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« Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier ? »
Animée par François Thomas, chef du bureau de Paris de Radio Caraïbes International (RCI) et
directeur délégué du magazine Brune, cette conférence s’est tenue le 25 juin 2014 à l’AFD. Sont
intervenus :
Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’Agence Française de Développement
(AFD)
Hervé Guéry, directeur du Centre d’observation et de mesure des politiques d’action
sociale (Compas)
Françoise Rivière, économiste, département de la Recherche, AFD
Olivier Sudrie, maître de conférences à l’université de Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au Centre d’études sur la mondialisation, les
conflits, les territoires et les vulnérabilités (CEMOTEV)
François Chérèque, en charge du suivi du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour
l’inclusion sociale à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), président de
l’Agence du Service Civique
Matthieu Barrier, directeur régional en charge des Outre-mer de l’Association pour le
droit à l’initiative économique, directeur adjoint du réseau de l’Association pour le droit à
l’initiative économique (ADIE)
Mathieu Lefebvre, adjoint à la sous-direction des politiques publiques, direction générale
des Outre-mer, ministère des Outre-mer
Pascal Pacaut, directeur du département Outre-mer, AFD
Thomas Degos, directeur général des Outre-mer, ministère des Outre-mer
Serge Larcher, sénateur de la Martinique, président de la délégation sénatoriale à
l’Outre-mer
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« Même après une période longue et soutenue de croissance économique dans les années 1990, et
même après la mise en place de minima sociaux par l’État afin de rattraper les périodes
précédentes, on voit se maintenir des inégalités » très fortes dans les Outre-mer. Elles
représentent un « risque quant à la croissance et la cohésion future des sociétés » (Jacques
Moineville) et se traduisent déjà par des tensions sociales dans les différents territoires. Trois
niveaux d’inégalités coexistent : entre les Outre-mer et l’Hexagone, entre communes ou entre
quartiers au sein des Outre-mer, et enfin entre individus. Ces inégalités ne sont pas seulement
économiques. Elles touchent aussi au genre, à l’éducation, à la santé. Quelles en sont les causes ?
Quels sont leurs impacts ? Comment peut-on les atténuer ?
Retrouver ci-dessous la synthèse des échanges
ETAT DES LIEUX
Des inégalités qui se creusent
Dans les années 1990 a eu lieu dans les Outre-mer une « réduction
sensible des inégalités, sous l’effet d’une forte croissance économique
et de l’alignement progressif des prestations sociales et minima
sociaux sur ceux de la métropole » (Françoise Rivière). Mais dans les
années 2000, la croissance s’est accompagnée d’une augmentation des
inégalités, avec une augmentation des taux de bas revenus et une
pauvreté qui touche non seulement les exclus du marché du travail
mais également les travailleurs pauvres. Si bien qu’aujourd’hui, « les
DOM sont des sociétés bien plus inégalitaires qu’en France
continentale, même après redistribution des revenus » (Françoise
Rivière).
Les statistiques dont on dispose sont parlantes. Le taux de pauvreté ultramarin est trois à quatre fois
plus élevé que celui de l’Hexagone. Au sein des territoires, on observe « une juxtaposition de poches
de pauvreté très importantes et de populations extrêmement aisées ». Alors qu’en France
métropolitaine, les 10 % les plus riches gagnent en moyenne 3,6 fois plus que les 10 % les plus
pauvres, dans les Outre-mer, l’indice varie entre 5,4 (La Réunion) et 11 (Guyane). L’indice de Gini,
qui indique dans quelle mesure la répartition des revenus dans une économie s’écarte de l’égalité
parfaite, est de 0,29 en France Métropolitaine tandis qu’il varie entre 0,39 (La Réunion) et 0,43
(Nouvelle-Calédonie) dans les Outre-mer, ce qui rapproche ces territoires de pays comme la
République Dominicaine ou l’Argentine. Le taux de chômage quant à lui « a passé la barre des 20 %
dans tous les DOM avec un record pour La Réunion (presque 30 %). La situation est deux fois plus
critique chez les jeunes puisque plus de la moitié des 15-24 ans sont chômeurs » (Serge Larcher).
Concernant la santé, le taux de mortalité infantile est deux à trois fois supérieur outre-mer par rapport
à la moyenne hexagonale, le taux de fécondité des adolescentes de 15 à 19 ans est de 6 pour 1 000
dans l’Hexagone contre 43 pour 1 000 à La Réunion et jusqu’à 100 pour 1 000 à Mayotte.
Enfin, « les inégalités doivent être appréhendées non pas de manière statique mais en observant les
évolutions et les tendances, c’est-à-dire comment les inégalités se réduisent ou s’accroissent » (Hervé
Guéry). Par exemple, concernant la formation, l’indicateur de mesure de la part des diplômés de
l’enseignement supérieur dans les Outre-mer par rapport à l’Hexagone est passé de -5,1 à -8,9 points
en moyenne entre 1990 et 2010. Par ailleurs, entre 1999 et 2010, on a observé une légère régression du
taux d’activité des hommes et une très légère progression de celui des femmes - progression beaucoup
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plus faible que celle observée au niveau national - ce qui implique une réduction des inégalités de
genre moins rapide que dans l’Hexagone.
Un modèle économique à bout de souffle
« Les inégalités de répartition des revenus sont à l’origine du fort ralentissement de la croissance
économique dans l’ensemble de l’Outre-mer » depuis 2009 (Olivier
Sudrie). C’est le modèle économique domien lui-même qui favorise
les distorsions dans la répartition des revenus, c’est-à-dire le partage
de la valeur ajoutée entre les profits et les salaires. Quatre facteurs
expliquent l’aspect intrinsèquement inégalitaire de ce modèle
économique.
D’abord, « les économies ultramarines sont en situation de
concurrence oligopolistique du fait de leur petite taille, c’est-à-dire
qu’il y a un nombre limité d’offreurs » qui tire les prix vers le haut.
Ensuite, la nature familiale du capitalisme pousse les entrepreneurs à
suivre une logique d’augmentation des prix en fonction de la
satisfaction de leur consommation. Une partie non gligeable des
profits est consommée directement par les entrepreneurs eux-mêmes. Troisièmement, les transferts
publics métropolitains augmentent les déformations dans la répartition des revenus : les entreprises
trouvent des clients dans les fonctionnaires sur rémunérés, et cette clientèle aux revenus venant de
l’extérieur permet la pratique de prix élevés. Enfin, une partie des investissements étant financée par
l’extérieur au travers de mécanismes de défiscalisation, cela permet de réduire la part des profits
nécessaires aux financements d’investissements et d’augmenter la part des profits directement
consommée, d’où de fortes inégalités de consommation entre la frange de la population la plus riche et
la frange la plus pauvre. « À partir du moment ces flux principaux extérieurs (défiscalisation et
transferts métropolitains en matière de sur rémunération) n’augmentent plus, l’alimentation externe
du modèle commence à poser problème et la croissance ralentit, voire se bloque » (Olivier Sudrie),
aggravant ainsi les risques de creusement des inégalités.
COMMENT CORRIGER LES INÉGALITÉS ?
Améliorer les connaissances
« Le manque de données statistiques et le caractère irrégulier
de leur fréquence d’actualisation, quand elles existent,
constituent un double écueil pour la définition et la conduite
de politiques publiques pertinentes et cohérentes » (Serge
Larcher). Par exemple, on ne sait pas quantifier le poids et le
rôle du secteur informel dans la réduction ou au contraire
l’aggravation des inégalités (Hervé Guéry). L’enjeu est donc
d’apporter des analyses des inégalités plus poussées,
quantitatives et qualitatives, en termes de revenus mais aussi
en termes d’accès aux services de base et à l’éducation ou
d’inégalités de genre. Une approche dynamique de ces
inégalités est également nécessaire (Jacques Moineville).
Enfin, « la recherche de solutions pour lutter contre l’essor de la pauvreté et son cortège d’inégalités
requiert à la fois une analyse globale du terrain et un état des lieux détaillé pour chaque territoire »
(Serge Larcher).
Agir sur la redistribution
Outre-mer, les caisses d’allocations familiales (CAF) ont versé au moins une prestation à la moitié de
la population ultramarine. En mars 2014, le montant mensuel moyen de prestations directes versées est
de 550 euros dans l’Outre-mer contre 443 euros dans l’Hexagone. D’après les données 2013 de
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l’Insee, « la redistribution des prestations sociales et des prélèvements outre-mer augmente d’environ
55 % le niveau de vie des 20 % les plus modestes. Il s’agit donc d’un vrai levier de réduction des
inégalités » (Thomas Degos).
Cependant, « comparer la partition des revenus avant redistribution et après redistribution permet
de mesurer l’effet de la politique de redistribution (prestations et minima sociaux) sur la réduction des
inégalités » (Françoise Rivière) : pour La Réunion par exemple, l’indice de Gini est de 0,53 avant
redistribution et de 0,39 après redistribution. Or pour la Martinique, il est de 0,47 avant redistribution
et de 0,41 après redistribution. Il est donc nécessaire de travailler à l’amélioration de l’efficacité de la
redistribution.
Faciliter l’accès au logement
« On estime à 100 000 le nombre de logements à construire d’urgence. Le ministère des Outre-mer
s’est engagé dans un objectif de construction de 10 000 logements par an en mobilisant les outils de
politique publique à sa disposition » (Thomas Degos). Avec la loi pour le développement économique
de l’Outre-mer (LODEOM) adoptée en 2009, la défiscalisation a permis une augmentation de la
production du nombre de logements de l’ordre de 33 % entre 2009 et 2013. Une réforme profonde du
dispositif de défiscalisation a eu lieu l’année dernière sur la base de rapports parlementaires et a
permis de réorienter, de cibler et d’améliorer l’efficience de ce dispositif.
Améliorer le système de santé
La situation sanitaire des territoires ultramarins, si elle est meilleure
que celle qui prévaut dans les pays qui les entourent, n’est pas à la
hauteur de celle de la métropole. Un rattrapage est bien engagé et
« d’importants investissements hospitaliers sont prévus sur de
nombreux territoires (Guadeloupe, Martinique, La Réunion,
Mayotte) » (Mathieu Lefebvre). Cependant, la situation est très
contrastée et de nombreuses « inégalités subsistent dans les domaines
du dépistage, de la prévention, de la prise en charge du cancer, de la
prise en compte des risques, de l’accès aux soins ou encore en termes
d’épidémiologie » (Thomas Degos). L’accès aux soins doit être
renforcé grâce à la construction d’infrastructures, déquipements, à la
lutte contre les déserts médicaux ou encore au développement de la
télémédecine.
Renforcer la formation et l’éducation
L’État apporte des moyens financiers en complément des collectivités compétentes en matière de
construction scolaire. « Les besoins constatés Outre-mer portent sur les formations qualifiantes.
L’ACTION DE L’AFD
« L’action de l’AFD dans les Outre-mer s’inscrit historiquement dans
un mandat de rattrapage économique et social des différences par
rapport à l’Hexagone » (Pascal Pacaut). LAFD travaille outre-mer
sur des grandes thématiques « avec pour ambition de réduire les
inégalités » (Jacques Moineville) :
interventions dans le logement : aménagement du territoire,
préparation de fonciers à bâtir, financements de logements...
investissements dans les services de base avec les collectivités
locales : infrastructures de santé, d’éducation, d’eau...
interventions dans les collectivités éloignées (absence de routes
pour certaines communes isolées de Guyane, par exemple)
investissements dans les énergies renouvelables pour rendre les
économies et les populations moins vulnérables aux risques
énergétiques
actions vis-à-vis du secteur privé créateur d’emplois
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L’offre globale de formation doit permettre de couvrir localement l’ensemble des besoins des
économies ultramarines et assurer aux jeunes la qualification nécessaire pour accéder plus facilement
à un emploi, en Outre-mer ou ailleurs » (Thomas Degos). Les conseils régionaux allouent des moyens
importants à la formation professionnelle et l’État apporte également sa contribution à travers les
dispositifs de mobilité (passeport-mobilité formation professionnelle et passeport-mobilité études)
gérés avec l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM) et dans le cadre du Service militaire
adapté (SMA). « Avec l’initiative "Emploi des jeunes" mise en œuvre par l’Union européenne (UE),
les territoires d’Outre-mer bénéficieront de 70 millions d’euros supplémentaires » (Mathieu
Lefebvre).
En outre, les Contrats de Haute Qualité Éducative créent pour chaque académie « trois priorités sur
lesquelles les ministères de l’Education nationale et des Outre-mer entendent faire évoluer
durablement le paysage éducatif ultramarin : la réussite pour tous (avec une réduction des écarts avec
l’Hexagone), la valorisation des démarches d’excellence et l’expérimentation de dispositifs
innovants » (Thomas Degos).
Cependant, la jeunesse la plus diplômée a tendance à fuir les Outre-mer pour s’installer dans
l’Hexagone ou à l’étranger. « Réfléchir à la possibilité de faire revenir cette jeunesse après
expérience, soit physiquement, soit par l’investissement, est une réponse possible pour remédier en
partie aux inégalités des Outre-mer » (Sophie Elizéon, Déléguée Interministérielle pour l’égalité des
chances des français des Outremers).
Favoriser la création d’emplois
Les exonérations de cotisations sociales participent à l’inclusion sociale des jeunes et des salariés sans
diplôme, à l’employabilité des publics fragiles (parce qu’elles sont centrées sur les bas salaires) et à la
création et au développement d’entreprises, notamment des TPE-PME. Le Pacte de responsabilité et
de solidarité a vocation à s’appliquer Outre-mer de façon adaptée et complémentaire avec les
dispositifs déjà existants. Entre 350 et 400 millions d’euros pour les entreprises s’ajouteront aux
320 millions d’euros d’allégements déjà accordés au titre du crédit d’impôts pour la compétitivité et
l’emploi (CICE). Cela entraînera des allégements de fiscalité, des allégements supplémentaires du coût
du travail avec un CICE en Outre-mer à 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016 (Thomas Degos).
Développer le microcrédit
« Le microcrédit agit sur la réduction des inégalités en donnant leur chance à ceux qui n’en ont pas
d’autre » (Matthieu Barrier). Il permet à des personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi de
créer leur propre activité. Il agit également sur la réduction du travail informel. Tous ces emplois sont
des créations de richesse, du moins des sorties de l’informel vers le formel, ainsi qu’une participation
concrète à l’économie locale. Les activités accompagnées par l’ADIE ont un taux de pérennité de
l’ordre de 60 % sur trois ans, et 60 % des bénéficiaires sont des femmes. Il est essentiel de trouver des
solutions de micro-assurance et de mobiliser les banques sur cette thématique.
Lutter pour le pouvoir d’achat et contre la vie chère
« La nécessité de soutenir la demande passe par la lutte contre la
vie chère » (Thomas Degos). La loi sur la régulation économique
(LRE) a amorcé un travail de rééquilibrage des marchés ultramarins
avec un renforcement de la concurrence. Le bouclier qualité prix
(BQP) qui concerne un panier d’une centaine de produits a permis
« une baisse des prix moyenne de 10 % en 2013 et de 12 % en
2014 » (Mathieu Lefebvre). D’autres mesures de la LRE renforcent
les pouvoirs de surveillance de l’État sur les marchés de gros, sur le
fret maritime, sur la téléphonie, sur les tarifs bancaires ou sur les
carburants.
Les ménages et salariés ultramarins bénéficieront également des
mesures prévues dans le cadre du Pacte de responsabilité :
« diminution des charges salariales permettant d’augmenter le
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