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Juillet 2008 - AIRPARIF Actualité N°31
2003 : une année météo
très atypique
Interview
EE EEEEÉchelle planétaireClimat & Météo FFFFFF
M. Frédérik Meleux
« Le réchauffement entraînera
une hausse des niveaux d’ozone »
Depuis quand étudiez-vous
l’impact du réchauffement
climatique sur la pollution ?
C’est un sujet assez nouveau,
qui a principalement émergé
au début des années 2000. La
recherche sur les relations entre
le climat et la qualité de l’air
débute donc.
Vous avez plus particuliè-
rement étudié les effets du
changement climatique sur
les concentrations d’ozone.
Quelle a été votre approche ?
Notre objectif était d’identifier
l’impact du changement
climatique à l’échelle de l’Eu-
rope. L’étude était effective-
ment focalisée sur les teneurs
en ozone. Nous avons effectué
deux simulations sur des
périodes de 30 ans. Une simu-
lation sur une période actuelle
(1960-1990) et une autre sur
une période future (2070-2100),
grâce aux outils de modélisa-
tion numérique. Nous avons
ensuite comparé les résultats
afin d’analyser l’impact des
conditions futures par rapport
à ce que nous observons
actuellement.
Quelles sont les évolutions
climatiques prévues d’ici la
fin du siècle en Europe ?
Plus de soleil, moins de nuages
et de pluie en période estivale…
Nous avons regardé un scéna-
rio d’évolution climatique
défini par le GIEC (Groupe
d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat). Ce
scénario implique une
augmentation des températu-
res, avec des conditions anti-
cycloniques plus marquées
entraînant une plus faible
dispersion des polluants dans le
futur.
Pouvez-vous préciser les
conséquences d’un tel scéna-
rio sur la qualité de l’air?
En imaginant que les rejets de
polluants restent à leur niveau
actuel, on prévoit une aug-
mentation des concentrations
d’ozone à l’avenir. Nos résul-
tats montrent en effet une haus-
se des réactions chimiques qui
conduisent à la formation de
ce polluant. Ce phénomène est
notamment en lien avec la di-
minution de la couverture nua-
geuse. Sans cette protection,
l’énergie solaire favorable à la
production d’ozone sera moins
atténuée.
Vu le processus de formation
de l’ozone (voir encadré p.4),
les campagnes sont plus
touchées par cette pollution
que les agglomérations. Cela
va-t-il durer?
Oui, ce phénomène pourrait
même s’accentuer. En effet,
l’évolution du climat induirait
une augmentation des rejets de
composés organiques volatils
d’origine naturelle, les hydro-
carbures émis par les plantes,
qui sont des précurseurs
importants de l’ozone.
Tout le monde garde en
mémoire la canicule de 2003
(voir encadré ci-contre). Est-
ce que ce type d’événement
risque de se répéter à
l’avenir ?
Les estimations sont même
pires qu’un simple risque de
répétition : au niveau des
concentrations d’ozone attein-
tes et de la durée des épisodes,
l’été 2003 pourrait être un été
commun à la fin de ce siècle.
On prévoit une réelle augmen-
tation des événements extrê-
mes type 2003. En terme de
valeurs, nos modèles montrent
par exemple une augmentation
des pics journaliers d’ozone de
20 µg/m3entre les deux pério-
des dans certaines régions fran-
çaises, en prenant le scénario
climatique le plus pessimiste.
Quelle orientation vont
prendre vos recherches ?
On va maintenant s’intéresser
à une période moins lointaine
(2020-2050), avec un projet eu-
ropéen de trois ans, intitulé
Citizen, qui commencera en
septembre 2008. Il s’agira cette
fois d’étudier l’impact des méga
cités sur la qualité de l’air, en
prenant en compte l’évolution
du climat et des rejets de pol-
luants. On étudiera l’ozone mais
aussi les particules. L’explora-
tion ne fait que commencer.
Peu de vent, pas de nuages et
du soleil... S’il fait beau, c’est
plutôt mauvais signe pour la
qualité de l’air ! En effet, en
présence d’une situation
anticyclonique persistante,
accompagnée d’une absence
de vent au sol ou d’une inver-
sion de température (voir p.6),
on observe une accumulation
La qualité de l’air est liée aux rejets de polluants dans l’atmosphère. La météo a ensuite un
impact déterminant sur la dispersion de ces polluants ou leur transformation chimique.
La hausse des températures due au réchauffement climatique aura un impact significatif
sur les niveaux de pollution. Et la probabilité plus grande d’épisodes météo extrêmes, comme
les canicules, risque d’augmenter les niveaux d’ozone. Les niveaux records atteints en 2003
seront peut-être beaucoup plus communs à la fin du XXIème siècle. Précisions de Frédérik
Meleux, chercheur à l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques).
progressive des polluants et le
soleil accélère leur transfor-
mation chimique. Par contre,
en présence d’un temps
perturbé, c’est-à-dire pluvieux
ou venteux, la pollution est
balayée et lessivée.
La qualité de l’air résulte d’un
équilibre complexe entre les
rejets directs de polluants, et
Le rôle de la météo,
dispersif ou aggravant Une vague de chaleur, exception-
nelle par sa durée et son intensi-
té, a frappé une grande partie de
l’Europe de l’Ouest pendant la
première quinzaine d’août. Vents
faibles et fort ensoleillement ont
favorisé la formation de pol-
luants photochimiques comme
l’ozone et donc d’épisodes de
pollution. Ces épisodes ont été
exceptionnels par leur répétition
et leur persistance, plus que par
leur intensité, puisque le record
d’ozone de 1998 en Ile-de-
France n’a pas été atteint.
Les conséquences sanitaires de
cette vague de chaleur estivale
ont été catastrophiques : un
excès de 70 000 décès en
Europe dont près de 20 000 en
France dont 5 000 en Ile-de-
France (projet européen Canicule
coordonné par l’Inserm, 2007).
Quant à l’impact sanitaire propre
à l’ozone pendant la canicule, il a
été évalué par l’Institut national
de veille sanitaire pour neuf villes
françaises dont Paris, à près de
400 décès anticipés.
Mais au-delà des quinze pre-
miers jours d’août, les périodes
anticycloniques ont été tout au
long de 2003 anormalement lon-
gues et la moyenne des tempéra-
tures a été une des plus élevées
depuis 50 ans (Météo-France).
La durée d’ensoleillement en Ile-
de-France a été de 20 à 30 %
supérieure à la moyenne des dix
dernières années et les pluies
nettement inférieures à la nor-
male régionale sur les trente
dernières années. Ces facteurs
météorologiques atypiques ont
été défavorables à la dispersion
des polluants toute l’année, et
donc à la qualité de l’air avec un
nombre record d’épisodes de
pollution mais aussi des concen-
trations moyennes annuelles en
hausse pour plusieurs polluants
majeurs : ozone, dioxyde d’azote
et particules.
Pour mieux comprendre la météo
et son impact sur la qualité de
l’air, les scientifiques utilisent des
outils informatiques, les modèles
numériques. Les modèles météo
permettent d’effectuer des prévi-
sions qui alimentent les modèles
de pollution atmosphérique. Ils
décrivent en termes mathéma-
tiques le déplacement de l’air et
la stabilité de l’atmosphère. La
précision de ces outils est adap-
tée en fonction de la taille du
domaine étudié : plus la zone est
petite, plus les points de calcul
sont proches. On distingue ainsi
quatre échelles d’analyse.
L’échelle globale prend
en compte la planète
entière. Elle est
notamment adaptée
pour étudier l’effet de
serre et le réchauffe-
ment climatique.
L’échelle continentale permet
d’observer le déplacement
des masses d’air et la
transformation chi-
mique des polluants
au niveau d’un conti-
nent (anticyclone,
dépression). Ces mouve-
ments ont des conséquences sur
la dispersion des polluants et sur
leurs transferts sur de longues
distances.
L’échelle régionale montre plus
les circulations d’air
engendrées par
la géographie
(relief, pré-
sence d’une
grande ville ou
de la mer...), ainsi
que les phénomènes
d’import et d’export en fonction
des trajectoires des masses d’air
et l’effet direct global des rejets
de polluants.
Al’échelle locale, on s’intéresse
aux flux de pollution engendrés
par un bâtiment ou par une rue.
En effet, les différents types de
rues ou de bâtiments entraînent
des modifications sur
les écoulements
des flux d’air et
peuvent notam-
ment contra-
rier la disper-
sion (effet rue
canyon).
La météo
à différentes échelles
Par sa densité de rejets de polluants, par son
climat tempéré et son relief plat,
l’agglomération parisienne est comparable à
celle de Londres. Avec 11 millions d’habitants
pour une superficie de 12 000 km2, l’Ile-de-
France est en effet une région très densément
peuplée. Cette densité, au niveau des transports
et des activités urbaines, entraîne de forts rejets
de polluants. Le trafic routier est notamment
la première source de pollution. Heureusement,
le climat y est tempéré, plutôt pluvieux et
venteux, et le relief plat du Bassin parisien
est favorable à la dispersion de la pollution.
Les vents sont de dominante sud-ouest, en
particulier en période hivernale où ils sont
associés à des régimes océaniques perturbés.
Une dominante nord-est est quant à elle obs-
ervable environ un quart de l’année, surtout lors
des situations anticycloniques qui accentuent
la pollution.
En Ile-de-France,
un climat plutôt dispersif
Ozone (O3)Dioxyde d’azote (NO2)
Zone
concernée par l’épisode
toute la région
mais surtout les zones rurales l’agglomération parisienne
Période de l’année
la plus problématique en été toute l’année
Période de la journée
où le risque d’épisode est le plus fort
l’après-midi,
quand l’ensoleillement est maximum
le matin ou le soir,
quand le pic de trafic correspond à
l’inversion de température
Conditions météorologiques
propices aux épisodes - températures supérieures à 30°C
- fort ensoleillement
- vent faible
- vent faible ou absent
- inversion de température avec la
formation d’un couvercle d’air chaud
au-dessus de l’agglomération parisienne
toute une série de phénomènes
physiques dans l’atmosphère :
transport, dépôts secs et
humides, et enfin transforma-
tions chimiques. D’un jour à
l’autre, même si les rejets sont
identiques, les niveaux de pol-
lution peuvent ainsi varier
considérablement suivant les
conditions météo.
2AIRPARIF Actualité N°31 - Juillet 2008
Temps anti-cyclonique
absence de vent
+ soleil
+ pas de nuages
+ fortes émissions
accumulation de polluants
et transformation chimique
=
on respire mal
Temps perturbé
pluie ou neige
+ vent
+ nuages
La pollution est balayée
et lessivée
=
on respire mieux
Airparif