organismes
primaires par scissiparité). En général, les partis actuels sont construits non pas comme
des groupements qui appuient une certaine politique, mais autour de certains leaders.
Les conflits existant entre les leaders font naître dautres partis. Mais depuis 1990, sur
le plan principal de la scène politique, PDSR na jamais manqué - il sagit du parti
articulé en décembre 1989 (FSN) sur les structures du parti communiste.
Il faut signaler un moment significatif de lhistoire post-communiste de la Roumanie:
la constitution de la Convention Démocrate de Roumanie (CDR), comme une coalition
des forces dopposition à PDSR. CDR et son candidat présidentiel Emil
Constantinescu ont gagné les élections de 1996. La législature 1996-2000, au début de
laquelle la plupart des Roumains avaient espéré quelle apporterait le changement en
bien, a constitué pourtant une grande désillusion.
Les caractéristiques des élites. Les membres du gouvernement, du parlament, des staff
des principaux partis post-communistes peuvent être designés par le terme institutciki
(utilisé par la presse russe conservatrice pour les promoteurs de la perestroika). Ils
proviennent, la plupart, des instituts et des universités - représentant le milieu
universitaire, conformiste, servile et faible (Iakovlev, 1999), des services spéciaux et
de la presse. Léducation en vertu du principe stalinien qui nest pas avec nous est
contre nous est visible dans les rapports existant entre les partis adverses, dans le
contenu de la presse communiste, dans le langage eschatologique utilisé par certains
journalistes et politiciens dans les disputes avec leurs adversaires.
Des concepts comme réforme, changement, démocratie, consensus, économie de
marché constituent des accessoires doctrinaux de tout parti. Le discours électoral
excelle en promesses; le politicien actuel a herité le manque de responsabilité typique
de lactiviste de parti du régime précédent. Mais plus encore que pendant le régime
communiste, la carrière de politicien est la voie le plus avantageuse et efficiente de
posseder des biens, des privilèges et de la popularité.
En essence, le manichéisme et la logocratie sont les caractéristiques des élites
actuelles.
La confusion dinstitutions et de rôles. Dans la multitude des organisations et des
institutions dépourvues de compétences bien définies du régime communiste, cest le
rôle dirigeant et de censeur du parti unique qui sest distingué. La propagande a
augmenté sans cesse la création de la représentation selon laquelle cest au parti
communiste (et surtout à son leader) quon devait la satisfaction des besoins
existentiels des individus.
Cest pourquoi, au niveau du mental collectif se maintiennent à présent les confusions
entre les attributions des institutions fondamentales politiques, législatives et
administratives. Cela donne naissance à des disputes et à des divergences difficiles à
solutionner au niveau central et local. En Roumanie, les gens attendent encore que les
partis auxquels ils adhèrent résolvent leurs problèmes exitentiels individuels.
Dans le plan de la vie individuelle, on remarque le fait que le rôle de la famille stagne à
la mentalité de lancien régime. Ainsi, les parents essaient de transférer leurs
responsabilités aux institutions dassistance sociale et éducationnelles.
Lappauvrissement de la population. Léchec des premières tentatives de transition à l
économie de marché a été peu ressenti pendant les premières cinq années suivant la
chute du régime communiste. Cela sexplique par le fait que les emprunts financiers
faits à létranger ont été utilisés non pour restructurer léconomie, mais pour
subventionner des marchandises et des services de large consommation pour la
population. Apres cette étape, les Roumains habitués à un certain niveau de vie
sous-mediocre, mais qui leur garantissait certains droits sociaux, (le lieu de travail, la
pension de retraite, le congé et la gratuité de léducation et de lassistance médicale)
ont ressenti le choc de la dégradation des conditions de vie.
Lappauvrissement de la population a evolué progressivement. En dix ans, le salaire
moyen net, exprimé en dollars, sest réduit à la moitié (en octobre 1990, il représentait
162 dollars; en janvier 2000 il avait diminué à 87,5). Les sondages dopinion montrent
que la privatisation est perçue comme un stimulent pour la pauvreté (Constantinescu,
1995) et la représentation des entrepreneurs se réalise par association avec la
malhonnêteté. Des données qui utilisent le passé et lavenir comme indices du présent
(M. Ziolkowski, 1998), il résulte que les espoirs dune vie meilleure des Roumains se
détériorent progresivement. En 2000, 70% des Roumains appréciaient que les
conditions de vie de 1989 étaient meilleures que le présent. Tout comme dans les
autres états communistes, en Roumanie les gens ont commencé à associer le régime
passé avec les bons temps (G.H. Hodos, 1996)
Le nationalisme et la xénophobie. Cela a constitué le contexte socio-politique dans
lequel les dernières élections se sont deroulées (26 novembre 2000). Compromise à la
suite du gouvernement précédent, CDR na obtenu qu 6% des suffrages. PDSR et son
leader qui candidait pour le fauteuil présidentiel, Ion Iliescu, étaient considérés comme
les favoris incontestables des élections. PDSR a obtenu finalement 43% des suffrages
des électeurs. Parmi les partis historiques, PNL uniquement a obtenu des résultats
significatifs (10%) par rapport aux élections précédentes.
Lascension du parti România Mare (La Grande Roumanie) (PRM) et de son leader
Corneliu Vadim Tudor en tant que candidat à la présidence de la Roumanie a constitué
une surprise de grandes proportions. Récepté comme un parti extrêmiste - selon
certaines opinions, de droite, selon dautres - de gauche - antérieurement aux
élections de 2000, aucun sondage ne créditait le parti avec la performance dobtenir
plus de 10% des suffrages. Mais il a obtenu 22% des votes de lélectorat, se montrant
ainsi la principale force de lopposition actuelle en Roumanie. Après le premier tour
de scrutin pour la présidence, C.V.Tudor (28,4% des suffrages) était placé dune
manière surprenante très près de Ion Iliescu (36%).
Qui est le leader nationaliste de Roumanie? Né en 1949, C.V. Tudor se présente, d
une manière propagandiste, comme le fils dune famille de travailleurs, chrétienne. Il
est diplômé de la faculté de sociologie de Bucarest et il a terminé ensuite une école d
officiers en resèrve. Pendant le régime communiste, il a excellé en tant que publiciste
et poète engagé politiquement. En 1990, sur le fond des conflits inter-ethniques de
Transylvanie et des manipulations practiquées par les officiers de lancienne Securitate
C.V. Tudor a fondé le parti România Mare. Sans que lon ait des données précises sur
le nombre de ses membres, le parti semble représenté, en principal, par la revue
hebdomadaire România Mare. Ses représentants marquants dans lactuel parlement de
Roumanie sont des anciens officiers de la Securitate, des chanteurs de musique
populaires et des journalistes.
Sans avoir un programme économique ou destiné à freiner la corruptionm - celle-ci
étant déclarée la cause fondamentale de la dégradation de la vie en Roumanie - la
popularité de PRM semble résider dans le discours de son leader.
Ce qui le caractérise cest lappel aux mythes de large circulation analysés par R.
Girardet (1986) - le mythe du sauveur, de la cité assiégée (les allusions continuelles
à la Transylvanie), de la conspiration(les conspirateurs étant les maffieux désignés d
une maniere imprécise) et du renouvellement de lâge dor (apprécié comme étant,
selon les circonstances, soit lépoque médievale, soit lépoque de La Grande Roumanie
de 1919-1940, soit le régime communiste). Ainsi, dans léditorial de la revue
România Mare du 1 décembre 2000, le pays est présenté comme se trouvant à un
carrefour historique ou les Roumains doivent décider leur entrée (à genoux et la main
tendue ou bien le front haut). En vue de la décision, Vadim se présente comme le
sauveur de la nation.
Le nationalisme roumain - caractéristiques et motivations. Bien que le succès de PRM
et de son leader aux dernières élections ait surpris et inquiété les milieux roumains qui
adhèrent aux valeurs des démocraties traditionnelles, le phénomène na pas été analysé
avec pertinence et la méthodologie des sciences socio-humaines.
Par conséquent, la recherche comparative Les extrêmes droites en Europe, nous
estimons la possibilité dobtenir des réponses avisées. Lanalyse de la societé roumaine
- avec ses particularités présentées antérieurement - peut contribuer, à son tour, a l
éclaircissement de certaines questions avancées par le projet proposé concernant la
ré-emergence de lextrêmisme de droite dans les pays de lEurope, par exemple:
En quelle mesure la popularité du discours nationaliste en Roumanie représente-t-elle
une rémanence des représentations sociales formées par la idéologie de droite pendant
la période dentre les deux guerres ou bien de celles dues à létape historique plus
récente, désignée par le syntagme le communisme national?
Quelles notes et quelles étapes communes ont les représentations sociales du
nationalisme post-communiste par rapport aux représentations sociales des extrêmes
droites de lEurope Occidentale?
Le nationalisme est-il une possible doctrine de lhistoire récente annoncée comme un
temps de la mort des idéologies? Avec quelles motivations?
Bibliographie
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(coord. A. Neculau, G Ferreol), Iasi, Polirom, pp. 233-244
Le journal România Mare, nr. 542, an. XI, 01/12/2000.
ACTUALIDAD E HISTORIA DE LA PSICOLOGIA POLITICA
LATINOAMERICANA
Angel Rodriguez Kauth
1-INTRODUCCION.
La mayoría de quienes hacemos Psicología Política en América Latina creíamos que la
disciplina se desprendía de la Psicología Social. Esto se ha repetido cual una suerte de
latiguillo sin ponerlo en duda, hasta que Dorna (2002) demostró la falacia de ello, al
señalar que era anterior a la Social, no en su constitución formal, sino en cuanto a su
existencia fáctica, aunque sin ése nombre. Es tan cierto que en Aristóteles y Platón se
rastrea -en sus estudios políticos- que atendían a los atravesamientos de lo subjetivo. La
historia del pensamiento confirma los dichos de Dorna, basta recorrer algunos clásicos
políticos para ver referencias a tales atravesamientos: Maquiavelo, Hobbes, Locke,
Hume, Smith, Marx, Veblen, etc.
Una explicación a la confusión de los orígenes de la Psicología Política está en que
quienes la trabajamos en América Latina -no más de 15 años- lo hicimos con base en la
Psicología Social. La mayoría de quienes aceptamos la propuesta de Montero (1987)
procedíamos de la Psicología Social Crítica, que era una lectura comprometida política
e ideológicamente de lo que hacíamos desde ella. Más, ante la afirmación de Dorna,
tuvimos que salir de esa postura ingenua, sin ver lo que había en los clásicos políticos.
Quizás los dichos de Brozek (2002) -al referirse a la Psicología- valga aquello de que
tenemos "Un pasado largo y una historia corta".
Para finalizar con la Introducción, anticipo de que pese a que nota refiere a la Psicología
Política Latinoamericana, básicamente haré referencia a lo que ocurre en la Argentina
por dos motivos:
a) Argentina, durante sus doscientos años nunca se sintió parte del subcontinente; los
latinoamericanos nos consideran el lugar más occidental de Europa por la exquisitez
argentina de mirar con avidez hacia Europa -en especial a París- lo cual retroalimentó
que nos sintamos menos parte de nuestra América. Pero, en los años '90 -con el
menemismo- nos aggiornamos y buscamos el referente en los EE.UU. y con eso
creímos que éramos el Primer Mundo, cosa que nunca fuimos debido al abismo entre
explotadores y explotados. Los parámetros macroeconómicos mantenían la ilusión,
aunque la realidad que vive el pueblo es la de la pobreza social e intelectual (1); y b)
merced a la crisis financiera, económica, política y social que atravesamos, los
habitantes pusieron en juego las células grises indemnes para superarla por sus propios
recursos y, en ello, colaboran un grupo de psicólogos comprometidos con los excluidos
y marginados por el imperiocapitalismo que nos arrojó a la miseria extrema. Ellos fijan
pautas de trabajo psicopolítico que contribuyen a elevar la cabeza y mirar al mundo
como iguales o, al menos, no dejar que nos exploten los que encontraron en este
territorio una vena abierta para sus negocios. Es por esto último que parcialmente dejaré
los desarrollos de colegas del subcontinente, ya que tuvieron -no siempre- un
compromiso verbal no reflejado en hechos.
2-DESARROLLOS DE BREVE TIEMPO
El entendimiento que la disciplina era un desprendimiento de la Psicología Social, debe
añadírsele que se la consideró como un nivel superior de análisis e interpretación de los
hechos que de la cotidianeidad que se trabajaba y fue necesario recurrir a conceptos
psicosociales como a conceptualizaciones políticas, históricas, ideológicas, filosóficas y
económicas. Así surgió una síntesis de datos psicológicos y sociales del entorno político
que atraviesan la subjetividad, para lograr más eficiencia teórica e investigativa, a más
de mayor efectividad en el análisis, comprensión e intervención en los hechos políticos
y sociales que se sucedían en derredor.
Sobre la ampliación de conocimientos con que egresan los psicólogos, interesa traer
unas palabras de Guattari en una entrevista en Buenos Aires: "Me parece que lo que
enriquece la potencialidad de un intelectual es su capacidad de dispersar su producción
de registros heterogéneos". Los psicólogos tenemos el deber intelectual y profesional de
pretender no sólo ser "sabios" en nuestro quehacer, sino también la de ser intelectuales,
para tener una perspectiva más abarcativa que permita realizar con mayor eficacia la
labor.
La Psicología Política surgió en Latinoamérica para los '80, como resultado de
investigaciones de campo hechas por psicólogos sociales ocupados y preocupados por
los "males" sociales endémicos que azolaban a la región y que -luego de 15 añoscrecieron aún más (2). El hito fundacional fue la convocatoria de Montero y Martín
Baró (Montero, 1987) inquietos por temas y problemas políticos. La Psicología Política
ya existía en especial en USA y Europa, aunque las relaciones que se mantuvo con esos
centros del poder económico e intelectual se matizaron de un modo diferente ya que,
como señala (Parisi, 1999), "... las temáticas, los enfoques y los recursos metodológicos
utilizados implican una distintividad del quehacer psicopolítico surgido en cada uno de
ellos".
Se convocó a psicólogos que cumplían con dos condiciones necesarias para hacer la
superación de la frustración social e intelectual que teníamos. Estar atravesados por las
limitaciones de la lectura de datos de investigación y, asimismo, estar en condición
intelectual y afectiva para asumir un compromiso con la realidad social que vivíamos y
dar un paso adelante en las intrascendentes -socialmente dicho- investigaciones con
asepsia de compromiso ideológico; tales hechos debían ser sentidos como dolor propio
en tanto afectan a la dignidad de humana que merece una mejor calidad de vida.
Dado que toqué marginalmente a los derechos humanos, es interesante notar que pese a
los episodios de tortura y genocidio que sufrió la población de "nuestra" América, buen
número de psicólogos ignoran los experimentos hechos por Milgram (1974) sobre
"obediencia debida" y que aplicaron los despótas latinoamericanos -incluso europeos,
ya que Serbia está en Europa- para encubrir sus acciones.
Más, retomando el tema central -el desarrollo disciplinar desde las premisas señaladashay que advertir que sólo con su presencia no se está ante una Psicología Política
científica. Sólo se dio un paso necesario -no suficiente- en superar lo que Montero (op.
cit.) marcó como el de la psicología política inconsciente al consciente. Aquel momento
se produjo cuando un número significativo de psicólogos asumieron un papel político
protagónico en su quehacer profesional y en su privacidad. Por discreción a personajes
tenidos como "vacas sagradas" en la psicología latinoamericana, no los mencionaré;
esto no obsta para que el lector sepa quienes no asumieron tal compromiso y
continuaron disfrutando de subsidios que se distribuían desde lo que se sería la capital
del Nuevo Orden Mundial (García Lupo, 1983). Es decir, en términos fenomenológicos
la conciencia es el "para-sí" que prueba el uso de la libertad asumida por el sujeto y que
lo angustia frente a la ética de la responsabilidad con que se tomen las acciones que
protagonice. Para Sartre, la fuga a la angustia se puede hacer con "mala fe"; la
conciencia -alienada- niega la realidad (Freud, 1925) como mecanismo defensivo y
finaliza por cosificarlo. Al proteger intereses personales se olvida que la historia es de
los conflictos y las luchas de clases (Marx, 1852), a las que hoy hay que añadir la de los
movimientos sociales que marcan un rumbo al que es preciso adaptarse por que la
realidad así lo indica, ya que ignorarlos es ignorar el paso del tiempo, incluso las
ideologías creídas -en devaneos religiosos más que "científicos"- que serían eternas,
ignorando a la dialéctica.
Si la base de la historia está en el conflicto, entonces la cooperación propuesta por
algunos psicólogos refleja el vasallaje a que se someten -los más- por otros -los menosque atraen con el dinero. La única cooperación y solidaridad está entre los oprimidos
(Memmi, 1969) que, para esto, son los psicólogos latinoamericanos que enfrentan al
adversario para revertir la humillación a que es sometido nuestro pueblo. Para eso, los
psicólogos latinoamericanos estamos dispuestos a afrontar la asepsia política y
reemplazarla por el compromiso ideológico y de praxis con los marginados sociales que
-en general- atraen la atención para declaraciones de solidaridad, aunque sin dar el paso
de la militancia que es la que realmente nos comprometerá con lo que decimos estar
comprometidos.
En Argentina hay una pequeña tradición en esto, fue M. Langer (1978) que llevó a otros
psicólogos -en especial psicoanalistas- pero que la represión de la dictadura (1976-83)
desbarató con el ostracismo, la tortura y la muerte de varios de sus protagonistas. Sin
embargo, surgen grupos que asumen el compromiso activo (Carpintero, 2002) con su
participación en la organización Madres de Plaza de Mayo.
Proponer participación y compromiso puede aparecer descolocado ante a una tradición
psicológica que hizo de la no contaminación política un santuario; estas conductas no
fueron atrabiliarias entre filósofos, sociólogos, economistas e historiadores. Entre los
psicólogos esto no ha sido lo común, debido a lo sostenido al inicio de que están "mal"
dotados en su formación por carencia de otros registros, lo cual les impide alcanzar la
categoría de "pensadores", es decir, se quedan en profesionales. Esto no significa que
mañana corramos a afiliarnos a un partido político sino que basta con adherir sin
reparos a los movimientos sociales que reemplazan a entes que quedaron anquilosados
en el tiempo por falta de conducción que piense más en los otros y menos en sus
intereses. Que nadie crea que tal conducta hará perder "objetividad científica" a nuestro
quehacer; como ejemplo de esto valga el científico más notable del Siglo XX -Einsteinque no por adherir y participar por la paz mundial, la no violencia, los derechos
humanos y hasta con adhesión condicionada a ciertos postulados socialistas dejó de ser
un científico del cual tenemos mucho que aprender más allá de su campo de labor
específica.
Hoy la participación política-ideológica no pasa por lo que alguna vez afirmara
(Rodriguez Kauth, 2001): desenmascarar las políticas económicas proteccionistas y
belicistas que usan los amos del Norte. Y, sobre los "equilibrios comerciales",
recordemos los dichos de I. Caruso (1971) que señaló: "Los pueblos que cultivan
intercambios amistosos entre sí se ponen a la defensiva cuando esos intercambios son
perturbados en beneficio de uno de ellos".
Una forma de combatir la desocupación excluyente y sus consecuencias inmediatas
como la desnutrición infantil, la miseria, el hambre, la indigencia, etc., es participando
con nuestros saberes en la recuperación de empresas abandonadas y ponerlas
-cooperativas o autogestión- en manos de los trabajadores. Quienes hacemos Psicología
Política tenemos mucho que decir y hacer en pos de lograr con éxito el intento
(Rodriguez Kauth, 2002), pero nos falta aún mucha distancia para ser honestos con los
otros y con nosotros.
No se me escapa que ya algún lector sospeche si con la implicación activa, los
psicólogos políticos -u otros- no perderán "objetividad científica" en cuanto sirven a
alguna causa política. Los reto a un ejercicio intelectual al revés. Pregúntense si quienes
permanecen en la asepsia política en su profesión no creen que están limpios de la culpa
de "hacer" política. ¡Sí lo hacen!. ¿Porqué la respuesta enfática?. Lo hacen a diario al no
reconocer conscientemente de que son cómplices de las políticas vigentes por omisión,
no por acción como la propuesta, pero igual participa de los intereses en disputa. Con un
agravante ético: engañan a los otros y a sí mismos con un actuar falsamente puro lo que
los poderes se encargaron de decir que es sucio o pecaminoso, para que no nos
entrometamos en sus enjuagues y los dejemos continuar con sus depredaciones sobre
los pueblos.
No por eso han de ser mejores o peores psicólogos que otros, al igual que los que
ponemos la cara no sólo para decir "desde aquí escribimos", sino para testimoniar el
lugar desde donde actuamos. Tampoco ellos son peores en su quehacer -que goza de
subsidios por realizar todo lo que al sistema le conviene desarrollar- que los que
tomamos la posición sugerida; sólo nos diferencia el conocimiento que tenemos de
saber al servicio de quienes ponemos nuestras capacidades y del lado de quien está
nuestro compromiso. Las consecuencias de la toma de posición activa llevó a Parisi (op.
cit.) a caracterizar a lo que ha ocurrido como el momento de "... una Revolución
Científica al interior del pensamiento psicológico, especialmente el de las ideas de la
Psicología Social".
3-LA ACTUALIDAD:
En el repaso histórico, deslicé cuestiones atinentes a la actualidad del hacer
psicopolítico en particular y del psicológico en general, sobre todo en donde se implican
acciones profesionales con problemas de la vida cotidiana de las personas que buscan
apoyo terapéutico, o como intersección con la Psicología Social Comunitaria o como
señala Carpintero (op. cit.), cuando se trata de actuaciones profesionales enmarcadas
claramente con contenido político y social.
Existen denominadores comunes sintetizados en dos: a) incuestionable compromiso del
profesional con su clase -trabajadores- que permite superar la falsa conciencia (Marx,
1847); y b) la aplicación de sus conocimientos al servicio de Otros, de los que lo
necesitan y no pueden pagarle su quehacer por ser indigentes y necesitarlos como un
apoyo más en la reivindicación de derechos inalienables: trabajo, comida, salud,
educación, vivienda y libertad; todo lo cual es un propósito que lleva a la lucha diaria
contra los intereses de los que hicieron de la desocupación la forma de tener mano de
obra barata para reducir costos y lograr esclavos en vez de empleados.
La torpeza de algunos intelectuales del establishment, como de la llamada clase media,
logró que se observe a la pobreza como propia de quienes no son capaces de superar la
condición agraviante en que viven. Un pobre es igual a cualquiera, la diferencia está en
que él no tiene ánimo -por falta de fósforo y proteínas- como para hacer marchar sus
neuronas que se atrofiaron por ser pobre social, afectiva e intelectualmente. Son ellos,
los que nos requieren para salir de la condición en que los hundió un sistema político y
económico perversamente injusto.
Retornando a la aplicación de los conocimientos psicológicos a una práctica social
concreta que va de la mano del compromiso explícito con quienes necesitan de nosotros
y no de los que nosotros necesitamos para obtener honores, financiamientos, subsidios,
becas, invitaciones, etc. (Rodriguez Kauth, 2002b) diré que lo que se realiza con esas
experiencias incipientes es, desde el conocimiento que tenemos y que a los otros les
faltan, alcanzar una alianza libre de especulaciones egoístas que vayan más allá del
mero hecho de poner conocimientos y técnicas al servicio de los que lo requieren. Tal
aplicación no será novedosa para quienes conocen de psicología social aplicada, como
la intervención institucional, organizacional y grupal que funcionan como contención de
las ansiedades paranoicas que frenan las posibles acciones de lucha.
En Argentina existen cerca de 200 empresas e industrias cerradas por los dueños, pero
que sus trabajadores intentan convertirlas en empresas de autogestión para reabrirlas y
dar trabajo a miles de desocupados excluidos del sistema laboral, porque para los
patronos fue negocio "vaciar" capitales y retornar a sus casas matrices donde gozan de
la seguridad jurídica que aquí no encuentran debido a los vaivenes de una
gobernabilidad política caótica que se mueve como en el Mar de los Sargazos sin hallar
el rumbo para llegar a puerto.
Así se procura el retorno de lo reprimido bajo la forma de utopía puesta en marcha y
una de esas marchas es para que se haga caminar más rápido a la Justicia a fin que
entregue esos establecimientos a sus trabajadores y que los hagan funcionar. Con las
movilizaciones y asambleas obreras se logra la temida "justicia por mano propia". Pero
en este caso no se trata de una venganza, sino de recuperar el trabajo y ante ello los
jueces no pueden hacer oídos sordos y se ven obligados a autorizarlos para cumplir con
su objetivo de trabajar.
La recuperación del trabajo es el imperativo para no ser excluidos de un sistema que los
necesita afuera de las fábricas para regular precios y salarios según les convenga. La
toma de fábricas no es en reclamo por condiciones laborales o salariales, se reduce a
ponerlas en marcha para recuperar la fuente con la que alimentarse, lo que va atado a
superar la fragmentación -de la globalización- por medio de la solidaridad y de entablar
lazos sociales estrechos entre quienes compartían un espacio laboral, pero se ignoraban
como sujetos y ahora se piensan de modo más humano en la forma de relacionarse. Tal
reconversión cooperativa se hace contra la oposición patronal, del gobierno y de la
burocracia sindical aliada al capital y no defiende a los afiliados. A estos últimos se los
desplazó de las fábricas recuperadas reemplazándolos con dirigentes de la base obrera.
Me he referido a la defensa y protección de los Derechos Humanos. Es uno de los
problemas centrales en Latinoamérica; merecen destacarse los aportes -que va más allá
de lo expositivo- de Lira, Weinstein y Kovalskys (1987) y Parisi (2002). Es un tema
complejo, ya que nuestros territorios estuvieron sometidos a gobiernos despóticos que
no dudaron en recurrir a la protección de los EE.UU. para violarlos, en especial la vida.
Aquí los psicólogos sociales realizaron una tarea silenciosa y eficaz en el rescate de la
memoria individual y colectiva; siendo de destacar lo realizado desde organismos como
Madres de Plaza de Mayo, Abuelas e Hijos por encontrar la identidad pérdida de
ciudadanos despojados desde niños de ella, como también participar en la elaboración
del duelo en familias de desaparecidos. Asimismo se destacan los trabajos realizados
sobre los efectos de la tortura, siendo de los más recientes el de Bouças Coimbra (2001).
Un problema que afecta a la política y al atravesamiento subjetivo de la población es el
de la corrupción. Sobre ella se ha escrito e investigado bastante y se continúa
haciéndolo en pos de desenmascarar ONGs que pretenden ser "transparentes".
Otros temas y problemas alientan la Investigación psicopolítica sudamericana pero, para
finalizar, sólo haré hincapié en el racismo -o clasismo- que es problema presente no
entre nosotros y cuyos estudios han de incentivarse por los hallazgos del biólogo S.
Wells (2002) que demuestran que hablar de "razas" es un dislate intelectual, luego de
seguir genéticamente las migraciones que partieron desde Africa hace unos 60 mil años
y que echan por tierra las concepciones racistas imperantes.
5-CONCLUSIONES.
No son muchas las que puedo poner aquí, pero el punto debe incluirse porque es de
rigor en estos escritos. Las conclusiones debe sacarlas el lector a partir de lo expuesto.
Sólo señalaré que la Psicología Política está tomando la fuerza que necesitaba para
enfrentar los desafíos sociales, políticos y económicos que afronta la región y, sobre
todo, lo hace con la honestidad intelectual de decir desde qué lugar se ha tomado
posición para llevar la tarea que nos convoca.
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WELLS, S.: (2002) The Journey of Man. A genetic odyssey. Penguin, London.
Resumen.
El tema -dadas las actuales circunstancias sociales, políticas y económicas que atraviesa
la región- implica necesariamente hacerlo desde una perspectiva ideológica: del
compromiso. El quehacer psicológico siempre ha estado comprometido ya sea con los
poderes hegemónicos o con los agraviados por estos de manera consciente o
inconsciente. El escrito asume un compromiso consciente con los marginados y
excluidos del sistema globalizador.
Palabras Clave: Compromiso, desocupación, marginación, exclusión.
Abstract.
Latin American Political Psychology's Present Time and History
This issue -given the current social, political and economical circumstances the region is
going through- has necessarily to be treated from an ideological point of view: the
commitment. Psychological work has always been commited to both the hegemony's
powers and the those others who are injured by these powers in a conscious or
unconsciuous way. This essay assumes a conscious commitment with those who are out
and excluded from the global system.
Key words: commitment, unemployment, social exclution, misery.
La création d’un délit de manipulation mentale. Histoire d'un débat
faussé
Matthieu VILLATTE, David SCHOLIERS et Esteve FREIXA i BAQUé
Introduction
Le 30 mai 2001, l’assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loi
About-Picard renforçant la législation contre les sectes. Le texte définitif, comportant de
nouvelles mesures qui facilitent la dissolution civile d’organismes condamnés à
plusieurs reprises par la justice et qui limitent l’installation et la publicité des
groupements sectaires, étend l’article 313-4 du code pénal réprimant l’« abus
frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse » puisqu’il devient
également répréhensible s’il concerne un sujet « en état de sujétion psychologique ou
physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques
propres à altérer son jugement pour le conduire à un acte ou à une abstention qui lui est
gravement préjudiciable ». Cette reformulation du délit de manipulation mentale,
initialement prévu par le projet et adopté en première lecture, est un compromis entre
les différentes positions qui se sont affrontées tout au long de l’élaboration du projet de
loi.
Le texte définitif est en fait rejeté par l’ensemble des représentants des religions
monothéistes, par une large partie du monde juridique et par le milieu de la psychiatrie.
Pourtant, tous s’accordent à dire que la lutte contre les sectes est d’une importance
capitale. On peut se demander ce qui est à l’origine de positions aussi diverses et
opposées dans la poursuite d’un but commun.
Pour tenter de répondre à cette question, nous présenterons d’abord les origines du
projet de la loi About-Picard - en précisant les différentes définitions du concept de
manipulation mentale apportées notamment par la psychologie clinicienne française puis les étapes de son élaboration et les justifications qu’y apportent leurs auteurs ; nous
verrons ensuite les réactions du milieu non religieux et la critique formulée par des
juristes à l’égard du texte ; les réactions des représentants des religions monothéistes
seront également examinées, notamment lors de leur audition devant le sénat ; enfin, à
la lumière de l’approche béhavioriste du comportement et de son contrôle, nous
proposerons de clarifier ce débat qui semble faussé dès l’origine par une
conceptualisation erronée de l’être humain.
Le problème sectaire en France
La France a commencé à s’intéresser sérieusement au problème des sectes en 1995, en
particulier après le suicide collectif des membres de l’Ordre du Temple Solaire et la
découverte de tentatives répétées d’infiltration de l’Église de Scientologie dans le
domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Une
commission parlementaire, dirigée par Alain Gest, a tenté de dresser une liste des
mouvements sectaires en France en fonctions de critères définissant leurs dangerosité,
un seul suffisant pour figurer dans la liste:
-
Déstabilisation mentale ;
-
Caractère exorbitant des charges financières ;
-
Rupture induite avec l’environnement d’origine ;
-
Atteintes à l’intégrité physique ;
-
Embrigadement des enfants ;
-
Discours plus ou moins antisocial ;
-
Troubles à l’ordre public ;
-
Importance des démêlés judiciaires ;
-
Eventuels détournements des circuits économiques traditionnels ;
-
Tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.1
Une liste de 172 organismes et associations a été ainsi produite par la commission et 12
catégories différentes ont été identifiées :
Les groupes « New Age », persuadés de la venue de l’âge du verseau et de la
vocation de leur religion à remplacer le christianisme, religion dominante de l’âge du
poisson qui s’achève.
Les groupes « alternatifs », qui basent leurs discours sur des propositions de
changement de la société, des rapports entre économie et politique.
Les groupes « évangéliques », dissidences des religions chrétiennes. Parmi les
plus célèbres, l’ « église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », dont les adeptes
sont plus connus sous le nom de Mormons, fondée en 1830 par Joseph Smith.
-
Les groupes « apocalyptiques », tels les témoins de jéhovah.
Les groupes « néo-païens ». Essentiellement des adorateurs de dieux nordiques
ou germaniques. Le rapport en cite trois pour la France : « l’ordre monastique
d’Avallon », « le suicide des rives » et « la clé de l’univers ».
Les groupes « sataniques », souvent nommés avec les précédents ou confondus
avec eux.
Les groupes « guérisseurs », souvent condamnés pour pratique illégale de la
médecine, ils peuvent en effet se révéler très dangereux s’ils se substituent aux
traitements classiques.
Les groupes « orientalistes », telle la Soka Gakkaï, émanation nationaliste et
intolérante, selon le rapport Gest, de la religion bouddhiste.
Les groupes « occultistes », adeptes des para-sciences comme la chiromancie, la
radiesthésie, la télépathie, la télékinésie, etc. Un exemple de ces mouvement était
l’Ordre du Temple Solaire.
-
Les groupes « psychanalytiques », dont la Scientologie.
Les groupes « ufologiques », pour lesquels l’existence d’êtres extraterrestres est
une évidence (ex : les Raëliens).
-
Les groupes « syncrétiques », mélangeant diverses religions.2
Le droit français, et le code pénal en particulier, permettaient déjà de sanctionner la
plupart des infractions dont se rendent coupables les mouvements sectaires, qu’il
s’agisse de l’homicide ou des blessures volontaires, de l’escroquerie, de la
non-assistance à personne en danger, des agressions sexuelles, du proxénétisme, de
l’incitation de mineurs à la débauche, de la séquestration des mineurs, des violences ,
des tortures, etc. L’article 313-4 du code pénal, qui incrimine le délit d’« abus de
faiblesse », était également adapté au comportement de certains groupements sectaires :
« L’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un
mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une
maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de
grossesse, est apparente ou connue de son auteur, pour obliger ce mineur ou cette
personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables, est puni de
trois ans d’emprisonnement et de 250 000F d’amende ».
La justice civile permettait également de protéger les individus, y compris majeurs
(placement sous sauvegarde de justice, de tutelle ou de curatelle, législation sur la
protection des majeurs incapables en application de l’article 488 du code civil, etc.).
Cependant, selon une commission parlementaire formée en 1999 et emmenée par
Nicolas About et Catherine Picard, cette législation ne prenait pas assez en compte la
manipulation mentale. La commission observait en effet que l’abus de faiblesse ne
s’appliquait qu’à des personnes objectivement vulnérables à l’origine, en raison de leur
âge ou pour des raisons physiques, et qu’il ne sanctionnait que des préjudices matériels
ou patrimoniaux. Par ailleurs, il apparaissait que les poursuites pour escroquerie,
attentat aux mœurs, séquestration, rupture familiale, se heurtaient souvent au
consentement, passé ou présent, des adeptes ; la justice civile semblait également
confrontée au consentement des victimes majeures et apparemment, saines de corps et
d’esprit. Le problème s’avérait d’autant plus grave que les instruments dont disposent
les manipulateurs étaient bien supérieurs à ceux des décennies passées3.
Dès lors, la commission s’est interrogée sur ce que signifiait la liberté de conscience
(droit garanti par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 10 et 11)
d’une personne qui ne maîtrise plus ni sa vie psychique, ni sa vie morale. Il est apparu
opportun à la commission, sachant que la manipulation mentale est l’un des moyens
souvent utilisés par les sectes pour obtenir des avantages matériels et financiers de leurs
membres, de combler ce vide juridique. La création d’un délit de manipulation mentale
a été ainsi envisagée.
La notion de manipulation mentale
La notion de manipulation mentale fait l’objet d’un large débat entre spécialistes. En
effet, pour les uns, le phénomène n’existerait tout simplement pas, alors que pour les
autres, il s’agirait d’une réalité. Mais, là aussi, des divergences existent : certains
pensent que, même s’ils sont influencés, les adeptes des sectes demeurent des personnes
libres et responsables de leurs choix tandis que pour les autres, ce sont des victimes
totalement manipulées.
Pour Massimo Introvigne4, avocat professeur d’histoire et de sociologie des nouveaux
mouvements religieux, président du CESNUR (Centre d’Études Sur les Nouvelles
Religions, Italie), la manipulation mentale ne serait qu’un mythe et ne serait qu’une vue
de l’esprit ultra-combatif d’association qu’il qualifie d’« anti-sectes ». De même,
Bernard Chouvier5, psychologue clinicien et professeur de psychopathologie à
l’Université de Lyon, ne peut adhérer à l’idée d’une manipulation mentale pratiquée par
les sectes. Pour lui, il s’agirait plutôt d’une mise en aliénation volontaire puisque l’être
humain ne peut être manipulé sans son accord : « le psychisme n’est pas un bloc de cire
modelable et sa transformation, une question de technique ». Chouvier ajoute qu’il
importe de comprendre l’investissement sectaire en terme de rencontre qui serait sous le
signe de l’échange passionnel ; l’adepte adhèrerait activement et se laisserait
entièrement investir par la secte.
Pour d’autres, la manipulation mentale est à la base de l’endoctrinement sectaire. Ainsi,
d’après le psychiatre Jean-marie Abgrall6, nous serions tous manipulables, même si le
degré de résistance à la manipulation varie selon les individus et les moments de la vie,
et serions tous manipulés, que cela soit à l’école, en famille ou au travail. Cependant,
dans certains cas, cette manipulation se ferait coercitive, c’est-à-dire que l’individu
perdrait son libre arbitre et se transformerait en marionnette. Abgrall précise que la
manipulation ne se manifesterait que par ses effets. Elle s’articulerait en trois temps,
selon une démarche d’approche, de séduction et de persuasion. Aussi, Michel Monroy7,
psychiatre et fondateur du groupe d’études sur les sectes GRAPH, estime que la
responsabilité des individus séduits par un groupe sectaire n’est pas totale dans la
mesure où ils ne détiennent pas l’ensemble des paramètres qui pourraient leur permettre
de se rendre compte, dès le départ, du type de mouvement dans lequel ils s’apprêtent à
s’engager. Le sujet donnerait son accord à une procédure mais aurait méconnaissance de
la nature du processus de transformation qu’il va connaître, du résultat final de cette
transformation et aussi des finalités des maîtres du jeu.
Pour ceux qui soutiennent l’existence du phénomène de manipulation mentale, il reste à
définir les mécanismes qui le sous-tendent. Selon Bouderlique8, nous avons souvent
tendance à penser qu’un adepte aurait subit un lavage de cerveau pour adhérer à une
secte ; pourtant, cette théorie explicative des adhésions aux groupes sectaires doit être
différenciée de ce que vit réellement un adepte. En effet, le lavage de cerveau serait une
technique spécifique entrant dans le cadre d’une situation bien définie. Lors de la guerre
de Corée (1950), des soldats américains capturés et torturés par les chinois furent
contraints de suivre un programme visant à vider le cerveau de ses information
antérieures pour le remplir d’autres informations grâce à des techniques coercitives.
Ainsi, cette notion implique, par définition, contraintes, tortures et emprisonnement. Or,
selon les témoignages, les anciens adeptes insistent sur les notions d’engagement et de
libre arbitre.
Il semblerait que la notion de manipulation mentale soit plus pertinente, dans la mesure
où elle implique le caractère insidieux du processus. Selon cette conceptualisation,
l’adepte retrouverait son statut de sujet désirant et responsable et, en même temps, un
statut de victime puisqu’il y aurait décalage entre ce à quoi il croit s’engager et ce à quoi
il s’engage réellement9. Dans cette perspective, certaines pratiques de mise sous
influence pourraient entraîner des altérations des processus de pensée, une
déstabilisation au niveau des besoins physiologiques et une déstabilisation
psychologique qui renforcerait le processus de dépendance et enfermerait le sujet dans
un système de croyances. Aussi, la manipulation mentale n’opèrerait que si elle est
totalement dissimulée ; la victime serait persuadée que toutes ses pensées et décisions
viennent librement d’elle10.
Le processus d’embrigadement
Pour obtenir, sans contrainte visible, une adhésion et une participation active des sujets,
le groupe sectaire utiliserait des masques séduisants, en s’appuyant sur les aspirations
des personnes susceptibles d’être intéressées. Ainsi, seraient proposés des programmes
de développement personnel, des activités humanitaires, écologiques, commerciales,
culturelles et éducatives, des médecines alternatives. Les groupes sectaires feraient
également de larges emprunts aux diverses religions et psychothérapies11.
Selon Bouderlique12, pour mettre en place une emprise psychologique, le groupe
sectaire proposerait une initiation progressive obligeant l’adepte à abandonner ses
repères habituels et toutes ses références antérieures, excluant toute réflexion critique et
incitant à la soumission totale, condition de sa progression, de sa connaissance, de son
initiation. Ainsi, l’adepte contribuerait à sa propre transformation en se coupant
progressivement de la réalité extérieure. Ensuite, d’après Michel Monroy13, la
transformation de la personnalité se ferait en plusieurs phases. Dans une première
phase, il s’agirait de déstabiliser le sujet grâce à plusieurs phénomènes divers tels que
les effets de groupe, la mobilisation des émotions, l’isolement et les ruptures,
l’encouragement à évoquer le passé, les aveux de difficultés, les séances de confessions
et d’autocritiques, la culpabilisation ou encore la modification des niveaux de
vigilance. La seconde phase serait de reconstruire une identité en proposant une rupture
définitive avec les doutes et les sentiments d’impuissance, la possibilité de changer le
monde en se changeant soi-même. Enfin, dans une dernière phase, consisterait à
renforcer la dépendance physique et psychologique : le groupe apparaîtrait alors comme
un univers de remplacement où l’on trouve identité, relations, activités, idéal,
explications et projets. Ainsi, ayant un nouveau cadre de vie, l’adepte s’isolerait
progressivement des réalités du monde extérieur et considèrerait le monde profane
comme suspect voire dangereux.
Les techniques de mise sous influence14
Ces trois phases seraient soutenues par des techniques particulières de mise sous
influence. En effet, pour qu’un sujet soit en conformité avec le collectif, pour qu’il soit
totalement imprégné par ce qu dit le gourou et pour que son monde ne puisse plus être
autre que celui constitué par la secte, de nombreux procédés très divers seraient
exploités afin d’annihiler le sens critique et de renforcer la dépendance. Tous les
groupes sectaires n’utiliseraient pas les mêmes techniques, n’exploiteraient pas les
mêmes phénomènes.
Les mécanismes psychologiques :
D’après les psychologues issus du courant psychanalytique, certains mécanismes
psychologique, inhérents à tout individu, seraient exploités et renforcés afin de créer des
conditions de vulnérabilité. Ainsi, les groupes sectaires tireraient profit des pouvoirs de
la séduction et de la tendance au transfert, entretiendraient certaines peurs et
inquiétudes, multiplieraient les promesses et certitudes, développeraient la culpabilité et
valoriseraient en félicitant et en glorifiant. De même, les sectes s’appuieraient sur
certains besoins psychologiques de tout individu : le besoin de sécurité, d’appartenance
à un groupe, d’estime et de reconnaissance de soi, de réalisation de soi. Profiter des
tendances et des prédispositions psychologiques de chacun garantirait engagement,
soumission, acceptation et dépendance.
La rupture avec les habitudes, le cadre de vie et les relations :
Il s’agirait d’assujettir l’adepte à un rythme de vie carencé en sommeil, en alimentation
car, soumis à un tel mode de vie, il aurait de plus en plus de difficultés à analyser et à
critiquer ce qu’il vit au sein du groupe. Aussi, la privation de sommeil peut provoquer, à
court terme, de l’euphorie mais des troubles importants peuvent également se
manifester tels que l’altération de la mémoire du raisonnement et une perte totale du
sens critique. Stimulant cérébral, le jeûne ou la soumission à des régimes très sévères
peut entraîner des complications médicales graves comme un déséquilibre important du
système nerveux. De même, sans moment possible de solitude, surveillé, l’adepte serait
invité progressivement à se couper de tous repères, qu’ils soient familiaux, culturels,
langagiers, afin de le déstabiliser et, plus précisément, de l’isoler du monde extérieur
pour accroître sa dépendance au groupe, devenu unique référence.
Le délit de manipulation mentale
Basé en grande partie sur la définition que les psychologues donnent du concept de
manipulation mentale, le projet de loi About-Picard a été adopté en première lecture le
22 juin 2000. Il définissait le délit de manipulation mentale, selon l’article 225-16-4 du
code pénal, comme suit :
« Le délit de manipulation mentale est le fait, eu sein d’un groupement qui poursuit des
activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance
psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, d’exercer sur
l’une d’entre elles des pressions graves et réitérées ou d’utiliser des techniques propres à
altérer son jugement afin de la conduire, contre son gré ou non, à un acte ou à une
abstention qui lui est gravement préjudiciable. Cette infraction est punie de trois ans
d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. »
L’article 225-16-5 ajoute :
« L’infraction prévue à l’article 225-16-4 est punie de cinq ans d’emprisonnement et de
500 000 F d’amende lorsqu’elle est commise sur une personne dont la particulière
vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique
ou psychique ou à un état de grossesse, est apparent ou connue de son auteur. » 15
Des premières réactions issues du monde religieux, notamment lors de l’audition des
représentants des quatre grandes religions monothéistes devant le sénat (nous y
reviendrons), contraignent le garde des sceaux (à l’époque, Elisabeth Guigou) à saisir la
Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme afin d’établir si le nouvel
article était conforme à la Déclaration des Droits de l’Homme. Celle-ci a rendu son avis
le 21 Septembre 2000 :
« La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme constate que la simple
appartenance à un « groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet
de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique et physique des personnes qui
participent à ces activités » n’est pas punie par l’article 9 de la proposition de loi, ce qui
respecte la liberté fondamentale de pensée, de conscience et de religion.
« Consciente de la nécessité de mieux coordonner l’action pénale contre les pratiques
sectaires, elle constate que les faits dont la répression est envisagée sont déjà largement
prévus par l’article 313-4 du code pénal en réprimant particulièrement les abus
provoqués par l’ignorance ou la situation de faiblesse caractéristiques de l’état dans
lequel se trouvent les victimes des pratiques sectaires.
« Elle estime que des compléments devraient être apportés :
« 1- En déplaçant cet article dans le code pénal pour ne pas concerner uniquement les
actes préjudiciables concernant les biens.
« 2- En aggravant la répression lorsque le ou les auteurs du délit sont des responsables
de droit ou de fait d’un groupement sectaire au sein duquel l’infraction a été commise et
qui avait pour but ou pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou
physique des personnes qui participent à ces activités.
« 3- En prévoyant la responsabilité de la personne morale.
« Dans ces conditions, la création d’un délit spécifique de manipulation mentale ne nous
paraît pas opportune. »16
Le 3 Mai 2001, le sénat supprime cet article en deuxième lecture, et déplace le
« délit d’abus frauduleux de l’état de faiblesse » du livre III (atteintes aux biens) au livre
II (atteintes aux personnes) du code pénal, afin qu’il ne sanctionne plus seulement les
préjudices patrimoniaux ou matériels ; il complète ce délit pour qu’il soit constitué non
seulement en cas d’abus de la faiblesse d’une personne particulièrement vulnérable,
mais également en cas d’abus de la faiblesse d’une personne « en état de sujétion
psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques
propres à altérer son jugement ».
Le 30 Mai 2001, l’Assemblée Nationale discute le projet de loi ainsi modifié :
Marylise Lebranchu, garde des sceaux à cette date, explique que la nouvelle définition
du délit d’abus frauduleux de faiblesse est inspirée du délit de manipulation mentale
initialement proposé. Elle précise qu’il fallait écarter tout risque d’atteinte aux libertés
fondamentales et que la définition retenue de l’abus de faiblesse permettra aux autorités
judiciaires d’intervenir avant que ne soient commises des infractions aux conséquences
parfois bien plus graves17.
Catherine Picard (groupe Parti Socialiste) rappelle que l’Assemblée et le sénat ont
constamment veillé à ne pas porter atteinte à la liberté de conscience dans l’élaboration
du projet de loi et considère que le délit d’abus de faiblesse, dans sa nouvelle définition,
n’est en rien attentatoire aux Droits de l’Homme ni aux libertés de pensée, de
conscience et de religion. Elle ajoute que ce délit permettra de sanctionner les
escroqueries intellectuelles dont pourraient être victimes non seulement des personnes
particulièrement vulnérables, mais aussi celles qui se sont laissé abuser. Concernant les
réactions négatives des représentants religieux, elle précise qu’aucun amalgame ne
saurait être fait entre secte et religion, lorsqu’il est question d’une pratique religieuse
tolérante, respectueuse de la liberté et de l’intégrité de la personne humaine, qui tend à
élever les personnes et non à les humilier ou à les asservir18.
Dominique Bussereau (groupe Démocratie Libérale) explique, quant à lui, les difficultés
à contrer les mouvements sectaires sans porter atteinte aux libertés. Il rappelle
l’inquiétude du groupe DL, en première lecture du projet, au sujet de la création du délit
de manipulation mentale dans sa version initiale. En effet, pour le groupe DL, les
organisations syndicales ou politiques pourraient tomber sous le coup d’une telle
disposition. Bussereau se félicite donc de la suppression du délit de manipulation
mentale et s’interroge sur la nouvelle version du délit d’abus de faiblesse, comprenant
notamment les réticences du monde religieux. Enfin, il appelle à la prudence et exhorte
les parlementaires à ne pas adopter de comportement liberticides, au nom de la liberté.
Faisant toutefois confiance aux rédacteurs de la loi sur le respect de ces conditions,
Bussereau annonce que le groupe DL votera le texte de loi19.
Le projet de loi est finalement adopté par les députés de l’Assemblée Nationale.
Critiques formulées par les juristes et les non religieux
Tout au long de l’élaboration du projet de loi About-Picard (du rapport de la
commission jusqu’au vote du 30 Mai 2001), un certain nombre de juristes a formulé de
multiples critiques à l’encontre du texte, à toutes les étapes de sa transformation. Dans
sa version initiale, il apparaissait, pour une partie d’entre eux, que les articles
concernant le délit de manipulation mentale étaient soit inapplicables, soit dangereux.
En effet, selon eux, l’article 222-18-1 du Code Pénal proposé à l’origine (dont le texte
proposé par Doligé est: « La manipulation mentale est le fait pour une personne
physique ou morale de créer ou d’exploiter chez autrui, contre son gré ou non, un état
de dépendance psychologique en vue notamment d’en tirer des avantages financiers ou
matériels ») caractérisait, en dernière analyse, ce délit par le seul fait de « créer ou
d’exploiter chez autrui un état de dépendance psychologique ». Il s’agissait d’une
infraction punie d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq années de prison dont l’unique
élément constitutif était la création, voire la simple exploitation, peu important le but et
quand bien même la personne serait consentante, d’un simple état de « dépendance
psychologique »20.
Un tel délit pouvait sembler plutôt commun, vraisemblablement commis par la plupart
des parents vis-à-vis de leurs enfants, par une forte majorité de conjoints l’un vis-à-vis
de l’autre, et réciproquement ; certaines politiques commerciales ciblant les enfants dès
leur plus jeune âge apparaissaient également comme pouvant parfaitement être punies
par les nouvelles dispositions du Code Pénal. En outre, le texte se révélait contraire au
principe essentiel de la légalité des infractions et des peines (art. 111-3 du Code Pénal)
qui veut qu’on puisse déterminer, d’après la loi et avant de commettre un acte, si cet
acte est pénalement répréhensible ou non. Ainsi, les juristes ont évoqué l’exemple de
l’Italie dont les législateurs avaient crû pouvoir prévoir une incrimination de « plagio »,
définie comme « le fait de soumettre une personne à son pouvoir, de façon à la réduire à
un état de total assujettissement ». Bien que le texte ait été plus précis que celui proposé
en France initialement, le milieu juridique avait exprimé de forts doutes sur la
compatibilité de cette définition avec le principe de légalité. Pour sa part, la Cour
Constitutionnelle italienne (sentence n°96, avril 1981) a annulé l’incrimination, jugée
incompatible avec ce principe essentiel, pour les trois raisons suivantes :
1)
Impossibilité de vérifier le fait incriminé ;
2)
Impossibilité même de sa définition par des critères rationnels et objectifs ;
3)
Risque d’arbitraire de la part du juge.
Selon les juristes français, ces trois griefs s’appliqueraient au texte définissant la
manipulation mentale (222-18-1) 21.
D’autre part, il était constaté que la rédaction initialement envisagée définissait la
manipulation mentale non par ce qu’elle est mais par certains de ses effets possibles
(« en vue notamment d’en tirer des avantages financiers ou matériels »). Or, pour
certains, on omettait que ces effets peuvent découler de bien d’autres causes que de
manipulations mentales répréhensibles22.
Une autre critique a été formulée au sujet de la défense des victimes contre elles-mêmes
(« …contre son gré ou non… ») ; au lieu de défendre les victimes contre autrui, contre
le résultat des manipulations d’autrui, il semblait plus logique de les défendre
précisément contre ces manipulations. Selon les auteurs de cette critique, prétendre
protéger les victimes contre elles-mêmes, ou contre les conséquences des manipulations
mentales qu’elles subiraient, implique de poser judiciairement une évaluation critique
des convictions de la personne, dans un processus liberticide qui ne pourrait que
conduire, malgré les intentions positives des initiateurs, à une police de la pensée23.
Pour une partie des juristes, il convenait d’avantage d’appliquer de façon adaptée les
textes généraux du Code Pénal existant déjà. Ainsi, l’incrimination classique de
l’escroquerie pourrait permettre de sanctionner le gourou qui se ferait remettre la
fortune de ses fidèles, à condition d’articuler et de caractériser précisément les
manœuvres frauduleuses qui sont au cœur de l’incrimination. De même, les textes
classiques en matière d’abus sexuels seraient parfaitement applicables aux abus ou
faveurs de cet ordre, respectivement commis ou obtenues à la suite des supposées
« manipulations mentales » : si le consentement de la victime a été forcé, même sous
une contrainte psychologique, il n’y aurait pas de consentement valide et l’infraction
existerait et pourrait être sanctionnée. Enfin, les textes généraux applicables aux parents
ou aux personnes ayant autorité en cas de mauvais traitements s’appliqueraient tout
aussi bien, que les parents soient membres ou non d’une secte, et pourraient s’étendre
aux cas où les enfants voient leur santé ou leur éducation menacée par les pratiques
sectaires24.
Dans la version proposée par Picard, était incriminé, sous le terme de manipulation
mentale, « le fait, au sein d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou
pour effet de créer ou d’exploiter la dépendance psychologique ou physique des
personnes qui participent à ces activités et portant atteinte aux Droits de l’Homme ou
aux libertés fondamentales, d’exercer sur une personne des pressions graves et réitérées
afin de créer ou d’exploiter un tel état de dépendance et de la conduire, contre son gré
ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement préjudiciable ». Si cette
proposition semblait moins immédiatement fondée sur des notions arbitraires et
subjectives que la précédente, elle paraissait compliquer les poursuites en posant des
conditions d’incriminations tenant à une activité de groupe et en se référant à une
appréciation idéologique de fond, dangereuse selon de nombreux juristes, et en même
temps laisser le champs trop libre à des dérapages risqués, en recourant à des faits
constitutifs particulièrement subjectifs et en s’abstenant de caractériser en lui-même
l’état de « dépendance » qui est au cœur de l’incrimination. La référence aux «droits de
l’homme » ou aux « libertés fondamentales » ne serait pas une garantie ; alors que ces
notions devraient être relativement intouchables, elles sont, de fait, plutôt fluctuantes et
ne permettraient pas de constituer un rempart à la persécution de groupes religieux25.
Les éléments constitutifs visés laisseraient, semble-t-il, trop de place à l’arbitraire. En
effet, il apparaîtrait difficile d’apprécier « un acte ou une abstention gravement
préjudiciable » puisque la nature de ces derniers (matériels ou financiers, morale ou
physique) n’est pas précisée. Selon certains juristes, il conviendrait donc d’abandonner
l’appréciation de la gravité des pressions au regard du fond du discours philosophique
ou religieux pour une appréciation au regard des méthodes employées. En outre, la
définition de la dépendance psychologique, autour de laquelle s’articule l’incrimination,
apparaîtrait impossible sans entamer la liberté de conscience et les libertés religieuses et
associatives26.
Certains ont avancé que le texte, quelle que soit sa version, se heurtait à plusieurs
articles de lois régissant le droit français ou européen, notamment les articles 10 et 11
de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui disposent que « nul ne doit
être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l’ordre public » et que « la libre communication des pensées et des opinions
est un des droits les plus précieux de l’homme » ; l’article 2 de la Constitution du 4
octobre 1958 précise également que la France « respecte toutes les croyances » ; la
Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés
fondamentales garantie la « liberté de pensée, de conscience et de réflexion », dans les
limites imposées par la protection de l’ordre, de la santé, de la morale publique et des
droits et libertés d’autrui ; enfin, la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des
églises et de l’État précise que « la République garantit la liberté de conscience » et
qu’elle « garantit le libre exercice des cultes ». Par ailleurs, la neutralité de l’État, qui ne
« reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » implique qu’aucune définition
des religions n’existe en droit français27.
D’une façon plus générale, on a observé de nombreuses réactions dans le monde
juridique et politique français et international, principalement axées sur l’idée que la
nouvelle loi était une atteinte à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. Ainsi, la
Fédération Internationale d’Helsinki pour les droits de l’Homme considère que la
France connaît, depuis 1996, une « montée de l’intolérance et de la discrimination à
l’égard des minorités religieuses et spirituelles » ; la France aurait, toujours selon la
Fédération, fait circuler des rumeurs et des fausses informations et constitué une
incitation à l’intolérance religieuse28.
François Terré29, procureur et président de l’Association de Philosophie du Droit,
estime que la nouvelle définition de la manipulation mentale est exactement la même
que l’ancienne et tout aussi dangereuse. Au sujet des « techniques propres à altérer le
jugement », il ajoute que celles-ci sont employées par tout le monde, professeurs,
journalistes, publicitaires.
Selon le Centre Français pour la Justice et les Droits fondamentaux de la personne
humaine (CFJD)30, la notion de manipulation mentale ferait peser des menaces sur la
liberté de conscience ; le texte comporterait un « réel danger de dérapages » et
« ouvrirait la porte à une sorte de politiquement correct du moment ».
L’expert en droit constitutionnel Guy Carcassonne31 déclare en juin 2000, à la suite du
vote en première lecture à l’assemblée nationale, qu’il n’est « ni bon ni juste que le
Parlement prétende ainsi vouloir prémunir tout le monde contre tout pour n’aboutir qu’à
infantiliser chacun ».
Dans le milieu de la psychiatrie, de nombreux experts judiciaires s’interrogent sur la
définition juridique de la manipulation mentale. Pour Jean Claude Paumès32,
pédopsychiatre et expert auprès de la cour d’appel de Colmar, il serait difficile de mener
une expertise psychiatrique dans des affaires où ce délit serait institué, car les limites du
phénomène seraient imprécises ; les citoyens seraient avant tout des sujets avec leur
subjectivité, leurs désirs, leurs dépendances plus ou moins conscientes et consenties, et
beaucoup d’actes de notre vie pourraient être assimilés à de la manipulation mentale.
Enfin, on peut rapporter les propos du sociologue James T. Richardson33, pour qui les
théoriciens de la manipulation mentale ignorent les aspects de la volonté dans
l’adhésion aux nouvelles religions, ainsi que les traits de caractère prédisposant à une
telle adhésion.
On peut ainsi classer les critiques formulées à l’encontre du texte de loi (dans toutes ses
versions) en deux catégories : celles qui refusent le concept même de manipulation
mentale et reproche aux législateurs d’avoir nié le libre arbitre de l’être humain en lui
interdisant de penser et de croire à sa convenance ; celles qui considèrent que la
manipulation mentale est un phénomène très large qui recouvre des domaines variés et
pas nécessairement néfastes.
Les réactions des religieux
De la même façon que les juristes, les religieux ont suivi chaque étape du projet de loi
About-Picard. Ils ont exprimé de nombreuses critiques et marqué leur inquiétude face
aux nouvelles dispositions du Code Pénal.
Lors des débats précédant la deuxième lecture du projet au Sénat, les représentants des
quatre grandes religions monothéistes en France ont été entendu par les parlementaires
au sujet, notamment, de la définition du délit de manipulation mentale.
Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris a estimé que la religion impliquait
transcendance et mystère et que l’être humain n’était qu’un « facilitateur » des voies
conduisant à Dieu. Il s’est interrogé sur le bien fondé de porter un jugement, par
l’intermédiaire du délit de manipulation mentale, sur les voies et pratiques prônées par
les religions pour accéder à Dieu ; enfin, il a évoqué la conversion, se demandant si elle
ne risquait pas d’être assimilée à des manipulations mentales34.
De son côté, Joseph Sitruk, grand rabbin de France, a noté que tout orateur ayant un
ascendant naturel sur son auditoire pourrait être accusé de manipulation mentale ; il a
également observé que tout discours religieux tendait à convaincre ceux auxquels il
s’adressait35.
Jean-Arnold de Clermont, président de la fédération protestante de France a rappelé que
les termes de secte, de schisme ou d’hérésie étaient employés par référence à une norme
et s’est demandé par qui cette norme pourrait être fixée dans une société marquée par la
séparation de l’Église et de l’Etat36.
Jean Vernette, représentant de la conférence des évêques de France, a fait valoir qu’il
n’existait aucune garantie que la nouvelle disposition ne serait pas appliquée à des
religions ou à des mouvements de pensée. Il s’est demandé si l’adoption d’un tel délit
ne finirait pas par donner à penser que toute conviction religieuse serait la manifestation
d’une déviance de l’individu concerné37.
Par la suite, le projet de loi ayant été adopté par l’Assemblée nationale le 30 mai 2001,
diverses personnalités religieuses ont réitéré leurs critiques à l’encontre du nouveau
texte. Ainsi, Jean-Arnold de Clermont38 a déclaré regretter que le terme de « sectaire »
ait été retiré puisque la notion de « groupe », seule, était juridiquement indéfinissable ; il
a déploré que le seul le terme de manipulation mentale ait disparu pour en garder sa
définition, rendant le jugement toujours aussi arbitraire : « qui jugera du caractère
préjudiciable de l’abstention ? ». Jean Vernette39 a déclaré, de son côté, que le juge
devra apprécier les choix de vie des personnes selon des critères qui peuvent varier. Il
s’est demandé ce que penserait un magistrat de la vie en congrégation et de ses
contraintes ; la personne ayant fait ce choix pourrait paraître manipulée et son
consentement sans valeur.
Pour Marc Lienhard40, président de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et
de Lorraine, il est impossible de définir selon quels critères un mouvement est sectaire
et rappelle que le christianisme, à l’origine, était une secte juive qui a finit par réussir. Il
précise en outre que chaque religion a pour vocation de s’élargir et que, dans un tel
contexte législatif, l’apparition de nouvelles communautés risque de paraître suspecte.
Le père Bernard Bastian41, membre de la Commission pour les Relations avec les
Communautés Ecclésiales Nouvelles à l’Archevêché de Strasbourg, a expliqué que la
vie religieuse se construit autour des vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté
librement consentis. Avec la perte d’influence du sens religieux, l’acceptation de ces
règles pourraient être assimilée à une dépendance.
D’après Bernard Fillaire42, spécialiste religieux des sectes, il serait nécessaire de
distinguer les nouveaux mouvements religieux des sectes coercitives ; au contraire des
sectes dont la finalité serait la manipulation mentale visant à altérer les capacités de
jugement de leurs adeptes, les mouvements religieux permettraient à leurs membres de
se forger des convictions personnelles profondes et de ne pas se laisser séduire par le
premier gourou venu.
Enfin, citons sans commentaire, le conseil du religieux Samuel Saltzman43 : « Le seul
moyen de garantir la liberté de conscience dans notre pays est le retour à l’Évangile, à la
Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, qui répond aux aspirations les plus profondes de l’être
humain dans sa quête du bonheur et de la vraie liberté ».
Clarification béhavioriste du débat
Le problème qui semble à l’origine des polémiques ayant eu lieu au sujet de la création
du délit de manipulation mentale ou du nouveau délit d’abus de faiblesse serait la
définition de plusieurs concepts employés dans le texte.
Le domaine du droit est incontestablement celui de la définition ; dans un texte de loi,
chaque mot a son importance et est largement discuté lors de la rédaction du texte. Pour
respecter le principe de légalité, chaque délit doit nécessairement être explicité de
manière à ce que les citoyens puissent se comporter en accord avec les règles instituées,
en connaissance de cause. Plus la définition est précise, moins la règle prête à
interprétation. Pourtant, l’interprétation des textes de loi constitue l’activité la plus
courante des avocats. En effet, si une loi ne supposait aucune interprétation, les
jugements rendus s’aligneraient sur de simples barèmes, un acte correspondant à une
peine ou à une amende, sans qu’aucune discussion ne soit nécessaire. Bien sûr, les
situations sont très variées et il n’existe pas de loi spécifique à chaque cas particulier,
les textes généraux sont donc supposés recouvrir l’ensemble des cas avec une définition
à mi-chemin entre le particulier et le général. Une loi nécessite ainsi une définition la
plus précise possible pour que chacun se positionne clairement par rapport aux limites
qu’elle apporte, et en même temps suffisamment large pour que les détails de chaque
cas se fondent dans le texte.
Ce compromis ne pose pas de problème aux avocats, qui ont en fait tout intérêt à
profiter des imprécisions d’une loi pour en faire profiter leurs clients ; en revanche, les
juges supposés impartiaux sont confrontés couramment à un paradoxe de taille :
l’objectivité leur est demandée pour trancher entre les diverses interprétations d’un
texte, c’est-à-dire qu’ils doivent décider où se trouve l’interprétation juste qu’une loi
relativement générale peut trouver dans une situation particulière ; or, si une loi peut
trouver plusieurs interprétations du fait de sa relative imprécision, on ne voit pas sur
quelle base le juge peut « objectivement » prendre une décision. Il apparaît que les
décisions sont qualifiées d’impartiales du simple fait qu’elles sont prises par un juge.
Cette recherche de la définition parfaite est bien connue dans le domaine scientifique où
le principe d’opérationalisation est majeur puisqu’il s’agit avant tout de neutraliser au
maximum la subjectivité du chercheur. En effet, pour respecter les critères de
falsifiabilité d’une hypothèse proposés par Popper, il est nécessaire de définir en termes
matériels et quantifiables chaque concept employé ; au contraire d’un texte de loi, en
science expérimentale, aucun mot ne doit prêter à interprétation. C’est du moins
l’objectif vers lequel doit tendre toute formulation scientifique qui n’a nullement à faire
de concessions pragmatiques à l’imprécision.
Le concept de manipulation mentale a nécessité une définition dans le domaine du droit,
en vue de la création d’un délit présumé courant dans les mouvements sectaires. On
peut se demander sur quelle base les législateurs se sont appuyés pour traduire en actes
un tel concept puisque personne ne semble en accord sur cette traduction, bien que les
buts poursuivis (lutter contre les mouvements sectaires) soient assez largement acceptés.
Il semble que les rédacteurs du texte aient tenté la définition d’une notion totalement
imaginaire, compte tenu de la conceptualisation de l’être humain qu’impliquent les
textes de loi préexistants. En effet, les juristes qui ont critiqué le texte ont parfaitement
montré la contradiction qui existait, dans les premières versions, entre la liberté de
croyance garantie par les droits de l’homme et la mention « de son plein gré ou non » ;
de plus, la liberté de « conscience », garantie également par les droits de l’homme,
implique l’acceptation du principe de libre arbitre caractérisant l’être humain, ce qui
semble contradictoire avec toute volonté de protéger les individus contre toute forme
d’influence.
On peut émettre l’hypothèse selon laquelle aucune des parties impliquées ne remet en
cause le principe du libre arbitre et, si cela ne pose aucun problème du point de vue des
religions, cela semble être la faille principale de l’argumentation des législateurs. Afin
de démontrer cette position, on peut revenir au principe d’opérationalisation de la
science expérimentale.
Le béhaviorisme se définit comme une philosophie qui sous-tend la science du
comportement (Analyse Expérimentale du Comportement) ; en tant que science, celle-ci
n’étudie que les phénomènes matériels et se réfère uniquement aux causes matérielles
pour expliquer ou prédire les événements de son domaine d’étude, en l’occurrence les
comportements. Elle se distingue en cela des autres courants de la psychologie (les
courants mentalistes) qui, tous dualistes, se réfèrent à des phénomènes inobservables car
non matériels : des causes internes tels que les processus mentaux ou les instances du
système psychanalytique. Il apparaît que dualisme et opérationalisme sont
incompatibles puisque, par définition – si l’on peut dire - les phénomènes non matériels
n’ont aucun référent matériel et quantifiable. Le deuxième principe qu’implique le
béhaviorisme est l’acceptation du déterminisme, autre condition fondamentale à la
qualification de science, dans la mesure où son but est d’identifier des relations entre
des variables indépendantes (des « causes ») et des variables dépendantes (des
« effets ») et là encore, il s’oppose aux autres courants puisqu’ils invoquent des causes
internes à l’individu pour expliquer les comportements (la psychanalyse est en fait
déterministe, bien que nombre de psychanalystes l’ignorent, mais les causes du
comportement étant internes, le principe du libre arbitre n’est pas réellement remis en
question).
Or, il apparaît que les notions contenues dans les différentes versions du texte
concernant la manipulation mentale ou l’abus de faiblesse sont directement issues d’une
conception dualiste et mentalise des causes du comportement. En effet, les auteurs de la
loi déclarent avoir respecté la liberté de conscience, ce qui semble être un concept
indéfinissable dans un cadre scientifique qui nie le principe de liberté absolue et qui doit
rejeter les explications internes du comportement. Même si la version finale du texte ne
comporte, pour ainsi dire, que des termes opérationalisables, il semble que le choix de
ces termes ait été fait sur la base d’un compromis entre deux conceptions : celle qui veut
que chaque individu possède un libre arbitre et peut ainsi décider seul de ce qui est bon
pour lui ; celle qui veut que certaines pratiques sont capables d’« altérer le jugement ».
Tout se passe comme si les parlementaires acceptaient le principe du libre arbitre mais,
constatant les comportements néfastes de citoyens envers eux-mêmes (suicide,
enfermement, malnutrition, etc.) reconnaissaient qu’une forme d’influence peut « forcer
le libre arbitre ». Pour faire coïncider ces conceptions contradictoires, sont invoquées
des techniques psychologiques peu définies, le terme de conditionnement revenant
fréquemment, alors que le conditionnement, bien au-delà d’une technique isolée, est un
mécanisme naturel omniprésent dans la sélection et le contrôle du comportement. Les
parlementaires pensent avoir identifier un phénomène particulier (la manipulation
mentale) qui serait la cause des comportements déviants des adeptes de sectes, mais
n’ont en réalité connaissance d’aucun fait scientifique pour étayer cette thèse. Comme le
milieu juridique l’a souligné, les textes concernant les délits d’escroquerie, de
maltraitance ou d’abus sexuel sont probablement suffisants pour lutter contre une partie
des agissements sectaires. En revanche, le refus d’abandonner une conception de
l’humain construite autour du l’idée du libre arbitre rend, sans doute, le problème
insoluble lorsque la personne exprime son consentement.
Les parlementaires ont voulu ménager la liberté religieuse sans pouvoir apporter une
définition de celle-ci qui la différencierait des mouvements sectaires basés également
sur des croyances. En fait, même les représentants religieux reconnaissent qu’une
religion n’est qu’une secte qui s’est élargie, suffisamment pour ne plus gêner personne
puisque, du fait du grand nombre d’adeptes, le critère de déviance s’est estompé. Si la
définition de secte était précise, sans doute concernerait-elle, soit tous les groupes
déviants (y compris les partis politiques, syndicats, associations dont l’idéologie est
simplement minoritaire), soit tous les groupes basés sur une croyance (y compris les
religions).
Il est clair que les parlementaires ont légiféré sur la base de certaines conséquences de la
« manipulation mentale » ; en d’autres termes, certaines manipulations leur sont apparus
« pour la bonne cause » et d’autres « dangereuses ». Probablement que l’éducation ou
la psychothérapie n’étaient pas visées, mais les mécanismes qui permettent d’éduquer
sont-ils différents de ceux employés dans un groupe « sectaire » ? Probablement que les
religions n’étaient pas visées, mais le principe de croyance religieuse est-il différent de
celui d’un groupe « sectaire » ? Probablement que les partis politiques minoritaires
n’étaient pas visés, mais leur statut de déviant est-il différent de celui des groupes
« sectaires » ?
Il apparaît que pour instituer un délit caractérisant un groupe « sectaire », il est
nécessaire de faire la différence, non pas entre les moyens utilisés pour convaincre, ni
entre les bons et les mauvais groupes minoritaires, mais plutôt entre les différents
modes de connaissance. En effet, si une religion ne se différencie d’une secte que par le
nombre de ses adeptes, il paraît difficile de déterminer, sans tomber dans l’arbitraire, les
groupes qui auront le droit d’exister de ceux qui n’en auront pas le droit. La position des
États-Unis sur le sujet est plutôt cohérente avec le système politique libéral sur lequel
repose le pays : aucune entrave à la liberté de croyance ; le problème des groupes
déviants est aisément réglé puisqu’il n’y a officiellement pas de problème. En revanche,
si l’on veut instituer des règles régissant le droit de croire, il est probable qu’il faille
assumer soit un certain arbitraire dans le choix des croyances autorisées (ce qui
consisterait à publier une liste des religions ayant le droit d’exister en France – n’est-ce
pas ce qu’a fait le rapport Gest, sorte d’annuaire inversé des religions autorisées ?) soit
un refus pur et simple de l’acte de croire (puisque aucune croyance ne serait meilleure
qu’une autre, on les refuse toutes ou on les accepte toutes. Bien sûr, on pourra opposer
que certaines croyances sont dangereuses, mais y inclura-t-on dans ce cas le refus du
préservatif exprimé par Jean Paul II ?).
En France, la position intermédiaire entre libéralisme et contrôle de l’État entraîne
nécessairement des incohérences dans le système judiciaire. Les textes de loi
garantissent des droits qui sont punis par d’autres textes. L’État garantit la liberté tant
qu’elle n’entame pas celle d’autrui ; mais les contraintes imposées par les mouvements
sectaires à leurs adeptes ne sont pas différentes de celles qu’impose un professeur à son
élève, seuls les buts fixés le sont. Or, les buts sont fixés, dans le cas du professeur, par
l’État ; le problème de fond semble donc la déviance. La liberté serait garantie à
condition, non seulement, que la liberté d’autrui ne soit pas atteinte, mais aussi que les
comportements respectent une certaine norme, établie par l’État. Et semble-t-il, la
polémique autour de la création du délit de manipulation mentale prend sa source dans
l’établissement de cette norme.
Si toute société se doit de respecter certaines règles garantissant les principes
fondamentaux de sa Constitution, pourquoi ne pas admettre que cette société exerce un
contrôle sur ses membres ? De fait, chaque individu qui naît dans une société voit ses
comportements modelés par des principes qui ont été instaurés bien avant sa naissance
et sa liberté est, dès lors, toute relative. Les législateurs français ont sans doute eu des
difficulté à reconnaître cet état de fait (comme nous l’avons dit, le refus de remettre en
cause le libre arbitre de l’être humain y est probablement lié) et se sont donc trouvés
devant l’impossibilité de définir un délit précisément.
Si la France choisit la voie du contrôle, contrairement aux États-Unis, elle doit le faire
sur la base d’autres principes que ceux contenus dans la Déclaration des Droits de
l’Homme, dans la Constitution de 1958 ou dans la Constitution Européenne car ils
impliquent précisément, sur le thème de la croyance, une absence de contrôle.
Quelle peut être la position d’une philosophie déterministe qui situe les causes des
comportements dans l’environnement des individus ? Pour Skinner, l’absence de
contrôle, comme la liberté absolue, est impossible ; si l’humain ne contrôle aucun
comportement, il sera simplement contrôlé par toutes les autres contingences
environnementales. Même en supposant que les humains ne se manipulent pas les uns
les autres (ce qui supposerait l’absence totale d’interaction), ils seraient toutefois
manipulés par des variables non humaines. La création d’un délit de « manipulation »
semble, dans ce cadre, totalement impossible.
Si on ajoute le terme « mental », qu’obtient-on ? Il apparaît, dans la conception
béhavioriste de l’être humain, que les événements appelés communément « mentaux »
sont des comportements (penser, raisonner, réfléchir, etc.). Le fait d’ajouter « mentale »
au terme de manipulation n’enlève rien au problème : dans ce cas, on condamne
simplement le modelage des actes de penser, réfléchir ou raisonner, ce qui n’a aucun
sens, dans la mesure où personne ne peut apprendre à penser sans interaction.
L’apprentissage est procédure de manipulation.
La question qui reste posée est de savoir vers quoi orienter ce contrôle, pour peu que
l’Homme décide de l’exercer. Il semble, comme nous l’avons expliqué plus haut, que
l’Etat français exerce bel et bien un contrôle ; ce contrôle est censé s’orienter vers les
principes inscrits dans la déclaration des droits de l’Homme et dans la constitution.
Mais comment exercer un contrôle dans le but de garantir une absence de contrôle (la
liberté de conscience ou la liberté de croyance) ? Sans doute les principes vers lesquels
doivent tendre le contrôle sont-ils à reformuler. Selon Skinner, dans la planification
d’une culture, les décisions doivent être prises sur des critères de scientificité ; il ne
s’agit pas de déterminer quelles sont les bonnes décisions d’un pont de vue moral ou
religieux mais d’après des critères de validité expérimentale. On qualifie généralement
une telle position de scientiste et on lui oppose les exemples de la bombe nucléaire
créée par les scientifiques ; on avance la citation de Rabelais selon laquelle « science
sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais nous avons vu plus haut que la notion
de conscience était bien vague et clairement impossible à opérationnaliser. Ce que l’on
nomme communément « conscience » n’est autre qu’un supposé libre arbitre censé
détenir toutes les informations justes et décider (pour nous ?) ce qui est bon. Skinner
propose un seul critère arbitraire : la survie de la culture. Ensuite, toutes les décisions
sont prises en fonction de cet objectif et selon les critères objectifs de la science
expérimentale. Si l’on suit ce principe, qu’en est-il de la lutte contre les mouvements
sectaires ? Doivent-ils être interdits ? Les religions sont-elles assimilables aux sectes et
doivent-elles être également interdites ? Dans son roman utopique Walden Two44,
Skinner décrit les principes qui devraient régir un vie en communauté selon les
principes philosophiques qui découlent eux-mêmes des connaissances fournies par
l’Analyse Expérimentale du Comportement. Les interdictions y sont peu nombreuses, le
contrôle aversif inexistant. Pourtant, le contrôle existe puisque des directions précises
sont adoptées dans la planification de cette culture. En fait, le comportement de
croyance est abandonné (non par une procédure de punition mais par extinction) au
profit d’un mode de connaissance empiriste. Le contrôle y est assumé, mais dans un but
parfaitement défini.
En conclusion, il apparaît que des problèmes de définition, liés à des erreurs de
conceptualisation, ont rendu impossible tout débat concernant les libertés de religion et
de conscience ainsi que leur contrôle. L’État français n’a assumé ni sa conceptualisation
libérale de l’homme, ni sa vocation à contrôler des comportements. Assumer totalement
la première aurait conduit les parlementaires à s’abstenir de légiférer, assumer
pleinement la seconde les auraient conduit à rejeter toute forme de croyance.
1 Cité par : http://www.quebecoislibre.org/000304-9.htm
2 Cité par : http://flevrier.free/skippy.html
3Source : http://www.assemblee-nationale.fr/rapports/r2472.asp
4 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
5 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
6 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
7 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
8 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
9 UNADFI, « Manipulation mentale, lavage de cerveau, mégalomanie : essais de
définition », Bulletin de liaison pour l’étude des sectes, Bulles n°40, 4ème trimestre
1993, cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
10 Bouderlique Max, « Les groupes sectaires totalitaires, les méthodes
d’endoctrinement ». Chronique sociale, 1998, cité par :
http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
11 Source : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
12 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
13 Cité par : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
14 Source : http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm
15 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19211.html
16 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-1925.html
17 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp
18 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp
19 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2001053015.asp
20 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
21 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
22 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
23 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
24 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
25 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
26 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
27 Source : http://www.cfjd.org/html/dossier_sectes_1.htm
28 Cité par : http://net.addr.com/kataros/liberte.htm
29 Cité par : http://www.freedommag.org/french/EL25/page01a.htm
30 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
31 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
32 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
33 Cité par : http://www.quebecoislibre.org/000304-9.htm
34 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html
35 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html
36 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html
37 Source : http://www.senat.fr/rap/100-192/100-19216.html
38 Cité par : http://www.coordiap.com/loi11.htm
39 Cité par : http://www.coordiap.com/loi18.htm
40 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
41 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
42 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
43 Cité par : http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm
44 Skinner, B. F. (1976). Walden Two. New Jersey: Prentice Hall
LES ASPECTS CULTURELS DE LA NEGOCIATION
INTERNATIONALE
Svetlana RADTCHENKO – DRAILLARD
La négociation est une procédure de décision par laquelle les gens tendent de trouver un accord commun au lieu
d’agir par voie unilatérale. Outil privilégié de l’échange entre les hommes, de l’ajustement de leurs points de vue
et de la résolution de leurs conflits, la négociation est l’un des ressorts les plus fondamentaux de la vie.
L’extrême diversité de ses applications, la richesse de son contenu, l’importance des questions qu’elle soulève
constituent autant éléments susceptibles, à titre intellectuel comme à titre pratique, de nourrir de façon durable un
intérêt pour le domaine. Elle est un formidable condensé de l’activité sociale avec ses dimensions coopératives et
conflictuelles entremêlées. Elle exprime quelque chose d’essentiel dans la condition d’homme en mettant en
scène des enjeux tels que l’incertitude, la complexité, le pouvoir, l’équité.
QUELLES SONT LES DEFINITIONS ESSENTIELLES DE LA NEGOCIATION ?
DUPONT (1994) définit les éléments essentiels dans la définition de la négociation :
1) une interaction entre les négociateurs qui prend souvent la forme d’un face à face,
2) les divergences qui peuvent aller de simples interprétations ou perceptions différentes aux intérêts opposés ou
aux conflits déclarés,
3) des intérêts communs par constatation d’une interdépendance : chaque négociateur ne peut agir que par la
recherche d’une solution fondée sur cette interdépendance,
4) la reconnaissance que la solution recherchée (accord) soit mutuellement acceptable,
5) le caractère volontaire de l’activité : le négociateur choisit d’entrer dans ou de sortir de la négociation,
6) l’aspect relationnel qui est à la fois un instrument et un résultat recherché de l’activité de négociation.
Selon TOUZARD (1977) les points les plus importants de la négociation sont :
●
Le contenu : l’objectif de la négociation pour deux ou plusieurs parties en conflit de parvenir à un accord
par le biais d’entretiens et d’échanges entre leurs représentants. Le contenu est aussi l’objet de la
négociation. De quoi parlera-t-on ? Dans quel ordre ? Qui parlera et dans quel ordre ? Créera-t-on des
commissions ou pas ? Quel sera le rythme des séances ? Qui sera président de séance ? Quelle forme aura
la table ? Comment se placeront les délégations e t. c ? Ces questions de procédures et de présence font
une partie intégrante de la négociation.
●
Les rôles : on peut constater les différents rôles pendant la négociation : a) les acteurs, qui agissent en tant
que représentants de leur groupe ou de leur organisation ; b) les experts qui sont présents pour conseiller
les négociateurs, leur fournir des informations et des arguments ; c) le président qui a un rôle d’introduire
le débat, distribuer la parole, faire respecter les formes de procédure et l’horaire fixe e t. c ; d) négociation
à deux ou à plusieurs parties : dans le cas de négociation où deux parties sont impliquées, chaque
délégation se trouve face à l’autre, lorsqu’il y a plus de deux délégations, les phénomènes se compliquent à
cause de rôles et buts multiples de différentes délégations.
●
Les phases essentielles - la négociation, qu’elle soit courte ou prolongée, passe par un certain nombre de
phases, que l’on retrouve invariablement. On distingue souvent trois périodes dans la négociation : a)
l’inventaire des points de litige (le but de cette phase est de reconnaître les positions initiales de chacun),
b) la reconnaissance des possibilités de négociation (elle comprend les négociations dans les commissions
et les premières séances plénières qui leur succèdent ; c) le dénouement (elle s’établit lorsque les parties en
présence sentent qu’ils ont atteint un point de non-retour et que l’accord doit être conclu.
●
Les normes et règles tacites de la négociation : a) négocier de bonne foi- éviter de maintenir
systématiquement des positions que l’on sait inacceptables pour l’adversaire, éviter de se comporter de
telle manière que tout accord soit impossible, b) honorer les accords parties- cette règle tacite stipule que
lorsque la négociation porte sur des articles ou des clauses successives et indépendantes les unes des autres
; c) faire preuve de flexibilité - le corollaire de cette norme est d’éviter tout ultimatum au cours de
négociation sauf dans les situations très particulières ; d) la réciprocité des concessions - une conséquence
des normes de bonne foi et de flexibilité ; d) éviter l’hostilité et l’agressivité personnelles - il s’agit là de
convention de politesse et de savoir-vivre, mais qui peuvent avoir des fonctions importantes au niveau de
succès de la négociation.
●
Les processus à l’œuvre dans la négociation : a) les processus de coercition qu’ils peuvent prendre au sein
de la négociation des formes toutes particulières comme la menace, le bluff, la surenchère, les
comportements agressifs ; b) les processus de dissimulation contiennent l’information technique,
l’information sur les modes de l’adversaire, sur sa volonté d’aboutir ou mis à un accord, sur sa stratégie,
connaissance des points sur lesquels il peut céder et ceux sur lesquels son intransigeance sera irréductible ;
c)les processus de persuasion pour tenter de démontrer à l’autre qu’il a raison de demander ce qu’il
demande et, de plus, qu’il est dans l’intérêt de son adversaire de céder à ses exigences ; d) les processus
d’accommodation qui mènent à l’accord, se retrouvent au sein des deux dernières phases de la négociation
: reporter à plus tard les questions épineuses (commencer par les questions sur lesquelles l’accord risque
d’être plus aisé) et le marchandage et le jeu des propositions et contre-propositions (une discussion où
chaque partie va peu à peu modifier sa position initiale au direction de celle de l’autre et une utilisation du
compromis, de l’innovation et des relations positives interpersonnelles pour conclure un accord.
●
2. LE MODELE DE SAWYER ET GUETKOW
Il existe différents modèles pour décrire et prévoir la négociation. Parmi eux le modèle de SAWYER ET
GUETZKOW est le plus connu. En 1965, SAWYER et GUETKOW s’intéressent aux relations entre divers
facteurs et le processus général de la négociation en termes de comportement des acteurs et de résultats. Ils
proposent dans la version originale de leur modèle théorique une systématisation des variables qui influencent de
façon causale le déroulement et le résultat de la négociation. Au sein d’une structure de relations causales, le
modèle définit cinq types de variables (opérationalisation de cinq facteurs), catégorisées en fonctions du moment
actuel elles peuvent intervenir durant le déroulement d’une négociation. Ces cinq facteurs ayant une influence
causale sur le processus et le résultat de la négociation sont les suivants :
●
les buts des parties impliquées : il s’agit d’un facteur en amont de la négociation qui fait référence à la
communauté des buts des différentes parties, et à la nature de la négociation (buts qui dérivent
d’idéologies/négociation idéologique ou buts technique/négociation technique).
●
les facteurs fondamentaux (historiques, culturels) concernant les relations entre parties : ils se situent
aussi en amont de la négociation. Leur opérationalisation renvoie aux variables, telles que les relations
internes aux parties (processus de délégation, négociation formelle), les attitudes et les relations entre les
parties, les différences culturelles entre les parties et les caractéristiques du négociateur (statut, traits de
personnalité).
●
les conditions spécifiques de la négociation le processus de la négociation : il s’agit du deuxième facteur
simultané. Son expression opérationnelle renvoie aux variables, telles que le contexte social de la
négociation (négociation publique ou secrète, formelle ou informelle), le nombre de participants
(constitution des délégations), le nombre des parties impliquées à la négociation (négociation bilatérale ou
négociation multilatérale), le processus d’information (déchiffrage des unités de la/des partie/s, adverse/s) ,
les états psychologiques des négociateurs (stress en vue de la négociation) et le temps (existence ou non
d’une pression temporelle).
●
le processus de la négociation : il s’agit des variables mises en œuvre par le déroulement même de la
négociation, qui contribuent à son découpage séquentiel (par l’intermédiaire de la communication), de
persuasion, des faits accomplis et de la recherche des solutions.
●
les résultats de la négociation : facteur conséquent. Ce sont les variables relatives à l’élaboration de
critères pour l’évaluation des résultats, la clarté des résultats et la continuité de la négociation.
Les processus de communication, de persuasion et de recherche des solutions (variables du processus de la
négociation), qui renvoient à la discussion entre les négociateurs et au sens trivial du terme de la négociation,
sont influencés par les facteurs de contexte (variables des conditions de la négociation), des facteurs de buts et
des facteurs fondamentaux (le background de la négociation). Ce sont ces facteurs du processus de la négociation
qui vont, par la suite, déterminer les résultats de la négociation qui, selon leur nature et leur caractère définitif ou
non, vont être réinjectés dans le système des relations causales afin de devenir des facteurs qui influencent les
négociations à venir. Le modèle de SAWYER et GUETZKOW s’intéresse plus particulièrement aux facteurs
jouant sur la négociation. Les buts qui peuvent être communs ou spécifiques à chaque partie font référence
essentiellement à l’idéologie, les principes dont on se réclame pouvant bien entendu avoir des incidences
techniques sur le choix des modalités d’application. Les «conditions » caractérisent les particularités de la
négociation (caractère secret ou public de la rencontre, nombre de parties, de participants, durée, climat, etc.)
tandis que «les facteurs fondamentaux » sont relatifs aux différences culturelles entre les parties, aux relations
internes ou aux rapports externes qui les particularisent.
Le cœur du modèle en est son «processus » pour l’étude duquel les auteurs empruntent certains concepts à la
théorie des jeux, en particulier celui d’utilité, c’est-à-dire de valeur associée, pour chaque partie, à chaque résultat
possible ; on peut ainsi construire une matrice des utilités. La menace, la promesse, fait accompli ont pour but de
faire disparaître de l’éventail des solutions possibles ; inversement, l’innovation en fait apparaître de nouvelles
propositions, tandis que la persuasion tente de modifier les valeurs associées pour chaque partie à chaque résultat
possible. La dynamique de la négociation suppose donc une modification séquentielle des matrices des utilités.
Malgré ces réserves portant sur la formalisation du processus de négociation, le cadre général du modèle de
SAWYER et GUETZKOW définissant les conditions qui jouent sur le déroulement et le résultat de la
négociation internationale nous paraît d’un grand intérêt.
3. LES ASPECTS ESSENTIELS DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE
Il y a beaucoup de description des stades cruciaux du déroulement de la négociation internationale. Pour
ZARTMAN (1982) la négociation internationale peut être subdivisée en trois phases successives : 1)
prénégociation, 2) élaboration d’une formule d’accord, 3) mise en points des détails. DUPONT (1994) propose
trois stades cruciaux de son déroulement : 1) les contacts préliminaires et le premier entretien, 2) le cœur de la
négociation, 3) l’aboutissement.
WALTON ET MCKERSIE (1965) ont entrepris de décrire de manière exhaustive et formalisée les différents
aspects de la négociation internationale . Les auteurs distinguent quatre ensembles indépendants d’activités qui
sont considérés comme des sous-processus de la négociation internationale :
●
l’aspect distributif (le système d’activités lié à la poursuite des buts des parties en conflit),
●
la dimension intégrative (le système d’activités liées à l’atteinte de buts qui ne sont pas en conflit
fondamental pour les deux parties),
●
la structuration des attitudes (l’établissement de relations particulières entre les parties),
●
la négociation interne de chaque partie (l’ensemble des activités qui permet d’aboutir à une position
unique à l’intérieur de chaque partie que sera celle qui défendra le chef de la délégation). Ils distinguent
également trois étapes essentielles dans le processus de négociation internationale: 1.l’identification du
problème ; 2.la recherche de nouvelles solutions et leurs conséquences ; 3.la hiérarchisation des solutions
et la sélection de l’action. La première étape se caractérise par l’échange d’informations sur le problème et
les difficultés créées par la situation pour chaque partie. La deuxième étape fait appel aux processus de
créativité et d’innovation. La troisième étape fait intervenir les préférences. Il peut y avoir ainsi retour à
l’étape n°2 en cas d’insatisfaction quant aux solutions envisagées. Les conditions (la motivation,
l’information et le langage, la confiance et l’absence de climat défensif) facilitent la recherche de solutions
nouvelles et favorisent la créativité en groupe.
DUPONT (1994) montre également qu’il existe quatre caractéristiques propres à la négociation internationale :
l’importance des facteurs culturels :les facteurs culturels imprègnent les différentes facettes de la négociation,
c’est-à-dire les lois, les règlements, les usages professionnels ou sociaux, les facteurs d’ordre politique, mais
encore les comportements personnels qui sont eux-mêmes influencés par les stéréotypes, les systèmes de valeurs,
les rites et bien attendu le langage) ; la diversité considérable des contextes : la négociation internationale soit se
situe à l’étranger, soit met en relation deux ou plusieurs négociateurs de nationalité différente ; cette simple
particularité multiplie la variété de contextes : de nombreuses applications ou allusions seront évoquées dans les
sections suivantes, mais un effort de documentation- par exemple sous la forme de fiches de pays - suffit à
montrer la diversité dérivée des conditions géographiques, des lois et des usages, de la langue, des particularités
politiques et culturelles etc.) ; multipolarité de la négociation internationale : la négociation fait intervenir de
nombreux acteurs de nature et de statut différent ; ceci tient à une double réalité : un grand nombre de
négociations internationales passent par l’intermédiaire de tiers, en particulier les Etats et les administrations
locales ; la négociation internationale se joue souvent à plusieurs niveaux et de plus, il y a toujours interaction
entre ces niveaux et le négociateur doit ainsi surveiller l’évolution de la négociation globale en ne se connaissant
pas toujours les tractations qui se situent hors de son environnement immédiat) ; exigences exceptionnellement
élevées pour le négociateur international : les observations qui viennent d’être faites suffiraient à montrer la
complexité et la difficulté de la tâche du négociateur international : il lui faut à la fois tenir compte du fait que les
acteurs appartiennent à différentes cultures et par conséquences ne partagent pas la même façon de penser, de
sentir et de se conduire ou - en d’autres termes -ils ont leurs stéréotypes, leurs valeurs et leurs croyances. Trois
éléments supplémentaires vont encore accroître les exigences requises : 1) la plupart des négociations
internationales reflètent l’âpreté des relations internationales, les rivalités de tout ordre et de la concurrence
mondiale dans le domaine économique, 2) les négociations internationales exigent du négociateur une
compétence très différenciée, le négociateur doit se montrer capable de passer d’un registre à un autre ou d’un
ensemble de règles du jeu à un ensemble de contraintes d’un ordre tout à fait différent, 3) les négociations
internationales ont des coups et des risques élevés : l’investissement est lourd et souvent aléatoire ; les
malentendus, des ruptures, des incidentes inattendues, des pénalités ou des mésaventures peuvent surgir à tout
instant). Tout ceci n’est pas le seul fait de la négociation internationale, mais celle-ci particulièrement délicate et
exige beaucoup de patience, de doigté, de savoir-faire et d’expérience.
En raison de ces particularités, la négociation internationale met en lumière un certain nombre de points sensibles
:
●
la préparation doit être méticuleuse, rigoureuse sur le contenu technique, fine et approfondie sur les aspects
psychologiques et lucide et ingénieuse du point de vue stratégique,
●
la logistique prend une importance accrue et le négociateur devraient consacrer quelque réflexion avant
d’être arrivé à destination,
●
le choix du négociateur ou de la délégation est cruciale ; on ne s’improvise guère négociateur international
: il faut des dons et ensuite de l’expérience,
●
les négociations internationales se trouvent facilitées non seulement par une bonne connaissance du milieu
et des dossiers, mais encore par le recours à des contacts exploratoires, la construction d’un réseau efficace
de relations judicieuses, le bon maniement de l’information, l’établissement d’une réputation favorable et
d’une crédibilité solide.
KREMENYUK (1991) à son tour constate que le processus de la négociation internationale a des caractéristiques
suivantes : 1) phases, 2) échanges d’information et phénomènes communicationnels, 3) mécanismes de
propositions et contre-propositions, 4) techniques et tactiques, 5) initiatives, 6) modalités, 7) dénouement.
Il propose le modèle qui postule cinq grandes classes d’éléments présentés dans toute négociation : 1) acteurs, 2)
structure, 3) stratégie, 4) processus, 5) résultats. Ce modèle est en fait une manière de synthétiser le jeu des
interactions émanant d’au moins deux (et éventuellement de plus de deux) «parties », et, deuxièmement, que
selon les approches suivies, il sera loisible d’insister surtout tel ou tel élément. Il insiste également sur les pôles
«acteurs » et «processus », visant à trouver des relations entre des variables d’acteurs et des processus ou des
variables des processus et des résultats. Dans ce modèle on trouve aussi une centration sur les phénomènes de
«pouvoir » notamment dans le triangle : "acteurs, structure, stratégie ".
Depuis le début, l’étude de la négociation internationale a été basée sur deux conceptions principales : la
conception de la négociation internationale en tant que simple marchandage où la flexibilité est définie comme le
fait de faire les concessions et d’éviter les impasses et la conception de la négociation internationale en tant que
le processus de la résolution de problème où la flexibilité est définie en tant que processus et non pas comme de
simples séquences « action-réaction ». Une façon différente d’exprimer la définition de la flexibilité a été
proposée par DRUCKMAN (1993). Cet auteur inspiré par la théorie des jeux et par le processus d’interaction à
œuvre durant la négociation internationale propose la définition suivante :
La conception des choix compétitifs et coopératifs qui sont effectués dans un jeu d’interaction correspondent aux
changements ou aux non- changements des positions durant la négociation. La coopération consiste à faire un pas
loin de sa position initiale en faisant preuve de flexibilité (…). Il a été montré que la flexibilité se produit au sein
de la négociation selon d’autres façons que le simple fait de faire des concessions. Elle se trouve au sein
d’échanges verbaux entre les négociateurs ou dans leurs perceptions de la situation et de leur/s adversaire/s.
(DRUCKMAN, 1993, p.2).
Influencé par l’approche séquentielle de la négociation (DOUGLAS, 1957,1962, MORLEY et STEPHENSON,
1977), DRUCKMAN considère que flexibilité peut être présente durant tous les stades de la négociation
internationale sous les formes différentes :
●
Durant le période préparatoire de la négociation, la flexibilité s’exprime par la volonté d’étudier le
problème en adoptant la perspective de la partie adverse, la recherche des solutions intégratives qui
amènent à un grand profil conjoint, l’effort de minimisation des différentes idéologiques existant entre les
parties impliquées dans le conflit.
●
Durant la première phase de la négociation, la volonté de séparer les différents thèmes à discuter, de
considérer qu’il y a possibilité d’accord partiel lorsque l’accord sur l’ensemble des thèmes n’est pas
possible des expressions de flexibilité.
●
Durant les discussions, la flexibilité se trouve dans la volonté de prendre en considération un argument
venant de la partie adverse.
●
Durant la phase finale de la négociation, la flexibilité s’exprime par les concessions et la volonté de
proposer plusieurs solutions dans l’espoir qu’il y en aura au moins une sur laquelle les parties pourront
trouver un accord.
En 1993, DRUCKMAN identifie un ensemble de facteurs situationnels qui sont à l’origine des comportements de
concessions. Partant du modèle théorique de SAWYER et GUETZKOW, DRUCKMAN propose de tester l’effet
des facteurs situationnels relatifs au contexte de la négociation internationale. L’origine de cette étude consiste
dans le regroupement au sein d’un même scénario de négociation d’un grand nombre de variables situationnelles
regroupées en quatre sous-ensembles en fonction du stade auquel elles interviennent dans la négociation :
Prénégociation
1. Positions qui sont
lièes ou non aux
idéologies politiques
(Druckman et
Zechmeister, 1973)
2. Le rôle du
représentant principal
de son groupe ou du
simple conseiller au
sein de la délégation
(Druckman, 1971,
1973)
3. Etude du problème et
l’élaboration d’une
stratégie pendant la
préparation de la
négociation
(Hammond et al.,
1966, Druckman,
1968)
4. Existence vs absence
de familiarité avec les
Stage primitif de la
négociation
1. Les discutions
centrales ou
périphériques
(Galting, 1964)
2. Forme de conférénce
formelle vs informelle
(Galting , 1964)
3. Essai d’aboutissement
des accords globaux
vs partiels (Fisher,
1964, Hopman, 1986)
4. La position
avantageuse vs
désavantageuse de la
délégation en terme de
pouvoir (Hopmann,
1978 ; King, 1979)
Stade des discussions
1. Existence vs absence
de solutions saillantes
(Schelling, 1960,
Druckman et Rozelle,
1975)
2. Beaucoup vs peu de
concessions d’une
partie d’adversaire
(Siegel et Fouraker,
1960, Bartos, 1974,
Druckman et Bonome,
1976)
3. Le leadership de la
conférence se présente
en tant qu’un
innovateur ou non
(Underdal)
4. Converture
médiatique des
conférénces légère vs
intense (Druckman et
Rozelle, 1975)
Stade final de la négociation
1. Existence vs absence
de limite temporelle
(Pruitt et Drews,
1969, Druckman et
al.,1991)
2. Existence vs absence
d’une meilleure
alternative en cas
d’absence d’accord
(Fisher et Ury, 1981 ;
Thibaut, 1968)
3. Une solution proposée
par un médiateur ou
par la partie adverse
(Pruitt, 1981).
positions de la partie
adverse (Johson,
1967, Druckman et
Broome, 1991)
5. Relations entre les
parties aimables vs
antagonistes
( Druckman et Broome, 1991)
Tableau : Les variables situationnelles étudiées par Druckman (1993) et leur regroupement en quatre opérations de la négociation
(DRUCKMAN, 1993, p.10)
Pour étudier l’effet simultané des variables situationnelles sur les comportements de flexibilité. DRUCKMAN
utilise une simulation de la négociation internationale multilatérale. La création de trois conditions
expérimentales a permis de vérifier les hypothèses et confirmer des résultats des études précédentes: 1) produire
des comportements de flexibilité tout au long de la négociation ; 2) produire les comportements inflexibles
(distributifs) tout au long de la négociation ; 3) produire des comportements distributifs durant les trois premiers
stades et des comportements flexibles au stade final de la négociation. DRUCKMAN (1977), dans la version
plus récente de ce modèle, enrichit l’opérationalisation des facteurs pivots en mettant l’accent sur l’influence des
facteurs cognitifs et motivationnels (au sein des facteurs fondamentaux) et sur le processus social de la
négociation.
La perception subjective du/des négociateur/s concernant des attitudes et les intentions de la partie adverse, ainsi
que la perception subjective de la situation de la négociation internationale, s’avèrent être des variables
cognitives qui peuvent expliquer le comportement et le résultat de la négociation internationale. Les études
expérimentales effectuées par TVERSKY et KAHNEMAN, portant sur les limitations cognitives du
raisonnement humain, constituent le point de départ de l’approche cognitive dans l’étude de la négociation en
termes de biais affectant le comportement des négociateurs et le résultat de la négociation. Ces auteurs
s’intéressent à des fonctions spécifiques du raisonnement humain (prise de décision en situation impliquant un
certain degré de risque, jugement en situation d’incertitude), identifient une série de biais et de schémas cognitifs
ne permettant pas à l’individu la production de jugements objectifs et le conduisant à la formulation de jugements
et d’évaluations subjectives basées sur des données limitées et formulées en fonctions des schémas préexistants.
Précisément ils identifient trois biais cognitifs principaux affectant le raisonnement humain en cas de jugement/
évaluation en condition d’incertitude : 1) le biais de la représentativité : 2) le biais de la disponibilité de
l’information ; 3) le biais de l’ajustement et de l’ancrage : Le jugement final sera, par conséquent, une valeur
ajustée par rapport à la valeur initiale. Le biais cognitif d’ancrage consiste en la persistance de l’individu à la
valeur initiale qui devient, par la suite le jugement final. Cette liste de trois biais cognitifs affectant le
raisonnement humain en cas de jugement en situation d’incertitude sera par la suite enrichie par l’identification
d’autres biais cognitifs, tels que la surconfiance de l’individu (KAHNEMAN et al.,1982).
Les études réalisées sur la prise de décision au cours de la résolution des problèmes montent que les sujets qui
sont sûrs d’eux raisonnent de manière objective dans la prise de décision : 1) ils proposent des solutions
originales qui les traitent en profondeur, 2) ils augmentent le nombre de concessions novatrices et efficaces, 3) ils
redéfinissent les propositions précédantes avec les corrections acceptables pour l’adversaire, 4) ils synthétisent et
réétudient leurs idées crédibles pour trouver une solution optimale (BROUSHLINSKY, RADTCHENKO, 1988)
4. LES FACTEURS CULTURELS DE LA NEGOCIATION INTERNATIONALE
ROBERTS (1970) a proposé une liste des variables culturelles qui peuvent jouer un rôle important dans la
négociation internationale : 1° valeurs et croyances, 2° langage et communication, 3° tempérament et caractère,
4° attitudes en général et notamment vis-à-vis du changement, 5° motivations et besoins d’accomplissement, 6°
stéréotypes nationaux, 7° pratiques relatives au travail et au fonctionnement de l’économie, 8° structures et
pratiques sociales, 9° modes d’autorité, 10° modes de résolution des conflits, 11° changement technologique.
Citons un exemple : GRAHAM et al ; (1996) ont mené la recherche sur les différences dans les comportements
verbaux entre négociateurs. Il est intéressant pour nous de comparer les comportements verbaux entre
négociateurs appartenant à sept cultures différentes :
Comportement
Japon
France
Chine
Russie
Royaume-Uni Etats-Unis
Allemagne
1.Promesse
7
5
6
5
11
8
7
2. Menace
4
5
1
3
3
4
3
3.Conseil
7
3
2
4
6
4
6
4.Avertissement
2
3
1
0
1
1
1
5.Récompense
1
3
1
3
5
2
4
6.Punition
1
3
0
1
0
3
2
7.Appel normatif positif
1
0
1
0
0
1
0
8.Appel normatif négatif
3
0
0
0
1
1
0
9.Engagement
15
10
10
9
10
13
13
10. Apport d’information
34
42
36
40
39
36
47
11.Question
20
18
34
27
39
20
15
12.Suggestion
8
9
7
12
9
6
9
Ce type de recherche donne des indications intéressantes sur les « etics » culturels (PIKE,
1967 ;TRIANDIS,1994), c’est à dire les éléments qui, au plan méthodologique, sont transversaux à toutes les
cultures considérées. Une autre question aussi essentielle porte sur les « emics » culturels, sur ce qui est
spécifique et contribue ainsi à façonner l’identité particulière d’une culture. Plusieurs auteurs ont réalisé des
travaux dans cette perspective, tels ceux le négociateur japonais (BLAKER,1977 ; GRAHAM & SANO,1989),
sur le négociateur américain (GRAHAM & SANO,1989), sur le négociateur russe (KREMENYUK,1998), sur les
négociateurs français et chinois (FAURE,1995 ; PYE,1982). Il est toujours possible de comprendre un
comportement du négociateur, d’expliquer ses actes et d’établir un rapport causal entre sa vision du jeu et son
action.
Le regroupement des variables culturelles a une limite qui tient au lieu entre culture et personnalité.
L’identification culturelle de l’interlocuteur part généralement des caractéristiques attribuées - plus ou moins
correctement - au groupe duquel ce dernier se rattache. Mais la personnalité propre du négociateur se superpose à
cette structure de groupe. On a pu ainsi mettre en évidence - à l’occasion de l’analyse de l’hostilité «culturelle » l’existence simultanée de deux tendances dont l’une, spécifiquement culturelle, est expliquée par un réflexe de
rejet lié à la différence d’ethnicité - et donc une des causes serait l’anxiété naissant de l’incertitude - et l’autre, de
nature plus individualisée, qui concerne un sentiment immédiat de distanciation ou d’antipathie, reflétant - d’une
manière très sélective - la désapprobation, la gêne ou l’embarras devant des caractéristiques de conduite
s’écartant des normes ou des usages.
6. LES STEREOTYPES NATIONAUX ET LA NEGOCIATION INTERNATIONALE
Les stéréotypes nationaux définissent souvent le comportement des adversaires pendant le déroulement de la
négociation internationale.
Un stéréotype est un jugement qui caractérise un groupe mais aussi un moyen de distinguer un groupe d’un autre.
Les deux façons d’utiliser les traits, pour la catégorisation et pour la distingabilité, ont été utilisées pour isoler les
stéréotypes. De nombreuses recherches ont montré également que des groupes à statut élevé tendent davantage à
marquer leurs distances à l’égard d’un groupe à statut bas qu’inversement. (DOISE, 1979, JODELET 1994 ;
PERSONNAZ, 1979, SINGLY, 1993). On constate également que les groupes à statut moins élevé ou moins
assuré se comportent d’une manière plus discriminatoire à l’égard d’un autre groupe et expriment assez fort le
favoritisme de l’endogroupe (DESCHAMPS et PERSONNAZ, 1979). Les stéréotypes nationaux définissent
souvent le comportement des adversaires pendant le déroulement de la négociation internationale.
FAURE (1998) constate à plusieurs reprises que les stéréotypes peuvent être un obstacle dans la négociation (les
stéréotypes négatifs, les préjugés et les conduites différentes peuvent empêcher le déroulement de la
négociation). Il donne un exemple : »Dans le cas présent, à tort ou à raison, les Français pendant la négociation
avec les Chinois étaient perçus comme des interlocuteurs cherchant à faire de très grosses marges et, par
conséquent, surfacturant leurs prestations. Ils sont également perçus par les négociateurs chinois comme des
interlocuteurs mettant en œuvre une stratégie « romantique » . Aux yeux des Chinois, les Français montrent
abondamment qu’ils sont fiers d’être ce qu’ils sont, d’appartenir à une culture importante même si elle est un
peu tournée vers le passé ». FAURE ajoute que les stéréotypes positifs peuvent être aussi comme un facteur
d’aisance (les ressemblances culturelles, les mêmes valeurs et les mêmes buts et la confiance de la part de
négociateur peuvent faciliter la négociation). Les stéréotypes positifs peuvent aussi faciliter et développer la
confiance et l’empathie des négociateurs.
Au début de la négociation les différences culturelles vont également rendre les relations difficiles, opaques et
ainsi ajouter à l’opposition d’intérêts qui est à l’origine de la négociation. Le sens donné par les uns à leurs actes
sera très éloigné de celui qui lui attribue les autres. Aux difficultés de communication peuvent s’ajouter des
phénomènes de dissonance cognitive. Les situations tendues, les positions très conflictuelles sont parfois à la
source de tels processus. Le sujet tend à ne retenir de l’expérience de la relation à l’autre que les éléments qui
confortent ses hypothèses de départ et qui, ainsi nourrissent sa suspicion. Dans la négociation internationale tels
comportements peuvent créer la méfiance, l’hostilité, l’anxiété ou l’indifférence initiale entre les protagonistes et
provoquer le conflit ou être la conséquence du conflit comme l’a montré SHERIF (1961,1966). Les actes positifs
peuvent être interprétés comme destinés à donner le change et ne font que révéler la duplicité du comportement
de l’autre.
A notre avis les stéréotypes négatifs des protagonistes peuvent être liés à une orientation compétitive de la
négociation où l’intérêt propre emporte sur l’intégration des intérêts communs et il s’agit de lutter pour
l’appropriation des ressources et des « gains » de la négociation. L’orientation compétitive de la négociation
contient les activités les plus conflictuelles qui s’établissent entre les parties ; chaque partie cherche à atteindre
ses buts propres qui sont en opposition avec ceux de l’autre ou des autres parties. Il s’agit le plus souvent de
ressources rares (argent, pouvoir) que l’on cherche à se partager, chacun cherchant à obtenir la grande part. Ce
sous-système renvoie donc aux tactiques et comportements les plus conflictuels : les tactiques de pression de
toutes sortes (menace, mise en garde, mise en avant d’un mandat reçu et incontournable, usage de la force sur le
terrain, l’intransigeance de chacune des parties dans la présentation des objectifs qu’elle cherche à atteindre et
des positions qu’elle défend. Dans cette situation les négociateurs peuvent effectuer les comportements
distributifs suivants : 1) répéter la position initiale, 2) réserver sa position par rapport à la position de quelqu’un
d’autre, 3) refuser la proposition autrui, 4) toutes interventions de pression, 4) évaluer négativement ou avec
hostilité une personne ou un groupe ; 5) manifester sa désapprobation (TOUZARD, 1995).
Les stéréotypes nationaux ne sont pas toujours négatifs par rapport à l’exogroupe. Les gens peuvent exprimer une
sympathie et une confiance par rapport aux autres et les juger assez positivement. A notre avis ces stéréotypes
peuvent faciliter une orientation coopérative de la négociation où domine la recherche en commun d’une solution
mutuellement satisfaisante, mettant l’accent sur les intérêts communs. Ils accompagnent souvent les sentiments
d’amitié, d’estime et d’empathie qui peuvent s’établir entre protagonistes. Ils ont une zone d’intérêts en commun,
les parties ont ensemble un problème à résoudre et cherchent une solution satisfaisante pour chacune d’elles : une
solution intégrant les objectifs de l’une à l’autre. (WALTON et MC KERSIE, 1965). La caractéristique d’une
solution intégrative est de permettre un gain conjoint et un gain pour chacun supérieurs à un banal compromis.
Ici les négociateurs utilisent les comportements de flexibilité, comme : 1) formuler une proposition nouvelle, 2)
intégrer dans une proposition un élément de la proposition d’autrui, 3) s’aligner sur la proposition d’autrui, 4)
demander à autrui une solution ou de suggestion, 5) évaluer positivement une personne ou un groupe, 6)
manifester son approbation.(TOUZARD, 1995).
La négociation compétitive contient les activités les plus conflictuelles qui s’établissent entre les parties ; chaque
partie cherche à atteindre ses buts propres qui sont en opposition avec ceux de l’autre ou des autres parties. Il
s’agit le plus souvent de ressources rares (argent, pouvoir,) que l’on cherche à se partager, chacun cherchant à
obtenir la grande part. Ce sous-système renvoie donc aux tactiques et comportements les plus conflictuels : les
tactiques de pression de toutes sortes (menace, mise en garde, mise en avant d’un mandat reçu et incontournable,
usage de la force sur le terrain, l’intransigeance de chacune des parties dans la présentation des objectifs qu’elle
cherche à atteindre et des positions qu’elle défend. Dans cette situation les négociateurs peuvent effectuer les
comportements distributifs suivants : 1) répéter la position initiale, 2) réserver sa position par rapport à la
position de quelqu’un d’autre, 3) refuser la proposition autrui, 4) toutes interventions de pression, 4) évaluer
négativement ou avec hostilité une personne ou un groupe ; 5) manifester sa désapprobation (TOUZARD, 1995).
Mais ce processus de la négociation compétitive ne commence pas nécessairement d’une manière symétrique
pour tous les groupes concernés. On peut constater souvent que la négociation se déroule entre catégories
défavorisées et catégories dominantes ou entre nations dominantes et nations colonisées. Au début de la
négociation ce groupe, en reconnaissant leur statut moins favorable, tend à inverser activement les rapports
dominants.
Les stéréotypes nationaux ne sont pas toujours négatifs par rapport à l’exogroupe. Les gens peuvent exprimer une
sympathie et une confiance par rapport aux autres et les juger assez positivement. Ces stéréotypes peuvent
faciliter la négociation coopérative où domine la recherche en commun d’une solution mutuellement
satisfaisante, mettant l’accent sur les intérêts communs. Ils accompagnent souvent les sentiments d’amitié,
d’estime et d’empathie qui peuvent s’établir entre protagonistes. Ils ont une zone d’intérêts en commun, les
parties ont ensemble un problème à résoudre et cherchent une solution satisfaisante pour chacune d’elles : une
solution intégrant les objectifs de l’une à l’autre.(WALTON et MC KERSIE, 1965) La caractéristique d’une
solution intégrative est de permettre un gain conjoint et un gain pour chacun supérieurs à un banal compromis.
Ici les négociateurs utilisent les comportements de flexibilité, comme : 1) formuler une proposition nouvelle , 2)
intégrer dans une proposition un élément de la proposition d’autrui, 3) s’aligner sur la proposition d’autrui, 4)
demander à autrui une solution ou de suggestion, 5) évaluer positivement une personne ou un groupe, 6)
manifester son approbation. (TOUZARD, 1995).
Quand des négociateurs entrent ainsi en contact, il s’agit bien de la relation entre groupes mais aussi d’individus
interagissant avec d’autres individus. Le plus souvent des négociations commencent à se dérouler entre plusieurs
représentants de chaque groupe ; plusieurs individus ont à définir ensemble une position par rapport à un autre
groupe, cette prise de position devient plus nette et plus extrême que lorsqu’un individu doit se prononcer tout
seul dans une situation semblable. Les négociateurs individuels peuvent arriver plus souvent à une solution
constructive et entraîner une mémorisation plus facile des caractéristiques personnelles de soi et d’autrui. Mais
lors d’une négociation collective les compromis sont plus difficiles à élaborer et souvent la discussion continue
jusqu’à ce que l’un ou l’autre partie l’emporte. Dans ce moment les comportements agressifs peuvent provoquer
la mémorisation d’informations plus impersonnelles et stéréotypiques telles que lieu d’origine, lieu de résidence,
âge, sexe etc. Souvent quand la négociation collective commence à se développer les nouvelles solutions peuvent
apparaître et les négociateurs doivent donc discuter avec leur propre camp pour essayer de faire modifier les
attentes et les niveaux d’aspiration. Lorsqu’ils sont deux ou plusieurs, les négociateurs peuvent se répartir les
deux rôles requis par les deux faces du mandat reçu. L’un pourra jouer la souplesse, tandis que l’autre jouera
l’intransigeance. Ainsi dans les rôles peuvent-ils se répartir au sein d’une délégation, ce qui permet à chaque
négociateur de dépasser le conflit interne ressenti. C’est une véritable négociation interne qui s’instaure, avec
luttes d’influence, alliances, etc. Les négociateurs sont donc au centre de deux processus de négociation, une
négociation interorganisationnelle et une négociation intraorganisationnelle ; l’issue de la première dépend
souvent du déroulement de la seconde. Dans cette négociation intraorganisationnelle on peut constater le conflit
dans les différences motivationnelles (différenciation verticale au sein de l’organisation, hétérogénéité des
formations et des expériences), perceptives (différenciation verticale au sein de l’organisation, ambiguïté de la
situation) et émotionnelles dont l’origine est l’expérience passée (besoin d’une victoire, d’une revanche, etc.). Le
dilemme du négociateur pris en tenailles entre des objectifs contradictoires- défendre les positions de son propre
champ et parvenir à un accord – ne peut trouver une solution aisée. Sa tâche est difficile et nécessité une grande
maîtrise intellectuelle, affective, émotionnelle. Dans ce cas les négociateurs peuvent sous-estimer leurs propres
possibilités et leurs chances.
La phase suivante de la négociation internationale commence souvent avec l’utilisation de différentes sources de
pouvoir : le pouvoir de coercition, de récompense, de compétence, de référence, le pouvoir légitime et le pouvoir
basé sur la détention d’information. La source de pouvoir la plus utilisée dans les cas des conflits internationaux
est la coercition. Ici le rôle de stéréotypes nationaux est très important : plus les stéréotypes sont négatifs plus les
négociateurs vont essayer d’utiliser les différentes formes de coercition. La menace c’est une forme de pression
souvent utilisée dans les négociations compétitives : menace de rompre le cessez-le-feu, de déclencher la guerre,
de blocus économique, d’embargo, de rupture de relations diplomatiques ou de rupture des négociations. La
menace consiste à tenter de dissuader l’adversaire de persister dans son comportement, son intransigeance, en lui
prédisant des sanctions, des pertes qu’on lui infligera s’il ne se soumet pas aux exigences que l’on formule. Mais
assez souvent la menace est avancée avec l’espoir qu’on n’aura pas à la mettre à exécution, car l’exécution de la
menace peut coûter aussi cher à celui qui la profère qu’à celui qui la subit.
La réponse de l’adversaire par rapport à la menace peut aussi être influencée par ses stéréotypes nationaux.
DEUTSCH (1967) décrit les stratégies du négociateur par rapport à la menace d’autrui : 1) stratégie de la joue
tendue (le sujet répond de manière coopérative, quel que soit le comportement (agressif, menaçant) de
l’adversaire ; 2) stratégie non punitive (le sujet se défend contre les attaques ou menaces, mais n’attaque ni ne
menace l’adversaire ) ; 3) stratégie dissuasive (le sujet réagit par la menace à tout acte non coopératif de
l’adversaire, contre-attaque quand il est attaqué, mais répond coopérativement à tout acte coopératif ; 4) deux
stratégies de repentir (le sujet joue de manière menaçante et agressive au début et ensuite adopte soit la stratégie
de la joue tendue, soit la stratégie non punitive.
Lorsque la menace n’est pas mise à exécution, c’est le bluff. Le bluff ne se révèle qu’après coup. Les
inconvénients du bluff sont de miner la réputation de fermeté et de détermination de la partie qui en est l’auteur.
Une autre façon de faire pression sur l’adversaire au cours de négociation est d’utiliser la surenchère. Elle
consiste, devant l’intransigeance de l’adversaire à demander encore plus. Les stéréotypes négatifs par rapport à
l’exogroupe seront liés très souvent à des comportements agressifs et souvent à l’hostilité à l’encontre d’un
négociateur. Les outrances verbales dirigées de manière impersonnelle contre l’adversaire ou ses alliés peuvent
provoquer la rupture de la négociation internationale. La rupture peut être très longue et coûteuse et peut signifier
aussi la reprise des hostilités dans les relations internationales et l’augmentation des stéréotypes négatifs pour
autrui.
Mais les processus de coercition ne sont pas toujours présents dans le déroulement de la négociation
internationale. Dans le cas de la négociation coopérative et de la présence des stéréotypes positifs les relations
peuvent se dérouler assez positivement. Une autre tactique peut être utilisée par les négociateurs dans cette phase
de la négociation internationale: le processus de dissimilation. Ici la négociation internationale met en œuvre un
pouvoir basé sur l’information et sur la compétence. Celui qui possède l’information a le pouvoir sur
l’adversaire. Information technique, mais aussi information sur l’adversaire, sur sa volonté réelle d’aboutir ou
non à un accord, sur sa stratégie, connaissance des points sur lesquels il peut céder et ceux sur lesquels son
intransigeance sera irréductible.
FISHER (1980) a proposé une grille de décodage des phénomènes transculturels qui organisée autour de dix
questions devant orienter la réflexion des négociateurs : 1) Quelle est la conception prédominante de la
négociation (fonctions, rôle, règles du jeu) dans la culture de la partie adversaire ? 2) Le négociateur adverse
peut-il être considéré comme représentatif de la culture de son groupe (ce qui obligé à en dessiner le profil
social et culturel) ? 3) Quel est le mode de décision usuel dans la culture à laquelle appartient la partie
adverse ? 4) Dans quelle mesure la négociation risque-t-elle d’être influencée par l’image qu’ont d’eux-mêmes
les négociateurs, par leurs stéréotypes ? 5) Les notions « d’accord », de compromis » , d’engagements, de
renégociation ont-elles le même sens pour les parties concernées ? 6) Quel est le style usuel des négociateurs
avec qui l’on traite, et notamment les comportements et les techniques courantes ? 7) Quel est l’impact probable
des différences dans les systèmes de valeurs, des croyances et dans les idéologies ? 8) Y a-t-il des différences
notoires dans les modes de penser et de raisonner entre les négociateurs ? 9) Quels seraient les facteurs
culturels spécifiques susceptibles de créer des barrières ou des « bruits » dans la communication ou la
négociation ? 10) Y a-t-il des problèmes potentiels concernant l’usage de la langue et d’éventuelle
interprétation ? Le déroulement de la négociation internationale a pour fonction de permettre cette prise
d’information progressive. Pendant ce processus l’influence des stéréotypes nationaux devient plus en plus
inutile car ils empêchent d’avoir une image plus précise de l’adversaire et une possibilité d’analyser
l’information individuelle pour le négociateur.
La dernière phase de la négociation internationale est courte comparativement aux deux précédentes qui peuvent
durer des années. Elle s’établit lorsque les parties en présence se rendent compte qu’il faut prendre la décision.
C’est le moment où les négociateurs sentent qu’ils ont atteint un point de non-retour et que l’accord peut être
conclu ou non. Une négociation peut se terminer de diverses manières : 1) par absence d’accord et les
négociateurs font alors le constat de l’impasse , de l’échec de la négociation, 2) par un compromis, 3) par une
solution relativement nouvelle, originale et créative, à laquelle on n’avait pas pensé lors de la préparation, ni d’un
côté ni de l’autre et qui intègre les intérêts divergents des parties, c’est ce qu’on appelle une solution intégrative.
Dans le cas de l’échec de la négociation internationale plusieurs causes peuvent être à l’origine de cette
situation : rigidité excessive, inadaptation de la négociation comme modalité de résolution de conflit, incapacité
des négociateurs à maîtriser des phénomènes d’escalade ou l’augmentation des stéréotypes négatifs par rapport à
l’exogroupe ou même parfois par rapport à leur propre groupe.
Le compromis c’est un accord entre négociateurs adverses sur un thème en discussion , accord qui se situe
quelque part entre les positions de départ des uns et des autres. Le compromis est la solution la plus aisément
envisagée, celle qui vient le plus facilement à l’esprit quand on négocie par exemple un prix de vente. Le
compromis s’établit alors en un point intermédiaire entre les deux positions initiales, les concessions ayant été
réciproques mais pas obligatoirement symétriques. Une autre possibilité est d’accorder une concession à
l’adversaire en reprenant un avantage perdu sur un autre point. Ainsi des accords partiels antérieurs peuvent être
tout à fait modifiés. La négociation qui finit par un compromis peut provoquer les sentiments ambigus des
négociateurs et la présence de deux types des stéréotypes en même temps : négatifs et positifs.
La solution intégrative c’est une solution qui intègre les intérêts des diverses parties impliquées, qui tient compte
des positions développées, des objectifs visés. Il s’agit donc d’une solution originale, créative, et à plus long
terme que tout compromis puisqu’elle prend en compte les positions et intérêts en jeu. C’est une solution qui
permet de germer au cours de la négociation grâce à la dynamique des échanges et de la recherche de solutions.
Une solution intégrative donne donc satisfaction à chaque partie car elle permet à chacun d’atteindre un grand
nombre de ses objectifs. Au lieu de gagner contre l’autre, on gagne avec l’autre (« gagnant- gagnant »). Les
négociateurs peuvent choisir les différentes stratégies qui peuvent être d’origine des solutions intégratives.
PRUITT(1977,1981) décrit les stratégies qui peuvent être d’origine des solutions intégratives :
1. la première stratégie consiste à « agrandir le gâteau » : si l’on veut que la part de chacun soit plus grande,
il faut que le gâteau soit plus grand,
2. la deuxième stratégie, spécifique des négociations répétées avec les mêmes parties, consiste à attribuer
alternativement à chaque partenaire le résultat maximum,
3. la troisième stratégie permette d’aboutir à une solution où chacun gagne quelque chose d’important ,
au-delà des intérêts contraires, un intérêt commun,
4. la quatrième stratégie possible est l’échange de concessions gagnantes (« logrolling ») qui suppose deux
conditions : a) les parties en présence ont décidé de négocier en même temps sur plusieurs rubriques ; c’est
la négociation globale , « en paquet » ; b) les parties en présence ont des priorités différentes.
Les recherches sur la négociation internationale se sont focalisées depuis quelques années sur cette dernière
stratégie de l’échange de concessions gagnantes dans le cas de priorités différentes. Ce genre de solution étant
difficile à élaborer, il nécessite de la part des négociateurs certaines orientations particulières préalable à la
négociation : un niveau d’aspiration élevé et une orientation de type de résolution de problème. Une solution
intégrative ne peut se profiler que si aucun compromis n’est possible, ce qui est le cas lorsque de part et d’autre le
niveau d’aspiration est élevé : devant l’impossibilité de parvenir à un accord, les négociateurs vont
éventuellement se livrer à un travail d’investigation plus large. Deuxième caractéristique nécessaire chez les
négociateurs : orientation de type coopératif, de type de résolution de problème. En effet, l’élaboration d’une
solution intégrative nécessite chez chaque négociateur une décentralisation de son propre point de vue, une prise
en compte au moins partielle du point de vue de l’adversaire, de ses intérêts. D’autres facteurs facilitant
l’élaboration d’une solution intégrative par échange de concessions sont à chercher dans la dynamique même des
échanges entre négociateurs adversaires. Il s’agit d’un échange intense d’informations rendu indispensable par
cette recherche des priorités différentes et les négociateurs doivent découvrir d’abord qu’ils n’ont pas les mêmes
priorités en termes objectifs, ensuite il leur faut découvrir la nature de ces priorités différentes. Dernier facteur :
parallèlement à cette recherche d’information concernant les priorités toujours malaisée dans le climat
conflictuel, chaque négociateur, tout en gardant à l’esprit un objectif élevé, doit formuler un grand nombre de
propositions selon un procédé d’essais et erreurs, dans l’espoir de rencontrer à un moment les priorités de
l’adversaire. Ces facteurs facilitant la recherche d’une solution intégrative sont formalisés par PRITT (1981) en
un modèle : le modèle de la rigidité flexible. Une solution intégrative, pour apparaître nécessite à la fois de la
rigidité au niveau des buts (un niveau d’aspiration élevé) et de flexibilité au niveau des moyens (une propension
élevée à faire de nombreuses propositions). Quand les négociateurs souhaitent trouver la solution intégrative ils
rapprochent leurs attitudes : telles que la non-agressivité, l’implication dans la réussite, l’évaluation positive du
climat du groupe, les attitudes vis-à-vis de l’adversaire et de sa position, sont liées à la performance.
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LES LECONS MORALES DE L’HISTOIRE
Samuel TOMEI
"Non, il n’y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations
inférieures. » G. Clemenceau
Aspirant peut-être au statut d’Euménides, ces divinités infernales chargées de la
vengeance des dieux, nos éditorialistes, spécialistes, politiques… convoquent sans répit
l’Histoire au service d’une morale comminatoire. L’Histoire recèlerait des leçons
morales que nous, mauvais élèves amnésiques, aurions le tort de ne pas bien retenir.
Voulons-nous donc que tout recommence ? N’avons-nous donc rien appris ? Ainsi,
périodiquement, on nous met en garde contre l’apparition d’un nouveau Hitler : Nasser
en 1956, Saddam Hussein en 1991, plus récemment Slobodan Milosevic.
Au moment de l’intervention de l’OTAN, au printemps 1999, le président yougoslave
est accusé d’ordonner un « génocide » ; on brandit les spectres de « camps de
concentration », de « liste de Schindler », de « chambres à gaz »[1]… La comparaison
avec l’Europe de la Seconde Guerre mondiale devient automatique : l’UCK est
assimilée à la Résistance, le peuple albanais au peuple juif, les militaires serbes jouent
le rôle des nazis et les Alliés celui des… Alliés. Le recours systématique à la Shoah,
mal absolu, condamne la pratique du doute, immorale. Selon Claude Lanzmann, « ces
références perpétuelles à la Shoah, c’est une façon de museler toute parole.
Interdiction de parler. Plus de débat[2]. » Chacun doit dès lors choisir son camp.
Quand Régis Debray convie ses lecteurs à douter, à fournir un effort de réflexion[3],
les ripostes sont rageuses : il est le complice du pouvoir autocratique de Belgrade et
n’a rien retenu des enseignements de l’histoire ! Qu’on se souvienne du papier de
Bernard-Henri Lévy qui s’interroge gravement sur les raisons qui ont pu pousser
Drieu la Rochelle à prendre « le parti de ses ennemis et, donc, de la barbarie » ; certes,
« Debray n’est pas Drieu. Ni Belgrade Berlin. Mais enfin… D’une certaine façon nous
y sommes[4]. » Le même jour, Alain Joxe écrit que, « faute d’avoir choisi la
démocratie contre le fascisme », Régis Debray « gonfle le groupe des ‘crétins
internationaux’ ». Le philosophe-écrivain conteste-t-il les chiffres donnés par les
autorités occidentales ? Alain Joxe fustige son « impudence » qui, le choix des termes
n’est pas innocent, « révèle une complicité plus profonde. Le ralliement de Debray aux
thèses révisionnistes va très loin dans le détail. » Enfin, à celui qui doute du
bien-fondé de la comparaison de la Yougoslavie avec l’Allemagne hitlérienne au
moment de Munich, qui doute du bien-fondé de l’emploi du terme « génocide » pour
qualifier les exactions serbes[5], la leçon d’Alain Joxe : « Il pense court terme, hors
l’histoire, sans morale politique et sans amour pour l’avenir[6]. » Nous sommes dès
lors sommés, au nom de la Morale de l’Histoire, au nom du Devoir de Mémoire, de
soutenir l’intervention militaire occidentale, sauf à passer pour néo-munichois,
pro-Milosevic et donc…
Et peu importe que comparaison ne soit pas forcément raison en histoire (« Pourquoi,
au lieu de s’en tenir à la spécificité d’événements historiques, déjà assez effrayants en
eux-mêmes, faut-il toujours rameuter la Shoah ? […] Rien n’est plus horrible que le
comparatisme des horreurs. », estime Claude Lanzmann). Nos prédicateurs ont donné,
à l’occasion de l’intervention au Kosovo, dans un immuable psittacisme propagandiste,
sans paraître eux-mêmes retenir grand-chose de supposées leçons du passé. Penser est
fatigant. Le moralisme sur fond historique des médias occidentaux ne s’est révélé que
l’exact contraire de celui de La voix de la Russie, pro-Serbe tout d’un bloc.
La caractère caricatural de cette illustration ne délégitime pas pour autant la question
de la morale en histoire. On ne saurait nier que chercher à instituer le passé comme
guide de bonne conduite pour le présent relève d’une intention louable. « La
philosophie a dû proscrire sans doute cette superstition, qui croyait presque ne
pouvoir trouver des règles de conduite que dans l’histoire des siècles passés, et des
vérités que dans l’étude des opinions anciennes. Mais ne doit-elle pas comprendre,
dans la même proscription, le préjugé qui rejetterait avec orgueil les leçons de
l’expérience[7] ? » se demande Condorcet. Cette question nous ramène à la pratique du
devoir de mémoire censée nous responsabiliser en ce qu’elle nous permettrait de
dominer notre réalité contemporaine.
La pratique du devoir de mémoire est indispensable au maintien de l’unité d’un
groupe, elle lui donne une cohérence, des valeurs, des normes communes. Son
invocation se fonde sur la morale ; la mémoire commune est notre code. Le devoir de
mémoire relève de la religion. Or, comme le remarque Serge Berstein : « […] tout
système qui désire atteindre à une certaine stabilité doit emprunter au religieux[8]. »
On peut ici entendre « religieux » dans les deux sens que suggère l’étymologie
ambivalente du terme. Religieux au sens de relegere (Cicéron), relire, au sens figuré,
relire le passé, c’est-à-dire se rappeler régulièrement un passé supposé commun, et
aussi relire dans le sens de réinterpréter pour les besoins de la cause. La cause est ici le
maintien de la cohésion sociale à travers la définition d’une identité commune religare, relier (Lucrèce). Le devoir de mémoire ou culte d’une mémoire qui doit nous
être commune est, du point de vue de tout pouvoir, le principe cohésif par excellence.
Pour Ernest Renan, le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons
ce que vous êtes » est « l’abrégé de toute patrie » ; une nation se définit selon lui bien
moins par ses frontières que par l’existence « dans le passé [d’] un héritage de gloires
et de regrets à partager [et] dans l’avenir [d’] un même programme à réaliser » ; en
somme : « avoir souffert, joui, espéré ensemble[9] ». La mémoire collective doit pour
ce faire être intangible et s’affranchir, sauf à perdre son caractère opératoire, de tout
travail critique : « Elle trie à son gré dans la matière historique - écrit Mona Ozouf[10]
-, se donne le droit d’isoler tel épisode révélateur, de s’attarder à des nœuds
temporels, d’ignorer en revanche de très longues séquences ». Elle s’établit donc,
aussi, sur l’obligation de silences[11]. Nécessaire à la concorde civile, la pratique du
devoir de mémoire, qui implique une relation affective immédiate à un passé mythifié,
fait de nous des citoyens passifs, des croyants… (la commémoration par excellence
n’est-elle pas l’eucharistie ?) Elle homogénéise et tend à dissoudre l’individu dans le
groupe.
Selon Paul Ricoeur, la dette à l’égard du passé oblige ; il souligne que l’exhortation
d’Israël : « Zakhor », « Souviens-toi », est une invocation, non un commandement[12].
Or, le devoir de mémoire serait l’occasion d’abus[13] : de l’invocation à se souvenir,
nous serions passés à la sommation. Nous étions conviés à honorer une certaine
mémoire afin de nous responsabiliser, mais l’invitation tend à se muer en injonction et
la responsabilisation en culpabilisation : « Le devoir de mémoire est aujourd’hui
volontiers convoqué dans le dessein de court-circuiter le travail de l’histoire, au risque
de refermer telle mémoire de telle communauté historique sur son malheur singulier,
de la figer dans l’humeur de la victimisation, de la déraciner du sens de la justice et de
l’équité. C’est pourquoi je propose de dire travail de mémoire et non devoir de
mémoire[14]. » Les dérives récentes du devoir de mémoire ont également été analysées
et dénoncées avec force et finesse par Pierre Nora : « L’important, ici, n’est cependant
pas l’inflation proliférante du phénomène, mais sa transformation interne : la
subversion et le délitement du modèle classique de la commémoration nationale, tel
que la Révolution l’avait inventé et tel qu’en lui-même l’avait fixé la IIIe République
conquérante […][15] » ; ou par Henry Rousso : « Lorsque le devoir de mémoire se
transforme en morale de substitution, et prétend ériger en dogme la conscience
permanente, imprescriptible et universelle du crime commis, il se retrouve dans une
impasse. […] La morale, ou plutôt le moralisme, ne fait guère bon ménage avec la
moralité historique. Pour conserver sa force d’édification, il va finir par tricher avec
les faits […] [16] »
Or, même si certains intellectuels dénoncent les distorsions que le devoir de mémoire
fait subir à la « réalité » historique, c’est en fait pour défendre une mémoire non moins
sélective et tout aussi moralisatrice que celle qu’ils repoussent. Ainsi l’on condamne
les mystifications de la mémoire républicaine – et nous n’en nions pas l’existence –
moins pour chercher à approcher la vérité que pour affouiller la République dans son
principe. On peut évoquer deux exemples : devoir de mémoire envers les peuples
opprimés par une République colonisatrice amnésique ; devoir de mémoire envers les
peuples corsetés par une République jacobine.
Les révélations du général Aussaresses à travers lesquelles il admettait avoir torturé en
Algérie ont indigné à juste titre. L’on ne saurait accueillir avec indifférence son
témoignage même s’il ne fait que confirmer ce qui est largement su et dénoncé depuis
l’époque des faits eux-mêmes[17]. Cette affaire a fourni l’occasion à certains
commentateurs d’inviter à une plus large discussion sur le colonialisme français
considéré comme un « impensé de l’histoire de France[18] », n’étaient, nous
permettons-nous d’ajouter, l’abondante littérature sur la question, torture pendant la
guerre d’Algérie y compris. La logique est simple : la République a colonisé par le fer
et le feu, elle a bafoué ses principes, elle doit faire repentance, elle est disqualifiée. Il
est ainsi mis l’accent sur la contradiction – indéniable - entre les pratiques du
colonialisme et les principes affichés de promotion de l’égalité républicaine. La
République est invitée à « assumer » son passé, son « lourd fardeau de contradictions
[…]» afin de mieux appréhender « les réflexions actuelles sur le devenir du modèle
d’intégration [français] ». La République, en effet, ne voudrait plus aujourd’hui se
souvenir que l’idéologie coloniale était « inscrite dans les valeurs de la IIIe
République[19] ». La réalité est moins simple.
Le colonialisme n’est pas né avec la République, les colons n’avaient pas forcément, il
s’en faut, la tripe républicaine, ne nous attardons pas sur ces évidences. Mais si le droit
et le devoir des races prétendues « supérieures » à civiliser des races supposées
« inférieures » ont trouvé un ardent avocat en Jules Ferry, suivi par la plupart des
républicains de la Troisième République, doit-on jeter aux oubliettes la tradition, certes
minoritaire mais bien pugnace d’un anticolonialisme foncièrement républicain ? Il
n’est que de rappeler le long discours de Clemenceau du 30 juillet 1885 qui pourfend
l’inanité de la colonisation jusque dans son principe : « […] Regardez l’histoire de la
conquête de ces peuples que vous dites barbares, et vous y verrez la violence, tous les
crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, et le faible opprimé, tyrannisé
par le vainqueur. Voilà l’histoire de notre civilisation. Non, il n’y a pas de droit de
nations dites supérieures contre les nations inférieures. » Et c’est au nom de ces
principes – républicains – que, sur la question coloniale, il a fait tomber quelques mois
plus tôt le ministère Ferry. (Rappelons ce détail piquant : le Cayennais Gaston
Monnerville ne fut pas le dernier à déplorer l’action anticoloniale du Tigre[20]…)
Mais Clemenceau n’est pas un initiateur. N’oublions pas la formule des hommes de
1848 : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine.» La
Deuxième République, « considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité
humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel
du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté,
Egalité, Fraternité » décrète le 27 avril 1848 l’abolition de l’esclavage. Elle ne fait que
s’inscrire dans la filiation de certains révolutionnaires : du 7 au 15 mai 1791, la
Constituante débat des colonies et des droits des hommes de couleur et accorde les
droits politiques à ces derniers s’ils sont nés de père et mère libres. Le 16 pluviôse an II
(4 février 1794), la Convention abolit l’esclavage dans les colonies françaises ; c’est
Bonaparte qui le rétablira en 1802. On incrimine la République, soit, mais depuis
quand commettre des abominations au nom d’une idée noble devrait-il entacher cette
idée ? On demande réparation, mais au nom de quel principe civilisé les petits fils
doivent-ils être comptables des crimes commis par leurs grands-parents ?[21]
Dès lors, peut-on invoquer un devoir de mémoire à propos de notre passé colonial
aussi assurément que le font les tenants d’une vision « culpabilisatrice » ? Marc Ferro
souligne bien, à cet égard, l’existence d’ « un scandale de la colonisation. En
Indochine, en Afrique, la République a trahi ses valeurs. […] Mais - ajoute-t-il – il
règne aujourd’hui une sorte de ‘culpabilisme’ qui me frappe d’autant plus qu’une
partie de l’opinion réagit comme si on lui avait tout caché. Ce n’est pas vrai. Dans les
livres de classe de ma génération, dans l’entre-deux-guerres, il était écrit noir sur
blanc qu’en Algérie Bugeaud faisait flamber les douars les uns après les autres et que
Gallieni à Madagascar passait des villages entiers au fil de l’épée. » Selon le
codirecteur des Annales, si, socialement, l’intégration n’existait pas, instituteurs,
professeurs et médecins « ont accompli une œuvre dont ils n’ont pas à rougir [22]».
Aussi le devoir de mémoire auquel on nous presse n’est-il que le négatif de la
célébration d’une mémoire coloniale se bornant à la présentation des supposés
bienfaits de l’expansion française. La morale qui s’en dégage n’est donc pas mieux
assise.
Après l’expansion au dehors, on incrimine le colonialisme intérieur. Un second
exemple qui illustre bien l’utilisation du devoir de mémoire est, surtout depuis la
commémoration du bicentenaire de la Révolution française, cette propension à fustiger
un certain jacobinisme républicain au nom de la mémoire des minorités régionales
opprimées ; certains historiens allant jusqu’à parler, comme Pierre Chaunu, un peu
provocateur sans doute, du « génocide » des Vendéens par la République : « Nous
n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons
ceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée. » Et le grand historien du temps des
Réformes d’honorer à sa façon la mémoire des victimes vendéennes : « D’ailleurs, à
chaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre[23]. » D’autres
s’efforcent de flétrir une mémoire républicaine présentée sous les traits simplifiés d’un
jacobinisme caporaliste défendu hargneusement par une poignée de nostalgiques,
survivants d’une France rance : « Elle était là, elle est toujours là ; on la sent, peu à
peu, remonter en surface : la France moisie est de retour. Elle vient de loin, elle n'a
rien compris ni rien appris, son obstination résiste à toutes les leçons de l'Histoire, elle
est assise une fois pour toutes dans ses préjugés viscéraux. Elle a son corps, ses mots
de passe, ses habitudes, ses réflexes[24]. » Cette vieille France se crisperait sur une
mémoire condamnée : « à l’heure d’internet » (imparable argument !), comment oser le
ridicule de défendre des notions aussi éculées que nation, république, école laïque,
comment oser encore se méfier des corps intermédiaires comme autant de féodalités
potentielles contraires au principe d’égalité ?… Maurras, au nom de la tradition,
plaidait pour le retour de ces corps intermédiaires (corporations, provinces…), rejetait
l’étatisme, la centralisation administrative… On reproche à Jean-Pierre Chevènement
de vouloir les maintenir. Pourquoi dès lors le considérer comme « fondamentalement
un idéologique maurrassien[25] » ? Amalgame peu tenable de la part de
Bernard-Henri Lévy qui relit l’histoire au service d’une idéologie anti-républicaine
manifeste. Les mémoires particulières se posent non seulement en égales mais en
rivales de la mémoire nationale. Pour reprendre le mot (déjà ancien) de Michel Rocard,
il s’agirait de décoloniser la province. Dans ce sens, Philippe Sollers ne craint pas
d’écrire : « La Corse est partie intégrante du territoire, comme l’Algérie
autrefois[26]. »
Le débat sur les langues régionales est caractéristique. On suspecte la langue française,
instrument séculaire d'asservissement. La Troisième République aurait éradiqué les
patois à coups de férule. L’histoire dément quelque peu cette idée. Ici encore, il ne
s’agit pas de nier qu’il y ait eu contraintes et abus. Mais soutenir que les républicains
ont été les fossoyeurs des dialectes bretons, corses ou autres montre, selon
Jean-François Chanet, « une méconnaissance profonde de la politique républicaine,
dont ni les principes ni la pratique n’ont obéi entièrement à cette logique
d’exclusion[27]. » L’historien rappelle que les partisans de la langue nationale étaient
souvent des gens du peuple voyant dans la langue française un moyen d’émancipation.
En outre, « davantage que l’impulsion des autorités, c’est l’adhésion des populations à
l’ ‘idéologie’ républicaine qui a entraîné l’affaiblissement des langues régionales. »
Quant aux contraintes, elles « ont gardé une souplesse bien éloignée de la brutalité
qu’on leur prête souvent. » Faut-il rappeler que nombre d’instituteurs devaient
expliquer certaines règles grammaticales de la langue française en patois pour se faire
comprendre ? Il convient de distinguer selon Jean-François Chanet entre un discours
offensif et une pratique pragmatique. « Il faut aujourd’hui beaucoup de mauvaise foi
pour soutenir que cette ‘violence symbolique’ mérite d’être assimilée à un ‘génocide
culturel’ » conclut-il. Mais les partisans de la renaissance des parlers locaux ont besoin
pour servir leur cause de constituer une mémoire en tordant l’histoire. On culpabilise la
République, on donne des leçons de morale aux républicains leur reprochant leur
amnésie…
Ces exemples montrent qu’on ne peut fonder une morale sur une mémoire univoque.
Les dérives du devoir de mémoire sont inéluctables dès lors que l’on admet que la
définition d’une mémoire obligatoire, révélée, implique l’existence d’une orthodoxie
hors laquelle point de salut.
Or le travail historique ruine l’idée d’une univocité des faits ; si la mémoire ne
s’embarrasse pas de nuances, l’histoire doit y sacrifier.
Le dévoiement du devoir de mémoire plaide pour le travail historique. Déjà en 1865,
Edgar Quinet entreprenait de « porter l’esprit d’examen dans l’histoire de la
Révolution, car beaucoup de gens en veulent faire un livre fermé des sept sceaux et
auquel il n’est pas permis de toucher [...][28]. » Si, aujourd’hui, on tente de mettre
l’histoire au service de la mémoire[29], l’auteur de La Révolution cherchait déjà à
affranchir quelque peu l’histoire de la mémoire, à donner au travail historique un
fondement critique. L’histoire doit démythifier, démystifier. En regard de ce qui a été
évoqué sur le caractère « religieux » du devoir de mémoire, l’histoire serait une
entreprise de « laïcisation » de la mémoire, rendant au passé commun toute sa
relativité. Tant que l’on ne voudra pas comprendre que s’efforcer de contextualiser, de
soumettre sans cesse un événement historique à la critique n’est pas diminuer son
éventuelle intensité tragique, on invoquera de façon péremptoire un devoir de mémoire
au détriment de la recherche permanente, asymptotique et difficile de la vérité. Ainsi la
Shoah ; comment partager l’idée d’Adorno selon laquelle après le génocide on ne
pourrait plus philosopher, alors qu’il est un devoir moral au contraire de tenter
d’expliquer. Expliciter n’est pas justifier. Commentant des travaux relatifs à
l’évaluation du nombre des victimes d’Auschwitz, François Bédarida notait il y a un
peu plus de dix ans qu’ « en histoire, rigueur et rectitude sont les deux conditions de la
vérité. Seule une arithmétique précise, à base de données dûment contrôlées et
vérifiées permet d’espérer que s’opère […] une confluence entre la mémoire savante et
la mémoire commune[30]. » La description froide d’atrocités frappera d’autant plus
profondément la conscience, édifiera d’autant plus qu’elle sera démontrée et complète.
Le souci de la nuance, exigence d’équité, ne signifie pas que l’historien n’ait pas de
valeurs, ni de conscience[31]. Edgar Quinet voulant faire la critique de la Révolution
était-il moins républicain que les sectateurs de 1793 ?
Outre le souci de la nuance, l’idée que l’histoire ne puisse se répéter peut jeter le doute
sur l’utilité morale du travail historique. Invoquer les leçons morales de l’histoire
revient à faire émerger de situations par nature différentes des conséquences similaires.
Le principe qui veut que des causes identiques produisent des effets identiques est
donc, comme on sait, la négation de l’évolution historique. Jean-Noël Jeanneney
souligne qu’on « peut poser qu’il revient précisément aux historiens de mettre en
garde les acteurs contre la fascination des répétitions en rappelant que rien ne
recommence jamais à l’identique et que la suite est toujours neuve[32]. » Et de
rappeler le mot fameux de Rabaut-Saint-Etienne à la Constituante : « Notre histoire
n’est pas notre code ». Reconnaître que l’Histoire revêt essentiellement le caractère de
la contingence[33] doit-il pour autant nous condamner à un désespérant scepticisme,
déniant toute valeur d’exemplarité à des événements considérés comme uniques en
soi ? Doit-on penser comme Paul Veyne que « l’histoire, [affaire de pure curiosité], ne
sert pas plus que l’astrologie[34] » ?
Que l’existence d’éventuelles leçons d’une histoire répétitive soit pour le moins sujette
à caution ne signifie pas qu’il n’y ait rien à apprendre de l’étude de l’histoire, ne
serait-ce qu’en tant qu’instrument de déchiffrement approximatif de la complexité du
monde. Instrument d’émancipation donc, voire de sagesse, puisque « l’homme
passionné de vérité, ou du moins d’exactitude, est le plus souvent capable de
s’apercevoir […] que la vérité n’est pas pure. De là, mêlés aux affirmations les plus
directes, des hésitations, des replis, des détours qu’un esprit plus conventionnel
n’aurait pas[35]. »
L’histoire ne recelant pas en soi de leçons de morale toutes prêtes à l’emploi,
l’historien ou qui se réfère à l’histoire n’a pas à se muer en professeur de morale mais
bien plutôt en professeur de lucidité. Il n’enjoint pas, n’accuse pas, il tente d’éclairer.
La morale se déduira d’elle-même de l’étude circonstanciée de l’histoire.
C’est le travail historique critique, « sans colère comme sans faveur[36] », bien plus
que la soumission au devoir d’une mémoire imposée, qui nourrit la conscience morale
du citoyen républicain.
Samuël Tomei
(*) Une version abrégée fut publiée dans Le monde Diplomatique en 2002.
[1] Cf. le dossier réalisé par Serge Halimi et Dominique Vidal, « Médias et
désinformation », Le Monde Diplomatique, Mars 2000, p. 12-13.
[2] Claude Lanzmann, « Infantilisation de la politique, déréalisation de la violence »,
Marianne, 31 mai – 6 juin 1999.
[3] Régis Debray, « Choses vues au Kosovo », Marianne, 17-23 mai 1999.
[4] Bernard-Henri Lévy, « Adieu, Régis Debray », Le Monde, 14 mai 1999.
[5] Régis Debray, « Lettre d’un voyageur au président de la République », Le Monde,
13 mai 1999.
[6] Alain Joxe, « Contre le ‘crétinisme international’ », Le Monde, 14 mai 1999.
[7] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris,
Garnier-Flammarion, 1988, 350 p ., p. 88.
[8] Serge Berstein, La République sur le fil, Paris, Textuel, 1998, 144 p., p. 52.
[9] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation, Paris, Mille et une nuits, 1997 (1882),48 p.,
p.32.
[10] Mona Ozouf, « Le passé recomposé », entretien avec Jean-François Chanet,
Magazine Littéraire, n°307, Février 1993, p. 23.
Jean-Noël Jeanneney, La République a besoin d’Histoire – Interventions, Paris, Seuil,
2000, 253p., p. 228-229. rappelle l’exemple des démocrates athéniens qui en 403 (av.
JC), de retour dans la Cité après la sanglante dictature des Trente, proclament la
réconciliation générale et décrètent l’interdiction de « rappeler les malheurs » (mé
mnésikakeîn). Ici « la volonté de sceller le consensus démocratique s’appuie sur le
devoir du silence […] ».
De cette manière commence l’Edit de Nantes qui considère que « la mémoire de toutes
choses passées d’une part et d’autre, depuis le commencement du mois de mars 1585
jusqu’à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles précédents et à
leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. » Le roi
défend à ses sujets « d’en renouveler la mémoire, s’attaquer, ressentir, injurier ni
provoquer l’un l’autre par reproche de ce qui s’est passé […] ».
On ne doit pas perdre de vue que l’amnistie n’est pas amnésie, ni le silence oubli…
[12] Paul Ricoeur, « La mémoire heureuse », Notre Histoire, Septembre 2000.
[13] Paul Ricoeur, « Un grand philosophe face à l’Histoire », Le Nouvel Observateur,
7-13 septembre 2000.
[14] Le Monde, 15 juin 2000.
[15] Pierre Nora, Les lieux de mémoire, op. cit., Tome III, p. 4692.
[16] Henry Rousso, La hantise du passé, Paris, Textuel, 1998, 143 p., 44-45. Voir
également : Eric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris,
Gallimard (Folio-Histoire), 1996, 515 p.
[17] On lira à cet égard, outre la réédition des articles de Pierre Vidal-Naquet, la
publication par Le Monde du 21 mai 2001 de certaines lettres d’Hubert Beuve-Méry
qui écrivait au ministre-résident Robert Lacoste, le 10 octobre 1956 qu’il ne faisait
aucun doute que certains secteurs de la police et de l’armée « aient recueilli le funeste
héritage des méthodes totalitaires, y compris celles de la Gestapo ».
[18] Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel, « Une histoire coloniale
refoulée », Le Monde Diplomatique, Juin 2001.
[19] Article paru dans Le Monde Diplomatique de janvier 2001 et repris dans Manière
de voir n°58, juillet-août 2001.
[20] Pierre Guiral, Clemenceau en son temps, Paris, Grasset, 1994, 458p., p.85.
[21] Pourquoi, pour reprendre l’idée d’André Bellon, la France ne demande-t-elle pas,
suivant cette logique, réparation à l’Italie de M. Berlusconi pour les crimes de Jules
César…
[22] Marc Ferro, « La République a trahi ses valeurs », Les Collections de l’Histoire,
n°11, avril 2000, p. 9.
[23] La Croix, 29 juin 1986.
[24] Philippe Sollers, « La France moisie », Le Monde, 28 janvier 1999.
[25] Bernard-Henri Lévy, « Encore l’idéologie française », Marianne, 8-14 février
1999.
[26] Philippe Sollers, « Le fantôme de la République », Le Monde, 24-25 septembre
2000.
[27] Jean-François Chanet, « La question des langues régionales », L’Histoire,
Novembre 2000.
[28] Lettre du 23 novembre 1865 adressée à Edmond de Pressensé, citée par Henri
CORDEY, Edmond de Pressensé et son temps (1824-1891), Lausanne, Georges Bridel
& Cie éd., Paris, Fischbacher, 1916, 600 p., note 1 p. 303-304.
[29] Comme le déplore Antoine Prost au terme de ses Douze leçons sur l’histoire,
Paris, Seuil, 1996, 341 p., p.299.
[30] François Bédarida, « Le crime et l’Histoire », Le Monde, 22-23 juillet 1990.
[31] « […]Je maintiens que pour écrire l’histoire, il faut des valeurs, on ne peut y
échapper. » (Pierre Vidal-Naquet, « Le génocide, l’incontestable et les valeurs »,
entretien avec Régis Debray in Les Cahiers de Médiologie, n°8, 2e semestre 1999, p .
174)
[32] Jean-Noël Jeanneney, Op. cit., p. 235-236.
[33] Ainsi Serge Berstein dit-il : « […] je suis […] persuadé que la contingence joue
un rôle considérable. Après tout, nous aurions pu avoir en France des monarques
intelligents – rien n’est impossible » (Op. cit., p. 23-24). Ou Pierre Vidal-Naquet :
« Dans l’histoire, il y a du surgissement, de l’inattendu, de la nouveauté radicale. »
(Op. cit., p. 177)
[34] Paul Veyne, Sciences Humaines, n°88, novembre 1998.
[35] Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Paris, Gallimard (Pléiade – T1),
p.535.
[36] « Sine ira nec studio » Par ces mots, Tacite, au début des Annales, caractérise son
travail d’historien.
La terreur comme Fondation,
de l’économie émotive de la
terreur.
Sophie WAHNICH
Les grandes choses s’ébauchent.
Ce que fait la révolution en ce
moment est mystérieux. Derrière
l’œuvre visible, il y a l’œuvre
invisible. L’une cache l’autre.
L’œuvre visible est farouche,
l’œuvre invisible est sublime.
Victor Hugo, Quatrevingt-treize [1]
Dans l’historiographie la plus classique, la période de la Terreur se présente de deux
façons opposées. Tantôt elle fournit la matière d'une une histoire sainte : la Terreur a
sauvé la République et l’on n’aurait pu s’en abstenir sans négligence grave. Tantôt au
contraire la Terreur est présentée comme une espèce de crime éminement
condamnable, qu’on ne saurait commettre sans s’exposer à des risques également très
graves [2] . Cette historiographie divisée nous livre ainsi un objet ambivalent, fascinant
et inquiétant, légitime et illégitime. Victor Hugo dans Quatrevingt-treize, parvient à
nous proposer une représentation de la Terreur et qui plus est, de la Terreur en Vendée,
qui maintient cette ambivalence. Comme s’il revenait à la littérature de mettre en scène
un savoir impossible, un savoir sur ce qui d’ordinaire doit rester caché ou qui débouche
pour les historiens sur une écriture de l’histoire volontairement suspendue et
discontinue. [3] Or, fondamentalement, ce que Victor Hugo met en scène, c’est la
Terreur comme dilemme sur la définition du sentiment d’humanité, sur finalement ce
qui permet de fonder l’humanité comme société respectueuse de l’humanité. Il déploie
ainsi à travers trois personnages les clivages qui sont constamment réfléchis par les
acteurs de la Terreur : passions privées contre passions publiques, sentiment de son
honneur et de sa douleur face au sentiment du bien public et de la nécessité. On
retrouve finalement dans la mise en scène du procès de Gauvain, le chef d’armée
clément jugé par Cimourdain, le délégué intransigeant du Comité de salut public, muni
de pleins pouvoirs mais épris d’un sentiment filial à l’égard du jeune homme, la
question toujours actuelle de ce que signifie en terme de sensibilité, le désir puis la
volonté de terreur. Lors du procès de Louis XVI, le 28 décembre 1792, Robespierre
déclarait : “ Citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants doivent
à la patrie, c'est d'immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut
d'un grand peuple et de l'humanité opprimée! Citoyens la sensibilité qui sacrifie
l'innocence au crime est une sensibilité cruelle, la clémence qui compose avec la
tyrannie est barbare ” [4] . Gauvain mérite la mort parce que “ par suite d’un accès de
pitié, il a remis la patrie en danger ” en laissant s’échapper Lantenac, ce “ fanatique de
royauté ”, “ massacreur de prisonnier ”, “ assassin déchaîné par la guerre ”, mais qui a
été finalement capable d’humanité et a sauvé des flammes des enfants républicains. Un
accès de pitié entraîne la mort d’un brave. C’est pourquoi la politique de la Terreur
n’est pas une simple politique de violence arbitraire ou de peur extrême à intimer aux
ennemis. Elle est d’abord contrainte pour soi, semblable à cette contrainte vécue par
Cimourdain qui doit vouloir la mort de Gauvain. “ Il s’agit pour chacun plus que de la
servir, de la vouloir, comme on veut la vertu, comme on veut la liberté ” [5] .
“ Mais qu’est-ce qui a pu frapper assez les hommes pour qu’ils tuent leur semblables,
non par le geste immoral et irréfléchi du barbare semi animal qui suit ses instincts sans
connaître autre chose, mais sous une poussée de vie consciente créatrice de formes
culturelles (…) ?” [6] Cette interrogation a été formulée pour essayer de lever les
mystères des rituels de sacrifice, et il peut être tentant de la faire travailler pour cette
période de la Terreur.
En effet, avec cette approche explicitement anthropologique, on pourrait s’éloigner du
jugement a priori de la Terreur et tenter d'associer trois termes qui sont aujourd’hui
devenus imprononçables ensemble : “ terreur ”, “ culture ”, “ poussée de vie
créatrice ”. On pourrait également relégitimer l’enquête sur une cause qui paraissait t
entendue, celle des raisons de la violence de la Terreur. A l'écart d'une
autreanthropologie, cette fois plus implicite, nourissant le discours historique dominant
et l'orientant vers les notions de pulsion, de barbarie de l’instinct, de tendance
mortifère liée à un “ rigorisme de la vertu ” [7] , on pourrait retrouver [8] la question
de la violence fondatrice.
En effet, si l’analyse de la Terreur en termes de violence fondatrice n’est pas nouvelle,
on trouve ainsi à l’article “ Terreur ” du Dictionnaire historique de la Révolution
française, les énoncés suivants : “ la Terreur fut d’abord un effort d’encadrement et de
définition du champ légal concédé à la violence fondatrice de la révolution à l’encontre
de l’Ancien régime ” ; “ cette violence fut salvatrice [9] ”, la notion même de violence
fondatrice n’est jamais vraiment analysée. De plus, la violence semble être une fatalité
liée à la lutte contre l’Ancien régime. Notre point de vue est différent. Cette violence
fondatrice, nous voulons la restituer, mais en montrant qu’elle n’est ni fatale, ni dirigée
spécifiquement contre l’Ancien régime. Si les rituels religieux commémorent les temps
de fondation et gèrent symboliquement les risques liés à un moment qui associe
destruction et construction des liens sociaux, risques qui d’ailleurs peuvent conduire la
communauté à disparaître, il s’agit bien pour nous de comprendre ce qui se joue dans
la Terreur comme fondation. L’exercice n’est cependant pas sans risque.
Le premier est de considérer la Terreur comme une résurgence du primitivisme. La
critique du couple sociétés primitives/sociétés modernes effectuée par les
anthropologues du politique nous semble cependant pouvoir parfaitement en répondre
[10] . Puiser dans les interrogations des anthropologues ne doit pas aujourd’hui
conduire à effacer l’historicité non généalogique des sociétés. Fonder n’est pas un acte
primitif, mais nous faisons l’hypothèse qu’il existe des invariants anthropologiques
dans l’exercice de la fondation, qu’elle ait lieu au Vème siècle avant Jésus-Christ, au
XVIIIème siècle, ou au XXème siècle. Rappelons aussi pour mémoire que
l’anthropologie du XVIIIème siècle ne distinguait pas seulement les peuples primitifs
des peuples modernes, mais les peuples libres des peuples esclaves. Or, ce n’est pas
pour être primitif qu’on était esclave, ni pour être moderne qu’on était libre. L’histoire
était alors souvent considérée comme une entreprise de dénaturation qui avait conduit
des peuples libres à l’esclavage. De quoi ajouter à la critique du couple société
primitive/société moderne.
Le deuxième risque, puisque nous empruntons cette première interrogation à
l’anthropologie des religions, est de proposer une analyse en termes
“ théologico-politiques ”. La critique radicale d’une telle approche a été faite par
Françoise Brunel [11] . Or le théologico-politique visé est celui qui invente une
emprise des principes des religions et en particulier du catholicisme, pour interpréter
des notions révolutionnaires laïques telle que la vertu. Michel Vovelle avait déjà
souligné le chemin accompli vers la laïcité par les révolutionnaires français en regard
des révolutionnaires britanniques qui avaient encore eu besoin de la bible pour agir
[12] . Mais Françoise Brunel elle-même affirme par contre, que la question du lien
sacré est loin d’être absente des préoccupations des révolutionnaires. Relier,
“ religare ”, les hommes entre eux par des liens sacrés est effectivement une dimension
importante du projet révolutionnaire de l’an II. Nous ne décrirons donc pas du
théologico-politique mais bien une fondation où s’effectue un “ transfert de sacralité ”
[13] . Il s’agit alors de saisir quelle économie du sacré comme économie émotive [14]
conduit à la violence de la Terreur, en amont de l’an II [15] .
C’est ainsi ce qui est couramment appelé “ dynamique de la révolution ” que nous
souhaitons examiner. Or loin de considérer que la Terreur repose sur une dynamique
d’économie narrative, c’est à dire une circulation de discours de plus en plus radicaux
qui font passer à l’action violente [16] , nous considérons qu’elle repose effectivement
sur une dynamique d’économie émotive ressortissant du sacré et de la vengeance
comme institution effectivement fondatrice [17] . Dans ce cadre, il s’agit pour les
révolutionnaires à la fois d’entendre les risques de violence et de dislocation de la
société du fait de la circulation rapide des émotions et de les contrôler justement par
l’activité symbolique dont participent les discours, en particulier le discours de la loi.
Si “ le politique est ce qui assure l’indispensable unité de la structure sociale et que sa
fonction est intégrative [18] ”, c’est en tant qu’action politique que nous décrirons cette
dynamique de la Terreur.
Nous savons que la mise à l’ordre du jour de la terreur procède d’un retournement
énonciatif. Face à la volonté des ennemis contre-révolutionnaires de terroriser les
patriotes, ceux-ci répondirent, “ soyons terribles ” [19] . Ce retournement a été
interprété d’une manière plus large en termes de “ terreur-réplique ” [20] . Ces notions
de retournement ou de réplique sont suggestives, car il s’agit effectivement de
répliquer au sens de reprendre voix après une expérience ou un sentiment
d’anéantissement. De ce fait, la réplique ne s’apparenterait pas à un simple rebond où
la balle change de camp. Il s’agit plutôt d’une reprise, au sens où un sujet se reprend et
reprend ainsi “ l’initiative de la terreur ” [21] . C’est pour analyser les modalités de
cette reprise que la notion d’économie émotive nous paraît pertinente. Car ce
retournement ou cette réplique peuvent aussi être décrits non comme déplacement des
énoncés mais comme déplacement des émotions ressenties du “ être terrorisé ” ou
anéanti à “ être en colère ” et effrayant, ou plus exactement au déplacement de
“ l’émoi ”. En effet l’émoi vient du verbe “ esmayer ” qui veut dire inquiéter, effrayer,
priver de ses forces, décourager. Ce verbe “ esmayer ” signifie également faire sortir de
soi en jetant un sort. L’émoi serait ainsi une figure générique de l’effroi et serait donc
mortifère. Loin de supposer une réplique immédiate, il met en place pour ceux qui le
ressentent un risque majeur de disparition.
A la question “ comment la Terreur , a été mise à l’ordre du jour ? ”, il faudrait
substituer la question “ comment l’effroi imprimé aux révolutionnaires par leurs
ennemis a-t-il été surmonté et transmuté en demande de terreur ? ” Mais au-delà
comment se fait-il que cette demande ait été entendue et acceptée, et in fine qu’est ce
que la Terreur a fondé ou voulu fonder ?
1. Les ressorts du sacré ou l’effroi sublimé
L’été 1793, l’effroi ressenti, en particulier par le peuple parisien, est suscité par la mort
de Marat. Jacques Guilhaumou a montré comment cet effroi avait été sublimé, d’abord
dans la forme prise par ses funérailles, puis retourné en demande de vengeance du
peuple et de terreur [22] . C’est autour du corps de Marat incarnant le peuple meurtri et
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que les sentiments d’affliction et de
déploration se sont transmutés en enthousiasme. La décomposition du corps a été
sublimée, les spectateurs de l’événement sont passés d’une perception sensible
décourageante à un sentiment enthousiaste à l’égard de “ l’esprit de Marat ”. Avec
l’inhumation, l’énoncé “ Marat n’est pas mort ” a surgi. On proclame ainsi que la
Révolution n’a pas été annéantie, et qu’elle ne le sera pas. Il devient alors possible de
réclamer vengeance puis, mise à l’ordre du jour de la terreur. Ce que Jacques
Guilhaumou décrit avec ce mouvement sublime en termes d’esthétique [23] de la
politique, met en jeu non seulement la disposition des corps, la circulation des
émotions et des sentiments qui les animent, mais encore le rapport instauré à la chose
sacrée.
En effet, si le corps de Marat ensanglanté produit un tel désarroi, c’est bien parce
qu’incarnant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est un corps sacré,
et que son assassinat est un acte de profanation majeure pour les révolutionnaires. La
question qui se pose alors d’une manière forte est de savoir réinstaurer le cerne du
sacré autour du corps en décomposition, ce que parviennent à faire les funérailles en
redéplaçant les sentiments, du corps à “ l’esprit ”, du sens incorporé au sens symbolisé.
On pourrait dire dans les termes révolutionnaires que les funérailles assurent le salut
public en réinstaurant la puissance de l’enthousiasme ou esprit sublime à l’égard du
droit, en lieu et place de l’affliction face au corps mort. Parce que le corps est sacré, sa
mort produit l’effroi, mais parce que cette sacralité réfère à un texte déclaré sous les
auspices de l’Être suprême, elle peut redevenir un point d’appui pour reprendre
l’initiative.
C’est ainsi la transaction entre corps sacré et texte sacré qui permet de résister aux
ennemis de la Révolution et de sublimer l’effroi.
Or cette transaction qui s’opère ici autour du corps de Marat est récurrente pendant la
période révolutionnaire. Elle ressurgit dès que la question du salut public est en jeu, ce
qui est une autre manière de dire qu’elle ressurgit dès que l’effroi peut dissoudre le lien
social et politique révolutionnaire.
Cette notion de salut public traverse la Révolution et permet de nommer une situation
d’extrémité, où “ le salut du peuple est la loi suprême”. Comme cette loi suprême
trouve son fondement théorique dans le corpus des règles du droit naturel [24] , son
évocation permet de produire autour de l’effroi, le cerne de la sacralité du droit. Mais il
ne suffit pas de convoquer le sacré en parlant de salut public, il faut aussi l’agir. Et
l’agir, c’est toujours engager des corps pour sauver le droit comme condition de la
liberté. Les formules telles que “ la liberté ou la mort ” sont à entendre au pied de la
lettre et expriment cette transaction qui passe par le sacrifice du corps vivant, de la vie.
Les premiers serments fédératifs sont sur ce point encore plus explicites. Écoutons
celui prononcé par les fédérés du district de la Guerche : “ Nous citoyens militaires des
villes et campagnes formant le district de la Guerche, jurons sur nos armes et sur notre
honneur, d’être fidèles à la nation, aux lois, au roi (…) de maintenir de tout notre
pouvoir la constitution, d’être unis à jamais de la plus étroite amitié, de nous
rassembler au premier signal de péril commun, de nous porter réciproquement les
secours en toute occasion, ainsi qu’à nos frères fédérés, de mourir s’il le faut pour
défendre la liberté, le premier droit de l’homme et la base unique de la félicité des
nations, et de regarder comme ennemis irréconciliables de Dieu, de la nature et des
hommes, ceux qui tenteraient de porter atteinte à nos droits et à notre liberté [25] ”.
Ainsi, dès 1790, ce serment fédératif inscrit la définition de l’ami comme de l’ennemi
politique, ennemi d’ailleurs irréconciliable, dans l’ordre du sacré. Cet ennemi est
irréconciliable parce qu’il est celui qui enfreint l’ordre sacré où sont très clairement
associés Dieu, la nature, et les hommes. Or c’est en prétendant pouvoir mourir pour la
défense des lois des Français, mourir pour les droits des Français que ces fédérés
prétendent défendre un ordre sacré. A chaque fois que l’effroi surgit, il s’agit pour le
peuple de se sauver lui-même en s’engageant d’une manière sacrée, on dirait “ corps et
âme ”. Le serment prêté sur l'honneur engage ainsi à la transaction sacrée, s'exposer à
la mort pour sauver des droits garants de la liberté. Saint-Just le 15 germinal an II
exprime dans une formule lapidaire la nature de l'engagement révolutionnaire alors
qu'il prononce le rapport sur les moyens de faire respecter l'autorité au nom des
Comités, alors que Danton met en échec le tribunal révolutionnaire : "Vos Comités
estiment peu la vie, ils font cas de l'honneur". (…) Peuple puisse cette expérience te
faire aimer la Révolution par les périls auquels elle expose tes amis!. " [26]
On retrouve cette volonté d’engagement lorsque de nombreuses adresses et pétitions
émanants de sociétés populaires demandent, de mai à juin 1792, qu’on déclare “ la
patrie en danger ”. Le mot patrie permet alors de nommer le lieu de la liberté et des lois
[27] . Le “ mourir pour les lois ” est devenu un “ mourir pour la patrie en danger ”. Les
adresses, députations, pétitions qui expriment l’opinion publique et transforment la
rumeur [28] diffuse en affirmation politique, déclarent qu’il s’agit de contrer
“ l’effroi ” provoqué non seulement par la guerre mais encore par la trahison du roi et
plus précisément son parjure qui est aussi un acte de profanation des règles sacrées. Par
exemple, “un grand nombre de citoyens de la section du Luxembourg ne peuvent voir
sans effroi [29] , la situation horrible où se trouve l'Empire français. L'ennemi est à ses
portes. Des fanatiques conspirent au dedans. Les factieux se pliant en tout sens,
profitent de toutes les circonstances pour faire réussir les horribles manœuvres qu'ils
machinent depuis longtemps. Le roi a juré d'être le père, le soutien de tous les Français
et il les expose à être anéantis. [30] ”
Ici le retournement de l’effroi en action défensive passe donc par la figure sacrée de la
patrie, la mise en œuvre de l’énoncé “ la patrie est en danger ”. [31] Or, ce qui se joue
avec cet énoncé c’est l’ouverture de la garde nationale aux citoyens passifs et la
possibilité pour chacun de pouvoir participer à cette transaction sacrée, offrir son corps
pour sauver le peuple et la Révolution, offrir son corps pour sauver le droit.
La réplique supposerait donc ce ressort du sacré produit par le rapport constant établi
entre l’événement et la Déclaration des droits, rapport d’engagement des corps des
acteurs révolutionnaires prêts à mourir pour sauver le projet révolutionnaire en tant
qu’il est projet conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais
prêts aussi à faire mourir les ennemis irréconciliables. C’est pourquoi la notion de
“ vengeance ” qui est une des modalités d’expression du ressentiment à l’égard des
ennemis et des adversaires, la notion de “ punition ” qui isole l'individu transgressif du
reste de la société, surgissent toujours quant le salut public est en jeu. Ainsi, le 12 août
1793, lorsque Royer vient réclamer la levée de “ la masse terrible des sans-culottes ”
Danton répond à la députation de venue dans ces termes : “ Les députés des
assemblées primaires viennent d’exercer parmi nous l’initiative de la terreur contre les
ennemis de l’intérieur. Répondons à leurs vœux. Non point d’amnistie à aucun traître.
L’homme juste ne fait point de grâce au méchant. Signalons la vengeance populaire
par le glaive de la loi sur les conspirateurs de l’intérieur ” [32] .
La demande de terreur est inséparable de cette demande de levée en masse réclamée
par Royer. Quant à l’armée révolutionnaire [33] comme armée populaire, elle est le
lieu par excellence de la transaction entre corps sacré du patriote, loi par définition
sacrée et corps sacré de l’ennemi impur. Le 5 septembre 1793, l’échange entre les
porte-parole de l’adresse rédigée conjointement par Hébert et Royer et, le Président de
l’Assemblée qui n’est autre que Robespierre, met en évidence ce rapport immédiat des
citoyens à l’exercice militaire conjoint à celui de la justice comme exercice de
souveraineté : “ Il est temps que l’égalité promène la faux sur toutes les têtes. Il est
temps d’épouvanter tous les conspirateurs. Eh bien Législateurs, placez la terreur à
l’ordre du jour. Soyons en révolution, puisque la contre-révolution est partout tramée
par nos ennemis. Que le glaive de la loi plane sur tous les coupables. Nous demandons
que soit établie une armée révolutionnaire, qu’elle soit divisée en plusieurs sections,
que chacune ait à sa suite un tribunal redoutable, et l’instrument terrible de la
vengeance des lois ”.
Le président à la députation : Citoyens, c’est le peuple qui a fait la révolution, c’est à
vous qu’il appartient d’assurer l’exécution des promptes mesures qui doivent sauver la
patrie… [34] ”
Demander qu’on mette la terreur à l’ordre du jour, c’est demander qu’on mette en
place une politique visant littéralement à reconduire constamment le cerne du sacré
[35] , à réaffirmer en permanence la valeur normative de la Déclaration des droits, à
demander vengeance et punition pour les ennemis de la patrie. Les mots d’ordre de
“ patrie en danger ” ou de “ terreur ” sont de fait initiés par le peuple [36] . Les
émotions souveraines déclinent des mots d’ordre souverains et l’on peut effectivement
considérer que la Terreur est bien “ l’une des modalités par lesquelles s’effectue
l’appropriation populaire de la souveraineté [37] ”. Les citoyens affirment leur
souveraineté en réclamant à être les premiers acteurs du salut public.
Or, loin d’être signes d’un penchant mortifère [38] , ces demandes sont signes d’un
mouvement de vie, d’ardeur. Elles transmutent [39] les émotions dissolvantes
produites par des actes profanateurs, émotions qui traversent le corps social, en
émotions qui redonnent du courage là où le découragement gagnait. “ Les ennemis de
la patrie s’imagineraient-ils que les hommes du 14 juillet sont endormis? S’ils leurs
avait paru l’être, leur réveil est terrible. Ils n’ont rien perdu de leur énergie.
L’immortelle Déclaration des droits de l’homme est trop profondément gravée dans
leurs cœurs. Ce bien précieux, sera défendu par eux, et rien ne sera capable de leur
ravir. [40] ”
Ainsi, pour comprendre autrement l’économie émotive de la demande de terreur, il ne
s’agit pas seulement de se demander si l’obsession du complot était bien légitime ou
attisée par les journaux, mais de repérer quand et comment ce qui a été produit comme
sacralité révolutionnaire est bafoué. Ce qui produit effectivement l’effroi, c’est d'abord,
dans cette perspective, cette rupture du sacré.
Reste maintenant à comprendre comment ce mouvement d’ardeur qui réclame
vengeance ne produit pas une “ furie de destruction ” [41] dans un massacre généralisé,
mais produit effectivement un dispositif spécifique qui prétend au contraire viser
l’apaisement.
2. L’Assemblée doit traduire les émotions populaires souveraines
Les révolutionnaires ont conscience du caractère volcanique des émotions populaires.
En juin 1792, la question de l’insurrection est débattue aux Jacobins. Jeanbon
Saint-André oppose alors “ l’insurrection d’un peuple esclave qui est accompagnée de
toutes les horreurs ” et “ celle d’un peuple libre ” qui “ n’est que l’expression subite à
la volonté générale de changer ou de modifier quelques articles de la constitution ”
[42] . L’argumentation visait à ne pas attacher à l’idée d’insurrection “ celle de révolte
et de carnage ” [43] . Un poème envoyé par le citoyen Desforges au printemps 1792 est
particulièrement éloquent à cet égard :
“ Et sur le grand théâtre où nous place le sort
Liberté c’est la vie et licence la mort
La licence ose tout sans penser à l’usage
Des souveraines loix, d’une liberté sage ;
Qui dit libre dit homme et non pas furieux
Il est oh ! mes amis des droits impérieux
Et d’éternelles loix qu’il ne faut pas enfreindre
Si nous les ignorions nous aurions trop à craindre
De l’univers entier, l’histoire en est témoin
Le premier de ces droits c’est le premier besoin
Sans cesse renaissant que l’on a l’un de l’autre
Sauvez mon bien soudain et je sauverai le vôtre
Et je m’imposerai la respectable loi
D’oser tout pour celui qui risque tout pour moi.
Alors vous concevez, qu’en un moment de crise
Un peuple tout entier s’enflamme, s’électrise… ” [44]
Ainsi, les secours réciproques font la valeur de l’insurrection légitime en lieu et place
d’un massacre généralisé de “ furieux ”qui s’effectue en dehors des lois et qui n’a plus
de valeur politique. Ceux qui portent la parole du peuple à l’Assemblée ne sont pas
moins avertis. Lorsqu’ils réclament qu’on déclare la patrie en danger, ils évoquent très
explicitement le problème. “ La force populaire fait toute votre force; vous l’avez en
main employez la. Une trop longue contrainte pourrait l’affaiblir ou l’égarer. ” [45]
“ Le peuple est debout prêt à venger la majesté nationale outragée. Ces moyens de
rigueur sont justifiés par l’article 2 des droits de l’homme “résistance à l’oppression”.
Quel malheur cependant pour des hommes libres qui vous ont transmis tous leurs
pouvoirs de se voir réduits à tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs” [46] .
“ Forcera-t-on le peuple à se reporter à l’époque du 13 juillet, à reprendre lui-même le
glaive de la loi et à venger d’un seul coup la loi outragée, à punir les coupables et les
dépositaires pusillanimes de cette même loi ? Non, messieurs, vous voyez nos craintes,
nos alarmes et vous les dissiperez. [47] ”
Or, le moyen de dissiper ces craintes est justement de donner à cette ardeur populaire
une forme symbolique normative. Ce qui est alors explicitement demandé, c’est que la
puissance émotive souveraine [48] du peuple, afin qu’elle ne devienne pas destructrice,
soit traduite dans les termes de la loi. Ces émotions, de la douleur à la colère, doivent
donc être déposées par le peuple auprès des législateurs dans l’enceinte sacrée de
l’assemblée et y trouver une place : “ C’est dans votre sein que le peuple français
dépose ses alarmes et qu’il espère enfin trouver le remède à ses maux. (…) ” [49] .
“ Nous avons déposé dans votre sein une grande douleur, (…) ”. Les législateurs
doivent donc d’abord entendre la douleur politique du peuple, entendre que cette
douleur surmontée peut produire de la colère, puis, ensuite, les retraduire dans l’ordre
symbolique afin de les canaliser. “ Législateurs, vous ne refuserez pas l'autorisation de
la loi à ceux qui veulent aller mourir pour la défendre [50] ”.
Ainsi, confrontés aux émotions populaires, les législateurs doivent subjectivement
devenir de bons traducteurs de la voix du peuple. Les porte-voix du peuple [51] tel que
Santerre, viennent d’ailleurs déposer une voix déjà symbolisée par des “ paroles ”, une
voix déjà mise en forme. Il n’empêche que l’intersubjectivité espérée ne repose pas
alors sur un argumentaire dont il faudrait débattre en raison, mais bien sur une
sensibilité qu’il s’agit de mettre en partage. Il faut toucher le cœur plus que l’esprit.
“ (…) Nous avons soulagé nos cœurs ulcérés depuis longtemps Nous espérons que le
dernier cri [52] que nous vous adressons se fera sentir au vôtre. Le peuple est debout, il
attend dans le silence une réponse enfin digne de sa souveraineté. [53] ” La fonction
des législateurs dans le processus d’apaisement est donc fondamental, car ils opèrent
dans l’enceinte sacrée de l’assemblée la traduction des émotions en lois. Il s’agit bien
sur de leur donner ainsi une forme légale, mais surtout d’inventer les formes
symboliques et les pratiques qui permettront de contenir l’ardeur [54] . C’est ainsi que
s’exprime Jean De Bry dans son rapport du 30 juin 1792 où il déclare que si la patrie
doit être déclarée en danger, il reviendra à l’Assemblée de le faire afin de produire de
l’ordre : "un corps bien discipliné qui, sans se consumer en mouvements inutiles attend
tranquillement l'ordre d'un chef pour agir. La nation marchera s'il le faut, mais elle
marchera avec ensemble et régularité" [55] . De ce fait la puissance souveraine n'est
pas vraiment fixée du côté du peuple qui pourrait devenir un simple instrument
nécessaire. “ Convaincue qu'en se réservant le droit de déclarer le danger, (l'assemblée)
en éloigne l'instant et rappelle la tranquillité dans l'âme des bons citoyens. La formule à
énoncer sera "Citoyens, la patrie est en danger. ” [56]
Revendiquer en faveur d’une loi qui déclare, en juin 1792 “ la patrie en danger ”, c’est
ainsi réclamer contre la possibilité de l’égarement, du carnage et de la fureur,
l’apaisement d’un décret qui reflèterait très exactement l’amour des lois, c’est à dire la
reconnaissance de la souveraineté populaire. On retrouvera comme chez Jean De Bry
cette préoccupation de l’ordre chez Danton le 12 août 1793, “ sachons mettre à profit
cette mémorable journée. On vous a dit qu’il fallait se lever en masse. Oui, sans doute,
mais il faut que ce soit avec ordre ” [57] .
Or, entre le printemps 1792 et l’été 1793, l’évocation redoutable d’une représentation
du souverain, c’est-à-dire de l’Assemblée, réduisant des hommes libres à “ tremper
leurs mains dans le sang des conspirateurs ” est devenue une expérience : celle des
massacres de septembre.
3. Des massacres de septembre, de la
vengeance souveraine
Les atermoiements de l'assemblée autour de la “ patrie en danger ”, et l’attitude
ambiguë qu’elle avait adoptée à l’égard de Lafayette qui s’était autorisé à incriminer la
journée du 20 juin 1792 et à accuser le peuple, avait radicalement remis en question les
relations de confiance entre le peuple et l'Assemblée. Lors du 10 août 1792, le peuple
s'était contenté de la tenir informée des événements. Il n'était plus question d'attendre
le signal de la loi pour accomplir l’insurrection visant la déchéance du roi parjure.
Contrairement à ce qui s’était passé le 20 juin, on n’avait plus lieu d’espérer obtenir un
décret pour agir. Il ne viendrait pas à temps. L’Assemblée n’avait été sollicitée que
pour entériner l’événement. Dans une certaine mesure, il s’agissait de le traduire dans
l’enceinte de la loi uniquement après coup. Mais, en septembre 1792, une étape est
encore franchie dans ce désaveu de l’Assemblée. En effet, ce qui produit l’effroi des
Parisiens, ce sont non seulement les défaites aux frontières, mais le sentiment d’être
trahis par des législateurs qui ne prennent pas les mesures appelées par l’insurrection
du 10 août. En particulier les mesures qui viseraient à “ juger les crimes du 10 août ”.
Robespierre intervient le 15 août comme délégué de la Commune et affirme “ depuis le
10 août la juste vengeance du peuple n’a pas encore été satisfaite [58] ” ; le 17 août un
citoyen représentant provisoire de la Commune déclare à la barre de l’Assemblée
“ Comme citoyen, comme magistrat du peuple je viens vous annoncer que ce soir à
minuit le tocsin sonnera, la générale battra… le peuple est las de n’être point vengé.
Craignez qu’il ne fasse justice lui-même. Je demande que sans désemparer vous
décrétiez qu’il sera nommé un citoyen dans chaque section pour former un tribunal
criminel ” [59] . Non seulement ce décret n’a jamais été pris mais Choudieu et Thuriot
cherchèrent alors à délégitimer l’orateur en affirmant qu’il ne connaissait pas les
“ vrais principes ” et “ les vraies lois ” . Lors des massacres de septembre, les
représentants sont donc complètement marginalisés, on pourrait dire qu’ils sont
“ absentés ”, c’est à dire dans une présence absolument négligeable pour les
protagonistes de l’événement.
Lorsque les représentants des autorités constituées se présentent devant les
septembriseurs, lorsqu’ils veulent parler le langage de la loi, ce langage n’a plus
d’efficience. Leur parole est devenue “ une parole malheureuse qui prend la forme
d’un monologue sur la loi ” [60] . La référence à la loi n’est plus une référence sacrée.
L’économie émotive que nous avons décrite, qui est aussi économie du sacré, est alors
en panne. La voix sacrée du peuple qui réclamait vengeance, “ vox populi, vox dei ”,
n’a pas été entendue ou n’a pas été retraduite par ceux dont c’est la fonction. Les
représentants ont ainsi perdu leur position d’intercesseurs nécessaires. Désormais il n’y
a plus d’intersubjectivité recherchée et les gestes des septembriseurs vont creuser
l’écart qui s’instaure entre cette représentation délégitimée de fait, et le peuple. La
référence à la loi n’est plus une demande du peuple mais une imposition des
représentants, or leur légitimité à dire la loi, ou à la “ faire parler ” [61] est alors
invalidée. De fait, ils ne sont plus reconnus comme des représentants. La transaction
entre texte sacré et corps sacré ne peut plus se manifester et c’est le corps à corps qui
se substitue alors à l’opération symbolique devenue impossible.
Lorsqu’on lit de près les comptes rendus des représentants des autorités constituées, on
est frappé par l’absence d’animosité qui s’exprime de la part des émeutiers à leur
égard. Ainsi lorsque Pétion se présente à la prison de la Force, il n’est pas rejeté ou
molesté, on a même l’impression que les Parisiens auraient bien aimé pouvoir lui faire
plaisir et lui obéir mais que leur devoir est devenu autre : “ Je leur parlai le langage
austère de la loi, je leur parlai avec le sentiment de l’indignation profonde, dont j’étais
pénétré. Je les fis tous sortir devant moi. J’étais à peine sorti moi-même qu’il
rentrèrent. [62] ” Le désaveu ne suppose pas le déploiement d’une agressivité
nouvelle, simplement les intermédiaires qui étaient supposés produire les lois
nécessaires au salut public, sont déclarés inutiles et négligeables. Certains arguments
sont pourtant encore audibles. Ainsi, “lorsque le maire de Versailles a demandé grâce
pour les innocents, Blomquel, un des protagonistes des événements qui dirigeait les
opérations, a répondu de les faire sortir. Cependant, le maire ne sachant distinguer
entre innocents et coupables en fut incapable.” [63]
Il ne s'agit donc pas d'une vengeance indistincte, démesurée, aveugle qui s'opposerait
point par point à la justice pénale, ou qui serait pur désir à réfréner par la loi. Loin
d'être l'expression d'une passion vindicative, la vengeance qui s'accomplit se pose
avant tout comme l'exercice d'une charge difficile et qu'il convient d'assumer par
devoir. L'une des difficultés de cet accomplissement est justement de distinguer les
innocents des coupables, de tracer cette ligne de partage. En effet la vengeance
distingue entre les offenseurs et ceux qui restent à l'extérieur du face à face
offensés/offenseurs. Or cette question de la ligne de partage entre ceux qui méritent la
vengeance publique et les autres est constamment thématisée dans les grands rapports
de la période de la terreur. Ainsi pour ne donner qu'un exemple Robespierre le 5 nivôse
an II : " Si donc on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement
révolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on
envellopperait dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les
amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la république(…) Qui
donc démèlera toutes ces nuances? Qui tracera la ligne de démarcation entre tous les
excès contraires? L'amour de la patrie et de la vérité". [64]
La vengeance affirme la distinction entre les groupes sociaux et construit leur identité
respective, ici l'identité du peuple souverain face à ceux qui lui dénient cette
souveraineté ou qui ne la respectent pas : les responsables du déni de justice et les
coupables restés impunis. Si l'ordre de la peine suppose que l'offenseur et l'offensé
appartiennent au même groupe, l'ordre de "la vengeance s'inscrit dans un espace social
intermédiaire, entre celui où la proximité des partenaires l'interdit et celui où leur
éloignement substitue la guerre à la vengeance" [65] . Une telle approche met à mal
l'opposition vengeance/peine en termes évolutionnistes. Il s'agit plutôt d'appréhender la
vengeance comme un moment de justice constitutif de l'identité respectée de chacun
des groupes sociaux qui s'affrontent dans une même société. La vengeance est "un
système d'échange et de contrôle social de la violence. Partie intégrante du système
social global, le système vindicatoire est d'abord une éthique mettant en jeu un
ensemble de représentations et de valeurs se rapportant à la vie et à la mort, au temps et
à l'espace (…) il est enfin un instrument et lieu de pouvoir identifiant et opposant des
unités sociales, les groupes vindicatoires" [66] .
Cette longue définition de la vengeance éclaire d'un jour nouveau, l'appel
révolutionnaire à la vengeance. En effet elle nous montre que loin d'être disqualifiant,
cet appel à la vengeance se réclame d'une éthique où l'on commence à entendre la
question déroutante du devoir. Le dommage est toujours un affront fait au groupe de la
victime, et la demande de vengeance est une obligation de réaction pour faire respecter
l'identité du groupe. "En ce sens la dette d'offense peut être définie comme une dette de
vie et la vie comme un capital spirituel et social que les membres du groupe ont charge
de défendre et de faire fructifier. (…) Ce capital vie est figuré par deux symboles, le
sang symbole d'union et de continuité des générations, l'honneur symbole de l'identité
et de la différence qui permet à la fois de reconnaître l'autre et d'exiger qu'il vous
respecte." [67] Lorsque les porte-parole du peuple réclament vengeance des crimes du
10 août, la dette de vie est celle du sang des patriotes, mais aussi celle de l'honneur du
peuple à qui on refuse de reconnaître son identité de peuple et de peuple vainqueur. En
termes révolutionnaires rétablir l'honneur c'est finalement manifester à nouveau et
irrévocablement l'identité de peuple souverain par l'acte de vengeance.
Les commentaires produits sur les massacres de septembre par les grandes figures de la
Terreur, utilisent indistinctement les notions de justice et de vengeance, montre que
c'est la défaillance des institutions ordinaires qui conduisent à la vengeance des lois ou
vengeance du peuple et mettent l'accent sur la nécessité de reconnaître que c'est bien le
peuple qui a agi.
Marat d’abord : “le peuple a le droit [68] de reprendre le glaive de la justice lorsque
les juges ne sont plus occupés qu’à protéger les coupables et à opprimer les innocents.”
[69] On est ici dans le registre de la déchéance des institutions légales, l'assemblée et
les tribunaux, défaillants, ne défendant plus le respect du au groupe social "peuple".
Robespierre ensuite : “ La justice du peuple expia aussi, par le châtiment de plusieurs
aristocrates contre-révolutionnaires qui déshonoraient le nom français, l’éternelle
impunité de tous les oppresseurs de l’humanité.” [70] Le peuple, groupe social inscrit
dans la longue durée de l'histoire face au groupe social des "oppresseurs de
l'humanité", défend l'honneur de son nom : "Français". Le 13 ventôse Saint-Just avant
d'affirmer que le bonheur est une idée neuve en Europe encourage à défendre cet
honneur : “Faites vous respecter, en prononçant avec fierté la destinée du peuple
français. Vengez le peuple de douze cents ans de forfaits contre ses pères.” [71] Le
26 germinal an II, Saint-Just interroge aussi l'histoire dans la longue durée de
"plusieurs siècles de folies" face à "cinq années de résistance à l'oppression" et
souligne les valeurs portées par le nom de "Français" comme nom de peuple dans le
projet révolutionnaire : "Qu'est-ce qu'un roi près d'un Français?". La représentation de
la structure sociale obéit aux règles de l'antonymie asymétrique [72] . Non seulement
on sait qu'il n'y a pas encore d'unité sociale mais le nom Français permet à la fois de
dire le tout à venir et la division conflictuelle effective qui oppose les oppresseurs et
les opprimés. C'est à ce titre qu'il est vraiment le nom du peuple. " Enfin dans sa
réponse à Jean-Baptiste Louvet, Robespierre affirme qu’il s’agit bien de lire à travers
les massacres de septembre un acte de souveraineté du peuple : “ Les magistrats
pouvaient-ils arrêter le peuple ? Car c’était un mouvement populaire, et non la sédition
partielle de quelques scélérats pour assassiner leurs semblables.(…) Que pouvaient les
magistrats contre la volonté déterminée d’un peuple indigné qui opposait à leur
discours et le souvenir de la victoire remportée sur la tyrannie et le dévouement avec
lequel ils allaient se précipiter au devant des Prussiens, et qui reprochaient aux lois
mêmes la longue impunité des traîtres qui déchiraient le sein de leur patrie. Pleurez
même les victimes coupables réservées à la vengeance des lois et qui sont tombées
sous le glaive de la justice populaire ; mais que votre douleur ait un terme comme
toute les choses humaines… ” [73]
Ainsi, si les pratiques des septembriseurs sont insupportables sur le plan de la
sensibilité, elles apparaissent historiquement compréhensibles- et non relever
uniquement d'une “irrationalité” ou d'une pure “sauvagerie”- et, si l'on se situe au plus
près des discours des acteurs, elles trouvent même des justifications politiques. En
rejetant le populaire du côté de la nature et en l'excluant de l'univers de la culture
sensée [74] , on ne peut que manquer la démarche compréhensive [75] .
Dans une telel perspective compréhensive on pourrait parler finalement de vengeance
souveraine et associer ainsi au concept anthropologique, un concept politique qui
éclaire cette vengeance de septembre 1792 sous un jour singulier, car ici le lieu de la
vengeance est aussi le lieu de la sphère souveraine, là où les lois ordinaires n'ont plus
force de loi, mais où il ne s'agit encore que de choses humaines et non de choses
divines. “ On dira souveraine, la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettre
d’homicide et sans célébrer un sacrifice ; et sacrée, c’est à dire exposée au meurtre et
insacrifiable, la vie qui a été capturée dans cette sphère. ” [76] L’agir souverain est
"exception" parce qu’il s’exclut tant du droit humain ordinaire que du droit divin, “ il
délimite le premier espace proprement politique, distinct aussi bien de la sphère
religieuse que de la sphère profane, aussi bien de l’ordre naturel que de l’ordre
juridique normal. ” [77]
Par la vengeance accomplie dans les massacres de septembre le peuple affirmerait
conjointement qu'il convient de le respecter comme tel, en tant que groupe social
historique, et qu'il est le souverain puisqu'il peut décider de l’exception souveraine.
Cependant une telle exception souveraine ne relèverait pas d'une exception arbitraire,
puisque précisément un tel mode de la vengeance n'apparaît légitime que lorsqu'aucune
institution formelle n'est encore venue la régler et que les anciennes institutions de
justice sont défaillantes.
L’appropriation de la souveraineté par le peuple ne relèverait donc pas in fine d’un
transfert de sacralité, mais bien de la mise en œuvre d’une sacralité, d’un agir propre
au politique. En août et septembre 1792 puis en 1793, "le langage des sections
révolutionnaires ne cesse d’employer l’adjectif sacré pour évoquer leur devoir sacré et
l’insurrection sacrée, quant à la vengeance elle est également qualifiée de sacrée par
nombre de patriotes, “ la vengeance nationale est toujours aussi juste que sacrée, et
peut-être plus indispensable que l’insurrection elle même. ”" [78]
On peut déplorer, que la fondation du pouvoir souverain repose ainsi sur l’exercice de
l’exception souveraine, comme on peut déplorer que les représentants du peuple aient
renoncé ou refusé de traduire la voix du peuple et l'aient ainsi conduit à ce rejeu de la
fondation souveraine, à la vengeance effectuée sans médiation symbolique. Dès le 20
juin 1792, les porte-parole populaires étaient dans la crainte d’une rupture des liens
sacrés qui unissaient par la loi, le peuple et l’Assemblée. Santerre rappelait aux
représentants du peuple qu’ils avaient “ juré à la face du ciel de ne point abandonner
notre cause (la cause de la souveraineté du peuple), de mourir pour la défendre ”, et les
interpellaient dans ces termes : “ Rappelez vous, Messieurs ce serment sacré et
souffrez que le peuple, affligé à son tour ne se demande si vous l'avez abandonné.
(…) ” [79] .
Les septembriseurs ont fait le pari de fonder, malgré cet abandon, d’une manière
irréversible la souveraineté populaire en assumant l’exception souveraine comme
vengeance du peuple. Les commentateurs qui affirment qu’il n’y a pas eu crime mais
exercice effectif de la souveraineté affirment leur fidélité à ce pari [80] . Comme les
septembriseurs, ils prennent une décision politique sur laquelle il ne cèdent pas, que ce
soit au moment du procès du roi, où ce qui se joue est non seulement le sort à réserver
au roi traître, mais aussi conjointement et indissociablement la réinterprétation du 10
août 1792 et des massacres de septembre ; ou que ce soit lors des journées des 31 mai
au 2 juin 1793 où sont exclus les représentants qui refusaient d’entendre qu’ils avaient
assisté les 20 juin 1792, 10 août 1792, 2 et 3 septembre 1792, à l’appropriation
fondatrice de la souveraineté du peuple, le peuple disposant de fait de la violence
légitime.
Une triade d’événements en 1792 et une série d’interprétations de ces événements en
1793, jalonnent ainsi une même décision, celle de fonder la souveraineté du peuple en
assumant ce qu’on nomme alors “ la terreur ” c’est-à-dire l’usage par le peuple de la
vengeance souveraine.
4. “ Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ”, instituer la
vengeance souveraine
Le tribunal révolutionnaire qualifié le plus souvent de tribunal d'exception par
l'historiographie ou de tribunal extraordinaire par les acteurs révolutionnaires, est à la
fois un emblème de la terreur et un rejeu du scénario des massacres de septembre. En
effet sa création procède d'une demande populaire. Ce sont les sections parisiennes qui
le 9 mars 1793 le réclament dans un contexte de crise où l'ennemi vainqueur est près à
envahir la patrie, et où les sections parisiennes ont le sentiment que les traîtres et les
contre-révolutionnaires ne sont pas punis et sont près à abattre la République en
Vendée mais aussi à Lyon, à Paris, dans les départements du centre, où le prix du pain
rend la situation dramatique et où les émeutes se multiplient.
Le conventionnel Bentabole de retour d'une visite effectuée auprès de la section de
l'Oratoire avec Tallien pour accélérer la levée en masse, "a observé que les citoyens ne
sont dégoûtés de partir que parce que l'on s'est aperçu qu'il n'y a pas une justice réelle
dans la République, qu'il fallait que les traîtres et les conspirateurs fussent punis. En
conséquence, ils ont demandé un tribunal dont on soit sûr, un tribunal révolutionnaire"
[81] . Jean-Bon Saint-André et David, reviennent de la section du Louvre et rendent
compte de la même demande des sectionnaires. "Ils prient la Convention nationale de
punir et d'anéantir les intrigants, afin de faire justice au peuple, si le peuple est trompé
ou mal servi. Il demande (…) que l'on venge le sang de nos soldats qui a été versé soit
par trahison, soit par impéritie soit par lâcheté.(…) L'assemblée de la Section du
Louvre, arrête qu'elle invite, de la manière la plus puissante et au nom de la Patrie, les
citoyens Saint-André et David à émettre son vœu à la Convention nationale pour qu'il
soit incessamment établi un tribunal sans appel pour mettre une fin à l'audace des
grands coupables et des tous les ennemis de la chose publique" [82] .
La transaction sacrée entre le corps des patriotes et l'avènement de la République est
ainsi au cœur de l'argumentation. Verser son sang pour la patrie suppose que la
république advienne. Faire justice au peuple au sein de la république vengerait ainsi le
sang versé inutilement aux frontières. Or ici encore la vengeance comme la justice sont
gages d'ardeur et sources de vie car il s'agit de vaincre le dégoût comme en 1792 il
s'agissait de vaincre l'effroi. Dans l'un et l'autre cas, ces émotions mortifères peuvent
conduire à l'anéantissement du peuple et de la révolution. Transmuter le dégoût en
ardeur patriotique est nécessaire pour, au dedans comme au dehors, sauver la
révolution. Le salut public passe donc comme au printemps 1792 par une
transmutation des émotions. Mais alors que les émotions en jeu en 1792 étaient liées à
la dynamique de l'insurrection, effroi, colère, indignation; en mars 1793 elles ressortent
d'une dynamique de l'après-coup, de la justice et de la vengeance. Pour que cesse la
lassitude face à l'absence de justice même après les massacres de septembre, même
après le procès du roi, pour que cesse l'éloignement et le refus de la transaction sacrée,
c'est-à-dire faire de son corps un rempart pour la liberté, pour que cesse le dégoût, il
faudrait que le sentiment de la justice annule l'écœurement. N'oublions pas que dans le
discours révolutionnaire c'est le cœur et non la seule raison ou l'esprit qui garantissent
la défense du projet révolutionnaire. "Honorez l'esprit mais appuyiez vous sur le cœur".
[83]
Alors que les Conventionnels allaient se séparer le 10 mars sans avoir institué ce
tribunal, Danton prend la parole : “Quoi, citoyens, vous pourriez vous séparer sans
prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique ? Je sens à quel
point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les
contre-révolutionnaires car c'est pour eux que ce tribunal doit suppléer au tribunal de la
vengeance du peuple (…) S'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pas
nécessaire que des lois extraordinaires prises hors du corps social, épouvantent les
rebelles et atteignent les coupables? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et
des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal
extraordinaire.” [84]
Le tribunal révolutionnaire se présente donc comme l'antidote de la "vengeance du
peuple" ou plus exactement comme son possible contrôle par une institution qui est
bien une institution qui ressort de "lois extraordinaires prises hors du corps social"
dans cette sphère sacrée qui fonde la souveraineté populaire par la vengeance
souveraine. Mais cette vengeance du peuple permet de rouvrir le dossier des massacres
de septembre qui avait été évoqué sous les termes "d'anarchie" par Buzot affirmant
que le tribunal révolutionnaire conduirait “à un despotisme plus affreux que celui de
l'anarchie” [85] ou encore par Amar déclarant “il n'y a que cette mesure qui puisse
sauver le peuple autrement il faut qu'il s'insurge et que ses ennemis tombent. ” [86]
Mais pour Danton le tribunal révolutionnaire n'est pas seulement une manière de
mettre des bornes à l'exception souveraine dans sa fonction vengeresse, il est aussi une
manière de renouer avec la fonction apaisante de l'Assemblée.
“Puisqu'on a osé dans cette Assemblée, rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles
tout bon citoyen a gémi, je dirai moi que si un tribunal eût alors existé, le peuple
auquel on a si cruellement reproché ces journées, ne les auraient pas ensanglantées; je
dirai et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces événements,
que nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter le débordement de la
vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs. Faisons ce que n'a pas
fait l'Assemblée législative, soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être.
Organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible; mais le moins mal qu'il se
pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis. (…) que le
monde soit vengé.” [87]
Classiquement “ dans l’institution de la vengeance, il revient à ceux qui incarnent le
groupe social en tant que totalité, d’assurer la médiation entre les protagonistes et de
restaurer, autant que possible l’état de paix ” [88] . Cette fonction de tiers médiateur
entre groupes sociaux qui s'affrontent, appartient d’abord à l’Assemblée dans le
système révolutionnaire. Sa fonction est de fabriquer les lois adéquates aux émotions
populaires, et c’est cette fabrique spécifique d’un discours symbolique ritualisé et
apaisant qui permet effectivement de ne pas basculer hors du politique [89] .
A la lumière de cette problématique, la terreur se présente ainsi comme un retour,
retour à la traductibilité des émotions populaires propre au printemps 1792, retour à la
sacralité de la loi, retour à la possibilité pour les représentants du peuple de trouver une
parole heureuse, performative. La terreur est donc aussi l’invention d’une nouvelle
place pour les législateurs. Désormais, ils doivent pleinement reconnaître la
souveraineté populaire, mais conjointement et indissociablement éviter au peuple
d’avoir à se compromettre dans des pratiques insoutenables pour fonder la république.
On pourrait dire que la terreur est à l’ordre du jour pour que l’émotion ne devienne ni
dissolvante, ni massacrante, pour symboliser ce qui ne l’avait pas été en septembre
1792 et faire ainsi réémerger une fonction régulatrice de l’Assemblée. Elle avait été
perdue, du fait de son incapacité à reconnaître la souveraineté du peuple et à en
répondre. Pour Danton, les Conventionnels doivent être les “dignes régulateurs de
l'énergie nationale” [90] . Cambacérès interroge cette fonction nouvelle de l'Assemblée
qui doit prévenir les malheurs des temps en se montrant décidée et courageuse : “
dépositaires de la souveraineté nationale, respectez vous assez pour ne pas craindre
l'immense responsabilité dont vous serez chargés. Si les temps révolutionnaires
demandent des mesures extrêmes, par qui ces mesures doivent-elles être prises si ce
n'est par des hommes à qui la nation a remis le soin de tous ses intérêts les plus
chers ? ” [91] Duhem enfin adhère à cette nouvelle fonction du Conventionnel qui doit
se faire vengeur du peuple “Quand ce peuple nous a envoyé ici, il nous a dit: "Vous
avez nos pouvoirs, allez établissez la liberté, dégagez vous de toute tyrannie, vengez
notre oppression. Vengeons sincèrement le peuple, écartons tout ce qui peut entraver
la vengeance révolutionnaire, pressons l'expédition de la justice (…). ” [92]
L’entreprise de la Terreur viserait donc, paradoxalement au regard des interprétations
aujourd'hui dominantes, à instituer des bornes à l’exception souveraine, à mettre un
frein à la violence légitime du peuple et à donner une forme publique et instituée à la
vengeance. La terreur comme justice est ainsi une tentative désespérée et désespérante
de contraindre à la fois le crime politique et la vengeance populaire légitime qui peut
en résulter. Car la terreur comme forme d’exercice de la politique ne vaut pas
condamnation de la vengeance exercée en septembre 1792, elle vaut condamnation de
la forme qu’elle a du prendre du fait de l’impunité dans laquelle les élites avaient laissé
les contre-révolutionnaires. [93]
Reste à examiner en quoi la fidélité à la situation des septembriseurs est aussi fidélité
au sentiment d’humanité qui anime la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
et d’une manière plus générale, le projet révolutionnaire d’une souveraineté populaire.
Reste à examiner donc en quoi peut consister le sentiment d’humanité qui anime les
protagonistes de la Terreur voire de ce que l'historiographie a consacré comme
"Grande terreur" en aval de la loi du 22 prairial an II, là où la justice devient
particulièrement expéditive.
5. Cycle long de la vengeance et sentiment d’humanité [94] .
Le système de vengeance est un code social ayant ses règles et ses rites pour ouvrir,
suspendre et clôturer la vengeance [95] . Les mesures prises dans le contexte de la
demande de terreur ouvrent un "cycle de la vengeance" instituée. Ce cycle présente un
début, à notre sens, la mise en place du tribunal révolutionnaire; un déploiement qui
associe la structuration des groupes sociaux vindicatoires, la justice faite aux offensés
et de nouveaux rapports symboliques, “ cette institution, apparaît alors comme l’un de
ces faits sociaux privilégiés au travers desquels se redéfinit constamment un ordre
symbolique. [96] ”. La vengeance est ainsi une façon d’élaborer ces valeurs et de les
mettre à l’épreuve. On peut dire ainsi que la vengeance fonde aussi les valeurs. Enfin
“si la vengeance conduit à faire mourir les membre du groupe social offenseur, la
vengeance peut aussi choisir in fine de ne pas faire mourir car, il s'agit de rétablir
l'équilibre entre les groupes et ainsi de faire cesser le cycle de la vengeance”. On
pourrait interpréter ainsi la loi des suspects du 17 septembre 1793. Il s'agit de répondre
de la demande de terreur tout en suspendant les effets violents de la vengeance. Enfin
l'analyse de la loi du 22 prairial an II devrait permettre d'offrir quelques hypothèses
pour la faire sortir de son caractère totalement énigmatique. Pour ces différents
moments du cycle de la vengeance, il s'agit d'éclairer comment les acteurs peuvent se
réclamer du sentiment d'humanité sans faire obstacle à leurs raisons et à leurs émotions
par un soupçon a priori d'inhumanité.
C'est bien connu, le temps de la terreur est celui de la fulgurance. Robespierre le 17
pluviôse an II déclare “La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère,
inflexible. ” [97] , Couthon le 22 prairial an II “Le délai pour punir les ennemis de la
patrie ne doit être que le temps de les reconnaître, il s'agit moins de les punir que de les
anéantir” [98] . La terreur est une triple course de vitesse. Il faut agir vite pour vaincre
les ennemis avant qu’ils n’anéantissent la Révolution. Il faut agir vite pour que le
peuple ne soit pas dégoûté de l'injustice. Il faut agir vite pour que le peuple n’ait plus à
reprendre “ le glaive de la loi” et réussir effectivement à mettre des bornes à
l'exception souveraine. C'est dans ce contexte que Danton fait appel à un sentiment
d'humanité naturel. Le désir de ne pas laisser se répéter les massacres de septembre
ressort d'une sensibilité commune à tous les hommes, à toutes les femmes. Les
sectionnaires modérés qui sont aussi ceux qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre
et occupent de ce fait les assemblées sectionnaires en l'absence des sans-culottes et font
passer des motions que ces derniers désavouent ensuite : “En voyant le citoyen
honnête occupé dans ses foyers, l'artisan occupé dans ses ateliers, ils ont la stupidité de
se croire en majorité.” [99] Or pour Danton “ces ennemis de la liberté lèvent un front
audacieux, partout confondus, ils sont partout provocateurs” et sont donc ceux qui
risquent justement de subir la vengeance du peuple. “Eh bien! Arrachez-les vous même
à la vengeance populaire, l'humanité vous l'ordonne.” [100]
Les massacres de septembre justifiables mais insupportables, et leur effet en termes de
frissons rétrospectifs, offrent un premier angle d’analyse pour comprendre l'usage de la
notion d'humanité, du sentiment d'humanité. Que le peuple ait eu à “ reprendre le
glaive de la loi ” est insupportable. Il n’aurait pas du avoir à refaire ainsi l’expérience
politique du sang versé. Une société humaine doit prévenir, non pas le principe de
l’exception souveraine, mais la nécessité de transformer ce principe en action. Une
société humaine, pleine d'humanité doit réussir à maintenir l’exception souveraine en
marge de la vie politique, réussir à prévenir un tel rapport au sang, entre autres dans
une république démocratique, par le pouvoir des médiations symboliques propres à
traduire la voix du peuple en logos politique. Le sentiment d’humanité dicte ainsi une
plus grande responsabilité des représentants à cet égard, ils doivent assumer cette
violence pour ne pas la laisser se diffuser inconsidérément.
Mais il ne suffit pas seulement d'assumer la violence, il faut l'assumer avec célérité.
C'est bien à un combat difficile et fulgurant que le verbe "arracher" choisi par Danton
donne en spectacle prospectif. Il s'agit de ne plus laisser de temps au temps.
Dans le procès verbal des événements du 9 septembre 1792 à Versailles, le portrait du
maire est dressé dans l’événement : “ Il veut parler, les sanglots étouffent sa voix, (…)
il voit le massacre, il perd connaissance, on le transporte dans une maison, il reprend
ses sens, il veut sortir, il est retenu, il dit que s’il est des hommes, qui se déshonorent, il
veut mourir pour la loi. C’est en vain lui dit-on que vous voulez les sauver, il n’est plus
temps. [101] ”. Ce “ Il n’est plus temps ” est comme un miroir du leitmotiv du régime
de temporalité propre à la Terreur et au salut public : “ Il est temps ” de l'adresse
rédigée par Hébert et Royer et de tous les grands rapports des Comités de sûreté
générale et de Salut public. La notation pourrait paraître anodine, elle ne l’est pas. Le
temps révolutionnaire de la Terreur est celui où l’on ne peut pas s’autoriser à prendre
le temps des longs débats et des retournements politiques lents et laborieux [102] . Le
régime de temporalité inauguré par la Terreur est celui de la médiation immédiate. Il
faut canaliser les émotions, les traduire, les formaliser sans attendre. “ Que le glaive de
la loi, planant avec une rapidité terrible [103] sur la tête des conspirateurs, frappe de
terreur leurs complices ” demandait Robespierre le 12 août 1792.
Cependant le temps des remaniements symboliques engagés dans un cycle de
vengeance ne ressort pas de cette temporalité, mais bien plutôt d'une conjoncture
sociale vindicative qui se déploie, s'argumente et doit enfin faire "rentrer la révolution
dans l'état civil", "la faire entrer dans les mœurs".
Les grands rapports de l’an II ne cessent de marteler cette volonté de fonder des
valeurs : bonheur, égalité, justice. On sait également que l’exercice de la vengeance
peut conduire à effacer ces mêmes valeurs en présentant des actes qui leur seraient trop
contraires. C’est pourquoi l’exercice de la Terreur ne peut être dissocié de la “ morale
en action ”. La dynamique de la Terreur ne fait pas agir la politique contre la morale,
mais une politique indissociable de la morale à faire advenir [104] . “ Puisque l’âme de
la République est la vertu, l’égalité et que votre but est de fonder, consolider la
république, il s’ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de
rapporter toutes vos opérations au maintien de l’égalité et au développement de la
vertu. Avec la vertu et l’égalité, vous avez donc une boussole qui peut vous diriger au
milieu des orages de toutes les passions, et du tourbillon des intrigues qui vous
environnent ” [105] déclare Robespierre aux Conventionnels.
Or si “ l’institution de la vengeance évite le déchaînement aveugle de la violence, et
met en place des valeurs éthiques socialement fondatrices (…) dès lors qu’elle existe,
elle exige de ses membres qu’ils effectuent des choix cruciaux, vis-à-vis des morts
comme des vivants, qu’ils s’engagent par rapport à ces valeurs [106] ”. On pourrait
dire que c’est pour cette raison qu’il faut que la douleur d’avoir assisté à des
massacres, qui blessent effectivement la sensibilité du temps marquée par la volonté de
ne plus faire du corps humain le lieu où s’exprime le registre symbolique, doit avoir un
terme selon l’expression de Robespierre. Bien que plongés dans l’affliction face aux
effets de la vengeance des lois, les révolutionnaires sont tout de même appelés à
choisir leur camp.
La Terreur met alors en conflit deux sentiments d’humanité. Celui où il faut sauver
des corps indistincts, amis, ennemis, complices, traîtres, esclaves, pour ne pas blesser
son sentiment naturel d'humanité déjà attaché avant tout à la vie comme telle de
chaque être humain, et celui où il faut sauver le sens que l’on souhaite donner à la vie,
le bien vivre commun. L’émotion à l’égard des humains en vie apparaît alors
contrainte par celle qui surgit du risque de voir sombrer ou détruire, non pas des corps
humains, non pas des vies nues, mais ce qui constituerait le fondement de leur
humanité, c’est-à-dire leur liberté réciproque.
En situation, les révolutionnaires vivent ce conflit des sentiments d’humanité et c’est la
manière dont ils le suspendent qui détermine leur camp politique. Nous avons déjà
évoqué Robespierre le 28 décembre à propos du roi, il décrit ce conflit avec une
extrême clarté : “ j’ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine en présence
du coupable humilié devant la puissance souveraine.(…)je pourrais même ajouter que
je partage avec le plus faible d’entre nous, toutes les affections particulières qui
peuvent l’intéresser au sort de l’accusé, (…) la haine des tyrans et l’amour de
l’humanité ont une source commune dans le cœur de l’homme juste [107] ”. C’est
ainsi au nom de l’humanité et pour lutter contre ses affections particulières, qu’il
devient impératif de contraindre son premier sentiment d’humanité. En l’an II,
lorsqu’il s’agit d’affirmer aux Jacobins, la haine politique de l’Anglais complice de son
gouvernement [108] , on retrouve ce conflit : “En qualité de Français, de représentant
du peuple, je déclare que je hais le peuple anglais(…) je ne m’intéresse aux Anglais
qu’en qualité d’homme ; alors j’avoue que j’éprouve quelque peine à en voir un si
grand nombre soumis à des scélérats(…). Cette peine chez moi est si grande que
j’avoue que c’est dans la haine de son gouvernement que j’ai puisé celle que je porte à
ce peuple [109] ”. Le sentiment d'humanité politique, qui est aussi l’exercice du
jugement souverain pour l’universalité des citoyens, doit primer en chacun sur le
sentiment d’humanité naturelle. De fait c’est ce sentiment politique qui construit la
frontière entre amis et ennemis et rend lisible la question de la vengeance.
Dès novembre 1792, Robespierre lorsqu’il répondait à Jean-Baptiste Louvet,
reconnaissait donc la valeur du sentiment d’humanité mais affirmait que dans un tel
contexte de vengeance des lois, on ne pouvait plus s’autoriser à être affligé par ce qu’il
advient du corps de l’ennemi. Il redessinait donc le camp des amis à venger contre
l’indifférenciation produite par le sentiment d’humanité autour de toutes les victimes.
Paraphrasant la Marseillaise, il plaide pour un sentiment d’humanité révolutionnaire.
“ Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille
patriotes immolés par la tyrannie, pleurez nos citoyens expirant sous leurs toits
embrasés, et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères.
N’avez-vous pas aussi des frères des enfants, des épouses à venger ? La famille des
législateurs français, c’est la patrie ; c’est le genre humain tout entier, moins les tyrans
et leurs complices [110] . Pleurez, pleurez donc l’humanité abattue sous leur joug
odieux. Mais consolez vous si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez
assurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde, consolez vous si vous
voulez rappeler sur la terre l’égalité et la justice exilées et tarir, par des lois justes, la
source des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presque
exclusivement pour les ennemis de la liberté m’est suspecte. [111] ”
Ainsi, il s’agit bien de vengeance et de la nécessité de choisir son camp pour fonder
des valeurs : bonheur, égalité, justice.
C’est pourquoi “ il faut vouloir la Terreur comme on veut la liberté ”, elle est toujours
un effort, une contrainte sur soi, sur ses sentiments privés, sur ces affections
naturelles. Le partage du sensible [112] qui s’organise alors est aussi en fait, un
partage politique. Dès l'été 1792 la notion de sensibilité et la qualité de l'homme
sensible ne sont plus des notions politiquement neutres. Les situations susceptibles
d'émouvoir divisent l'espace politique.
L’exercice difficile de la Terreur sera donc de tracer les limites effectives du camp
politique légitime dans un corps social où s’étend la pratique de la suspicion et
l’impératif de la transparence. C’est une autre histoire qui s’ouvre et une autre
économie émotive : celle où l’ouverture du cycle de vengeance instituée a été obtenue
et où il faut l’agir sans détruire le corps social. On peut considérer que cette deuxième
période effectivement fondatrice des valeurs républicaines [113] est celle du
gouvernement révolutionnaire [114] . C’est d’ailleurs dans les grands rapports
prononcés au nom du Comité de salut public que les problèmes posés par l’effectuation
d’une politique de terreur, sont exposés.
Ainsi le 5 nivôse an II “ Qui tracera la ligne de démarcation entre tous les excès
contraires ? L’amour de la patrie et de la vérité. Les rois et les fripons chercheront
toujours à l’effacer, ils ne veulent point avoir affaire avec la raison ni avec la vérité.
[115] ” déclare Robespierre. Mais c’est là un pari politique qu’il approfondit encore le
17 pluviôse an II : “ nous avons été plutôt guidés dans des circonstances si orageuses
par l’amour du bien et par le sentiment des besoins de la patrie que par une théorie
exacte et des règles précises de conduite ” [116] . Robespierre, met alors en évidence
l’importance du décisif en politique mais décisif qui doit reposer sur une intuition
normative, celle du bien ou encore ailleurs, celle de la “ vertu ”.
La notion de raison n’est pas alors opposée au registre des émotions, mais lui fait écho.
L’amour de la patrie fonde la raison. Les deux notions sont ainsi associées et
constituent un étayage réciproque. La vengeance ne peut fonder les valeurs
républicaines qu’en s’appuyant ainsi sur un sentiment moral posé comme hypothèse
nécessaire : “ l’amour de la patrie et de la vérité ”. On est ainsi avec la Terreur comme
effectuation politique de la vengeance des lois et du peuple, face à un paradigme
politique qui met le sentiment en position fondatrice et non pas la raison ou le
raisonnement. On comprend alors pourquoi Robespierre comme Saint-Just craignent
que l’effet d’apaisement de la Terreur ne produise, in fine, un effet d’apathie, où le
désir ardent d’exercer sa souveraineté et d’être vertueux au sens où l’entendait
Montesquieu deviendrait défaillant. “ S’il fallait choisir entre un excès de ferveur
patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas
à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus
de ressources qu’un cadavre. Gardons-nous de tuer le patriotisme en voulant le guérir.
Le patriotisme est ardent par nature, qui peut aimer froidement la patrie ? [117] ” .
La vengeance du peuple est toujours “ terrible ” et constitue un risque majeur. Le
retournement de l’effroi peut à son tour devenir dissolvant pour le lien social et
politique. Les limites culturelles assignées, c’est-à-dire un savoir disponible sur les
dangers de la fureur, et le principe des secours réciproques, peuvent ne pas réussir à
contenir la violence qui s’y déploie. La vengeance pourrait devenir anarchique [118] ,
furieuse. Un des enejux essentiels consistera précisément à distinguer ce carnage du
sang de l’exception souveraine, fondatrice du politique, car à l'inverse, il est le sang
produit par la dissolution du politique. Une telle dissolution viendrait justement d'une
confusion entre ressorts émotifs privés et ressorts émotifs publics. Dès la création du
tribunal révolutionnaire ou de l'application de la loi des supects, des députations de
section déplorent que " certains membres malveillants des comités révolutionnaires
profitent de leur pouvoir pour satisfaire leur vengences particulières". [119] Le
citoyen Phulpin, juge de paix de la section des Arcis, imprima un “avis à ses frêres
composant les comités révolutionnaires et à tous les républicains” où il déclarait
“c'est en ce moment qu'il faut faire trembler les ennemis du bien public, et arrêter tous
leurs complots. C'est en ce moment qu'il faut les forcer à nous laisser libres; mais aussi
il faut renoncer dans nos opérations à nos vengeances particulières.” [120] La
vengeance que nous avons rencontrée tout au long de ce trajet est publique au sens où
elle engage le bien commun de la république, le salut public et non le salut privé.
“Vengeance populaire”, “vengeance des lois”, “juste vengeance”, “vengeance
nationale”, “vengeance du peuple”, le réseau des qualifications du terme " vengeance"
exprime l'articulation opérée par les lois entre la république et le peuple. La nation, le
peuple et les lois, sont les figures d'universalité, ce qu'il convient de faire advenir.
L'opposition entre justice pénale qui vise autant l'intérêt privé que l'intérêt public, et
justice révolutionnaire qui a pour devoir de ne se soucier que de l'intérêt public est un
leitmotiv du rapport de Couthon sur la loi de prairial : “On a semblé se piqué d'être
juste envers les particuliers sans se mettre beaucoup en peine de l'être envers la
République, comme si les tribunaux destinés à punir ses ennemis avaient été institués
pour l'intérêt des conspirateurs et non pour le salut de la patrie. (…) Les délits
ordinaires ne blessent directement que les individus, et indirectement la société entière
(…) Les crimes des conspirateurs au contraire, menacent directement l'existence de la
Société ou sa liberté; ce qui est la même chose. La vie des scélérats est ici mise en
balance avec celle du peuple. ” [121] Il n'empêche que jusqu'à aujourd'hui, cette loi du
22 prairial an II est restée une énigme. L'analyse de la terreur en termes de vengeance
publique permet peut-être de la lever en partie.
En effet, “l'esprit de ventôse était d'opérer le tri des suspects et leur répartition en deux
catégories, les patriotes injustement détenus et les ennemis de la Révolution détenus
dans les prisons, la peine alors retenue était la détention jusqu'à la paix, puis le
bannissement, non la mort” [122] . En prairial la seule peine retenue est la mort et la
règle des jugements est la conscience du juge éclairée par l'amour de la justice et de la
patrie (…). Or le décret du 27 germinal an II proposait de créer deux commissions
parlementaires "l'une chargée de rédiger en un code succinct et complet les lois qui ont
été rendues jusqu'à ce jour, en supprimant celle qui sont devenues confuses, l'autre
chargée de rédiger un corps d'instruction civile propre à conserver les mœurs et l'esprit
de la liberté" [123] . La première commission prépare la loi du 22 prairial, la seconde
un projet d'institutions civiles. Or ces deux projets viennent clôturer le cycle de
vengeance.
En effet si les décrets de ventôse construisaient les deux groupes vindicatoires,
remettaient à la paix future la possibilité d'y voir clair et l'application de la peine, la loi
de prairial semble affirmer qu'il n'y a plus lieu de maintenir cette logique de division
sociale et de suspension de la contre-offense réciproque. Ce faisant la justice
révolutionnaire n'obéit plus aux règles de la vengeance mais bien à celle de la guerre
où la distance avec l'autre n'est plus celle de l'adversité mais celle de l'hostilité. Cette
bascule est une manière de sortir de la vengeance, elle affirme que désormais, ceux qui
peuplent encore les prisons sont des ennemis irréconciliables, ils n'adopteront pas ou
plus les valeurs révolutionnaires. Ici encore il faut entendre au pied de la lettre des
énoncés tels que la “ révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ”. On
retrouve alors la logique défendue par Robespierre et par Saint-Just lors du procès de
Louis XVI, qui relevait d'après eux du droit de la guerre. Louis devait être traité en
étranger et non en citoyen. “La vengeance cesse de jouer le rôle de régulation de la
violence lorsque transformant l'adversaire en ennemi, elle dégénère en guerre et
conduit à son anéantissement.” [124] Logiques vindicatoires et logique de guerre ont
certes coexisté en particulier à l'égard des Conventionnels qui incarnant le "tout" de la
société divisée, sont exposés à la plus grande sévérité. Lorsqu'ils ne répondent pas des
valeurs à fonder, ils basculent dans ce contexte du côté des ennemis [125] ; mais ce qui
de notre point de vue importe c'est qu'on ait ouvert puis refermé le cycle de la
vengeance et que toutes les pratiques de contrôle de la violence dans la période de la
terreur ne soient pas la répétition de la mort du roi, de précipices en précipices [126] .
L'étirement dans le temps de ce cycle de la vengeance n'obéit pas aux seules
circonstances mais répond aux possibilités structurelles de mettre un terme aux
dynamiques d'affrontement. Si les groupes vindicatoires ne sont pas équivalents, la
vengeance doit se transformer en prise de pouvoir définitif. Sortir de la vengeance
c'est finalement déclarer que la souveraineté populaire est fondée. Cela ne veut pas dire
pour autant qu'elle en rencontrera plus d'ennemis irréconciliables, cela ne veut pas dire
que le tribunal de prairial prétend en finir une fois pour toutes avec ce genre d'ennemi.
Tel les Amalécites de l'Ancien testament qui barrent l'accès à la loi divine et sont voués
par dieu à être anéantis, ils peuvent toujours réapparaître, et c'est pourquoi la clémence
est condamnable [127] .Y-a-t-il lieu de parler ici de sentiment d'humanité ? La pure
logique guerrière semble en fait l'exclure, mais de fait la guerre maintient le dilemme
entre sentiment d'humanité naturel et nécessité du sentiment politique du devoir faire la
guerre pour sauver un projet ou une conception des rapports sociaux.
Quant aux institutions civiles elles sont l'autre manière de sortir de la vengeance et de
la division, puisqu'elles sont les moyens de maintenir l'unité sociale retrouvée, l'unité
des Français patriotes.
Certes, on peut se demander dans un constat tragique si les révolutionnaires ont réussi
à mener à bien l’effectuation de la politique de Terreur, se demander si les principes
forts de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 [128] ont vraiment
été fondés. Mais c’est là une autre histoire et une autre déploration.
“Le Français moyen de 1889 pouvait aisément préférer la Révolution à la Réaction
mais son arrière petit fils de 1989, en tant qu'homme à peu près à son aise, civilisé,
humanisé, ayant peur des coups, oubliant de penser que c'est grâce à la victoire
nécessairement violente des hommes de 1789 et 1793, qu'il peut aujourd'hui jouir du
luxe d'être antiviolent, l'arrière petit fils donc, notre concitoyen, préfère la Réforme à la
Révolution. ” [129] On ne saurait mieux exprimer l'écart des sensibilités politiques de
la révolution à son centenaire, de son centenaire à son bicentenaire. Il y va à la fois des
seuils déplacés de la violence tolérable pensée comme telle et des couples d'antinomie
politique qui paraissent pertinents. Sans doute l'étrangeté de la période de la terreur
est-elle allée croissante dans ce double déplacement. Sans doute la part d'effroi, de
dégoût et d'ardeur qu'elle recèle reste présente. "Le gouffre de la Terreur ", n'est jamais
complètement refermé tant cette rencontre improbable entre la politique et le sacré
demeure de fait fascinante et inquiétante. C'est sous le terme d'enthousiasme
qu'Emmanuel Kant commente cette expérience : “Peu importe si la révolution d'un
peuple plein d'esprit, que nous avons vu s'effectuer de nos jours, réussit ou échoue, peu
importe si elle accumule misères et atrocités au point qu'un homme sensé qui la
referait avec l'espoir de la mener à bien ne se résoudrait jamais néanmoins à tenter
l'expérience à ce prix, cette révolution dis-je, trouve quand même dans les esprits de
tous les spectateurs (qui ne sont pas eux même engagés dans ce jeu) une sympathie
d'aspiration qui frise le véritable enthousiasme et dont la manifestation même
comportait un danger; cette sympathie par conséquent ne peut avoir d'autre cause
qu'une disposition morale du genre humain. ” [130] Cette disposition morale est ce que
les révolutionnaires appellent le sentiment d'humanité. L'expérience de la révolution
selon Kant ne serait pas la perte du sentiment d'humanité, bien au contraire il en serait
le signe. “Citoyens, par quelle illusion vous persuaderait-on que vous êtes inhumains?
Votre tribunal révolutionnaire a fait périr trois cents scélérats depuis un an : et
l'inquisition d'Espagne n'en a-t-elle pas fait plus ? et pour quelle cause, grand Dieu! Et
les tribunaux d'Angleterre n'ont-ils égorgés personne cette année? (…) et les cachots
d'Allemagne où le peuple est enterré, on ne vous en parle point! ” [131] s'exclamait
Saint Just le 8 ventôse an II. Quel est donc ce prix de la terreur ?
On pourrait répondre classiquement que les deux mois qui séparent le 22 prairial an II
du 9 thermidor an II ont vu périr 1376 personnes sur l'échafaud. Aussi brutales aient
été les mesures expéditives des fournées du tribunal révolutionnaire d'alors, nous ne
pensons pas que ce soit là le seul "prix" de la terreur ou de la révolution.
Ce prix ce serait aussi pour nous, celui si coûteux qu'il y aurait à fréquenter
historiquement cette bordure politique du sacré. L'effroi, le dégoût, la terreur et
l'enthousiasme sont les émotions qui désignent l'expérience de cette bordure, là où la
révolution et ses acteurs peuvent sombrer dans le néant, là où la violence faite au corps
de l'ennemi a partie liée avec une vengeance fondatrice et la souveraineté populaire.
“La terreur! la terreur! Quel dommage qu'on l'ait rendue nécessaire”. Taine cite ainsi
Duport, un homme du côté gauche en 1789, puis fait remonter la terreur aux journées
de 5 et 6 octobre 1789 lorsque les femmes obtiennent du roi effrayé, la ratification
refusée depuis un mois au bas de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Si
comme le souligne Jean-Pierre Faye “la validité des droits de l'homme daterait du
"premier" jour de la Terreur” [132] , quel est ce dommage évoqué par Duport et qui en
est responsable ?
S'il y a dommage, c'est également du côté du défaut de traduction de ces émotions
dissolvantes ou exaltantes. La terreur ressurgit et redevient nécessaire chaque fois que
les représentants du peuple souverain refusent de traduire sa volonté subjective,
douloureuse, inquiète mais décidée. A chaque fois le peuple est conduit à "reprendre le
glaive de la loi", à faire l'expérience du sang versé de la vengeance publique qui est
aussi vengeance fondatrice. C'est pour cette raison qu'une analyse en terme d'économie
émotive donne une épaisseur nouvelle à l'énigme de la terreur, une économie qui a ses
règles et ses effets récurrents mais des effets qui ne sont jamais inéluctables. L'effroi
suppose d'être pris en charge socialement et politiquement pour ne pas conduire à la
dissolution du lien social et politique mais, cette prise en charge s'effectue le 20 juin
1789 dans le cadre des Etats généraux, le serment du jeu de Paume annonce
l'assemblée constituante. L'effroi aurait pu être aussi pris en charge le 20 juin 1792,
dans le cadre de l'Assemblée législative pourvu qu'elle ait accepté de redevenir
constituante comme l'avaient fait les Etats généraux, et d'en finir avec la fiction de la
citoyenneté passive. Le peuple de Paris ne choisit pas au hasard cette date anniversaire.
A de multiples reprises depuis le 20 juin 1792, le peuple demande que ses émotions
soient traduites en lois ou reconnues dans le cadre de la loi. Mais l'écart ne fait que se
creuser entre l'instance productrice d'émotions sacrées et l'instance traductrice de ces
émotions. Les médiations symboliques construites patiemment dans l'élaboration
révolutionnaire sont négligées par ceux qui en sont les gardiens. Cette rupture des liens
sacrés constitue le dommage. En 1793 la demande de loi est devenue explicitement
demande de terreur et plus explicitement encore de vengeance sacrée, “plus sacrée que
l'insurrection”. L'efficacité protectrice des médiations symboliques qui s'inventent
alors sont aussi fragiles que la révolution elle même et le lien social qu'elle instaure.
L'affrontement entre groupes sociaux vindicatoires pourrait conduire à la dissolution
du projet révolutionnaire. Les Conventionnels sont censés protéger le peuple de la
brûlure du geste sacré en le concentrant dans la Convention, ses comités et le tribunal
révolutionnaire. Mais nul n'est vraiment à l'abri d'une transaction sacrée où la
fondation des valeurs valent la mort des hommes, où il faut s'engager corps et âme, où
chacun peut périr d'effroi, ou être gagné par le dégoût.
Là est à notre sens le prix oublié de la révolution, le prix enfoui de la terreur, prix
indissociablement éthique et politique [133] . Dans l'inconfort, le risque et le pari.
Sophie Wahnich, octobre 2001.
[1] Victor Hugo, Quatrevingt-treize, Éditions Jean-Claude Lattès, Paris, 1988, p. 517.
[2] C’est le point de vue qui domine aujourd’hui et celui adopté par Patrice Gueniffey
dans son essai , La politique de la Terreur, essai sur la violence révolutionnaire,
1789-1794, Paris, Fayard, 2000.
[3] On pourrait en effet interpréter ainsi le choix par exemple de Françoise Brunel de
présenter son travail sur le projet politique de l’an II sous la forme paradoxale d’un
texte de Billaud-Varenne datant de l’an III, complètement annoté. Les cent trois pages
de notes laissent d’ailleurs souvent en suspens l’interprétation définitive, et proposent
en fait de fournir les outils pour que le lecteur, à son tour, tente ce travail impossible.
Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du systême social, Introduction et notes par
Françoise Brunel, Publications de la Sorbonne, Paris, 1992.
[4] Robespierre, 28 décembre 1792, Archives parlementaires, t.56, p. 16.
[5] Claude Lefort, “ La Terreur révolutionnaire ”, Passé/Présent, 1983, p. 25.
[6] Nous empruntons cette interrogation à Adolphe Jensen, Mythes et coutumes des
peuples primitifs, Paris, 1954, pp. 206-207.
[7] L’expression est l’objet d’un article de Françoise Brunel : “ Le jacobinisme, un
“ rigorisme de la vertu ? ”, “ Puritanisme ” et Révolution ” in Mélanges Michel
Vovelle. Sur la Révolution approches plurielles, Paris, Société des Études
Robespierristes, 1997, pp. 271-280, où elle critique entre autre l’approche
psychanalytique de Jacques André, La révolution fratricide. Essai de psychanalyse du
lien social, Paris, P.U.F 1993.
[8] Il s’agit bien en effet de retrouver et de relégitimer l’objet qui avait été
particulièrement travaillé par Colin Lucas dans son intervention au colloque de
Stanford sur la Terreur “ Revolutionnary Violence, the People and the Terror ”, The
French Revolution and the Creation of modern political culture, Vol 4, The Terror,
Edited by Keith Michael Baker, Pergamon Press, 1994, pp. 57-80.
[9] Article “ Terreur ” rédigé par Claude Mazauric, Dictionnaire historique de la
Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 1024.
[10] On consultera en particulier, Marc Abélès, Henri-Pierre Jeudy, Anthropologie du
politique, Armand Colin, Paris, 1997. Dans l’introduction, les auteurs affirment “ Au
fond , l’anthropologie peut fort bien se dispenser de la notion même de modernité ”. p.
17.
[11] Françoise Brunel, “ Le jacobinisme, un “ rigorisme de la vertu ?”, “puritanisme”
et révolution ” in Mélanges offerts à Michel Vovelle, Sur la Révolution, approches
plurielles, op. cit.
[12] Michel Vovelle, en particulier dans La mentalité révolutionnaire, Société et
mentalités sous la révolution française, Paris, Éditions sociales, 1985.
[13] L’expression de Mona Ozouf, mérite en effet d’être désormais travaillée aussi
d’une manière empirique, si transfert de sacralité il y a, par quels mécanismes ?
[14] Nous avons ici choisi le paradigme des émotions et non comme on aurait pu s’y
attendre pour le XVIIIème siècle, celui des passions ou des sentiments moraux. Cette
notion d’émotion n’est certes pas contemporaine mais a l’avantage de mettre en
évidence un “ surgissement ” qui selon le travail effectué par l’éthnométhodologie
articule un état du corps et un jugement. On consultera en particulier, La couleurs des
pensées, sentiments, émotions, intentions, Paris, E.H.E.S.S, coll. Raisons pratiques,
1995. Sentir et juger donc. C’est bien ce que les protagonistes de la Terreur attendent
d’un bon révolutionnaire. Écoutons Saint-Just lorsqu’il en fait le portrait le 26 germinal
an II. “L’homme révolutionnaire est intraitable aux méchants mais il est sensible, il
poursuit les coupables et défend l’innocence dans les tribunaux, il dit la vérité afin
qu’elle instruise, et non pas afin qu’elle outrage (…) sa probité n’est pas une finesse de
l’esprit mais une qualité du cœur. Honorez l’esprit mais appuyez vous sur le cœur ”,
Archives parlementaires, t. 88, p. 615.
[15] Bronislaw Baczko dans son intervention sur “ la Terreur avant la Terreur,
conditions de possibilité, logique et réalisation ” avait souligné le fait qu’en
Thermidor, comme d’ailleurs aujourd’hui dans l’historiographie, “ il n’y a pas de
consensus sur une date ou un événement qui pourrait symboliser le début de la
Terreur ” , in Keith Michael Baker ed, The Terror, op.cit., p. 22.
[16] C’est là le point de vue de Patrice Gueniffey qui affirme “ Sitôt formulée, toute
définition de la révolution s’expose à la concurrence d’autres définitions qui en
approfondiront la nature et en radicaliseront les objectifs. Là réside le moteur de la
dynamique révolutionnaire qui, d’outrance en surenchère dans la définition des fins et
le choix des moyens, conduit inexorablement, à travers un processus de radicalisation
cumulative du discours à la violence ”, La politique de la Terreur, op.cit., p. 230. Il
emprunte en particulier ce concept de radicalisation cumulative du discours à Hans
Mommsen qui le forge à propos du national-socialisme.
[17] Nous renvoyons pour cette définition de la vengeance comme institution
fondatrice au Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction de
Pierre Bonte et Michel Izard, Paris, PUF, p. 738.
[18] Selon la définition fonctionnelle qui prévaut chez Evans-Pritchard, Les Nuer,
Paris, Gallimard, 1968; Les systèmes politiques africains, Paris, PUF, 1964.
[19] La description rigoureuse de ce retournement énonciatif a été réalisée par Jacques
Guilhaumou, dans son article : “ la terreur à l’ordre du jour (juillet 1793-mars 1794) ”,
Dictionnaire des usages sociopolitiques (1770-1815),Fascicule 2, Notions concepts,
Paris, Klincksieck Inalf,1987, pp. 127-160.
[20] Mona Ozouf, “ Guerre et Terreur dans le discours révolutionnaire ”, L’école de la
France, Paris, Gallimard, 1984, pp. 109-127. On pourrait très simplement reprendre le
terme récurrent des révolutionnaires d’une terreur-vengeance, puisque l’on sait que la
vengeance comporte souvent une exigence de parité réparatrice ; ajoutons cependant
d’emblée que l’exigence peut aussi être plus absolue lorsqu’il s’agit de venger des
morts ou l’intégrité, la dignité de l’homme telle qu’instituée par une culture donnée.
[21] C’est en effet l’expression de Danton le 12 août 1793.
[22] Jacques Guilhaumou, La mort de Marat, Bruxelles, Complexe, 1989.
[23] Sur esthétique et politique, on consultera les travaux de Jacques Guilhaumou qui
mettent en relation l’esthétique kantienne et le processus révolutionnaire. En
particulier pour analyser le cas de la mort de Marat, on lira une synthèse très limpide :
“ Fragment d’une esthétique de l’événement révolutionnaire ”, Gilles Sauron, Andrej
Turowski, Sophie Wahnich, ed, L’art et le discours face à la Révolution, Dijon,
E.U.D, 1997. Et dans L’avènement des porte-parole de la république, 1789-1792,
Presses universitaires du septentrion, 1998, le chapitre portant sur “ Un changement de
souveraineté et de sensibilité ”, pp. 249-253. On consultera également Jacques
Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, Le partage du sensible, La fabrique,
Paris, 2000.
[24] Sur cette question du droit naturel, on consultera Florence Gauthier, Triomphe et
mort du droit naturel en Révolution, PUF, Paris, 1992.
[25] Arch.Nat, série C, carton 118, § 2 L 341, s.d. Creuse.
[26] Saint-Just, Œuvres complètes, édition établie par Michèle Duval, Paris, Editions
Gérard Leibovici, 1984, p.798.
[27] Saint-Just affirme ainsi “où il n’y a point de lois, il n’y a point de patrie ”. Esprit
de la Révolution et de la Constitution, 1791, Oeuvres complètes, op.cit. pp.338-339.
[28] Sur le lien entre rumeur et opinion publique populaire au XVIIIe siècle on
consultera Arlette Farge, Dire et mal dire, l'opinion publique populaire au XVIIIème
siècle, Paris, Seuil, 1992.
[29] C'est nous qui soulignons.
[30] Archives parlementaires, t. 45, p. 352. 19 juin 1792, c’est nous qui soulignons.
[31] Sur la fonction de cet énoncé on consultera Sophie Wahnich, “ De l'émotion
souveraine à l'acte de discours souverain, la patrie en danger ”, in Mélanges offerts à
Michel Vovelle, Paris, Société des Études Robespierristes, 1997. “ Produire les normes
en Révolution ”, Jacques Comaille, Laurence Dumoulin, Cécile Robert, Droit et
Société 7, la juridicisation du politique, Paris, Maison des Sciences de l’homme et
réseau européen droit et société, 2000.
[32] Le Moniteur universel, t. 17, pp. 387-388, réimpression Paris, Plon, 1947.
[33] Cette armée révolutionnaire ne se confond pas avec les armées régulières.
Accompagnée d’une “ sainte ” guillotine, elle doit donner force à la loi, lutter contre
les accapareurs, et ravitailler les armées.
[34] Le Moniteur universel, t. 17, p 526.
[35] Nous avons utilisé ici la notion de “ sacré ” sans la préciser à priori. En fait, la
définition composite qu’en donne l’anthropologie nous convient assez bien. En effet la
définition analytique de Durkheim, où ce qui est sacré est ce qui est protégé par des
interdits est pour nous fondatrice pour penser la question de la limite à franchir pour
devenir l’ennemi, ou de la limite à réinstaurer pour ne pas se laisser anéantir dans
l’illimité de l’effroi. Mais le sacré de Hubert et Mauss, c’est à dire une réalité
transcendante susceptible d’être éprouvée est également pertinente pour saisir ce que
sont les épreuves par exemple de funérailles. Lorsque cette transcendance n’est autre
que la société elle-même, et que l’opposition sacré/profane se conjugue avec
l’opposition société/ individu, que ce sacré peut prendre le nom de valeur comme chez
L. Dumont. On est alors au plus près de la question révolutionnaire où
fondamentalement le sacré est immanent.
[36] Le peuple que nous désignons ici est le groupe politique qui s'est effectivement
subjectivement affirmé comme tel dans la journée du 20 juin 1792. Dans un contexte
d'éloquence souveraine des porte parole populaires se présentent comme la "voix de la
nation", comme "le peuple français". Ce sont les sections parisiennes mais aussi les
fédérés révolutionnaires de Marseille, de Toulouse ou d'autres grandes villes
françaises, l'ensemble des acteurs révolutionnaires qui accréditent ces porte parole.
Nous avons développé cet argument dans "l'éloquence souveraine", actes du colloque
une expérience rhétorique : l'éloquence de la Révolution. 25-27 septembre 1998,
Sarrebrucken, à paraître à la Voltaire Fondation Studies. Il ne s'agit donc pas de
naturaliser le rapport peuple porte-parole, le rapport peuple / médiations constitutives
tels que les pétitions, adresses, députations. Il s'agit de prendre au sérieux le choix
politique fait par ces porte parole de parler au nom du peuple ( le tout) sous contrôle de
groupes populaires (le menu peuple). Dans l'histoire de la période révolutionnaire, faire
usage du mot peuple c'est maintenir de double sens comme tension de ce qui advient
politiquement.
[37] Patrice Gueniffey, op.cit. p. 193.
[38] Penchant si souvent décrit depuis le jugement hégélien : “ L’unique œuvre et
opération de la liberté universelle est donc la mort, et plus exactement une mort qui n’a
aucune portée intérieure, qui n’accomplie rien, car ce qui est nié c’est le point vide de
contenu, le point de Soi absolument libre. C’est ainsi la mort la plus froide et la plus
plate, sans plus de signification que de trancher une tête de chou ou d’engloutir une
gorgée d’eau. ” Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, tome II, Paris, Aubier- Montaigne,
trad Hippolyte, p. 136.
[39] Ce terme de transmutation est employé par Proust dans Le temps retrouvé pour
parler de l’opération littéraire qui “ transmute le réel ”. Il s’agit bien d’une opération
esthétique et c’est pourquoi nous la préférons ici à d’autres.
[40] Archives Parlementaires, t . 45, p. 417. Le 20 juin 1792.
[41] L’expression est bien sur de Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, op.cit. p. 135.
[42] Société des Jacobins, 19 juin 1792, Alphonse Aulard, La société des Jacobins,
Recueil de documents pour l'étude de la Société des Jacobins, t. 4, p .19.
[43] Idem.
[44] Arch nat, série C 150, L253, p.2.
[45] Adresse des Marseillais, rédaction du 6 juin 1792, lecture du 19 juin 1792,
Archives parlementaires, t.45, p. 397
[46] Archives parlementaires, t. 45, p. 417.
[47] Idem.
[48] Sophie Wahnich, “ De l'émotion souveraine à l'acte de discours souverain, la
patrie en danger ”, art.cit.
[49] Archives parlementaires, t. 45, p. 417. 20 juin 1792.
[50] Archives parlementaires, t.45, p. 397. 19 juin 1792
[51] Sur la question de la voix politique, on consultera, Michel Poizat, Vox populi, vox
dei, Métaillé ed, Paris, 2001.
[52] Sur la rhétorique du cri, on consultera Vincent Millot, "Le cri-citoyen, passions
politiques et imprimés militants, 1788-1800", Les langages de la Révolution,
Saint-Cloud, inalf, 1995.
[53] Archives parlementaires, t 45, p. 417.
[54] Cette ardeur est aussi contenue par des formes symboliques non discursives. Le 19
juin, une députation demande à être reçu en armes après avoir planté un arbre de la
liberté, elle effectue quelques pas de danse au son du tambour dans l’enceinte de
l’Assemblée. On peut parler à cet égard de rituel d’apaisement.
[55] Jean De Bry, Archives parlementaires, t. 45 p. 707.
[56] Idem.
[57] Moniteur universel, t. 17, pp. 387-388, 12 août 1793.
[58] Archives parlementaires, t.48, p. 180.
[59] Moniteur universel, t. 13, p. 443.
[60] Bernard Conein, Langage politique et mode d’affrontement, le jacobinisme et les
massacres de Septembre, thèse dactylographiée, EHESS, 1978, Sous la direction de
Robert Mandrou, p. 132. Bernard Conein emprunte ici la notion de parole malheureuse
à J. Austin, "une parole malheureuse est un acte de langage qui n’est pas authentifié
comme acte par l’auditoire et est du coup frappé de nullité". (J. Austin, Quand dire
c’est faire, Paris, le Seuil, 1970.)
[61] Selon l’expression attestée dans l’archive comme l’a montré Jacques Guilhaumou.
La langue politique et la Révolution française, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989.
[62] Le Moniteur universel, t.14, p. 428.
[63] D’après l’acte d’accusation du 20 vendémiaire an III. AD Seine et Oise, 42L58,
cité par Bernard Conein.
[64] Robespierre, "Pour le bonheur et pour la liberté", Discours, Paris, La fabrique
édition, 2000, p.277
[65] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, Raymond Verdier
ed, Paris, Editions Cujas, 1980, p.24.
[66] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, op.cit., p.16.
[67] La vengeance, études d'ethnologie, d'histoire et de philosophie, op.cit., p.19.
[68] C'est nous qui soulignons ainsi que dans les citations suivantes.
[69] 25 octobre 1792, Journal de la République française.
[70] 20 septembre 1792, Le défenseur de la Constitution.
[71] Saint-Just, 13 ventôse an II. Œuvres complètes, op.cit. p. 714.
[72] Reinhart Koselleck, le futur passé, contribution à la sémantique des temps
historiques, op.cit. “la sémantique historique des concepts antonymes asymétriques”,
pp.191-233.
[73] Convention nationale, 5 novembre 1792. Réponse à l’accusation de Jean Baptiste
Louvet. Archives Parlementaires, t. 53, p. 162.
[74] Sur cette question on pourra lire Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le
savant et le populaire, Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature,
Paris, Gallimard- Seuil, Coll Hautes études, 1989.
[75] Nous parlons de démarche compréhensive au sens où l'entendait Max Weber :
"l'activité spécifiquement importante pour la sociologie consiste en particulier en un
comportement qui 1) suivant le sens subjectif visé par l'agent est relatif au
comportement d'autrui, qui 2) se trouve conditionné au cours du développement par
cette relation significative et qui 3) est explicable de manière compréhensible à partir
de ce sens visé (subjectivement). Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris,
Plon, 1965, p 330.
[76] Giorgio Agamben, Homo sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil,
1997, p. 93.
[77] Giorgio Agamben, Homo sacer, op.cit. p.94.
[78] Colin Lucas, “ Revolutionnary Violence, the People and the Terror ” art.cit, p.73.
[79] Archives Parlementaire, t 45, p. 417.
[80] On peut effectivement parler de pari, car comme le dit Colin Lucas “ when the
system (of justice loses its transcendent quality (…), its essential violence is unmasked.
Here, the line between légitimate and illegitimate violence becomes simply a matter of
opinion, upon wich individuels and groups are free to deverge. ”, “ Revolutionnary
Violence, the Poeple and the Terror ” art.cit. p.61.
[81] Archives parlementaires, t.60, p. 2.
[82] Archives parlementaires, t.60, p. 3.
[83] Saint-Just, 26 germinal an II. Archives parlementaires, t. 88, p. 615.
[84] Archives parlementaires, t.60, p. 62.
[85] Archives parlementaires, t.60, p. 59
[86] Archives parlementaires, t.60, p. 61.
[87] Archives parlementaires, t.60, p. 62.
[88] Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction de Pierre
Bonte et Michel Izard, Paris, PUF, p. 738.
[89] Nous reprenons ici une distinction formulée par Paolo Viola qui distingue entre
violence politique et violence irrationnelle qui affirme que les pointes de violence
extrême en Révolution sont celles "d'une violence irrationnelle, non politique, que la
révolution n'exige pas, dont elle ne profite pas, dont elle a horreur, qu'elle refoule ,
qu'elle finit par réprimer, dès que possible mais qu'elle a déclenchées parce qu'elle a
touché les équilibres inconscients et fragiles qui règlent le rapport au sacré". in
"violence révolutionnaire ou violence du peuple en révolution ?", Recherches sur la
Révolution, Paris, La découverte IHRF, 1991, p. 100. On consultera également sur la
question de la pratique de vengeance comme pratique punitive “ Il trono vuoto, la
transizione della sovranità nella rivoluzione francese. Torino,Giulio Einaudi editore
s.p.a., 1989.
[90] Archives parlementaires, t.60, p. 17.
[91] Archives parlementaires, t.60, p. 59.
[92] Archives parlementaires, t.60, p. 67.
[93] À cet égard ce que dit René Girard sur ce qui diffère ou plutôt, ne diffère pas entre
la vengeance et la justice pénale, nous paraît éclairant pour notre propos : “ Car il n’y a
dans le système pénal, aucun principe de justice qui diffère réellement du principe de
vengeance. C’est le même principe qui est à l’œuvre dans les deux cas, celui de la
réciprocité violente, de la rétribution. Ou bien ce principe est juste et la justice est déjà
présente dans la vengeance ou bien il n’y a de justice nulle part. De celui qui se fait
vengeance lui-même la langue anglaise affirme “ he takes the law into his own hands ”
il prend la loi dans ses propres mains ”. Ce qui caractérise la justice c’est finalement
son caractère public ”. La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.
[94] Sur la notion d’humanité et son appropriation pendant la révolution française on
consultera, l’article de Nicole Arnold, Dictionnaire des usages socio-politiques du
français pendant la Révolution française, Notions-pratiques, Paris, Klincksiek, 2000.
[95] La vengeance, études d'ethnologie,d'histoire et de philosophie, op.cit., p.16.
[96] D. Vidal dans l’article “ vengeance ” du Dictionnaire d’anthropologie et
d’ethnologie, il précise encore “ qu’on peut invoquer des textes tels que l’Illiade, le
Mahabharata ou l’Ancien testament pour montrer comment l’expression des valeurs
peut être constamment réitérée dans des situations narratives dominées par un contexte
de vengeance. op.cit., p. 738.
[97] “sur les principes de morale politique”, 17 pluviôse an II, Robespierre, “pour le
bonheur et pour la liberté”, discours, Paris, la fabrique-édition, p. 296.
[98] Le Moniteur, vol 20, p. 695.
[99] Danton, 10 mars 1793, Archives parlementaires, t.60, p. 63
[100] Idem
[101] Procès-verbal des événements du 9 dressé d’après le récit de monsieur le maire
et de plusieurs officiers municipaux. Mémoires sur les journées de Septembre. Cité par
Bernard Conein, op.cit., p. 133.
[102] Il avait fallu un tel retournement laborieux et plein de péripéties pour obtenir
qu’on déclare la “patrie en danger ”.
[103] C’est nous qui soulignons. Le Moniteur universel, t.17, p. 388.
[104] Cette “ morale en action ” pour que cesse les malheurs, c’est–à-dire les lois
vertueuses, précède d’ailleurs le plus souvent les grandes décisions de contrainte.
[105] [105] Archives parlementaires, t. 84, p.332.
[106] D. Vidal dans l’article “ vengeance ” du Dictionnaire d’anthropologie et
d’ethnologie, op.cit., p. 738.
[107] Archives parlementaires t. 56, p. 16.
[108] Sur ce point, on consultera, Sophie Wahnich, L’impossible citoyen, l’étranger
dans le discours de la révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, en particulier la
troisième partie, fraternité et exclusion.
[109] La société des jacobins, op.cit. t.5, p. 633.
[110] C’est nous qui soulignons.
[111] Archives parlementaires, t. 53, p. 162.
[112] Nous reprenons l’expression de Jacques Rancière, Le partage du sensible, op.cit.
[113] Elles sont constamment déployées dans les grands rapports du Comité de salut
public. Pour une analyse de ce projet politique fondateur on consultera les travaux de
Françoise Brunel.
[114] Pour mémoire, Saint-Just prononce son rapport sur le gouvernement
révolutionnaire le 10 octobre 1793 soit un mois environ après les journées des 4 et 5
septembre 1793, et le décret constitutif du gouvernement révolutionnaire sur la base du
rapport de Billaud Varenne est pris le 14 frimaire soit le 4 décembre 1793.
[115] Archives parlementaires, t. 82, p.301.
[116] Archives parlementaires, t. 84, p.330. Bronislaw Baczko semble commenter
cette phrase lorsqu’il dit que “ La Terreur n’a pas été la réalisation d’un projet
politique préconçu. ”, “ la Terreur avant la Terreur, conditions de possibilité, logique
et réalisation ”, art.cit. p. 23.
[117] Archives parlementaires, t. 82, p. 302.
[118] Sur cette qualification, on consultera le travail de Marc Deleplace, L’Anarchie de
Mably à Proudhon, Histoire d’une appropriation polémique, Fontenay, ENS Édition,
2000.
[119] Archives parlementaires t.74, pp 384-385. Sur ce point on consultera Benoit
Deshaye, Législation et Exécution des lois, mémoire de maîtrise dactylographié,
août-octobre 1793, sous la directionde Florence Gauthier, Paris VII, Jussieu, 2001,
"Les plaintes contre les comités révolutionnaires" pp. 207-213.
[120] LB 41-3393. L'avis est daté du 24ème jour du 1er mois soit du 15 octobre 1793.
Cité par Benoit Deshaye.
[121] Le Moniteur, vol 20, p. 695.
[122] Françoise Brunel, Thermidor, la chute de Robespierre, Editions Complexe,
1989, p. 64 et 70.
[123] Cité par Françoise Brunel, Thermidor, la chute de Robespierre, op.cit. p.64.
[124] Raymond Verdier, la Vengeance, vol 3, pp. 152.
[125] C'est bien sur le cas de Danton.
[126] Selon l'expression de Myriam Revault d'Alonnes, D'une mort à l'autre,
précipices de la révolution, Paris, Esprit /Seuil, 1989.
[127] Le roi Saûl qui n'obéit pas complètement à Dieu en épargnant le roi des
Amalécites qu'il fait prisonnier, y perd lui même sa royauté. Dieu ne le reconnaît plus
pour roi d'Israël.
[128] Sur le lien entre Terreur et Droits de l’homme nous renvoyons à Jean-Pierre
Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, articles “ Terreur ” et “ Violence ”,
Paris, Gallimard, 1982.
[129] Maurice Agulhon, L'image de la révolution française, Congrès mondial pour le
bicentenaire, Pergamon Press, vol IV, 1990, pp. 2389-2396.
[130] Emmanuel Kant, Le conflit des facultés, 1798, traduction d'A Philonenko.
[131] Saint-Just, œuvres complètes, op.cit. p.700.
[132] Jean-Pierre Faye, Dictionnaire politique portatif en cinq mots, op.cit.p. 106.
[133] Maurice Merleau Ponty lorsqu'il tente de penser les liens paradoxaux entre
humanisme et terreur, note qu'il est parfois “permis de sacrifier ceux qui, selon la
logique de leur situation, sont une menace et de préférer ceux qui sont une promesse
d'humanité”. Humanisme et terreur, Paris, Gallimard, coll. “Idées”,1980, p. 214.
L’EFFET “GROUPTHINK” DANS “LA REVOLUTION
ROUMAINE” (1989)
Lavinia BETEA
C’est une assertion tout à fait commune le fait qu’en 1989 les conditions de
Roumanie ont été spéciales et que le transfert du pouvoir a été réalisé d’une autre
manière que dans les autres pays de “l’ancien camp socialiste”. “Le régime Ceau_escu”
a excellé par son “nationalisme” promu et par l’entretien “du culte de la personnalité”
d’une ampleur sans égal dans l’espace européen. L’explication du phénomène réside
dans le fait que le leader communiste a détenu le pouvoir, le contrôle des médias, de la
police répressive pour une longue période de temps.
En 1965, sous prétexte de “développer la démocratie”, Ceau_escu a remplacé
l’ancien Bureau Politique par le Comité Politique Executif (le CPEX), organisme dont
la structure était élargie (79 membres) et dont les prérogatifs du pouvoir étaient, en
réalité, formels. En 1967, après avoir pris le pouvoir depuis deux ans, Ceau_escu avait
renoncé au principe de la séparation du pouvoir de parti et d’état afin de prendre la
fonction de président du Conseil d’Etat. En 1974, le leader du parti unique s’est
autoproclammé président de la Roumanie. Il était le commandant suprême de l’armée et
le dirigeant des organisations collectives et de masse à la fois. Pendant l’étape de
l’apogée du pouvoir, il a recouru à “une dictature de clan”, les fonctions les plus
importantes étant accomplies par Ceau_escu, par sa femme, par d’autres membres de la
famille et par un nombre restreint de collaborateurs fidèles.
Pendant la dernière période du régime, les mécanismes du pouvoir fonctionnaient
de sorte qu’il n’y avait aucune autre alternative de gouvernement. Ainsi, le principe de
“la rotation des cadres” suivant lequel les activistes de rang supérieur étaient remplacés
très vite d’un ressort à l’autre, empêchait l’existence d’une relation plus étroite, capable
de se cristalliser dans une forme d’opposition. Après les célèbres déclarations contre
l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968) qui ont assuré à Ceau_escu un grand prestige
international, sous prétexte d’empêcher le changement du leader par les soviétiques, on
a decidé que les élections du président soient faites par les membres du parti.
Ultérieurement, avant les derniers congrès, à la séance de chaque organisation de parti,
l’un des points sur “l’ordre du jour” était “l’approbation de la candidature” du
camarade Ceau_escu en fonction de secrétaire général du PCR. Par conséquence, les
délégués au congrès devenaient de simples messagers du mandat de quatre millions de
membres de parti qui - à l’unanimité – avaient approuve la réélection de Ceau_escu en
tant que leader suprême. Ainsi, son remplacement de la direction du parti et
implicitement du pays était devenu impossible à réaliser et il parraissait que son pouvoir
êut reçu le caractère d’étérnité.
La conséquence était que dans le processus d’écroulement des régimes
communistes d’Europe, pour que l’équipe conductrice soit changée, en Roumanie en
1989, “on a mis en scène une révolution typique”. (Karnooh, 2000)
Dans les analyses dont le sujet repose sur la révolution de Roumanie, “la seule
révolution sanglante” par rapport à celle de “vélours” des autres états communistes
d’Europe, on peut signaler les particularités du transfert du pouvoir:
1. La Roumanie est le seul pays où ait eu lieu un renversement violent et sanglant du
régime au cours duquel 1104 gens sont morts et 3352 ont été blessés.
2. On a recours à la violence non seulement avant la fuite du dictateur de Bucarest, mais
aussi après cette fuite. Le but de cette action était de créer l’impression de légitimité
dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe gouvernementale et en même temps
d’assurer, de garantir ce pouvoir par la voie des changements institutionnels et des
remplacements des élites.
3. La Roumanie est le seul pays communiste où le chef du parti et de l’état ait été
executé à la suite d’un procès représentant une rémanence des procès staliniens; la
Roumanie est le seul pays où les prérogatifs du pouvoir aient été absolus; la fonction du
chef de parti et d’état était doublée de celle de commandant suprême de l’armée.
4. Ce n’est qu’à la suite d’un renversement de la dictature idéologique
nationale-communiste que les communistes réformistes ont conquis le pouvoir.
Au niveau de la politologie et du journalisme, l’analyse du passé récent s’arrête ici.
Mais dans des termes psychologiques, les causes de la situation décrite pourraient être
expliquées par les caractéristiques du groupe de décision, le Présidium CPEX du C.C.
du P.C.R.. La structure suprême de décision et la direction de type oligarchique
instituées par Ceau_escu expliquent au niveau du rapport de décision la réalité politique
et les événements passés en décembre 1989. Lorsqu’on compare la situation de
Roumanie aux mouvements réformateurs des pays voisins, d’une part, et les prérogatifs
officiels du CPEX d’autre part, la première conclusion est celle d’un échec du groupe de
décision. Le phénomène pourrait être expliqué par “l’effet groupthink” selon la théorie
de I. Janis (1977). Conformément à cette théorie – conçue à la suite d’une étude des
relations à l’intérieur du groupe de décision et de l’efficacité des décisions adoptées –
toutes les décisions politiques qui ont représenté un fiasco dans la politique américaine
après la deuxième guerre mondiale, ont été marquées par “l’effet groupthink”, groupe
qui se caractérise par une séquence typique des faits décrits dans le schéma suivant:
Les antécédents
1.
Un niveau élevé de cohésion du groupe de décision.
2.
L isolation du groupe par des influences externes
3. Un leader puissant, autoritaire.
4. L’absence des normes / des procédures afin d’examiner les positions “pour” ou
“contre” pour des actions alternatives.
5. Le stress élevé induit par les menacements externes et la faible espérance de trouver
une meilleure solution que celle favorisée par le leader.
“
“
Le fort désir de consensus (unité totale d’opinions)
“
“
Les symptômes de “l’effet groupthink”
1. L’illusion d’invulnérabilité.
2. La conviction dans la moralité inhérente du propre groupe.
3. Les raisonnements collectives
4. La perception stéréotype du groupe adverse (l’incarnation du mal)
5. L’autocensure des douts ou des opinions contraires (différentes).
6. L’illusion de l’unanimité.
7. La pression directe sur les disidents.
8. La désignation tacite “des gardiens” idéologiques.
“
“
Les conséquences
1. L’inventaire incomplet des alternatives.
2. L’analyse incomplète des objectifs du groupe.
3. L’échec de la réévaluation des risques des éléctions préférées.
4. L’échec de la réévaluation des alternatives préférées.
5. La recherche précaire des informations pertinentes (par des experts)
6. Les distorsions sélectives dans la transformation de l’information.
7. L’échec dans le développement des plans adaptés aux circonstances.
“
“
La probabilité réduite d’un résultat de succès
Le modèle “groupthink” adopté d’après I. Janis et L. Mann (1977)
Pour sa validité en Roumanie, on retient les informations provenues des
sténogrammes publiés à l’occasion du procès de 24 membres du Présidium CPEX (
1991) et les mémoires historiques écrites par “les spectateurs engagés” (ex: les
membres CPEX, D. Popescu et P. Niculescu-Mizil, l’ancien chef de la Chancellerie du
C.C., S. Curticeanu et l’ancien chef de la section de presse du C.C, C. Mitca).
Conformément à ces sources, les antécédents de l’effet traduit en théorie réside dans les
attributions du groupe de décision et dans les relations de travail établies par le couple
Ceau_escu qui monopolisait la décision et en même temps dans le principe de “la
rotation des cadres” par lequel le dictateur et sa femme attribuaient de différentes
responsabilités à un même subordonné dans un intervale très court de temps.
Les caractéristiques de l’adoption des décisions par CPEX ont été généralisées à
tous les niveaux de décisions subordonnés (les comités départementals de parti par
lesquels la liaison avec Ceau_escu était maintenue à l’aide des téléconférences de
chaque semaine, locaux, communaux et des organisations de base). Le principe de
l’unanimité imposé dans la vie politique roumaine après l’instauration du culte de la
personnalité, les procédures de sélection et de promotion des activistes de parti,
l’adoption des décisions d’élection du leader dans le congrès du parti par les délégués
qui apportaient les mandats des organisations politiques territoriales de réconfirmation
du dirigeant, représentent de fortes tendances de l’aspiration du consensus au niveau
décisionnel et de la société. Ce fait peut aussi représenter l’explication du fait qu’en
Roumanie les mécontentements individuels n’ont pas réussi à se regrouper autour d’un
noyau unificateur. On peut aussi affirmer que c’est une situation presque similaire à
celle de la Bulgarie (où pourtant on remarque une tentative réformatrice) parce que
l’église est restée en totalité asservie au pouvoir. Les mécontentements des Roumains
ont été exprimés par ce qu’on a appelé ultérieurement “la sincérité de cuisine”
(Iakovlev, 1999).
Les faits racontés par l’ancien chef de la Chancellerie du C.C. précisaient les
relations du noyau du pouvoir (Curticeanu, 2000). Ainsi, les membres du CPEX étaient
désignés directement par le couple Ceau_escu. Leur liste lue seulement à la veille du
congrès du parti (afin d’être approuvée par les participants) était devenue une surprise
même pour les personnes nommées. Les rapports et les matériaux dont le débat et dont
l’approbation représentaient l’attribution des membres du CPEX, étaient mis à leur
disposition après l’entrée dans la salle de séance. Après un exposé synthétique des
thémes, soutenu par Ceau_escu, le leader émettait des conclusions telles: “Je doute que
vous ne soyez pas d’accord d’approuver…”). Le rapport devait être présenté ensuite au
congrès du parti et approuvé par les membres du CPEX sans qu’ils aient connu la
situation (“vous vous ennuyeriez autrement lorsque vous les écouteriez d’avance dans la
salle de séance” raisonnait Ceau_escu).
Dans l’omnipotentialité de l’idéologie représentée par le leader, les informations
et les influences sur les autres membres du groupe, informations parvenues de
l’extérieur du pays, étaient exclues. “Le contrôle technique” de ceux impliqués dans les
mécanismes décisionnels par la police politique, avait conduit – dans le déroulement des
événements du décembre 1989 – à l’information des membres du CPEX transmise
exclusivement par Ceau_escu. Les réunions du groupe décisionnel sont caractérisées
conformement à tous les témoignages, par un stress extraordinaire. L’invocation
excessive des commendements idéologiques du leader du groupe – la condition
primordiale du consensus du groupe décisionnel – conduit à la situation enregistrée dans
le sténogramme de la séance du CPEX du 17 décembre 1989.
Après l’information dénaturée de N.Ceau_escu sur les événements de Timi_oara
(“les actions ont été planifiées par l’est et par l’ouest réunis afin de détruire le
socialisme”), le couple Ceau_escu s’adresse à ceux qui avaient des responsabilités au
sein des forces d’ordre, imposant, en réalité, dans une manière militaire, le rapport de
l’exécution des ordres donnés. Finalement, le leader du groupe décide: “Nous lutterons
jusqu’au dernier et nous devons le soumettre à l’approbation parce que l’indépendance
et la souveraineté sont conquises et défendues par la lutte, parce que si en 1968 nous
n’avions pas agi ainsi, ils nous auraient envahis comme ils l’avaient fait en
Tchécoslovaquie quand les Soviétiques et les Bulgaires étaient à la frontière”.
Les effets en avalanche qui ont suivi (le discours de Ceau_escu au balcon, soutenu
dans la confusion temporelle et causale du leader sur les événements en cours, la
généralisation de la révolte, l’écroulement du régime après la fuite du couple Ceau
_escu) représentent l‘échec dû à “l’effet groupthink” ayant pour conséquence le manque
d’une alternative gouvernementale. La situation avait à l’origine des diverses causes
appelées “la télérévolution roumaine” et “l’affaire des terroristes”.
La post-évaluation des alternatives des anciens membres CPEX a supporté des
dénaturations dans l’appréciation des difficultés initiales après la découverte de la
décision correcte. Quelques-uns de ceux qui ont pris la décision se sont culpabilisés
ultérieurement pour avoir ignoré des données essentielles, facilement à observer,
culpabilité qui a généré des réactions névrotiques dépressives ou compensatoires. Ainsi,
après le procés des anciens membres du CPEX, les uns sont morts ou se sont suicidés
(N. Giosan, I. Totu); les autres ont écrit leurs mémoires par lesquelles ils essaient,
principalement, de justifier les décisions du groupe dont ils ont fait partie (D. Popescu,
P. Niculescu-Mizil, S. Curticeanu).
Bibliographie
--Curticeanu, S., M rturia unei istorii tr ite, Edit. Albatros, Bucure_ti, 2000
--Iakovlev, A.., Marcou, L.,Ce que nous voulons faire de l Union Sovietique, Edit. du
Seuil, Paris, 1999
--Janis, I., Mann, L., Decision making: A Psychological analysis of conflict, choice and
commitment, New York, Free Press, 1977
--Karnoouh, C., Comunism, postcomunism _i modernitate târzie, Edit. Polirom, Ia_i,
2000
--Mitea, C., Jurnalul unui fost în revista Totu_i iubirea, nr. 25/ iunie 1991
--Niculescu-Mizil, P., O istorie tr it , Edit. enciclopedic , Bucure_ti, 1997
--Popescu, D., Am fost _i cioplitor de himere, Edit. Expres, Bucure_ti, 1994
--Le stenogramme de la seance du Comite Politique Executif du CC du PCR du 17
decembre 1989 dans M. Bunea, Praf în ochi, Procesul celor 24-1-2, Edit. Scripta,
Bucure_ti, 1991
EPoPs
European Political Psychology Network
CONSIDERATIONS
PSYCHO-POLITIQUES SUR UNE
ACTUALITE DE CRISE
EPoPs – European Political Psychology Network
1er CYCLE DE SEMINAIRES
« QU’EST-CE QUE LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE ? »
chaque dernier lundi du mois à la MSH de janvier à juin 2003
Déroulement des séances :
A chaque séance, deux ou trois participants introduisent quelques textes de références
sur le thème retenu. L’ensemble des textes ainsi présentés sont rassemblés dans le
« volume documentaire 2003 » qui sera proposé aux membres d’EPoPs. Ensuite, à partir
des présentations introductives et des réactions qu’elles ont suscitées, l’ensemble des
participants de la séance discute de manière libre, notamment les aspects
méthodologiques et la dimension interdisciplinaire. Enfin, chaque séance est conclue
par un chercheur ou professeur confirmé qui synthétise et comment les débats. Un
compte-rendu écrit de chaque séance sera transmis aux membres d’EPoPs.
* les textes accompagnés de ce symbole existent en version française et en version
anglaise
Lundi 27 janvier :
Histoire et développements de la psychologie politique
* Barrows Susanna, Miroirs déformants : réflexions sur la foule en France à la fin du
19e siècle. Paris : Aubier, 1990, 226 p.
Dorna, Alexandre Fondements de la psychologie politique. PUF, Paris 1998. Chapitre
5 : « Les matrices nationales de la psychologie politique », pp. 81-175.
Rokeach Milton, The open and closed mind : investigations into the nature of belief
systems and personality systems. New York : Basic Books, 1960. (aspects généraux)
Avec la participation d’Alexandre Dorna
Lundi 24 février:
Regards croisés :
La dimension psychologique pour les politistes
et les phénomènes politiques pour les psychologues sociaux
Doise, Willem, et Staerklé, Christina. “From Social to Political Psychology: The
Societal Approach” in Monroe, Kristen R. (Ed.) Political Psychology. Londres :
Lawrence Erlbaum, 2002, pp. 151-172.
Marie, Jean-Louis. « Pour une approche pluridisciplinaire des modes ordinaires de
connaissance et de construction du politique » in Marie, Jean-Louis, Dujardin, Philippe.
& Balme, Richard (éds), L'ordinaire. Modes d’accès et pertinence pour les sciences
sociales et humaines. Paris : L’Harmattan, 2002 ; pp. 23-68.
Hermès, n° 5-6 (« Individus et Politique »), 1989 :
-
Moscovici, Serge, « Les thèmes d’une psychologie politique », p. 13-20.
Dorna, Alexandre, « La psychologie politique : un carrefour pluridisciplinaire »,
p. 181-199.
Avec la participation de Jean-Louis Marie (sous réserve)
Lundi 31 mars :
Regards croisés : diversité des approches
Weltman, David and Billig, Michael. “The political psychology of contemporary
anti-politics: a discursive approach to the end-of-ideology era” in Political Psychology,
22/2001; pp. 367-382.
Brubaker, R. & F. Cooper “Beyond Identity” in Theory and Society 29/2000; p. 1-47.
Jovchelovitch, S. “In Defence of Representations” in Journal for the Theory of Social
Behavour 26 (2)/1996; pp. 121-135.
Augoustinos, M. “Social Categorisation: Towards Theoretical Integration” in Deaux, K.
& Philogene, G. Representations of the Social. Bridging Theoretical Traditions.
Tom Bryder, “Political Psychology in Western Europe” in Hermann, Margaret G. (Ed.)
Political Psychology. San Francisco : Jossey-Bass, 1986; pp. 434-466.
Avec la participation de : Michel-Louis Rouquette
Lundi 28 avril
A propos des Concepts :
l’exemple des attitudes et des concepts alternatifs qui en forment la critique
Milburn, Michael A., Persuasion and Politics. The Social Psychology of Public
Opinion. Pacific-Grove : Brooks/Cole, 1991, chap. 2 : “Attitudes and Public Opinion”,
pp. 7-21
Bergman, Manfred Max, “ Social representations as the mother of all behavioural
pre-dispositions? Notes on the relations between social representations, attitudes and
values ”. Papers on Social Representations, vol. 7, 1998, p. 77-83. <<
http://www.psr.jku.at/PSR1998/7_1998Bergm.pdf >>
Eagly, A. H. and Chaiken, S., “Attitudes” in Murchinson, C. (Ed.) Handbook of Social
Psychology. Westport : Praeger, 1984, pp. 798-844.
de Rosa, Annamaria Silvana, “Social Representations and Attitudes : Problems of
Coherence between the Theoretical Definition and Procedure of Research”. Papers on
Social Representations, vol. 2, 1993, p. 178-192. <<
http://www.psr.jku.at/PSR1993/2_1993deRos.pdf >>
Lundi 26 mai .
Quelle conception du politique ?
L’exemple de l’expression des opinions
Mayer, Nonna, « La consistance des opinions. Petits exercices de démocratie
appliquée », in Grunberg G., Mayer N., Sniderman P. La démocratie a l’épreuve. Paris :
Presses de Sciences Po, 2002, p.
Noelle-Neumann, Elisabeth. The Spiral of Silence. Public Opinion – Our Social Skin.
Chicago: University of Chicago Press 1984.
George E. Marcus, W. Russell Neuman, Michael MacKuen. Affective intelligence and
political judgment. Chicago: University of Chicago Press, 2000, 199 p.
Mutz, Diana C., “The Role of Collective Opinion in Individual Judgments: Processes
end Effects”, in Impersonal Influence: How Perceptions of Mass Collectives Affect
Political Attitudes. New York: Cambridge University Press 1998, p. 218-265.
Lundi 30 juin
Bilan et perspectives :
quel avenir pour une psychologie politique européenne ?
Monroe, Kristen R. « A paradigm for Political Psychology » in Monroe, Kristen R.
(Ed.) Political Psychology. London : Lawrence Erlbaum, 2002, pp. 399-416.
CONSIDERATIONS PSYCHO-POLITIQUES
SUR UNE ACTUALITE DE CRISE
Jacqueline Barus-Michel
Chacun de diagnostiquer les crises : elles sont politiques, économiques, sociales
dit-on, alors que le propre de la crise et de s'étendre rapidement à tous les secteurs quel
que soit le point de départ apparent et de généraliser ses effets déstructurants . De ce
point de vue, la crise ouvertement déclenchée depuis le 11 septembre est d'autant plus
exemplaire qu'elle est actuelle, que nous en sommes à la fois les témoins et les parties
prenantes. Nous faisons l'expérience directe du processus critique qui se développe à
l'échelle de la planète, où les individus comme les sociétés se sentent engagés.
L'ouverture spectaculaire de la crise à dimension internationale qui nous affecte a
été signée par le retentissant coup double qui a frappé puis fracassé les Twins de New
York. On a pu dire que cet événement traumatique était lui-même la conséquence d'une
dynamique passée plus ou moins inaperçue ou à laquelle une suffisante attention n'avait
pas été portée, liée à l'accumulation de frustrations, d'humiliations, d'agressions,
ressenties depuis de longues périodes par les partenaires de ce qui aurait pu rester des
conflits et des rapports de force où la négociation avait encore son mot à dire, ou qui
pouvaient être circonscrits. Mais justement ce n'était pas encore la crise, la
caractéristique de celle-ci c'est d'éclater brusquement parce qu'un événement, parfois
mince au regard de ce qui va être engagé, opère une condensation brutale d'éléments
dispersés, jusque-là minimisés, méconnus ou refoulés.
L'événement n'est pas explicatif en soi, il n'expose rien, mais il est à la fois
symptôme et symbole. Symptôme, parce qu'il est la manifestation émotionnelle, inscrite
dans la matérialité des faits et dans la pulsion, d'un excès de l'expérience malheureuse
(imaginaire ou réelle). Symbole, parce qu'il focalise l'attention sur un signifiant, sur le
mode scandaleux : le signifiant qui participait du sacré est violé ou profané. Sacrilège,
l'événement explosif suscite de l'indignation et de la peur.
Comme l'on dit, à partir de là les choses ne seront plus ce qu'elles étaient.
L'écoulement normal du temps est interrompu, l'ordre habituel des choses est balayé.
La crise est inaugurée par un geste à valeur symbolique qui bouscule l'ordre des
signifiants. Les codes qui servaient à l'échange et à la compréhension des
comportements sont brusquement caducs. Comme si en attentant à un symbole, c'était
tout le système symbolique qui s'effondrait. Le scandale symbolique écrase la chaîne de
signifiants.
La crise s'accompagne d'une prolifération de l'imaginaire affranchi du critère de
réalité et des codages symboliques. Le choc de la réalité a été trop formidable, elle
coïncide avec la mort (de toute façon la réalité nue ne se rencontre que dans la mort, elle
est autrement toujours enrobée de représentations), le fantasme relayé par l'imaginaire
s'agite en tout sens pour pallier au vide et soutenir les émotions déchaînées. Les codages
symboliques, eux, ont été démonnayés, aucune des règles de l'échange n'est plus
momentanément sûre. Seul, se déploie l'imaginaire, avec des effets négatifs :
amplification de la représentation catastrophique, idée que tout peut arriver et surtout le
pire, rumeurs, paniques ; des effets positifs : le mythe fondateur est ravivé ainsi que
toutes les représentations idéalisantes capables de ranimer le narcissisme, rappel du
passé, récits héroïques, exemples de solidarité. L'adversaire est crédité des pires forfaits
selon le seul principe du manichéisme, autant que possible bien au-delà de ce qu'il a pu
réellement perpétrer.
Désormais on ne peut réagir que sur le mode émotionnel ou passionnel, l'amour ou
la haine et parallèlement sur un mode manichéiste : "Il faut choisir son camp", le camp
du Bien ou du Mal, de Dieu ou de Satan. Les mots n'ont plus valeur que de signaux
aptes à déclencher ces émotions et faire agir sous leur emprise. C'est pourquoi la
surenchère des images en temps de crise : le langage a perdu sa fonction dialectique.
Réflexion, dialogue et négociation sont devenus impossibles, on ne peut mettre des
mots sur son expérience ni sur celle des autres. La crise est en quelque sorte le règne du
non-sens, elle se manifeste à coups de flashs, images plus ou moins indéchiffrables mais
le plus souvent violentes, répétant le traumatisme (et ce faisant l'apprivoisant ?).
Avec le langage c'est la capacité de faire sens qui est perdue, chacun à quelque
niveau qu'il soit dans la hiérarchie de l'information et donc de la décision, à part son
indignation, laisse voir, même en s'efforçant de la masquer, son impuissance à fournir
de l'explication et de l'orientation. La sidération intellectuelle peut être masquée par les
mouvements de panique ou au contraire des élans de solidarité, elle n'en demeure pas
moins présente, ce n'est pas la cause de la difficulté à se déterminer mais l'effet de cette
désymbolisation, de la brutale caducité des signifiants usuels.
C'est d'ailleurs essentiellement sur les émotions qu'il faudra tabler pour surmonter
la crise : rituels de deuil et rassemblements unitaires (fraternels) qui cimentent ce que
les rationalités n'organisent plus. C'est pourquoi, en temps de crise, les liens présents
mais oubliés dans la quotidienneté, peuvent être ressentis avec plus de force. La
surcharge émotionnelle peut avoir inversement pour conséquence une déliaison sociale,
les structures ayant perdu leur valeur de repère et de cadre, la peur du vide domine et
engendre des réactions de fuite, les unités sociales se défont, les individus sont en mal
de contenant.
C'est aussi cette dimension émotionnelle qui anime et fortifie ceux qui provoquent
la crise. Eux-mêmes, à la suite de frustrations accumulées sont animés par la rage et la
haine, celles-ci sont renforcées au spectacle des désorganisations qu'ils occasionnent,
dans une sorte de mouvement projectif (attaque) qui fait retour (surenchère).
Le sentiment de menace est en tout cas dominant et partagé. C'est un sentiment qui
laisse incapable d'identifier son objet, ce n'est pas qu'il n'y en a pas (ce n'est pas une
peur sans objet), mais il est protéiforme : tout peut arriver et c'est forcément le pire
puisque là non plus il n'y a pas de réponse rationnelle.
La crise s'inscrit dès lors dans le registre de la violence et de la mort, le lien
libidinal (Eros, si l'on se réfère à une conception psychanalytique) est lui-même repris
dans la pulsion de mort (Thanatos). L'union ne se forge que pour ou contre la mort. La
violence s'efforce à la négation de l'autre, exclusion, élimination.
Le sentiment de menace et la confusion qui suit le traumatisme initial créent une
situation d'urgence et poussent à réagir immédiatement sur un mode concret :"Il faut
faire quelque chose, on ne peut pas en rester là". Faire quelque chose en effet c'est se
réinscrire dans de la réalité, alors que l'imaginaire sidéré reste la proie de l'angoisse et
que le symbolique fait défaut. En l'occurrence, le déblaiement des ruines et l'option de la
guerre représentent un ré-amarrage dans de la réalité, une façon de réagir et surtout
d'organiser et de conjurer le chaos.
Le statut de la réalité ne se borne pas à son irruption catastrophique exhibant sa
charge de mort, elle est ce qui avait été négligé, écarté voire dénié et refoulé (oppression
de populations résultant de l'emprise économique, politique et militaire) parce que cela
contredisait les représentations narcissiques collectives, qui fait retour et, tout le temps
de la crise, contribue à appesantir les efforts de rétablissement ou de riposte.
La catalyse critique opère une déconstruction du système de défense qui voilait les
contradictions et orientait les conduites et le sentiment de vulnérabilité est d'autant plus
grand que, face à la montée de l'angoisse liée à des menaces indéfinissables, les parades
habituelles semblent devenues obsolètes.
La société mise en crise (généralisée : morale, culturelle, économique, sanitaire…)
subit l'intrusion d'un corps étranger, ses premières réactions de rejet sont réflexes mais
souvent ce sont les seules qu'elle est capable de poursuivre par défaut de connaissance
de l'agresseur, d'autre part, la crise met dans l'urgence et l'immédiateté, et les réponses
sont difficilement élaborables autrement que sur les modes les plus traditionnels
devenus réflexes (riposte armée, bombardements). C'est spécifique de la crise de ne
paraître laisser aucune voie de résolution tellement elle a brouillé tous les réseaux de
signifiants et bloqué les antagonismes dans le système binaire de l'affirmation de soi et
du refus de l'autre.
La guerre est le prolongement de la crise par des moyens organisés, elle permet de
porter et renvoyer la crise à l'extérieur. C'est une stratégie de récupération des énergies
qui permet aussi de réinvestir la rationalité dans des moyens et dans des objectifs. La
récupération des idéaux se fait par un retour vers les valeurs qui furent pionnières, que
l'histoire semble avoir ratifiées (on invoque les vieux mythes), cela accompagne une
régression politique, signe de la crise mais présentée comme un mal nécessaire (mesures
sécuritaires, contrôles accrus, actes racistes). Les archétypes religieux ou idéologiques,
fournissent des références idéalisantes susceptibles de drainer émotions et pulsions qui
permettent aussi de supporter le climat de mort ou même de l'instrumenter par
l'émergence de héros et de martyrs.
Paradoxalement, le processus sacrificiel qui inaugure la crise y opère aussi un
effet de condensation résolutoire. Le passage à l'acte déclencheur de la crise propose
d'abord ses auteurs comme les héros sacrifiés de causes (et de souffrances) indicibles,
ceux qui ont eu le courage de manifester l'insupportable en le renvoyant en quelque
sorte au responsable présumé. Les victimes, quelles qu'elles soient, sont assimilées
(dans un amalgame symptomatique de la confusion émotionnelle) aux responsables
désignés et considérées comme expiatoires. A leur tour et dans les deux camps
antagonistes, les individus ou les populations qui volontaires ou non seront des
nouvelles victimes prendront valeur de héros et de martyrs, leur figure glorieuse
condenseront les émotions, draineront les identifications et par delà les énergies, enfin
auront un effet unificateur.
Le héros fournit de l'identité, le monstre (qui est le héros du camp adverse) fournit
un abcès de fixation pour la haine, l'un et l'autre absorbent les foules dans une même
communion.
Des deux côtés antagonistes brusquement affrontés dans la crise, se retrouvent des
mécanismes très proches, comme s'ils étaient des images inversées dans un miroir. De
part et d'autre il s'agit d'un problème d'identité, d'unité et de sens. L'une et l'autre parties
ont vu ou voient celles-ci mises en question et elles-mêmes mises en danger.
Les antagonistes développent des processus en miroir. C'est en miroir que les
problèmes d'identité résument à la fois les causes et les effets de la crise. D'un côté une
identité qui se cherche, s'éprouve comme déniée, en butte aux humiliations et aux
brimades ; l'identité est traduite en termes de dignité et dégénère en revendication de
toute-puissance. De l'autre une identité naïve lourdement entachée du fantasme de
toute-puissance, soudainement ébranlée dans ses certitudes et atteinte au cœur de sa
symbolique narcissique. Des deux côtés, en ordre inverse, perte ulcérante et
revendication possessive.
L'attentat sait bien ce qu'il vise, le fond du problème, un narcissisme politique
collectif, en même temps il l'ignore parce qu'il ne le perçoit que chez l'autre, dans le
miroir. Ce mimétisme, non des situations mais des réactions, est induit par le fait que les
représentations des parties engagées dans la crise sont déconnectées d'une réalité que la
raison ne peut plus saisir.
Ce même mimétisme pousse à la violence, se conformant aux hypothèses de René
Girard, comme si l'autre était insupportable d'être à la fois si pareil et si étranger, dans
une indistinction ravageuse : on ne peut s'en démarquer alors qu'il apparaît comme vital
de le faire. Les antagonistes sont identifiés l'un à l'autre quasi sur le mode de
l'incorporation (d'ailleurs les témoins sensément partiaux et extérieurs à la crise
prétendent discerner des connivences louches et des responsabilités réciproques), c'est à
un niveau très profond que les uns sont hantés par les autres, les intégristes par
l'hyper-modernisme, les libéraux par une orthodoxie cynique.
Au milieu de la crise, il leur faut avoir raison sans les moyens de la raison : dans la
violence. Chacun s'accuse d'avoir perpétré la violence inaugurale, l'acte le plus
spectaculaire (l'attentat) est dénié par ses auteurs qui confondent obstinément les motifs
qu'ils se donnent, leurs appuis objectifs, avec l'irruption de la haine réactive. Cette
confusion ne fait que prolonger l'identification dans une réciprocité meurtrière. Le
raisonnement différenciateur qui autoriserait une dialectique conflictuelle est
impossible. Que l'autre ne soit pas un saint (même de très loin) suffit pour être, soi,
assassin. C'est le principe du talion : la prétention entêtée à la symétrie, la réaction en
miroir qui poursuit la confusion-identification entre la victime et le meurtrier. C'est le
déni de toute justice fondée sur l'intermédiaire du débat raisonné, et l'arbitrage des
responsabilités et dommages et des réparations.
Il ne faut pas induire du phénomène mimétique ce qu'il tend à imposer : que les
torts soient systématiquement partagés ou même inversés, c'est en effet de la même
façon que le violeur prétend que sa victime l'a (bien) cherché et même provoqué (par
des attitudes aguichantes) et a trouvé son bénéfice dans l'agression. S'il peut être vrai
que son comportement faisait courir des risques conscients ou inconscients à la victime,
cela ne suffit pas à en faire la responsable de l'agression ni à la renvoyer dos à dos avec
l'agresseur.
Selon un principe de généralisation propre à la crise, celle-ci gagne de proche en
proche. Les unités sociales extérieures (sociétés alliées ou clientes) dans une plus ou
moins grande proximité, en liens de solidarité organique (économique, politique ou
culturel) ou prises à témoins, ne tardent pas à être happées dans le tourbillon critique, et
contaminées par l'inflation émotionnelle, la dégradation du symbolique. L'imaginaire de
catastrophe amplifié par l'usage des images-chocs exerce un effet de fascination et
obture le jugement, les arbitrages possibles se dérobent ainsi que les occasions de
négociation. Des crises déjà existantes par ailleurs (conflit israélo-palestinien) viennent
télescoper au risque de l'amplifier la dynamique destructrice.
On dira que c'est là une conception dure de la crise, mais ces processus sont
communs à toute crise, que les manifestations et les passages à l'acte soient ou non
exacerbés et spectaculaires, sporadiques ou généralisés. Ils sont bien présents, visibles
dans la crise ouverte par le fracas du 11 septembre et ses développements.
Essayant de contrer la dégradation du symbolique on assiste aussi et heureusement
à un travail de la parole, à travers les débats dans les journaux, les interventions
d'intellectuels, de politiques. Les instances dirigeantes sont, elles, prises au piège de la
stratégie du secret, la crise commande en effet que l'on ne livre pas d'informations aux
adversaires, la parole est recouverte par la propagande, le mensonge officialisé, ce qui
renforce la dégradation du symbolique. Les prises de parole et les débats permettent de
réamorcer la pensée et de contrebalance le choc des images. Celles-ci sont pour autant
nécessaires : elles sont une première étape pour s'extraire du fantasme et familiariser
une réalité traumatique Le débat permet, lui, une assimilation intellectuelle et la
construction de sens.
Les réalités, réalismes, finissent par user la crise. L'excès et la durée des sacrifices
puis le doute défont les blocages unitaires réactionnels au sentiment d'égarement, la
peur de la mort remet Eros en scène ou les mécanismes de défense type culpabilité,
renoncement, rationalisation.
On retourne aux négociations. On reparle, on s'en sort tant bien que mal.
On reconstruit des systèmes d'échange et de régulations internes ou entre partenaires.
On envisage des modes de co-existence dans l'avenir. L'imaginaire retourne sous
l'administration du symbolique
Novembre 2001
Jacqueline Barus-Michel
Professeur émérite de Psychologie sociale
Université Paris 7-Denis Diderot
Réf. Biblio. J.Barus-Michel, F.Giust-Desprairies, L.Ridel. Crises. Approche
psychosociale clinique. Paris, Desclée de Brouwer, 1996
LES PERSPECTIVES
DE CONTRÔLE
SOCIAL OFFERTES
PAR LE
BEHAVIORISME
Le leadership
politique en Russie –
de Gorbatchev à
Poutine (grandes
tendances)
Le terrorisme : un
sujet d’étude
scientifique ?
Le leadership politique en Russie – de Gorbatchev à Poutine (grandes
tendances)
Alexandre MELNIK
Les grandes tendances du leadership politique en Russie épousent la tumultueuse
trajectoire de ce pays, depuis le début de la « perestroika » en 1985 jusqu’à nos jours.
Du passé faisons table rase
Les réformes lancées par Mikhail Gorbatchev ont débouché sur un véritable
défoulement social. Les énergies bridées et refoulées par un régime coércitif, pendant
trois générations, ont éclaté au grand jour. Tout un peuple, qui se croyait condamné au
mutisme et à la cécité, a soudain retrouvé la parole et la vue. Les langues se sont
déliées, les yeux – entr’ouverts. Euphoriques, les Russes se sont alors lancés à la
reconquête de leur mémoire et de leur identité confisquées par le système soviétique.
Cette bourrasque a propulsé au firmament politique les leaders portant des
discours pro-occidentaux, à l’opposé de la propagande soviétique. Une nouvelle pléaide
des « enfants politiques de la perestroika » est née en phase avec son époque - celle de
la transition. Ces « têtes pensantes » du leadership post-soviétique de la première heure
ont conquis un pays qui a basculé d’un régime à l’autre, en un laps de temps
étonnamment court. Les ex-Soviétiques admiraient leur liberté de parole et leur sens de
la communication en disant que « chez nous, les politiques deviennent enfin presque
comme en Occident ».
De cette pléiade, quelques fugures emblémathiques méritent d’être
rappelées :
- Anatoli Sobtchak, le maire de Saint-Pétersbourg qui a rendu, en
1992, à sa ville son nom d’origine et dont le talent d’orateur exercé au cours des
premiers débats télévisés a enflammé ses compatriotes coutumiers de la « langue de
bois » ;
Andrei Sakharov, prix Nobel de Paix et symbole de l’intégrité ethique longtemps ignoré en son pays, avant d’y être investi d’un rôle politique ;
Vitali Korotich, rédacteur en chef de la revue « Ogoniok » ayant ouvert ses
colonnes à des auteurs russes en exil, interdits ou inconnus dans leurs pays (Vladimir
Voinovitch, Vassili Aksenov, Anatoli Gladiline), un acte de courage qui en a fait un
leader politique populaire ;
-
historien Iouri Afanassiev qui a eu la primeur d’avoir dénoncé les crimes de
Lenine alors que Mikhail Gorbatchev réclamait un « retour aux sources leninistes » du
système soviétique ;
-
physicien Iouri Rijov qui, après avoir séduit par ses doctrines libertaires un
Boris Eltsine, en pleine traversée de désert en 1988, a préféré le poste d’ambassadeur de
Russie à Paris à celui de Premier ministre de la Russie post-soviétique ;
Gavriil Popov, un intellectuel parachuté au poste de maire de Moscou, au
lendemain de la chute du système soviétique, pour piloter les privatisations de la
capitale ;
Serguei Stankevitch – jeune, dynamique, rigoureux, « occidentalisé », il semblait
incarner l’avenir de nouvelles élites politiques, avant de sombrer dans un scandale
financier dont il ne s’est jamais remis ;
Egor Gaïdar – ex-chercheur économiste et Premier ministre « kamikaze », qui, à
l’âge de 36 ans, a osé une « thérapie de choc » (brutale introduction de l’économie de
marché, libération des prix, privatisations, ouverture des frontières) dans une Russie
déboussolée en 1992 ;
Anatoli Tchoubais – le « père » du programme de privatisations, à l’envergure
sans précédent dans l’Histoire, de combinats militaro-industriels de l’ex-URSS ;
Piotr Aven qui, fort de son portefeuille ministériel, a cassé, en 1992, le sacré-saint
« monopole d’Etat » sur le commerce extérieur de son pays, en ouvrant ainsi à
l’international des miriades de futures PME (actuellement, il est le patron du groupe
financier Alpha)
Autant de figures de proue du nouveau leadership russe qui avaient en commun un
profil intellectuel, voire universitaire, leur penchant pour une ouverture de la Russie sur
le monde extérieur et, surtout, leur attachement aux valeurs occidentales. Hors de
l’Occident, point de salut pour la Russie, proclamaient-ils en prenant parti dans la
sempiternelle polémique entre « occidentalistes » et « slavophiles » qui transcende toute
l’histoire de la Russie. Selon eux, leur pays ne saurait se reconstruire et se moderniser
que selon un modèle occidenal avec ses ingrédients clés : Etat de droit, économie de
marché, liberté d’expression, société civile, etc.
A l’époque, l’opinion publique russe, lasse du soviétisme avec son cortège de
pénuries et de restrictions, était globalement favorable à ces « occidentalistes », sans
toutefois comprendre et intérioriser leur message à cause de sa totale ignorance du
modèle occidental dont se réclamait le nouveau leadership.
Ce fut l’effet d’un fruit longtemps défendu et brusquement autorisé, même
« déifié », devenant ainsi l’objet de toutes les convoitises. Du passé faisons table rase –
voilà ce qui guidait, au début des années 90, les Russes qui, au sortir d’une « anomalie
historique », aspiraient à une seule chose - la « vie normale ». Les termes « norme » et
« normalité », sommairement identifiés au mode de vie occidental, dominaient, à
l’époque, le débat intellectuel dans le pays.
Avec le recul, on note que cette adhésion de défoulement portait en germe les
futurs déchirements identitaires de la jeune société russe.
Une nouvelle identité russe
En effet, l’univers dans lequel les Russes ont été projetés après la chute
l’Etat-providence, leur a réservé bien des surprises. L’irruption du système capitaliste
avec ses implacables lois du marché et de la concurrence a nourri une nostalgie du
passé. A cet égard, les derniers sondages sont éloquents : en 2002, six Russes sur dix
disaient regretter l’époque soviétique ! Non celle du Goulag et des files d’attente pour
les produits de première nécessité, mais celle de certains avantages sociaux paraissant
aujourd’hui astronomiquement lointains : absence de chômage, gratuité des soins
médicaux et de l’éducation, aspect familial et convivial des années 60-70. Désabusés,
les Russes plaisantent aujourd’hui en disant que « ceux qui ne regrettent pas l’URSS
n’ont pas de cœur, mais ceux qui veulent la restaurer n’ont pas de cerveau ».
Parallèlement, une nouvelle soif de puissance remonte dans un pays-continent trop
fier pour digérer la perte de son statut international et celle de ses anciens territoires
devenus indépendants après 1991. Une question, aussi pertinente que vaine, taraude les
Russes : pourquoi avons-nous cédé, d’un trait de plume, tant d’espace que nos tsars,
puis nos dirigeants communistes avaient conquis, au fil des siècles, par le fer et par le
feu ? La perspective de voir l’OTAN (diabolisée par la propagande soviétique)
s’installer à ses frontières, l’adhésion à l’Union européenne d’anciens satellites de
l’ex-URSS, l’image internationale de la Russie souvent réduite à une caricature de la
mafia, de la corruption et de la misère – autant de nouveaux avatars qui sont vécus par
les Russes, jusque dans les milieux intellectuels en principe pro-occidentaux, comme
une «gifle humiliante » ou une source de souffrance (un tel phénomène est d’ailleurs
connu en médecine sous le nom du « membre fantôme », à savoir une sentation
douloureuse qu’éprouve un sujet à l’endroit d’un membre amputé comme si ce dernier
était encore présent). En d’autres termes, il s’agit d’un message émanant de la société et
dont le leadership politique est obligé de tenir compte
Autre « terreau » du leadership russe de la fin des années 90 - début 2000 : un
phénomène d’insécurité en raison de la menace terroriste associée à la guerre en
Tchétchénie. Un phénomène encore plus pesant depuis que cette guerre a fait irruption
dans la capitale russe pendant la prise d’otage en septembre dernier.
A cet égard, notons au passage que, contrairement à la France et aux Etats-Unis des
années 60, où les guerres – respectivement en Algérie et au Vietnam – ont suscité un
sursaut contestataire, la Russie d’aujourd’hui, handicapée par le caractère embryonnaire
de sa société civile, reproche à ses leaders politiques non les exactions perpetrées en
Tchétchénie, mais, au contraire, le manque de force et de détermination pour vaincre les
« bandits » et – maintenant - les «terroristes ». L’un des rares leaders politiques qui
s’oppose (timidement) à cette guerre, Grigori Iavlinski est accusé d’
« anti-patriotisme ».
Il devient clair que cette guerre en Tchétchénie favorise l’émergence d’une nouvelle
identité nationale qui repose sur trois socles fondateurs : Etat – patriotisme –
orthodoxie. La fermeté et l’autorité deviennent ainsi les mots-clés du nouveau
leadership russe.
Un leadership à une tête
Dans ce contexte, l’ascension de Vladimir Poutine semble logique. En dominant
l’échiquier politique, il incarne à lui seul ce nouveau leadership. Aujourd’hui, 78% des
Russes émettent un avis favorable sur son action et sa personnalité. Son exceptionnelle
cote de popularité a même grimpé jusqu’à 83% au moment de la prise d’otage à
Moscou, lorsqu’il a su montrer une « main forte » en ordonnant l’assaut et l’usage de
gaz (129 morts parmi les spectateurs du théâtre). Jamais depuis la deuxième guerre
mondiale (appelée en Russie la « Grande Guerre Patriotique »), le pays n’avait été
rassemblé autour de son leader de façon aussi unanime et spectaculaire. Aux tournants
cruciaux, le dirigeant suprême (vojd, en russe) - du tsar au président en passant
le secrétaire général - reste, pour les Russes, le dernier recours.
En substance, le succès de Poutine tient à trois raisons.
D’abord, à l’instar de Louis-Philippe en France, il excelle dans son rôle de
« réconciliateur » d’une grande nation, à l’issue d’une période de cassures et de
bouleversements. Dans cette optique, l’ex-lieutenant colonel du KGB a fait ressusciter
deux vestiges tsaristes : aigle bicéphale et drapeau tricolore de Saint-Andrei, avant de
remettre au gout du jour l’hymne soviétique et le drapeau rouge (sans faucille ni
marteau) comme bannière d’une armée en mal de réforme. Cette démarche consensuelle
répond à une nostalgie, lancinante, de ses compatriotes d’un cadre de vie stable,
ordonné et avec des règles du jeu clairement établies.
Puis, les Russes, frustré du « bavardage » des années Gorbatchev et du
« laisser-aller » de l’époque eltsinienne, apprécient son pragmatisme, sa rigueur, sa
poigne et sa ténacité. C’est « un vrai patriote russe qui agit », disent-ils, en l’opposant à
ceux qui ne font que parler. Quant à ses dérapages verbaux, qui auraient provoqué un
tollé dans un pays occidental, comme celui – à l’allure de « feuille de route » pour
l’intervention en Tchétchénie - « nous buterons les Tchétchènes jusque dans les
chiottes », ils ne font que contribuer à sa popularité.
Enfin, Vladimir Poutine a redonné à ses compatriotes une certaine fierté d’être
Russe. Surfant sur la vague anti-terroriste mondiale, leur pays, membre du G-8, rejoue,
en matière géostratégique, dans la « cour des grands ». Sous Poutine, la Russie a aussi
perdu de sa légendaire et redoutable imprévisibilité : plus de crises politiques ni de
rumeurs de putsch ; paiement en heure des salaires et des retraites (médiocres) ;
meilleure maîtrise des fondamentaux macroéconomiques (croissance soutenue, inflation
jugulée, budget excédentaire, etc), respect de ses engagements vis-à-vis des créanciers
internationaux.
Conclusion
L’actuel leadership politique russe est à l’image de la Russie d’aujourd’hui.
De cette Russie sortie humiliée et exsangue du communisme pour tenter une
éphémère « lune de miel » avec l’Occident, mais vite désenchantée et reprise en main
par un nouveau « tsar » se disant « démocrate », en l’absence de tout contre-pouvoir, et
qui - à défaut de changer la Russie - semble vouloir changer, en priorité, la perception
que les Russes ont d’eux-mêmes.
Une Russie qui rêve de se refaire un destin sur mesure en reprenant la main sur
l’arène internationale, mais qui, empêtrée dans ses contradictions, hésite et oscille,
balançant entre patriotisme exacerbé, envie de fierté, désespoir sans fond et incurable
mal de vivre en quête de sa nouvelle identité – entre nostalgie et reconnaisance.
Une Russie post-soviétique pour laquelle l’univers occidental – avec son modèle du
leadership politique - n’est plus un modèle, mais, au mieux, une référence.
Alexandre Melnik
Le terrorisme : un sujet d’étude scientifique ?
Pierre Mannoni
La revue Science et Vie (Avril 1979, n° 739) posait déjà la question de savoir si l’on
pouvait soumettre le Terrorisme à l’analyse scientifique. Une soixantaine de
psychologues et de psychiatres, représentant huit pays, réunis à Berlin, étaient d’accord
pour l’admettre. Parmi eux se trouvaient des spécialistes comme D. Hubbard, Directeur
du Centre d’études des comportements aberrants à Dallas ou B. Jenkins, de la Rand
Corporation à Santa Monica. Cependant, c’est surtout sur la personnalité du terroriste
que les réflexions des chercheurs ont alors porté, aboutissant à distinguer entre le
criminel de droit commun et le terroriste.
Or, cette dimension « clinique » ne saurait épuiser un tel sujet, et il nous est apparu
nécessaire de prolonger les investigations en ce qui concerne les modalités d’action
psychologiques et psychosociologiques du phénomène Terrorisme, notamment en tant
qu’il agit à la manière d’une procédure d’influence, retentissant de façon importante
aussi bien sur les capacités cognitives des populations que sur leur vie sociale. La
profondeur et la gravité des ébranlements cognitivo-émotionnels déterminés par les
attentats nous a paru relever des intérêts de la psychologie sociale, et nous a conduit à
soutenir, en 1980, devant l’Université de Nice, une thèse d’Etat sur le sujet : Les
pouvoirs psychologiques du terrorisme. C’est le texte de soutenance de cette thèse qui
figure ci-après. Cette publication « tardive » vient tout de même à propos pour rappeler
que, bien avant les événements du 11 Septembre 2001, le Terrorisme, en particulier
dans sa dimension psychologique, appelait l’attention et représentait déjà un sujet
d’étude scientifique à part entière. Publication qui doit tout à l’intérêt que le Professeur
A.Dorna lui a témoigné : qu’il en soit ici remercié.
Texte de soutenance de thèse pour le Doctorat -ès -Lettres et Sciences humaines
présentée par Pierre MANNONI sur :
LES POUVOIRS PSYCHOLOGIQUES DU TERRORISME
Comme tout ce qui est violent le terrorisme retentit sur la situation psychologique de
ceux qui ont à le subir. Il détermine chez eux un certain état tant affectif qu'intellectuel
qui nous a paru devoir retenir l'attention des psychologues. C'est donc cet état de terreur
qui envahit l'esprit des victimes soumises aux attentats qui fait l'objet de la présente
recherche.
On connaissait déjà les études à caractère historico- politique, philosophique, moral ou
juridique portant sur le terrorisme. Ou encore les bilans psychiatriques intéressant la
personnalité ou les motivations de ses agents.
Ces travaux présentent l'inconvénient commun d’être fragmentaires et surtout de
comporter des tendances normatives très apparentes. Une démarche à caractère plus
objectif, dans une perspective psycho-sociologique semblait par conséquent nécessaire
afin d'atteindre à une meilleure compréhension, voire à une explication, de ce
phénomène, du moins pour ce qui touche à son mode d'action.
Il s'est donc agi, en substance, pour nous d'analyser le retentissement des attentats
terroristes, sur le psychisme collectif.
Cette interrogation sur les conséquences psychologiques d'une exposition à la menace
terroriste faisait, en effet, défaut, ce qui nous a encouragé à nous orienter dans cette
voie. Mais une telle démarche supposait que les effets des attentats présentaient
suffisamment de particularités pour être distingués des produits de la violence entendue
dans un sens plus général. Et l'examen des faits nous a confirmé que le retentissement
sur les esprits provoqué par le terrorisme oblige à dépasser l'interrogation classique de
nos jours sur l'impact de la violence. Des produits de cette dernière, à l'état ‘simple’
pourrions-nous dire, on a beaucoup parlé, même si l'on n'a pas encore tout dit. Mais de
cette violence extrême et systématique que représente le terrorisme, on constate
davantage les effets qu'on ne comprend comment elle agit sur les individus. C'est
pourquoi nous nous sommes intéressé, dans ce travail, à la nature de ce pouvoir de
pression sur les groupes humains. Considéré sous cet angle, le terrorisme nous est
apparu non plus tellement comme un sujet d'actualité que comme un phénomène
intéressant au premier chef, ce qu'on a appelé dans un passé assez proche
l'inter-psychologie et la psychologie des foules (ou des masses), thèmes qui sont depuis
intégrés dans le cadre de la psychologie sociale. Envisagée dans cette perspective, notre
recherche se rapproche de celles qui sont actuellement conduites sur l'influence sociale
et, plus précisément encore, d'une optique comme celle de S. MOSCOVICI (1979) qui
aborde le problème sous l'angle des minorités actives comme facteur de changement
dans le grand groupe.
Or, pour répondre à la question de savoir comment joue l'influence sociale exercée par
le terrorisme et en quoi celui-ci mobilise une constellation psychologique spécifique, il
nous a fallu au préalable préciser ce qu'était ce terrorisme que nous prétendions aborder
et quelles étaient ses cibles.
Une enquête rapide nous a montré que parler de ce phénomène en général risquait de
n'avoir guère de signification étant donné qu'on en recense pas moins de vingt-trois
genres différents en fonction des temps ou des lieux de leur apparition. Partant de là
nous avons cru bon de privilégier, dans notre approche et de limiter à elle notre étude,
une catégorie particulière de terrorisme que l'on désigne d'ordinaire sous la
dénomination de terrorisme ‘d’en-bas’ (ou du contre état): celui-ci est pratiqué le plus
souvent par de petits groupes ne disposant que de faibles ressources militaires. Quant
aux cibles, nous en reparlerons plus loin, indiquons seulement que le terrorisme en
question nous a paru viser les esprits ou, pour mieux dire, la mentalité collective et ses
facultés à fantasmer. Ainsi le terrorisme apparaissait bien comme une procédure
psychologique agissant essentiellement par des idées sur des idées et il était cohérent de
demander à la psychologie d'en rendre compte. Ainsi encore s'est élaboré notre
hypothèse de travail selon laquelle le terrorisme nous a semblé pouvoir être défini
comme un laboratoire de la peur ou, si l'on préfère, comme une technologie de
l'imaginaire. C'est comme tel, d'ailleurs, que nous en avons fait notre sujet d'étude et que
nous nous sommes efforcé, de mettre en évidence les mécanismes psychologiques qui
définissaient son pouvoir sur ses victimes. Telle a été la principale justification de notre
recherche. Mais il nous faut sans doute la compléter par l'aveu d'une motivation plus
secondaire et subjective. Si tant est qu'il est vrai, en effet, que l'on met toujours de
soi-même dans les objets de sa recherche, comme le suggère A. BESANCON [1] , il
s'est aussi agi pour nous de conjurer des démons personnels puisque nous avons fait
l'éprouvante expérience, durant de longues années, des attentats terroristes. Expérience
qui présente au moins l'avantage de nous mettre à l'abri de la spéculation en chambre,
risque majeur auquel on est exposé lorsque l'on traite un sujet de ce genre.
Les difficultés d'approche n'ont pas manqué pour autant. Nous avons essayé de les
contrôler au mieux en appuyant notre démarche à la fois sur la psychologie sociale et la
psychologie clinique. La première nous a permis de découper dans le réel le matériel
nécessaire à notre étude: nous avons donc, comme c'est admis en psychologie sociale,
considéré que les faits historiques tenaient lieu d'expérimentation naturelle. Notre
réflexion a porté, en conséquence, sur le tissu événementiel que les terroristes
eux-mêmes mettent quotidiennement à notre disposition, à quoi nous avons rajouté les
documents éventuels y afférant. Cette procédure, intégrée dans une démarche
documentaliste assez large a été complétée par une enquête sous forme de questionnaire
et une analyse de contenu des compte-rendus de presse, eux aussi empruntés à
l'actualité. Quant à la psychologie clinique, elle nous a fourni les instruments d'analyse
les plus appropriés à éclairer la constellation affectivo-intellectuelle mobilisée par le
terrorisme.
Une telle perspective laisse probablement beaucoup à désirer et à plus d'un titre: les
voies et instruments de la recherche que nous avons retenus ne sont ni les seuls ni
peut-être les meilleurs; la population qui a servi à l'enquête n'a pas eu toute l'étendue
qu'on pourrait souhaiter; le questionnaire lui-même comporte sûrement des
imperfections, même si le traitement des résultats chiffrés a pu se faire avec une certaine
rigueur grâce au concours d'un ordinateur. Il était, en outre, quelque peu aventureux,
sans doute, de chercher des signes et des symboles dans les blessures utilisées par les
terroristes et a fortiori de les présenter comme une sorte de langage.
Mais le sujet, par sa nature et les difficultés d'approche qu'elle implique, plaide en
faveur d'une certaine indulgence. La faiblesse de la population interrogée par voie de
questionnaire s'explique, pour sa part, par le fait que cette technique n'était ici ni unique,
ni principale, mais seulement un complément de la démarche d'ensemble. Quant à la
perfection en matière de questionnaire, elle est à coup sûr très rare. Enfin, nous
considérons comme recevable l'idée d'une interprétation des blessures (intentionnelles
notamment) en tant que système de signes surtout si l'on se réfère, par exemple, à
l'investissement du corps par l'ornementation ou les atteintes rituelles qu'attestent les
travaux des anthropologues et des psychanalystes.
Sous réserve, par conséquent, des précautions méthodologiques susdites et des limites
que notre sujet nous imposait, nous nous sommes penché sur le mode d’action de ce
laboratoire de la peur qu'est le terrorisme en caressant l'espoir d'éclairer quelque peu la
nature de l'état de terreur suscité par ses attentats.
Nous avons ainsi abouti aux résultats suivants :
Une des clefs commandant notre démarche résidait dans la définition des cibles du
terrorisme. Nous avons estimé nécessaire et suffisant de distinguer entre deux sortes de
victimes: - les victimes directes qui tombent sous les coups des terroristes et sont donc
les porteuses de blessures : elles sont une infime minorité. Les victimes indirectes, qui
ne subissent d'autre atteinte que psychologique et représentent la grande masse des
individus : nous y voyons les ‘vraies’ cibles du terrorisme.
Celui-ci mène le combat pour l'accaparement de leurs esprits (pour les autres, quand
elles ne sont pas mortes sous les balles ou dans les explosions, il n'est que trop évident
qu'elles sont "terrorisées").
- Se distinguant ainsi des objectifs militaires classiques, dont le but est de détruire le
plus grand nombre d'ennemis grâce à la plus grande puissance de feu possible, le
terrorisme nous est apparu comme une machine de guerre d'un "nouveau" genre, menant
non plus tellement une lutte contre des soldats ou du matériel, mais par-dessus tout un
‘combat selon l'imaginaire’, suivant l'expression de J. SERVIER (1979).
- Ainsi défini, le terrorisme appara1t nettement comme une technologie psychologique
dont il faut -c'est du moins la tâche que nous nous sommes fixée appréhender les
ressorts.
Le principal est très probablement le chantage à la douleur et à la mort. La procédure
n'est ni nouvelle ni originale: en tous temps et en tous lieux on a torturé, tué, violé dans
des circonstances diverses où le pénal le disputait au mysticisme ou au fanatisme. Mais
il ne s'agissait encore, le plus souvent, que de broyer les corps sous un appareil
magistral. Peu à peu, une "pédagogie" insinuante s'est fait jour à travers cette
administration de la souffrance: elle devait culminer dans le terrorisme qui,
abandonnant la surface tégumentaire, et même cette trompeuse profondeur des chairs
ouvertes, lacérées, déchirées, investissait ce tréfonds de l'être, cette part radicale de luimême au-delà de laquelle il n' y a plus rien: l'âme.
Historiquement, à partir de 1793, mais en réalité bien plus tôt (au moins à partir de
l'inquisition [2] encore que toujours à travers le même dédale de plaies, se met en place
une procédure d'accaparement des esprits.
Nous venons de la définir comme thanatophanie. Et il est de fait que la peur et
l'angoisse sont des pré-dispositions affectives fondamentales, présentes chez tous les
sujets. Or, il n'y a pas de peur ou d'angoisse qui ne soient, de près ou de loin, peur ou
angoisse de la mort. Il suffit donc, pour se donner un pouvoir sur les hommes, d'agir
adéquatement sur de telles prédispositions. Le plus sûr moyen, et les terroristes l'ont
bien compris, est de leur donner l'impression qu'à tout moment et en tout lieu ils
peuvent être surpris par la mort. Et pas n'importe quelle mort, mais de préférence un
trépas couronné de supplices dont l'évocation est à elle seule déjà une épreuve difficile à
soutenir. C'est alors qu'interviennent les victimes directes, complices involontaires et
inattendues des terroristes, pour frapper l'imagination des victimes indirectes. Là encore,
la technique est simple: on accable celles-là des coups dont on veut effrayer celles-ci.
Comme leur nombre est très limité, il faut compenser le défaut de la quantité par
l'intensité des images. C'est pourquoi on assiste, dans les cas les plus éloquents, comme
celui du terrorisme algérien que nous avons choisi comme principal exemple, à une
multiplication des blessures ante et post-mortem. Multiplicité déjà significative en soi.
Mais les choses n'en restent pas là: chaque plaie est elle- même porteuse de sens et il
devient possible d'esquisser, à travers leur réseau, toute une symbolique, véritable
"écriture de sang" selon l'expression de B. Gros (1976), où surgit le discours terroriste.
L'état de terreur se ramène, pour l'essentiel, au déchiffrage par les victimes indirectes de
cet éprouvant message.
Celui-ci peut avoir deux aspects complémentaires : selon que l'accaparement des esprits
qui en procède directement relève de la dynamique des fantasmes et de l'affectivité ou
de l'érosion des facultés d'appréhension intellectuelle du réel.
Dans le premier cas, la pensée est obsédée par de bouleversantes images où la
représentation de la mort même le cède à celles des corps morcelés, déchirés, dévastés.
Où les femmes et les enfants, protégés d'ordinaire dans toutes les cultures civilisées,
sont ici préférentiellement mis en pièces. Les couches les plus profondes du psychisme
sont de la sorte ébranlées par des évocations qui empruntent leurs séquences les plus
réussies à l'archaïsme le plus radical.
Ce déferlement obsédant de fantasmes n'est pas sans évoquer une activité psychologique
quasi-hallucinatoire, et il semble que l'on soit fondé à parler alors de pseudo-délire. Et,
en effet, tout porte à croire que l'état de terreur est l'une des formes que peut prendre la
pathologie collective. Surtout si on y rajoute les éléments relatifs au retentissement sur
l'activité intellectuelle des sujets avec ce qu'elle suppose d'affaiblissement de la
démarcation entre le réel et l'imaginaire, d’amoindrissement de l'esprit critique, de
déformation du jugement et de perturbation de l'équilibre mental.
Enfin, la dynamique des fantasmes sur laquelle s'appuie le terrorisme possède certaines
particularités qui clôturent le système sur lui-même : face à la démesure et à l’ubiquité
des blessures consécutives aux manoeuvres terroristes, comme dans tous les cas où il est
violemment ébranlé, l'imaginaire cherche une réparation. Mais il s'efforce en vain d'
effacer les représentations qui ont été suscitées en lui par les attentats. Ceux-ci résistent
à tout effort tenté dans ce sens. Le psychisme reste donc, quoi qu'il fasse, l'otage et le
captif de ce qui l'accable: c'est l'une des caractéristiques majeures de l'état de terreur.
Une deuxième caractéristique fondamentale repose sur la surdétermination des images
de mort liées au risque terroriste, comme nous l'avons déjà dit. Tomber entre leurs
mains équivaut à la promesse d'un abîme de souffrances. Dans un récent ouvrage, L. V.
Thomas (1980) nous rappelle que mourir, c'est pourrir. Les terroristes s'appuient sur une
autre équation imaginaire suivant laquelle mourir, c'est souffrir et, par renversement,
souffrir c'est plus que simplement mourir, c'est mourir d'une mort multipliée, d'une mort
qui n'en finit plus.
Un autre caractère lié aux précédents, réside dans l'appréciation erronée du pouvoir réel
des terroristes et dans une illusion totalement irrationnelle concernant leur omnipotence.
Celle-ci rejoint les vieilles angoisses primitives de l'enfance à l'égard des images
parentales, toujours redoutables par un certain côté. La conviction que cette terrible
puissance est une réalité, et non le fruit de leur imagination, conduit les sujets exposés à
la terreur, à se croire totalement démunis, faibles, à la merci d'un pouvoir
discrétionnaire. L'inhibition qui en résulte conduit à un véritable apragmatisme défensif
: chacun est enfermé dans une étouffante névrose obsidionale, d'autant plus difficile à
supporter qu'elle est individuelle, et que la cohésion du groupe, qui aurait pu jouer un
rôle de soutien, est rendue impossible par la désorganisation et 1a déstabilisation
introduite par le terrorisme.
En conséquence, nous proposons de reconnaître, devant un tel tableau, un syndrome de
détresse affective.
Et comme si les attentats ne suffisaient pas à provoquer et entretenir la détresse en
question, les mass media, jouant comme une formidable caisse de résonance, viennent
en multiplier les effets.
Fournissant aux terroristes le support psychologique nécessaire à leur propagande, les
journalistes se font terroristes sans le savoir - naïveté bien regrettable - et assurent aux
agents de la terreur une pérennité et même une existence qu’ils n’auraient pas sans eux.
En somme, le terrorisme fait peur par lui-même, mais peut-être plus encore nous fait-on
peur du terrorisme. De cette complicité les journalistes doivent prendre conscience pour
qu'un terme y soit mis.
Mais, en fin de compte, les terroristes n'ont peut-être pas pris tant de pouvoirs qu'ils le
croient ou cherchent à le faire croire. Du moins faut-il dire que celui-ci, s'il existe, n'est
pas absolu.
En effet, l'histoire des hommes est là pour nous apprendre que la peur est de tous les
temps. Cette omniprésence nous invite à la réflexion: au-delà des contenus particuliers
que peuvent revêtir les effrois sporadiques qui se sont emparés des sociétés, on peut voir
dans leur retour régulier comme l'expression d'un besoin du corps social. Les terroristes
ne seraient, de ce point de vue, que nos modernes porteurs de mort, dont la fonction
profonde, inconnue d'eux, serait de faire contre eux l'union "sacrée" du groupe, rôle tenu
dans le passé par les déviants de tout acabit: ils seraient les sorciers de notre temps,
voués comme tous les négativistes à être finalement "digérés" (terrorisés) par le corps
social au bout du compte toujours triomphant. "Cessons de crier à la barbarie en
excusant les barbares ", écrivait Max Gallo dans l'Express [3] : ambivalence aussi
louche que révélatrice.
Que le terrorisme soit éprouvant ne signifie effectivement pas qu'il soit une fatalité. Il
est possible de lui résister, comme on a déjà résisté à d'autres fléaux. Il faut que chacun
sache qu'il dépend, en fin de compte, essentiellement de lui de se laisser ou non
terroriser. Nous avons essayé de montrer dans ce travail que tout le pouvoir du
terrorisme est selon l'esprit. Or, l'esprit peut dans des circonstances favorables, parvenir
à se dominer lui-même. Et s'il n'a pas toujours les moyens de contrôler les
débordements de son imagination, du moins est-il à sa portée de les reconnaître pour
tels. S'il y a un pouvoir du terrorisme, et il semble indéniable, du moins est-il possible
de lui opposer un vouloir et, par conséquent, de lui résister.
En conclusion, l’influence psychologique et sociale des attentats reviendrait, en somme,
sinon à une question de foi, du moins à une question de croyance. Et on pourrait sans
doute appliquer aux terroristes ces mots que Voltaire destinait aux prêtres : ‘ils ne sont
pas ce qu'un vain peuple pense, notre crédulité fait toute leur science’. Autrement dit
cessons de croire à leur pouvoir et celui-ci cessera d'être. Il y a donc un consentement au
terrorisme, et celui-ci est sans doute plus coupable que le terrorisme lui-même.
Nous espérons, pour terminer, que ce travail aura modestement contribué à élargir
quelque peu nos connaissances dans un domaine où, peut-être plus encore qu'en tout
autre, conna1tre c'est être libre.
P.M.
[1] Cité par J. DELUMEAU (1978, p. 25)
[2] Robespierre (l’a-t-il su ?) aurait eu beaucoup à apprendre de TORQUEMADA.
[3] N° 1394, du 27 mars au 2 avril 1978.
A propos de La Société
défensive de Michel Monroy
La question des guerres
civiles et le processus de
réconciliation
A propos de La Société défensive de Michel Monroy.( Ed. PUF. 2003)
La Société défensive, ouvrage apparemment simple et doux, entraîne lentement le
lecteur dans l'œil du cyclone de la crise de l'homme moderne. Rien (ou presque) ne
rappelle que M. Monroy est psychiatre. Et si les idées coulent de source et que l'exposé
est clair, ici et là, les éléments psychologiques se cumulent pour faire place à un
diagnostic redoutable sur le syndrome de l'inquiétude-panique et de la grande peur
subjective de la societé occidentale et son corollaire inavouable : la recherche d'un bouc
émissaire.
Ce constat rejoint d'autres approches : la "société du risque" d'U. Beck, la société
vulnérable de J. Theys et "l'archipel du danger" de Kerven et Rubise. Mais ce qui
caractérise la réflexion de Monroy est la tentative de saisir la subtile réalité d'une société
dont la charge psychologique pèse de plus en plus sur la démarche défensive des
individus en déperdition de liens.
En effet, il y a d'un côté le retour au manichéisme, et de l'autre la méfiance viscérale de
l'inconnu. Ainsi le "dedans" menacé fait-il du "dehors" menaçant une maladie affective
avec un ingrédient fort nouveau par rapport à d'autres périodes historiques où la menace
a rendu l’homme vulnérable à ses propres excès ;. aujourd'hui, la menace condamne au
silence. Là se trouve "l'effet d'impasse".
Le monde construit par les hommes se montre plein de menaces diffuses. Comment ne
pas s'inquiéter de l'avenir de l'homme et de la planète avec les déchets radioactifs, ou de
la montée d'un terrorisme qui montre un visage pervers, et de la nourriture sur laquelle
les manipulation génétiques font peser un doute. Force est de constater que l'imbrication
de ces menaces augmente l'impression de boule de neige et le sentiment d'être acculé.
Tout est devenu plus complexe. Et c’est l'inconnu de cette complexité, tellement
examinée et même célébrée par les scientifiques, qui sert de relais à l'inconnu ancestral
de la pensée spéculative et aux cercles mystérieux des hypothèses virtuelles.
C'est là que les querelles d'experts, mélange inquiétant de zèle tâtillon et de fuite
politique devant les responsabilités, développent le besoin défensif de se couvrir à tout
prix avec un système de normes et de règles juridiques.
Enjeux défensifs où tout est dangereux. État d'urgence permanent. Attitude d'isolement
vis à vis de soi-même. Programmes de prévention devant des risques réels et virtuels;
d'intrusion et d'envahissement, dont les choix rationnels s'avèrent de plus en plus
"complexes", tant la lourde réalité financière s'impose.
Comment prévoir la vulnérabilité à des situations elles-mêmes imprévisibles ?
L'erreur hante la société défensive, peuplée d'experts de tout poil, dont le facteur
humain résiste à contre cœur aux évaluations.
Les menaces objectives ne sont que la partie visible des chocs ressentis subjectivement.
Elles sont là depuis l'aube du temps humain, mais ce que les amplifie et les transforme
en sentiment aigu d'un risque majeur est la distance entre la perception de vulnérabilité
(sélective, sociale et construite) et la réalité quotidienne. Bref, toutes les craintes ne sont
pas quantifiables, et les menaces imaginaires ont un effet sur la vie sociale encore plus
grand. Et, si la psychologie individuelle ne suffit pas, semble nous dire M. Monroy,
pour expliquer les attitudes défensives, la psychologie collective non plus.
C'est alors que la déambulation sereine de M. Monroy s'approche, tranquillement, de la
problématique de la psychologie politique. L'auteur nous décrit deux contextes : le Front
national, et le conflit USA-Irak. Il ressort du premier que la focalisation des menaces
ressenties par les partisans du F.N. (indépendemment de l'idéologie sous-jacente) se
focalise sur l'immigration. C'est le syndrome du bouc émissaire. Avec les phantasmes de
l'éclatement de l'identité (individuelle) nationale. Le repli identitaire est caractéristique
des groupes sectaires, dont la méfiance défensive depasse la réalité menaçante. D'autre
part, les menaces bellicistes et celle du fanatisme religieux avec leurs légions de
certitudes menaçantes se sont installées dans la réalité quotidienne et l'imaginaire du
monde. Bush et Ben Laden, chacun dans son rôle et avec chacun sa conviction, se
réclament d'une farouche volonté de puissance. L'attaque est devenue une nouvelle fois
la meilleure défense et, comme dans l'Ancien Testament, la devise est: dent pour dent et
oeil pour oeil.
Les oscillations entre un sentiment maximal de menace et l'idée d'une minimisation du
danger, sont en train de rendre les décisions politiques fort difficiles, voire
inconsistantes. Car la menace ressentie provoque une perte potentielle de la maîtrise de
la situation, sous la pression d'un amalgame défensif intégrale : l'homme invulnérable à
l'abri de tous les dangers. Crise de civilisation donc ?
A.D.
La question des guerres civiles
et le processus de réconciliation ( * )
A partir de 1999 Loveman et Lira ont livré au grand public les résultats d'une
passionnante recherche sur la reconcialiation au Chili. Ces ouvrages sont le fruit de
l'analyse d'un long processus historique, politique et psychologique, sans oublier les
socles philosophiques et théologiques qui traversent la vie des peuples. C'est une
démarche transversale de psychologie politique qui trouve là un nouveau paradigme
thématique.
Les auteurs forment un couple scientifique, dont la complémentarité renseigne sur la
volonté d'un travail pluridisciplinaire et de la nécessité des échanges entre les sciences
humaines et sociales, hélas, trop éparpillées et enfermées dans des systèmes de pensée
étriqués et micro-theories autosuffisantes. Le Pr. Briam Loveman est un politologue de
l'Université de San Diego (USA) et la Pr. Elisabeth Lira est psychologue et chercheuse à
l'Université D. Hurtado à Santiago du Chili.
Entre ces deux rives du savoir universitaires coule l'histoire d'un peuple et ses formes de
résolution de conflits. Ainsi, les ponts tendus entre ces disciplines montre la possibilité
de faire d'observations avec une plus grande acuité et resituer les faits dans une
perspective historique de long terme, afin de mettre en évidence les patterns culturels et
vicissitudes de la vie politique.
La thématique centrale est "la reconsolidation et les résistances de la mémoire". Et
comme les clins d'Sil avec le passé sont le fil conducteur, ces travaux s'inscrivent sous
le signe de la "voie chilienne de la reconsolidation", comme hier d'autres et les mêmes,
parlaient de la "voie chilienne au socialisme"
Certes, ces recherches sont motivées par la réalité actuelle d'un pays, le Chili, après les
douloureuses expériences du coup d'état de 1973 et la longue dictature militaire de
Pinochet, dont le séquelles et ambiguïtés sont toujours visibles, jusqu'au point que le
pouvoir civil se trouve indirectement encore sous la tutelle des militaires, mais ce le
travail à permis aux auteurs de mettre en relief la présence des traces bien plus
anciennes d'autres périodes , où les guerres internes et les répressions ont donné lieu à
différentes formes récurrentes de réconciliations politique. C'est la mise en évidence
d'un véritable "filon" qui donne du sens aux querelles idéologiques et politiques, autant
que à ses manifestations institutionnelles, à la forme que assume l'État Nation et les
gouvernements d'un pays démocratique, dont la "mentalité" autoritaire, maquillée en
permanence, remonte à la colonisation espagnole et se poursuit à travers les méandres
des réconciliations et nouvelles ruptures.
La mise en perspective des guerres civiles chiliennes offre un panorama presque
inattendu, tant les mythes ont effacé une partie des faits réels, malgré leur repentir. Les
amnisties et les tentatives légales de reparution sont les traces juridiques d'une histoire
violente de luttes fratricides avec ses vainqueurs et ses vaincus, ses injustices et ses
rancunes profondes, et surtout les souvenirs des milliers d'exilés, persécutés et morts qui
comme des douces cendres couvrent un passé ardent, enfouis dans l'oubli volontaire
d'une quête de "paix" sociale qui s'exprime soit rethoriquement, soit naïvement, comme
un sort d'utopie où les conflits n'existerait pas, ni les méchants ni les justes, sous
l'inspiration d'un grand pardon réunificateur.
Enfin, ces travaux sont, aujourd'hui, à la fois une Suvre universitaire, mais aussi une
arme politique devant la cour de la histoire, autant qu'un avertissement pour les
générations futures, lesquelles marchent courageusement, sans mémoire ni réflexion ad
hoc, vers un avenir qui n'est pas libre de repeser les mêmes erreurs et avec la même
passion des ancêtres.
Comme toute recherche originelle, approfondie et étendue, elle montre une face
universelle et une méthodologie ad hoc, et une heuristique capable d'inspirer d'autres
études comparatives. Les situations semblables ne manquent pas dans le monde. En
France, la longue tentative de réconciliation entre la France et l'Allemagne, depuis la
guerre de 1870 jusqu'à la IIe guerre mondiale, marque le paysage de fond de la politique
et les conflits idéologiques. Et la ressente volonté de recombinaison entre la France et
l'Algérie, dont les cicatrices sont encore visibles, est une autre histoire qui remonte à
une histoire et une psychologie de peuples forte ancienne que le contexte de la
colonisation et la décolonisation
A. Dorna
( * ) Les récents ouvrages de B. Loveman et E. Lira sont:
- Las suaves cenizas del olvido. Vía chilena de reconcialiation politica 1814-1934.
Ed. Dibam. Santiago. Chile. 1999
- Las ardientes cenizas del olvido. Vía chilena de reconciliación politica 1932-1994.
Ed. Dibam. Santiago. Chile. 2000
- Historia, politica y ética de la verdad en Chile, 1891-2001. Reflexiones sobre paz y la
impunidad.
Ed. Lom. Santiago. Chile. 2001
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Considérations psychopolitiques sur une actualité de crise
R3SR2
Particularités du post-communisme en Roumanie
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L'effet "groupthink" dans la révolution roumaine
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Point de vue : la face émergente d'un nouvel empire
Edito
Le retour aux chantiers de la psychologie politique
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Les perspectives de contrôle social offertes par le behaviourisme
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La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'un
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Les perspectives de contrôle social offertes par le behaviourisme
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Le terrorisme : un sujet d'étude scientifique?
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Actualidad e historia de la psicologia politica latinoamericana
R2SR3
J. BARUS-MICHEL
L. BETEA
A. DORNA
S.
Les aspects culturels de la négociation internationale
RADTCHENKO-DRAILLARD
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D. SCHOLIERS
La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'un
débat faussé
R2SR4
S. TOMEI
Les leçons morales de l'histoire
R2SR6
M. VILLATTE
La création d'un délit de manipulation mentale. Histoire d'un
débat faussé
R2SR4
S. WAHNICH
La terreur comme fondation, de l'économie émotive de la terreur R2SR7
file:///D|/Encours/AFPP/SiteAFPP/Revue03/liste_articles.htm [28/04/2003 15:26:51]
Renseignements sur les auteurs
Si vous désirez consulter la liste des publications d'un auteur cliquez sur son nom
lorsqu'il existe un lien
Si vous désirez lui envoyer directement un courriel, cliquez sur l'animation
Pierre ANSART
Jacqueline BARUS-MICHEL
Professeur émérite de Psychologie sociale
Université Paris 7-Denis Diderot
Lavinia BETEA
Université de l 'Ouest Vasile Goldis, Arad (Roumanie), Faculté de Sciences
Politiques
Odile CAMUS
PRIS – Université de Rouen .
Alexandre DORNA
Professeur de Psychologie politique
Université de Caen
Nicole DUBOIS
Hélène FEERTCHAK
Maître de conférences en psychologie sociale à l’Université Paris V
Esteve FREIXA i BAQUE
Professeur d’Analyse Expérimentale du Comportement. Laboratoire ECCHAT.
Département de Psychologie. Université de Picardie Jules Verne. Chemin du Thil.
80025 Amiens cedex 1. France
Olga GRIBOVA
Université de Caen
file:///D|/Encours/AFPP/SiteAFPP/Espace_permanent/auteurs.htm (1 sur 2) [28/04/2003 15:27:03]
Renseignements sur les auteurs
Bernard GANGLOFF
Laboratoire PRIS, Dpt de Psychologie, Université de Rouen
Adam KISS
Centre d'Étude et de Recherche en Psychopathologie,
UFR de Psychologie, Université de Toulouse Le Mirail
David LESUEUR
Université de Picardie Jules Verne. Chemin du Thil. 80025 Amiens cedex 1. France
Pierre MANONI
Université de Nice
Benjamin MATALON
Professeur de Psychologie Sociale
Université de Paris 8
Alexandre MELNIK
Chargé de cours à l’Institut Commercial de Nancy et à l’Université de Caen.
Rédacteur en chef d’Eco-Russie
Svetlana RADTCHENKO-DRAILLARD
Angel RODRIGUEZ-KAUTH
Constantin Salavastru
Séminaire de Logique discursive, théorie de l’argumentation et rhétorique Chaire
de Logique et de philosophie systématique
Faculté de
Philosophie
Université “Al.I.Cuza” - Iassy (Roumanie)
David SCHOLIERS
Samuel TOMEI
Manuel Tostain
LPCP, UFR de Psychologie
Université de Caen 14032 Caen Cedex
Matthieu VILLATTE
Sophie WAHNICH
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LES PERSPECTIVES DE CONTRÔLE SOCIAL OFFERTES PAR
LE BEHAVIORISME
David LESUEUR et Esteve FREIXA i BAQUE
De temps immémorial, les sociétés se sont construites sur la base du contrôle des
comportements des individus qui les composent. De fait, il s'est toujours agi pour les
dirigeants de rechercher la difficile harmonie des aspirations hétéroclites des individus
et de l'intérêt général.
Des théoriciens ont dégagé de longue date des règles qui leur semblent nécessaires à la
vie en commun de nombreux individus. Les textes religieux sont de ces écrits les plus
anciens dont nous disposons, mettant à la disposition des hommes des dogmes sensés
régir adéquatement leur vie. Les philosophes, également, ont été nombreux, dans un
esprit plus dialectique, à mettre en exergue les principes d'une société idéale.
Dans la recherche d'une société idyllique, les idéologies candidates n'ont donc pas
manqué, plus ou moins heureuses dans leur application à l'échelle de populations parfois
très nombreuses.
Mais au 20ème siècle, la révolution épistémologique caractérisant la recherche en
psychologie va bouleverser les conceptions traditionnelles relatives à l'être humain. Le
développement du béhaviorisme au milieu du siècle ouvre une voie de recherche dont la
portée des résultats témoigne de l'ouverture de la psychologie à l'investigation
scientifique. La compréhension du rôle de l'environnement dans le modelage des
comportements donna alors lieu à des expérimentations permettant de dégager les lois
qui régissent le comportement des organismes. Changement de taille qui libérait la
psychologie de la seule analyse structurale, toute pré-scientifique, pour lui assigner, en
tant que discipline scientifique, les fonctions de compréhension, de contrôle et de
prédiction du comportement.
Et, comme des autres disciplines contrôlées par une méthodologie scientifique, est née
de la science comportementale une technologie applicable au quotidien, et visant
l'amélioration de la qualité de la vie. Skinner, qui en adoptant la méthodologie
béhavioriste mit en évidence le conditionnement opérant, a clairement perçu la richesse
des implications pratiques découlant de l'analyse scientifique du comportement humain.
Et, dans ce contexte, il publia en 1948 le roman utopique Walden Two, décrivant la vie
d'une communauté régissant son fonctionnement à partir des lois comportementales
dégagées par l'analyse expérimentale du comportement.
Aussi, dans quelle mesure le principal modèle de vie issu du béhaviorisme diffère-t-il
fondamentalement des précédentes spéculations utopiques ? Qu'est-ce qui précisément
fait sa qualité, et lui confère un intérêt qui dépasse le plan littéraire ?
Nous présenterons dans un premier temps quelques célèbres utopies qui ont jalonné
l'histoire, en nous penchant sur la nature du style de vie qu'elles défendent.
Dans un second temps, après avoir situé la place de Walden Two dans l'œuvre de
Skinner, nous étudierons la nature de ses propositions et nous nous interrogerons sur
l'originalité de leur apport.
I Les utopies classiques
De nombreuses utopies ont fleuri au cours des longs siècles qui ont précédé l'avènement
de l'étude expérimentale du comportement. Toutes consistent en la description d'une vie
idéale, et en la mise en avant des moyens ou solutions imaginés pour la réaliser. Le
point commun de ces spéculations consiste en leur assise sur des conceptions
traditionnelles, non scientifiques, de l'être humain. Nous ne nous pencherons que sur
quelques-uns des plus célèbres écrits utopiques, de manière à illustrer les différentes
méthodes préconisées.
1. La République de Platon
Platon, au cinquième siècle avant J-C, développe dans La République les règles qui lui
semblent présider à une société idéale. La cité qu'il propose est dirigée par un
roi-philosophe qui, dans sa qualité de philosophe, sait ce qu'il convient de faire et, dans
sa qualité de roi, a le pouvoir de le faire appliquer.
Le philosophe grec, par la valorisation des compétences humaines d'un chef juste et
raisonnable, met de fait en exergue une solution politique à la réalisation d'une cité
heureuse. "L'humanité sera heureuse un jour, quand les philosophes seront rois, ou
quand les rois seront philosophes."
Sans doute révolté des abus exercés par ceux qui détiennent le pouvoir, Platon pense
ainsi établir un efficace garde-fou, en plaçant aux commandes de la cité un individu
sage, épris de justice et de vérité. Car, comme les sages évitent les fonctions publiques,
on est sûr de l'honnêteté et du désintéressement de ces individus qui, seuls parmi des
hordes de postulants, rechignent à administrer leurs concitoyens.
Bien sûr, une contrainte est exercée sur le philosophe pour le forcer à gouverner, mais
Platon n'y voit point là d'injustice, car c'est selon lui l'occasion pour les philosophes de
rendre grâces à la société qui, dès leur naissance, leur a offert le régime particulier leur
permettant de devenir des hommes excellents.
Les futurs rois philosophes sont choisis d'après les "qualités nécessaires à la pleine et
parfaite connaissance de l'être". Il faut donc discerner les natures philosophiques amies
de la justice et de la bravoure, disposant de grandeur d'âme, de mesure, de mémoire, et
d'un grand intérêt pour l'essence (le contraire des apparences chez Platon). On ne peut
douter de la justesse de ce dernier critère, qui atteste l'activité de la Raison. "Quand la
vérité ouvre la marche (...), elle marche avec la pureté des mœurs et la justice, à la suite
de laquelle vient à son tour la tempérance."
Les philosophes qui pourront gouverner sont donc soigneusement sélectionnés sur leurs
qualités innées, puis façonnés de façon à agir selon "l'idée du bien, objet de la science la
plus haute".
"(...) Ce bien que toute âme poursuit et dont elle fait la fin de tous ses actes, dont elle
devine l'importance sans pouvoir atteindre à la certitude et définir au juste ce qu'il est, ni
s'en reposer sur une solide croyance, comme elle le fait à l'égard des autres choses, (...),
ce bien si précieux" ne doit pas "rester couvert des mêmes ténèbres pour ces citoyens
éminents à qui nous devons tout confier".
Le modèle que propose Platon est sans appel. La prospérité est conditionnée à
l'observation des moyens qu'il met en avant.
"Il ne faut point s'attendre à voir ni un État, ni un gouvernement, ni même un simple
individu toucher à la perfection, avant que ce petit nombre de philosophes qu'on traite,
non pas de méchants, mais d'inutiles soient forcés par les circonstances à s'occuper, bon
gré, mal gré, du gouvernement et l'État contraint de leur obéir".
Aussi, la politique n'a-t-elle pas été le seul procédé suggéré par les utopistes, dans la
recherche d'une vie heureuse.
2. L'Utopie de Thomas More
2.1 Une critique de son temps
En 1516, Thomas More, philosophe et juriste britannique, publie l'ouvrage qui donnera
son nom au genre spéculatif qu'il compose.
L'écrit se compose de deux parties. Dans la première, celui qui est reconnu comme étant
l'un des plus célèbres penseurs de la Renaissance, fustige les profondes injustices, ainsi
que l'irresponsabilité des princes et rois d'Europe de son temps.
"Les princes ne songent qu'à la guerre. S'agit-il de conquérir de nouveaux royaumes,
tout moyen leur est bon. En revanche, ils s'occupent fort peu de bien administrer les
États soumis à leur domination."
Il y condamne les aberrations d'un système qui engendre et entretient souffrances, délits
et mort.
More plaide pour une meilleure administration des affaires humaines. La solution, avec
le juriste More, passe par le droit. Il incombe à la société de créer et fournir les
conditions à la faveur desquelles les hommes seront heureux et productifs :
"(...) Créez des institutions bienfaisantes qui préviennent le mal et l'étouffent dans son
germe, au lieu de créer des supplices contre des malheureux qu'une législation absurde
et barbare pousse au crime et à la mort."
A une répression brute et inutile, il propose de substituer des techniques plus efficaces
inspirées des autres cultures.
La promotion, par More, d'un système où la communauté des biens et des richesses est
de mise, qui constitue la seconde partie de L'Utopie, semble ainsi trouver son origine
dans l'écœurement concomitant au dévoilement des aberrations découlant d'un système
qui voit naître le capitalisme et l'enrichissement de quelques-uns au détriment d'une
majorité laborieuse. "Mettez un frein à l'avare égoïsme des riches; ôtez leur le droit
d'accaparement et de monopole", prévient More. Car " partout où la propriété est un
droit individuel, où toutes choses se mesurent par l'argent, là on ne pourra jamais
organiser la justice et la prospérité sociale." "Ce que vous ajouterez à l'avoir d'un
individu, vous l'ôterez à celui de son voisin."
2.2 L'île d'Utopie
Du tableau sans fard des maux qui accablent les sociétés européennes médiévales
découle donc le plan d'un système égalitaire, où la sagesse des principes et des règles en
usage saurait prévenir la souffrance et garantir une sereine prospérité.
Le peuple utopien maintient des mœurs humanistes à la faveur d'une volonté sans faille
de justice sociale, ainsi qu'à la conduite pragmatique dont il fait preuve dans la
résolution de ses problèmes internes comme externes.
Pour assurer l'ordre, la loi peut parfois se montrer sévère avec les citoyens administrés
par des magistrats, qui n'ignorent pas que "réunir hors le sénat et les assemblées du
peuple pour délibérer sur les affaires publiques est un crime puni de mort. Ces
institutions ont pour but de les empêcher de conspirer ensemble contre la liberté,
d'opprimer le peuple par des lois tyranniques, et de changer la forme du gouvernement."
En effet, "(...) le salut ou la perte d'un état dépend des mœurs de ceux qui en ont
l'administration. Malheur au pays où l'avarice et les affections privées siègent sur le
banc du magistrat ! C'en est fait de la justice, ce plus ferme ressort des États."
Au delà des traditionnelles solutions politique et juridique, nombreux ont été les auteurs
à compter sur le développement des sciences pour résoudre nos problèmes. Bacon est
certainement le plus illustre représentant de cette conception.
3. La Nouvelle Atlantide
Au 17ème siècle, Francis Bacon, homme politique et philosophe, exalte l'horizon ouvert
par les lumières de la Science, chez un sage peuple imaginaire, dont le bonheur n'a
d'égal que l'importance qui est accordée à la recherche scientifique. La science est déjà
considérée comme la discipline sans doute la plus en mesure de contribuer au bonheur
de l'homme, en lui facilitant la vie et en le libérant des plus grandes aliénations.
Si toute utopie trouve son origine dans une déception de son auteur à l'égard de son
siècle, alors, on croit pouvoir deviner les motivations à la rédaction de La Nouvelle
Atlantide. Bacon fut un chercheur qui, conscient de l'apport de la culture chez l'espèce
humaine, rêvait d'une Europe donnant la priorité au développement de la recherche
scientifique. Nous ne sommes cependant qu'à La Renaissance et la technologie qui doit
permettre une vie heureuse demeure strictement matérielle. Le contrôle des
comportements passe par la traditionnelle solution juridique. L'insuffisance de celle-ci
sera pertinemment dénoncée par la science du comportement, dont la contribution
majeure au vieux rêve utopique témoignera, et de la fertilité de sa perspective, et de la
vastitude de ses horizons.
4.Walden
Enfin, l'expérience de Thoreau, qui vécut seul dans un bois du Massachussets, au bord
de l'étang Walden, illustre la solution érémitique choisie par certains pour vivre une
pleine vie.
La narration de son expérience ascétique attire l'attention, à une époque où ce à quoi
renonce Thoreau attire des multitudes de pionniers, excités par les rêves de réussite que
les régions inconnues ne manquent pas de susciter. Lui dénonce le dévoiement d'une
société déjà lucrative et cupide, et se crée son espace personnel, dans un rejet des
nouvelles mœurs, qui sous couvert de modernité ravalent l'homme à une condition
inférieure.
La propriété et l'argent, érigées au faîte de l'échelle des valeurs, ne valent pourtant pas la
peine d'y laisser sa vie : "Jouis de la terre, ne la possède pas. Par leur manque
d'ambition, les hommes sont où tu les vois, à vendre et à acheter, à passer leur vie
comme des serfs (...)". "(...) Vivez libres et détachés. Que vous soyez attachés à une
ferme ou dans la prison de la région ne fait qu'une petite différence."
Thoreau, qui condamne un système où "actuellement, le travailleur n'a pas le temps
d'être autre chose qu'une machine", aspire à vivre lentement et sereinement dans la
contemplation, car "les qualités les plus raffinées de notre nature, tel le velouté des
fruits, ne peuvent se préserver qu'en les maniant délicatement". Il s'agit pour l'homme
sage de "se tenir à la jonction de deux éternités : le passé et le futur, exactement au
moment présent." L'adoption d'autres valeurs ne peut être que salutaire, "tant la vie des
hommes est une vie insensée, comme ils le découvriront quand elle s'achèvera, s'ils ne
l'ont pas fait avant." Thoreau érige le temps de vivre en valeur suprême : "Le prix d'une
chose est la quantité de ce que j'appellerai la vie qui est réclamée en échange. Si on
prétend que la civilisation est une réelle évolution de la condition de l'homme (...), on
doit démontrer qu'elle a produit de meilleures habitations sans qu'elles soient plus
coûteuses."
Thoreau prend pourtant soin de souligner la validité toute subjective du style de vie qui
est le sien, quelque grisant qu'il soit. Il ne propose pas de solution universelle, de recette
miracle dont l'application rigoureuse procurerait systématiquement joie et bonheur.
La seule prescription incontournable réside finalement dans la frugalité, à l'instar des
nombreux ascètes qui l'ont précédé. La simplification de l'environnement matériel et des
contacts humains constituent une constante du style de vie érémitique. Il s'agit des
techniques majeures mises en oeuvre par les mystiques de toutes les époques, "car nul
ne peut être un observateur sage ou impartial de la vie humaine s'il n'a l'avantageuse
position de ce que nous appellerions pauvreté volontaire."
Si Thoreau quitte les bois après son expérience de plus de deux ans, il ne semble pas
falloir voir là le constat d'échec d'un mode de vie amer et frustrant, duquel il faudrait
déduire l'échec nécessaire des modes de vie alternatifs à la culture dominante.
"Je quittai les bois pour une aussi bonne raison que celle qui m'y avait attiré. Peut-être il
me semblait que j'avais plusieurs autres vies à vivre, et que je n'avais plus temps à
consacrer à celle-là."
II Béhaviorisme et planification des cultures
1. Skinner
1.1 Science et Psychologie
Skinner, au 20ème siècle, stigmatise l'insuffisance des méthodes précédemment
décrites, à la lumière de l'analyse expérimentale du comportement ouverte par la tardive
mise en évidence du conditionnement opérant.
La planification d'une culture devient une fonction de la science du comportement, qui,
ayant comme objet d'étude les affaires humaines, peut légitimement et sérieusement
prétendre à cette tâche. Il s'agit de l'application des connaissances issues de la recherche
pure, de la technologie issue de l'analyse expérimentale du comportement. On touche à
cet égard, avec Skinner, à l'ultime étape du curriculum d'un chercheur qui, parti de
l'observation et de la manipulation de variables en laboratoire, transfère en imagination,
à l'échelle d'une communauté, l'application de contingences favorables à
l'épanouissement des cultures.
Walden two naît de ce développement. Nous sommes alors en 1945 et Skinner ne se
satisfait pas d'un style de vie que l'on dit libre et digne, et pour la sauvegarde duquel tant
de jeunes hommes viennent de mourir.
1.2 Une critique des valeurs occidentales
Que reproche Skinner à notre culture occidentale, qu'une science du comportement
devrait s'évertuer à corriger ? De quelle nature sont les dangers qu'il pointe du doigt et
qui mettront un terme à l'espèce humaine si une science adéquate ne vient nous aider à
les régler ?
Skinner énonce ses critiques, hardies et perspicaces.
Il reproche aux gouvernements tels qu'ils ont existé jusqu'à aujourd'hui, dans leur
diversité, de reposer sur une conception non scientifique de l'être humain. Ce qui
signifie lourdeur, quasi-immuabilité et contrainte, violence. Les idéologies dominantes
du communisme et du libéralisme ont longtemps divisé le monde en blocs entre lesquels
les tensions menaçaient d'acheminer l'humanité entière au déclin. Sur le modèle de la
Russie soviétique, la Chine communiste gouverne d'une main de fer des individus que la
doctrine régnante va jusqu'à interdire de s'exprimer sur les choses qui les concernent. Le
libéralisme effréné d'une Amérique qui fait de l'argent la valeur suprême place les
États-Unis en tête des systèmes cyniques, où le droit de s'enrichir aux dépens des autres
membres de la communauté n'est remis en question que par une minorité d'individus.
L'échec de telle idéologie politique qui interprète la réussite personnelle comme le fruit
de la volonté de l'individu déterminé, comme de telle autre que la prise en compte
exclusive de l'intérêt général au détriment de l'individu conduit à des violences, doit
nous amener à nous demander si à la Raison et au bon sens politiques ne pourrait pas
être substitué un instrument plus probant, mieux adapté à la complexité des questions
sociales.
Or, l'accès de la psychologie à l'investigation scientifique a de fait ouvert la voie au
contrôle et à un nouveau type, prometteur, de recherches. Notre mode de vie non
seulement peut, mais doit s'en servir. Car des dangers immenses nous menacent, qui
appellent les solutions d'une autre science que celles qui sont parfois à leur origine.
Mais, au préalable, nous devons remettre en question les doctrines de la liberté et du
mérite personnel sur lesquelles se sont érigées les démocraties.
L'analyse expérimentale du comportement a en effet montré qu'il est impossible, pour
quelque organisme que ce soit, de vivre indépendamment de l'environnement qui le
conditionne. Une fois établi que l'organisme se trouve dans une relation de dépendance
nécessaire à l'environnement, on peut en revanche de façon profitable rechercher
expérimentalement les modes de contrôle les moins aversifs. "Le refus d'exercer les
contrôles possibles sous prétexte que tout contrôle est mauvais revient par contre à
empêcher des formes éventuellement importantes de contre-contrôle (...)" A Walden
Two, les contingences, intentionnellement planifiées et librement communiquées,
permettent en retour un contre-contrôle optimum, à la faveur de techniques elles aussi
délibérément planifiées. Des contingences qui soumettent le comportement des
gouvernants aux conséquences de leurs décisions chez les gouvernés, permettent à cet
égard une prévention efficace des risques d'abus de contrôle. "La responsabilité
politique n'est pas une vertu, elle est dans l'agencement adéquat des relations entre
gouvernants et gouvernés" (Richelle, 1977). Le contre-pouvoir à Walden Two consiste,
entre autres choses, en une limitation de la durée de l'exercice de la fonction de
planificateur, en une renonciation à des "contingences spéciales" pour les organisateurs
(tous les membres sont tenus d'exercer leur lot de travaux physiques quotidiens), et en
une impossibilité de retirer des avantages personnels (on ne peut en effet s'y enrichir
personnellement puisque l'argent et la propriété privée n'ont pas cours).
Du coup, Skinner gêne et fait grand bruit. La hardiesse et la nouveauté de ses idées
stimulent les blâmes outrés de beaucoup de ses contemporains. Peut-être est-ce par trop
difficile de reconnaître des évidences trop longtemps voilées par des conceptions
mentalistes, au point de rendre très difficile un changement de perspective.
Le mentalisme désigne l'usage des théories pré-scientifiques du comportement,
consistant à invoquer des entités mentales abstraites pour expliquer les comportements.
Ces entités abstraites peuvent être très nombreuses, car inférées ad hoc des conduites
dont il s'agit d'expliquer l'origine. Les pulsions sexuelles, de contrôle, de mort sont ainsi
traditionnellement invoquées par la psychanalyse pour satisfaire au principe de
causalité. Dans la même veine, l'instinct est construit pour tenter d'expliquer un
ensemble de conduites spécifiques. Skinner reproche à ce type d'explications, non leur
statut mental, mais leur caractère faussement explicatif qui coupe court à toute analyse
fonctionnelle de l'organisme en interaction avec son milieu.
Aussi Skinner, pas dupe, sut-il déjouer les impasses des psychologies mentalistes par la
découverte du conditionnement opérant et le concept de contingences de renforcement,
qui décrit l'ensemble des interrelations qu'entretiennent une situation, un comportement,
et ses conséquences.
1.3 Une critique de la démocratie
Reposant sur les deux principes de liberté et de dignité dont la validité s'amenuise à
mesure que progresse l'analyse scientifique, la culture américaine, à l'instar de toutes les
démocraties telles qu'elles ont été exercées jusqu'à aujourd'hui, adopte des conduites de
contrôle éculées que Skinner condamne vigoureusement.
En premier lieu, les gouvernements utilisent les procédures punitives, c'est-à-dire la
violence, pour parvenir à leurs fins. "C'est la technique évidente lorsque celui qui est
fort physiquement contrôle le faible" (Skinner, 1948). La force et la menace d'utilisation
de la force sont les principes de contrôle essentiels des gouvernements, mais "un
gouvernement ne peut jamais créer un peuple libre" avec ces méthodes. Au contraire,
Walden Two est libre parce qu'il n'est pas fait usage de la force ou de la menace de
l'utilisation de la force.
La démocratie, qui se définit comme le gouvernement par le peuple, ou en accord avec
la volonté du peuple, ne réunit pas les conditions propres à une administration efficace
des affaires humaines. Le vote, par exemple, permet d'invoquer le choix des électeurs
pour expliquer qu'aucun changement social substantiel n'ait été réalisé. Or, "les gens
sont-ils des gouvernants compétents ? Non. Et ils deviennent de moins en moins
compétents (...) à mesure que la science du gouvernement avance. (...) Une fois que l'on
a acquis une technologie comportementale, nous ne pouvons pas laisser le contrôle du
comportement aux incompétents. (...) Les moyens à mettre en oeuvre pour obtenir ce
qu'ils veulent (...) est un problème de spécialiste."
"La pratique actuelle de la démocratie est de voter, non pas pour un état de la situation,
mais pour un homme qui prétend être capable d'atteindre cet état." Elle est
caractéristique des sociétés pré-scientifiques où l'on compte sur la sagesse du leader
"pour gouverner de façon juste. C'est la seule solution possible lorsque le gouvernement
reste un art." Et même si l'on faisait demain appel à des experts, ils ne sauraient être élus
par le peuple, car "les gens ne sont pas en position d'évaluer des experts" (Skinner,
1948).
Mais maintenant que les bases d'une science du comportement ont été posées, nous
savons quel chemin suivre pour développer une ingénierie culturelle qui surpasse les
précédentes manières, pré-scientifiques, de résoudre les problèmes sociaux.
2 Les solutions béhavioristes
Le modèle de société proposé dans le roman utopique Walden Two n'est pas le produit
frivole ou purement spéculatif d'un romancier contemplatif, ou d'un illuminé sujet aux
révélations. Certes, il comporte une part d'intuitions, mais, nous l'avons vu, il est surtout
l'aboutissement d'une pensée qui s'est développée autour du recueil rigoureux de
nombreuses données fondamentales et théoriques.
2.1 Les procédures de contrôle
La mise en évidence de la nature et des effets des contingences de renforcement a
avantageusement propulsé la psychologie dans une sphère d'action et de contrôle
délibéré et systématique. Elle représente une découverte majeure qui permet de modifier
le monde, et par voie de conséquence, de changer le comportement des hommes.
Alors qu'habituellement, les hommes "définissent un monde meilleur simplement tel
qu'ils le désirent, mais (...) ne songent pas à la manière dont ils peuvent l'obtenir"
(Skinner, 1969), le modèle de vie décrit dans Walden Two s'attache en effet à une
description détaillée de contingences jamais définitives, toujours sujettes à modification
dans le sens d'un amendement. Walden Two, assurément, ne constitue ni un système
définitif, ni un ensemble de dogmes révélés qu'il faudrait suivre à la lettre. Il représente
en revanche un stimulant du plus grand intérêt pour le planificateur de culture à la
recherche de nouvelles solutions susceptibles de résoudre les problèmes sociaux
(Richelle, 1998).
Le style de vie décrit dans Walden Two est fondé, dans son fonctionnement, sur
l'emploi exclusif du renforcement positif. Ce terme technique désigne l'affermissement
de comportements, à la
Il s'oppose aux procédures de punition qui consistent à réduire la fréquence d'apparition
de comportements par présentation de stimulus aversifs ou par ajournement ou
supression de stimulus appétitifs. Skinner identifie les procédures positives comme étant
les procédures les plus utilisées par les cultures pour contrôler les comportements des
individus qui les composent. Aussi n'est-il que d'observer la persistance des mêmes
problèmes dans l'ensemble des cultures, pour saisir l'échec de ces procédures, dont
l'inefficacité n'a d'égal que l'évidence avec laquelle elles se présentent à l'individu qui
souhaite contrôler les comportements qui le gênent.
Les procédures de renforcement positif permettent en revanche des contrôles du
comportement à long terme, et donnent lieu de surcroît à des sous-produits émotionnels
positifs du type sentiment de liberté.
Walden Two doit le bonheur et les compétences de ses membres à la mise en
application générale de cette procédure comportementale, dans un environnement social
qui, délaissant la compétition, a opté pour la coopération. Une société qui repose sur la
compétition laisse au bord de la route de nombreux individus. Dans une société qui
soutient un darwinisme cynique en matière sociale, la misère attend l'individu qui n'a
pas su s'adapter (Prieto, 1989) pendant qu'à la faveur de contingences heureuses,
d'autres s'enrichissent plus que de raison. Or, "lorsqu'un homme obtient une place au
soleil, d'autres sont placés dans une ombre plus épaisse. Du point de vue du groupe
entier, il n'y a pas de gain" (Skinner, 1948). Quel est en effet l'avenir d'une culture où
les membres, contrôlés par la peur de la pauvreté et de la déchéance, n'ont d'yeux que
pour leur réussite personnelle, et un désintérêt total pour les autres membres, que la joie
ou la souffrance ne touchent pas ? Les maux de l'individualisme ne sont pourtant pas si
inéluctables qu'il faille s'y résigner. Pour que les individus soient intéressés par leur
culture dans son ensemble, pour que la fraternité caractérise leurs rapports, des
contingences peuvent être posées de telle manière que l'avenir de sa culture ait un
intérêt pour l'individu.
Walden Two illustre les modalités de contrôle alternatives à la faveur desquelles un
groupe travaille à l'efficience, à la réussite et au bien être de chacun de ses membres.
2.2 L'idéologie béhavioriste à l'épreuve de la réalité. Pour une expérimentation in vivo.
La science du comportement promet une amélioration de la qualité de notre vie, et ce, à
la faveur d'un agencement adéquat des contingences qui définissent la culture.
"Sommes-nous tout à fait sûrs de cela ? Peut-être pas, pondère un Skinner soucieux
d'objectivité scientifique, mais Walden Two peut nous aider à en être sûrs. Même
comme une partie d'un projet plus grand, une communauté peut servir d'expérience
pilote. La question est simplement de savoir si ça marche (...). Lorsque c'est le cas, nous
pouvons développer notre compréhension du comportement humain à la vitesse
optimum. C'est là que réside probablement notre meilleure chance de répondre aux
questions vraiment importantes que le monde affronte actuellement."
La valeur heuristique d'une communauté expérimentale de type Walden Two constitue
un argument cardinal dans la promotion par Skinner de l'expérimentation in vivo.
Skinner ne considère pas son questionnement relatif aux utopies comme une affaire
secondaire, d'ordre essentiellement intellectuel et théorique, dont la portée, en raison de
la complexité des affaires sociales, serait limitée à l'interprétation contemplative du
monde, au détriment de la contribution pratique. Aussi rappelle-t-il, à l'appui de la
méthode sociale qu'il préconise, que "le choix est entre la science ou rien" (Skinner,
1971). "Soit nous ne faisons rien et acceptons un futur probablement catastrophique qui
entraînera notre chute, soit nous utilisons nos connaissances du comportement humain
pour créer un environnement social dans lequel nous pourrions mener une vie
productive et créative (...)." (Skinner, 1948).
Et pour rendre possible une véritable science du comportement, il est nécessaire
d'étudier dans une culture vivante sous contrôle expérimental.
De sa visite de la communauté, le narrateur de Walden Two sort sonné, mais les yeux
décillés. Il analyse désormais d'un regard plus critique la société dont il est issu, à la
lumière du discours développé par le subversif et novateur Frazier.
Lui, l'enseignant, se rend maintenant compte "que les éducateurs, eux-mêmes, ne
pouvaient pas sauver la situation. Les causes étaient plus profondes, trop éloignées.
Elles impliquaient la structure entière de la société. Ce qui était nécessaire, c'était une
nouvelle conception de l'homme (...). On ne peut pas faire l'économie d'une révision
complète de la culture."
Voilà qui donne le ton. La résolution des problèmes qui nuisent à l'humanité implique
des changements massifs auxquels les habituels colmatages et expédients ne peuvent
prétendre. La démocratie, qui présente certes des qualités, ne constitue sans doute pas
"notre seul espoir" (Popper,1944) et doit peut-être laisser le pas à une "nouvelle ère"
(Ardila, 1979) à la fois humaine et expérimentale. Mais, c'est conscient de la complexité
des phénomènes sociaux que Skinner plaide pour un contrôle à expérimenter à l'échelle
de communautés de quelques centaines de personnes, lesquelles, de dimensions
volontairement modestes, sont plus susceptibles de révéler les conditions nécessaires au
déploiement des répertoires de comportements que l'on vise.
2.3 Le critère de survie
Mais comment se définit plus précisément la Bonne Vie que Skinner souhaite voir
réalisée par un projet ? Quelle est sa version de la Bonne Vie à laquelle un agencement
de contingences de renforcement favorable serait à même de conduire ?
La définition du bonheur par Skinner est résolument opérationnelle. Il rappelle, par la
bouche de Frazier : "Nous savons tous ce qui est bon, jusqu'à ce que nous arrêtions de
penser à cela. Par exemple, y a-t-il un doute que la santé est meilleure que la maladie ?
(...) Toutes autres choses étant égales, nous choisissons la santé."
A la suite de son argumentation par l'exemple, Frazier conclut que l'on ne peut pas
donner une justification rationnelle à la Bonne Vie, juste une justification
expérimentale.
Skinner assure que la science du comportement ouvre une voie digne d'intérêt quant à la
réalisation d'une vie heureuse. Voilà qui est propre à exciter l'ironie des sceptiques qui
remettent en cause les valeurs qui sous-tendent un style de vie qui ne leur semble pas
désirable. Voilà un argument qui semblerait au prime abord révéler le tendon d'Achille
de l'idéologie skinnérienne. Tant s'en faut.
Skinner (1969) précise en premier lieu que "nous aimons un style de vie dans la mesure
ou nous en sommes renforcés."
Or, "que cela nous plaise ou non, la survie est la valeur par laquelle nous serons jugés."
Skinner fait en effet de la sur vie de la culture humaine le critère décisif de sa valeur.
Comme le signale Richelle (1971), grand commentateur des oeuvres de Skinner, "sa
philosophie est, à cet égard, celle d'un biologiste matérialiste."
Il en découle qu'il s'agit de trouver "des formes de compromis, où les buts propres à la
collectivité seraient réalisés à travers des comportements individuels positivement
renforcés" (Richelle, 1971).
Tout scientifique qu'il est, Skinner reconnaît que l'on ne peut pas justifier
rationnellement le critère choisi pour juger une culture. L'on peut toujours afficher un
mépris négligent quant à l'avenir des cultures, et de l'humanité que compose l'ensemble
des cultures. "En effet, il n'y a aucune bonne raison (de se soucier de l'avenir de la
culture à laquelle on appartient), mais si votre culture ne vous a pas persuadé qu'il y en
a, tant pis pour elle", remarque Skinner.
A l'opposé, "une culture bien agencée est un ensemble de contingences de renforcement
tel que les membres de cette culture agissent de façon à la préserver, à la faire survivre
aux situations critiques, et à la modifier dans le sens d'une possibilité sans cesse accrue
de se perpétuer" (Skinner, 1969).
Mais comment parvenir à cet état, à ce point d'équilibre, où les individus, en menant un
style de vie qui les rend heureux, affermissent en même temps les chances de survie de
leur culture ? N'a-t-on pas si souvent vu comme inconciliables l'intérêt de l'individu et
celui de la société ? La société ne violente-t-elle pas systématiquement l'individu, en
contenant les comportements qui la desservent ?
Il faut savoir que les contingences qui servent la culture en contrôlant la productivité, la
créativité et le bonheur peuvent très bien devoir faire l'objet d'une programmation, sans
laquelle il ne serait pas possible de parvenir aux comportements optimums auxquels on
aspire. Un renforcement programmé consiste en une distribution agencée de
contingences tel qu'elle amène progressivement à un contrôle de comportements
complexes. On peut comprendre qu'un étranger exposé de but en blanc aux
contingences terminales qui caractérisent une culture "puisse ne pas les aimer, ou n'être
pas capable d'imaginer seulement qu'il puisse en venir à les aimer" (Skinner, 1969).
En effet le problème n'est-il pas "d'élaborer un mode de vie qu'apprécieraient les
hommes tels qu'ils sont maintenant, mais qu'apprécieront les hommes qui y vivront."
N'oublions pas que "c'est à ses effets sur la nature humaine - sur le patrimoine génétique
de l'espèce - qu'il faut évaluer tout environnement, physique ou social."
Conclusion
La littérature fournit de nombreuses utopies proposant l'accès à une vie communautaire
heureuse, à la faveur de techniques inadéquates. La mise en exergue de la notion de
contingences de renforcement au vingtième siècle permet l'accès de l'étude du
comportement au champ des disciplines scientifiques. La spécificité de son objet d'étude
confère à la psychologie, plus qu'à toute autre science, la légitimité de son intérêt pour
l'élaboration d'un style de vie en rapport avec ce que l'analyse scientifique révèle de
l'Homme. La perspective d'une science appliquée au comportement humain permet
depuis Skinner de renoncer, et à la conception fataliste d'une nature humaine
pernicieuse, et à une aussi impuissante qu'inconditionnelle vision optimiste de l'avenir
de l'Homme, au profit de la recherche et du contrôle des variables dont dépend le
comportement. Le projet visant à attribuer à la psychologie la tâche d'administrer au
mieux les affaires humaines implique pourtant au préalable une remise en question
fondamentale des notions de liberté et de mérite incompatibles avec une science du
comportement qui continue de subir les foudres d'une infructueuse mais tenace
conception anthropocentrée de l'être humain. L'avenir conditionnel de l'espèce humaine
dépendra de sa résolution à développer une ingénierie comportementale et culturelle qui
s'affranchisse des conceptions pré-scientifiques de l'être humain dans son rapport au
monde. Mais ceux qui détiennent le pouvoir ne semblent pas s'acheminer dans ce sens,
eux que Skinner suspecte d'entretenir délibérément le mythe de l'homme autonome libre
et responsable, pour occulter des contrôles abusifs d'autant plus puissants qu'ils
"exploitent les lois du comportement sous le manteau de la liberté" (Richelle, 1993).
BIBLIOGRAPHIE
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science du comportement : le béhaviorisme. Paris : Delachaux et Niestlé].
THOREAU, H.D. (1854) Walden ou la vie dans les bois. Aubier, Editions Montaigne,
Paris.
Harold Gerard, ancien professeur de psychologie sociale a l'UCLA, nous a quittés
le 16 janvier dernier, à l'âge de 79 ans.
Nous retiendrons de sa biographie ses premiers travaux sous la direction de M. Mead,
ses multiples recherches expérimentales avec Festinger et la publication avec E. Jones
de son ouvrage « Fondements of social psychology ». Presque à l’aube de sa carrière
universitaire son travail change de nature, et s’oriente vers la psychanalyse et la
psychothérapie..
Nous retiendrons personnellement le souvenir d'un homme étonnement posé et
chaleureux, son regard détaché des contingences, ses cours de psychologie sociale
expérimentale à la Faculté Latino-américaine ( Flacso) à Santiago du Chili au début des
années 70, puis ses visites amicales, de temps en temps, en compagnie de son épouse
Daisy Safan, psychothérapeute et peintre, laquelle a eu une forte influence sur sa
"conversion" psychanalytique.
Même si je le savais malade, la triste nouvelle m'a surpris, car j’attendais la
visite du couple pour le printemps. Et, j'avais fait le projet d'aller chez lui à Santa
Monica. Cela ne se fera pas. Mais, il reste dans notre mémoire. La psychologie a perdu
un scientifique de valeur, et moi un ami américain.
Alexandre Dorna
Françoise Subileau est décédée le 18 février. Sa brutale disparition est une perte
irréparable. Elle participait avec assiduité et enthousiasme aux réunions du comité
exécutif de l'AFPP, et toujours attentive à notre projet. Impossible d'oublier sa voix
grave et posée, ses commentaires percutants et parfois drôlement ironiques.
Directrice de recherche au Cevipof, spécialiste sur le phénomène de l'abstentionnisme et
la participation électorale. Nous l'avons connue au début des années quatre-vingts lors
de rencontres de l'Observatoire de la Démocratie..
Ses travaux étaient un avertissement sur la baisse régulier de la participation électorale
des français. Sa réflexion, lucide, mettait en cause la classe politique et l'absence de
projet politique. La abstentionnisme comme phénomène "structurel" portait pour elle un
questionnement des institutions républicaines, auxquelles elle restait très attachée.
D'ailleurs, ses travaux sur les militants du parti socialiste, et l'évolution de l'idée laïque
en France, témoignent de son engagement et volonté de connaissance.
Une description de ses travaux a été faite dans le n° 5 de Politèia, et son dernier ouvrage
" C'était la gauche plurielle", porte un regard pénétrant sur les clivages actuels, l'érosion
idéologique et l'effacement des repères dans une gauche de gouvernement.
A.D.
Particularités du post-communisme en Roumanie
Lavinia BETEA
L année 1989 - annus mirabilis, comme il est souvent appelé - reste le point de repère
des démarches ayant pour thème lhistoire récente des sociétés ex-communistes.
Quelles que soient les disciplines socio-humaines qui les encadrent, celles-ci sont
compliquées par labsence dhypothèses explicatives, antérieures au fait historique. Les
changements au niveau du mental individuel et collectif sont difficiles à estimer, pour
de diverses raisons. Les modifications survenues dans la configuration de la
personnalité de lindividu, dont une grande partie de la vie a été soumise au programme
de formation de lhomme nouveau ne comportent pas de termes de comparaison. En
même temps, le fait de se rapporter, de la perspective psychologique individuelle et
sociale, à la situation précédant linstauration des régimes communistes nest pas
opérationnel.
Comme les autres pays des Balkans, la Roumanie se caractérise par labsence des
traditions démocratiques.
Le système politique roumain de la période dentre les deux guerres, basé sur le
suffrage censitaire, est designé comme une démocratie mimée (Doggan, 1999). Les
conditions sociales, économiques et culturelles nétaient pas à mêmes de favoriser la
culture civique et politique de lélectorat. En plan politique, la Roumanie se situait,
comme tous les autres pays du sud-est de lEurope, dans la phase de constitution de la
nation après lécroulement des grands empires où ils avaient été incorporés. Le besoin
de consolider leur identité nationale constituait le dénominateur commun de ces pays.
Cest ainsi que, entre les deux guerres -le bolchévisme et le fascisme- loption des
élites roumaines et dune partie de la population sera lextrêmisme de droite, répresenté
par le mouvement légionnaire. Linterdiction du pluripartisme par la loi électorale de
mai 1939 a été succedée par le régime des démocraties populaires´(1944-1948), étape
dans laquelle on a imposé le régime communiste, par des techniques de manipulation
spécifiques.
Il faut y ajouter que dans la Roumanie communiste, le régime Ceausescu (1965-1989)
a excellé par le nationalisme promu, par lempechement et lanéantissement de toute
forme de résistance r travers le contrôle exercité par la police politique sur les citoyens
et la censure sur linformation avec laquelle ceux-ci pouvaient venir en contact. Cest
ainsi que, dans le processus décroulement des régimes communistes en éurope, afin de
changer léquipe au pouvoir, en Roumanie on a mis en sccne une révolution typique
en 1989 (Karnoouth, 2000).
Dans les analyses concernant la révolution de Roumanie, la seule révolution sanglante
par rapport r la révolution de velours des autres états communistes dEurope, il faut
signaler les particularités suivantes du transfert du pouvoir:
En Roumanie seulement il y a eu lieu un renversement sanglant du régime, pendant
lequel (22-25 décembre 1989) 1104 hommes sont morts et 3352 ont été blessés.
On a fait recours r la violence non seulement avant la fuite du couple Ceausescu de
Bucarest, mais encore plus aprcs cela. Le but de cette action était de créer lapparence
de legitimité dans la prise du pouvoir par la nouvelle équipe dirigeante et dassurer ce
pouvoir par les changements institutionnels et des élites de premier rang.
En Roumanie seulement, le chef du parti et de létat a été executé aprcs un proccs
représentant une rémanence des proccs staliniens.
A peine aprcs le renversement de la dictature ayant une teinte idéologique
national-communiste, en Roumanie les communistes réformistes ont pris le pouvoir.
La competence du nouveau groupe décisionnel est remarcable par lorganisation du
Front du Salut National (FSN) - formation qui assume la direction du pays. Pendant 3
jours (le 22-25 décembre 1989), sur le fond des manipulations appelées laffaire des
terrotistes, celui-ci se substitue aux organization du parti communiste à tous les
niveaux du politique dans tout le pays. Dans une première étape, les nouveaux
dirigeants veulent se légitimer en tant quagents du changement, en maintenant leurs
positions au sommet de la hiérarchie par des mesures populistes. Leurs attentes ont été
satisfaites par lélectorat qui a crédité FSN aux élections du mois de mai 1990 de 87,
5% des suffrages. Son leader Ion Iliescu - en compétition finale pour le fauteuil
présidentiel avec les représentants, récemment revenus de lexil, des deux partis
historiques qui renaissent (Le Parti National Liberal et Le Parti National Paysan
Chrétien et Démocrate) - est paru comme le facteur de déclenchement des effets
positifs de lépoque.
Son avantage, pour occuper la position de premier rang dans la hiérarchie du pouvoir, a
consté dans son habileté d organisateur et dans sa capacité de détenir des relations
clientélistes basées sur sa propre personne parmi les élites du temps (Gabanyi, 1999).
Ainsi, par sa biographie, Ion Iliescu représente les relations et les groupes suivants:
les répresentants et les continuateurs des communistes illégalistes de 1922-1944 (son
père et sa mère adoptive avaient été illégalistes);
les anciens étudiants des facultés de Moscou (pendant 1950-1953 il avait été étudiant à
lInstitut dEnergétique dans la capitale soviétique et leader des étudiants roumains de l
URSS)
lorganisation de la jeunesse communiste UTC (1957-1971 - il a été premier secrétaire
de lUTC),
les activistes de premier rang du parti (février-juillet 1971, sécretaire de la propagande
du CC de PCR; 1971-1974, sécretaire de la propagande du département de Timis,
1974-1979, premier secrétaire r Jassy);
les technocrates (1979-1989, directeur du Conseil National des Eaux);
les gens de culture (1984-1989, directeur de la Maison dEdition Technique ayant le
sicge r Casa Scânteii); dans sa qualité de dirigeant départamental ou national de la
propagande, les écrivains, les gens de culture et dart et ceux de lenseignement lui
étaient subordonnés)
La démocratie non-représentative du pluripartisme. La promulgation de certaines lois
démocratiques en vue de la libre association a donné naissance au phénomène appelé
la démocratie non-répresentative(Revel, 1990)
Tout comme dans lex-Union Sovietique, les partis parus en Roumanie - des dizaines peuvent être groupés en cinq catégories (Thom, 1994)
des partis qui essaient de renouveler la tradition pré-bolchevique, respectivement celle
dentre les deux guerres (Le Parti Liberal, Le Parti National Paysan Chrétien et
Démocrate);
des partis qui prétendent sinspirer des modèles occidentaux (Le Parti Démocrate, Le
Parti Ecologiste);
des partis qui ne sont, en réalité, que des groupements autour dun leader plus ou moins
charismatique;
des partis qui expriment lorganisation politique et les interêts de certains groupes de l
administration et de léconomie;
des partis résiduels, qui renaissent du parti communiste et/ou des services spéciaux.
Malgré la dénomination et les doctrines déclarées, les partis politiques qui dominent à
présent la vie publique roumaine ressemblent peu aux partis politiques propres à la
société moderne. Lidentification avec un parti na pas les connotations connues (l
apparition de nouveaux partis se produit par la fragmentation de ceux déjà existents,
dans le cadre dun phénomène qui ressemble à la multiplication des organismes
primaires par scissiparité). En général, les partis actuels sont construits non pas comme
des groupements qui appuient une certaine politique, mais autour de certains leaders.
Les conflits existant entre les leaders font naître dautres partis. Mais depuis 1990, sur
le plan principal de la scène politique, PDSR na jamais manqué - il sagit du parti
articulé en décembre 1989 (FSN) sur les structures du parti communiste.
Il faut signaler un moment significatif de lhistoire post-communiste de la Roumanie:
la constitution de la Convention Démocrate de Roumanie (CDR), comme une coalition
des forces dopposition à PDSR. CDR et son candidat présidentiel Emil
Constantinescu ont gagné les élections de 1996. La législature 1996-2000, au début de
laquelle la plupart des Roumains avaient espéré quelle apporterait le changement en
bien, a constitué pourtant une grande désillusion.
Les caractéristiques des élites. Les membres du gouvernement, du parlament, des staff
des principaux partis post-communistes peuvent être designés par le terme institutciki
(utilisé par la presse russe conservatrice pour les promoteurs de la perestroika). Ils
proviennent, la plupart, des instituts et des universités - représentant le milieu
universitaire, conformiste, servile et faible (Iakovlev, 1999), des services spéciaux et
de la presse. Léducation en vertu du principe stalinien qui nest pas avec nous est
contre nous est visible dans les rapports existant entre les partis adverses, dans le
contenu de la presse communiste, dans le langage eschatologique utilisé par certains
journalistes et politiciens dans les disputes avec leurs adversaires.
Des concepts comme réforme, changement, démocratie, consensus, économie de
marché constituent des accessoires doctrinaux de tout parti. Le discours électoral
excelle en promesses; le politicien actuel a herité le manque de responsabilité typique
de lactiviste de parti du régime précédent. Mais plus encore que pendant le régime
communiste, la carrière de politicien est la voie le plus avantageuse et efficiente de
posseder des biens, des privilèges et de la popularité.
En essence, le manichéisme et la logocratie sont les caractéristiques des élites
actuelles.
La confusion dinstitutions et de rôles. Dans la multitude des organisations et des
institutions dépourvues de compétences bien définies du régime communiste, cest le
rôle dirigeant et de censeur du parti unique qui sest distingué. La propagande a
augmenté sans cesse la création de la représentation selon laquelle cest au parti
communiste (et surtout à son leader) quon devait la satisfaction des besoins
existentiels des individus.
Cest pourquoi, au niveau du mental collectif se maintiennent à présent les confusions
entre les attributions des institutions fondamentales politiques, législatives et
administratives. Cela donne naissance à des disputes et à des divergences difficiles à
solutionner au niveau central et local. En Roumanie, les gens attendent encore que les
partis auxquels ils adhèrent résolvent leurs problèmes exitentiels individuels.
Dans le plan de la vie individuelle, on remarque le fait que le rôle de la famille stagne à
la mentalité de lancien régime. Ainsi, les parents essaient de transférer leurs
responsabilités aux institutions dassistance sociale et éducationnelles.
Lappauvrissement de la population. Léchec des premières tentatives de transition à l
économie de marché a été peu ressenti pendant les premières cinq années suivant la
chute du régime communiste. Cela sexplique par le fait que les emprunts financiers
faits à létranger ont été utilisés non pour restructurer léconomie, mais pour
subventionner des marchandises et des services de large consommation pour la
population. Apres cette étape, les Roumains habitués à un certain niveau de vie
sous-mediocre, mais qui leur garantissait certains droits sociaux, (le lieu de travail, la
pension de retraite, le congé et la gratuité de léducation et de lassistance médicale)
ont ressenti le choc de la dégradation des conditions de vie.
Lappauvrissement de la population a evolué progressivement. En dix ans, le salaire
moyen net, exprimé en dollars, sest réduit à la moitié (en octobre 1990, il représentait
162 dollars; en janvier 2000 il avait diminué à 87,5). Les sondages dopinion montrent
que la privatisation est perçue comme un stimulent pour la pauvreté (Constantinescu,
1995) et la représentation des entrepreneurs se réalise par association avec la
malhonnêteté. Des données qui utilisent le passé et lavenir comme indices du présent
(M. Ziolkowski, 1998), il résulte que les espoirs dune vie meilleure des Roumains se
détériorent progresivement. En 2000, 70% des Roumains appréciaient que les
conditions de vie de 1989 étaient meilleures que le présent. Tout comme dans les
autres états communistes, en Roumanie les gens ont commencé à associer le régime
passé avec les bons temps (G.H. Hodos, 1996)
Le nationalisme et la xénophobie. Cela a constitué le contexte socio-politique dans
lequel les dernières élections se sont deroulées (26 novembre 2000). Compromise à la
suite du gouvernement précédent, CDR na obtenu qu 6% des suffrages. PDSR et son
leader qui candidait pour le fauteuil présidentiel, Ion Iliescu, étaient considérés comme
les favoris incontestables des élections. PDSR a obtenu finalement 43% des suffrages
des électeurs. Parmi les partis historiques, PNL uniquement a obtenu des résultats
significatifs (10%) par rapport aux élections précédentes.
Lascension du parti România Mare (La Grande Roumanie) (PRM) et de son leader
Corneliu Vadim Tudor en tant que candidat à la présidence de la Roumanie a constitué
une surprise de grandes proportions. Récepté comme un parti extrêmiste - selon
certaines opinions, de droite, selon dautres - de gauche - antérieurement aux
élections de 2000, aucun sondage ne créditait le parti avec la performance dobtenir
plus de 10% des suffrages. Mais il a obtenu 22% des votes de lélectorat, se montrant
ainsi la principale force de lopposition actuelle en Roumanie. Après le premier tour
de scrutin pour la présidence, C.V.Tudor (28,4% des suffrages) était placé dune
manière surprenante très près de Ion Iliescu (36%).
Qui est le leader nationaliste de Roumanie? Né en 1949, C.V. Tudor se présente, d
une manière propagandiste, comme le fils dune famille de travailleurs, chrétienne. Il
est diplômé de la faculté de sociologie de Bucarest et il a terminé ensuite une école d
officiers en resèrve. Pendant le régime communiste, il a excellé en tant que publiciste
et poète engagé politiquement. En 1990, sur le fond des conflits inter-ethniques de
Transylvanie et des manipulations practiquées par les officiers de lancienne Securitate
C.V. Tudor a fondé le parti România Mare. Sans que lon ait des données précises sur
le nombre de ses membres, le parti semble représenté, en principal, par la revue
hebdomadaire România Mare. Ses représentants marquants dans lactuel parlement de
Roumanie sont des anciens officiers de la Securitate, des chanteurs de musique
populaires et des journalistes.
Sans avoir un programme économique ou destiné à freiner la corruptionm - celle-ci
étant déclarée la cause fondamentale de la dégradation de la vie en Roumanie - la
popularité de PRM semble résider dans le discours de son leader.
Ce qui le caractérise cest lappel aux mythes de large circulation analysés par R.
Girardet (1986) - le mythe du sauveur, de la cité assiégée (les allusions continuelles
à la Transylvanie), de la conspiration(les conspirateurs étant les maffieux désignés d
une maniere imprécise) et du renouvellement de lâge dor (apprécié comme étant,
selon les circonstances, soit lépoque médievale, soit lépoque de La Grande Roumanie
de 1919-1940, soit le régime communiste). Ainsi, dans léditorial de la revue
România Mare du 1 décembre 2000, le pays est présenté comme se trouvant à un
carrefour historique ou les Roumains doivent décider leur entrée (à genoux et la main
tendue ou bien le front haut). En vue de la décision, Vadim se présente comme le
sauveur de la nation.
Le nationalisme roumain - caractéristiques et motivations. Bien que le succès de PRM
et de son leader aux dernières élections ait surpris et inquiété les milieux roumains qui
adhèrent aux valeurs des démocraties traditionnelles, le phénomène na pas été analysé
avec pertinence et la méthodologie des sciences socio-humaines.
Par conséquent, la recherche comparative Les extrêmes droites en Europe, nous
estimons la possibilité dobtenir des réponses avisées. Lanalyse de la societé roumaine
- avec ses particularités présentées antérieurement - peut contribuer, à son tour, a l
éclaircissement de certaines questions avancées par le projet proposé concernant la
ré-emergence de lextrêmisme de droite dans les pays de lEurope, par exemple:
En quelle mesure la popularité du discours nationaliste en Roumanie représente-t-elle
une rémanence des représentations sociales formées par la idéologie de droite pendant
la période dentre les deux guerres ou bien de celles dues à létape historique plus
récente, désignée par le syntagme le communisme national?
Quelles notes et quelles étapes communes ont les représentations sociales du
nationalisme post-communiste par rapport aux représentations sociales des extrêmes
droites de lEurope Occidentale?
Le nationalisme est-il une possible doctrine de lhistoire récente annoncée comme un
temps de la mort des idéologies? Avec quelles motivations?
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