Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier

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« Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier ? »
Animée par François Thomas, chef du bureau de Paris de Radio Caraïbes International (RCI) et
directeur délégué du magazine Brune, cette conférence s’est tenue le 25 juin 2014 à l’AFD. Sont
intervenus :
– Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’Agence Française de Développement
(AFD)
– Hervé Guéry, directeur du Centre d’observation et de mesure des politiques d’action
sociale (Compas)
– Françoise Rivière, économiste, département de la Recherche, AFD
– Olivier
Sudrie,
maître
de
conférences
à
l’université
de
Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au Centre d’études sur la mondialisation, les
conflits, les territoires et les vulnérabilités (CEMOTEV)
– François Chérèque, en charge du suivi du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour
l’inclusion sociale à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), président de
l’Agence du Service Civique
– Matthieu Barrier, directeur régional en charge des Outre-mer de l’Association pour le
droit à l’initiative économique, directeur adjoint du réseau de l’Association pour le droit à
l’initiative économique (ADIE)
– Mathieu Lefebvre, adjoint à la sous-direction des politiques publiques, direction générale
des Outre-mer, ministère des Outre-mer
– Pascal Pacaut, directeur du département Outre-mer, AFD
– Thomas Degos, directeur général des Outre-mer, ministère des Outre-mer
– Serge Larcher, sénateur de la Martinique, président de la délégation sénatoriale à
l’Outre-mer
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« Même après une période longue et soutenue de croissance économique dans les années 1990, et
même après la mise en place de minima sociaux par l’État afin de rattraper les périodes
précédentes, on voit se maintenir des inégalités » très fortes dans les Outre-mer. Elles
représentent un « risque quant à la croissance et la cohésion future des sociétés » (Jacques
Moineville) et se traduisent déjà par des tensions sociales dans les différents territoires. Trois
niveaux d’inégalités coexistent : entre les Outre-mer et l’Hexagone, entre communes ou entre
quartiers au sein des Outre-mer, et enfin entre individus. Ces inégalités ne sont pas seulement
économiques. Elles touchent aussi au genre, à l’éducation, à la santé. Quelles en sont les causes ?
Quels sont leurs impacts ? Comment peut-on les atténuer ?
Retrouver ci-dessous la synthèse des échanges
ETAT DES LIEUX
Des inégalités qui se creusent
Dans les années 1990 a eu lieu dans les Outre-mer une « réduction
sensible des inégalités, sous l’effet d’une forte croissance économique
et de l’alignement progressif des prestations sociales et minima
sociaux sur ceux de la métropole » (Françoise Rivière). Mais dans les
années 2000, la croissance s’est accompagnée d’une augmentation des
inégalités, avec une augmentation des taux de bas revenus et une
pauvreté qui touche non seulement les exclus du marché du travail
mais également les travailleurs pauvres. Si bien qu’aujourd’hui, « les
DOM sont des sociétés bien plus inégalitaires qu’en France
continentale, même après redistribution des revenus » (Françoise
Rivière).
Les statistiques dont on dispose sont parlantes. Le taux de pauvreté ultramarin est trois à quatre fois
plus élevé que celui de l’Hexagone. Au sein des territoires, on observe « une juxtaposition de poches
de pauvreté très importantes et de populations extrêmement aisées ». Alors qu’en France
métropolitaine, les 10 % les plus riches gagnent en moyenne 3,6 fois plus que les 10 % les plus
pauvres, dans les Outre-mer, l’indice varie entre 5,4 (La Réunion) et 11 (Guyane). L’indice de Gini,
qui indique dans quelle mesure la répartition des revenus dans une économie s’écarte de l’égalité
parfaite, est de 0,29 en France Métropolitaine tandis qu’il varie entre 0,39 (La Réunion) et 0,43
(Nouvelle-Calédonie) dans les Outre-mer, ce qui rapproche ces territoires de pays comme la
République Dominicaine ou l’Argentine. Le taux de chômage quant à lui « a passé la barre des 20 %
dans tous les DOM avec un record pour La Réunion (presque 30 %). La situation est deux fois plus
critique chez les jeunes puisque plus de la moitié des 15-24 ans sont chômeurs » (Serge Larcher).
Concernant la santé, le taux de mortalité infantile est deux à trois fois supérieur outre-mer par rapport
à la moyenne hexagonale, le taux de fécondité des adolescentes de 15 à 19 ans est de 6 pour 1 000
dans l’Hexagone contre 43 pour 1 000 à La Réunion et jusqu’à 100 pour 1 000 à Mayotte.
Enfin, « les inégalités doivent être appréhendées non pas de manière statique mais en observant les
évolutions et les tendances, c’est-à-dire comment les inégalités se réduisent ou s’accroissent » (Hervé
Guéry). Par exemple, concernant la formation, l’indicateur de mesure de la part des diplômés de
l’enseignement supérieur dans les Outre-mer par rapport à l’Hexagone est passé de -5,1 à -8,9 points
en moyenne entre 1990 et 2010. Par ailleurs, entre 1999 et 2010, on a observé une légère régression du
taux d’activité des hommes et une très légère progression de celui des femmes - progression beaucoup
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plus faible que celle observée au niveau national - ce qui implique une réduction des inégalités de
genre moins rapide que dans l’Hexagone.
Un modèle économique à bout de souffle
« Les inégalités de répartition des revenus sont à l’origine du fort ralentissement de la croissance
économique dans l’ensemble de l’Outre-mer » depuis 2009 (Olivier
Sudrie). C’est le modèle économique domien lui-même qui favorise
les distorsions dans la répartition des revenus, c’est-à-dire le partage
de la valeur ajoutée entre les profits et les salaires. Quatre facteurs
expliquent l’aspect intrinsèquement inégalitaire de ce modèle
économique.
D’abord, « les économies ultramarines sont en situation de
concurrence oligopolistique du fait de leur petite taille, c’est-à-dire
qu’il y a un nombre limité d’offreurs » qui tire les prix vers le haut.
Ensuite, la nature familiale du capitalisme pousse les entrepreneurs à
suivre une logique d’augmentation des prix en fonction de la
satisfaction de leur consommation. Une partie non négligeable des
profits est consommée directement par les entrepreneurs eux-mêmes. Troisièmement, les transferts
publics métropolitains augmentent les déformations dans la répartition des revenus : les entreprises
trouvent des clients dans les fonctionnaires sur rémunérés, et cette clientèle aux revenus venant de
l’extérieur permet la pratique de prix élevés. Enfin, une partie des investissements étant financée par
l’extérieur au travers de mécanismes de défiscalisation, cela permet de réduire la part des profits
nécessaires aux financements d’investissements et d’augmenter la part des profits directement
consommée, d’où de fortes inégalités de consommation entre la frange de la population la plus riche et
la frange la plus pauvre. « À partir du moment où ces flux principaux extérieurs (défiscalisation et
transferts métropolitains en matière de sur rémunération) n’augmentent plus, l’alimentation externe
du modèle commence à poser problème et la croissance ralentit, voire se bloque » (Olivier Sudrie),
aggravant ainsi les risques de creusement des inégalités.
COMMENT CORRIGER LES INÉGALITÉS ?
Améliorer les connaissances
« Le manque de données statistiques et le caractère irrégulier
de leur fréquence d’actualisation, quand elles existent,
constituent un double écueil pour la définition et la conduite
de politiques publiques pertinentes et cohérentes » (Serge
Larcher). Par exemple, on ne sait pas quantifier le poids et le
rôle du secteur informel dans la réduction ou au contraire
l’aggravation des inégalités (Hervé Guéry). L’enjeu est donc
d’apporter des analyses des inégalités plus poussées,
quantitatives et qualitatives, en termes de revenus mais aussi
en termes d’accès aux services de base et à l’éducation ou
d’inégalités de genre. Une approche dynamique de ces
inégalités est également nécessaire (Jacques Moineville).
Enfin, « la recherche de solutions pour lutter contre l’essor de la pauvreté et son cortège d’inégalités
requiert à la fois une analyse globale du terrain et un état des lieux détaillé pour chaque territoire »
(Serge Larcher).
Agir sur la redistribution
Outre-mer, les caisses d’allocations familiales (CAF) ont versé au moins une prestation à la moitié de
la population ultramarine. En mars 2014, le montant mensuel moyen de prestations directes versées est
de 550 euros dans l’Outre-mer contre 443 euros dans l’Hexagone. D’après les données 2013 de
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l’Insee, « la redistribution des prestations sociales et des prélèvements outre-mer augmente d’environ
55 % le niveau de vie des 20 % les plus modestes. Il s’agit donc d’un vrai levier de réduction des
inégalités » (Thomas Degos).
Cependant, « comparer la répartition des revenus avant redistribution et après redistribution permet
de mesurer l’effet de la politique de redistribution (prestations et minima sociaux) sur la réduction des
inégalités » (Françoise Rivière) : pour La Réunion par exemple, l’indice de Gini est de 0,53 avant
redistribution et de 0,39 après redistribution. Or pour la Martinique, il est de 0,47 avant redistribution
et de 0,41 après redistribution. Il est donc nécessaire de travailler à l’amélioration de l’efficacité de la
redistribution.
L’ACTION DE L’AFD
« L’action de l’AFD dans les Outre-mer s’inscrit historiquement dans
un mandat de rattrapage économique et social des différences par
rapport à l’Hexagone » (Pascal Pacaut). L’AFD travaille outre-mer
sur des grandes thématiques « avec pour ambition de réduire les
inégalités » (Jacques Moineville) :
– interventions dans le logement : aménagement du territoire,
préparation de fonciers à bâtir, financements de logements...
– investissements dans les services de base avec les collectivités
locales : infrastructures de santé, d’éducation, d’eau...
– interventions dans les collectivités éloignées (absence de routes
pour certaines communes isolées de Guyane, par exemple)
– investissements dans les énergies renouvelables pour rendre les
économies et les populations moins vulnérables aux risques
énergétiques
– actions vis-à-vis du secteur privé créateur d’emplois
Faciliter l’accès au logement
« On estime à 100 000 le nombre de logements à construire d’urgence. Le ministère des Outre-mer
s’est engagé dans un objectif de construction de 10 000 logements par an en mobilisant les outils de
politique publique à sa disposition » (Thomas Degos). Avec la loi pour le développement économique
de l’Outre-mer (LODEOM) adoptée en 2009, la défiscalisation a permis une augmentation de la
production du nombre de logements de l’ordre de 33 % entre 2009 et 2013. Une réforme profonde du
dispositif de défiscalisation a eu lieu l’année dernière sur la base de rapports parlementaires et a
permis de réorienter, de cibler et d’améliorer l’efficience de ce dispositif.
Améliorer le système de santé
La situation sanitaire des territoires ultramarins, si elle est meilleure
que celle qui prévaut dans les pays qui les entourent, n’est pas à la
hauteur de celle de la métropole. Un rattrapage est bien engagé et
« d’importants investissements hospitaliers sont prévus sur de
nombreux territoires (Guadeloupe, Martinique, La Réunion,
Mayotte) » (Mathieu Lefebvre). Cependant, la situation est très
contrastée et de nombreuses « inégalités subsistent dans les domaines
du dépistage, de la prévention, de la prise en charge du cancer, de la
prise en compte des risques, de l’accès aux soins ou encore en termes
d’épidémiologie » (Thomas Degos). L’accès aux soins doit être
renforcé grâce à la construction d’infrastructures, d’équipements, à la
lutte contre les déserts médicaux ou encore au développement de la
télémédecine.
Renforcer la formation et l’éducation
L’État apporte des moyens financiers en complément des collectivités compétentes en matière de
construction scolaire. « Les besoins constatés Outre-mer portent sur les formations qualifiantes.
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L’offre globale de formation doit permettre de couvrir localement l’ensemble des besoins des
économies ultramarines et assurer aux jeunes la qualification nécessaire pour accéder plus facilement
à un emploi, en Outre-mer ou ailleurs » (Thomas Degos). Les conseils régionaux allouent des moyens
importants à la formation professionnelle et l’État apporte également sa contribution à travers les
dispositifs de mobilité (passeport-mobilité formation professionnelle et passeport-mobilité études)
gérés avec l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM) et dans le cadre du Service militaire
adapté (SMA). « Avec l’initiative "Emploi des jeunes" mise en œuvre par l’Union européenne (UE),
les territoires d’Outre-mer bénéficieront de 70 millions d’euros supplémentaires » (Mathieu
Lefebvre).
En outre, les Contrats de Haute Qualité Éducative créent pour chaque académie « trois priorités sur
lesquelles les ministères de l’Education nationale et des Outre-mer entendent faire évoluer
durablement le paysage éducatif ultramarin : la réussite pour tous (avec une réduction des écarts avec
l’Hexagone), la valorisation des démarches d’excellence et l’expérimentation de dispositifs
innovants » (Thomas Degos).
Cependant, la jeunesse la plus diplômée a tendance à fuir les Outre-mer pour s’installer dans
l’Hexagone ou à l’étranger. « Réfléchir à la possibilité de faire revenir cette jeunesse après
expérience, soit physiquement, soit par l’investissement, est une réponse possible pour remédier en
partie aux inégalités des Outre-mer » (Sophie Elizéon, Déléguée Interministérielle pour l’égalité des
chances des français des Outremers).
Favoriser la création d’emplois
Les exonérations de cotisations sociales participent à l’inclusion sociale des jeunes et des salariés sans
diplôme, à l’employabilité des publics fragiles (parce qu’elles sont centrées sur les bas salaires) et à la
création et au développement d’entreprises, notamment des TPE-PME. Le Pacte de responsabilité et
de solidarité a vocation à s’appliquer Outre-mer de façon adaptée et complémentaire avec les
dispositifs déjà existants. Entre 350 et 400 millions d’euros pour les entreprises s’ajouteront aux
320 millions d’euros d’allégements déjà accordés au titre du crédit d’impôts pour la compétitivité et
l’emploi (CICE). Cela entraînera des allégements de fiscalité, des allégements supplémentaires du coût
du travail avec un CICE en Outre-mer à 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016 (Thomas Degos).
Développer le microcrédit
« Le microcrédit agit sur la réduction des inégalités en donnant leur chance à ceux qui n’en ont pas
d’autre » (Matthieu Barrier). Il permet à des personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi de
créer leur propre activité. Il agit également sur la réduction du travail informel. Tous ces emplois sont
des créations de richesse, du moins des sorties de l’informel vers le formel, ainsi qu’une participation
concrète à l’économie locale. Les activités accompagnées par l’ADIE ont un taux de pérennité de
l’ordre de 60 % sur trois ans, et 60 % des bénéficiaires sont des femmes. Il est essentiel de trouver des
solutions de micro-assurance et de mobiliser les banques sur cette thématique.
Lutter pour le pouvoir d’achat et contre la vie chère
« La nécessité de soutenir la demande passe par la lutte contre la
vie chère » (Thomas Degos). La loi sur la régulation économique
(LRE) a amorcé un travail de rééquilibrage des marchés ultramarins
avec un renforcement de la concurrence. Le bouclier qualité prix
(BQP) qui concerne un panier d’une centaine de produits a permis
« une baisse des prix moyenne de 10 % en 2013 et de 12 % en
2014 » (Mathieu Lefebvre). D’autres mesures de la LRE renforcent
les pouvoirs de surveillance de l’État sur les marchés de gros, sur le
fret maritime, sur la téléphonie, sur les tarifs bancaires ou sur les
carburants.
Les ménages et salariés ultramarins bénéficieront également des
mesures prévues dans le cadre du Pacte de responsabilité :
« diminution des charges salariales permettant d’augmenter le
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pouvoir d’achat au niveau du SMIC, réduction ou exonération de l’impôt sur le revenu pour les
ménages les plus modestes, revalorisation des prestations sociales pour les petites retraites » (Thomas
Degos).
Favoriser les gains de productivité
« On dit souvent qu’il faut explorer des secteurs de niche pour trouver de la croissance outre-mer
(perles, vanille…) », mais il existe un autre moyen : améliorer la productivité. « Les gisements de
productivité sont très importants outre-mer, les gains de productivité ayant été historiquement très
faibles » (Olivier Sudrie), faute de concurrence. Aujourd’hui les gains de productivité sont une
nécessité absolue pour retrouver une croissance plus juste. Outre qu’ils sont sources de croissance, ils
permettent la hausse des salaires réels, donc de réduire les inégalités de revenus, tout en maintenant les
niveaux de marge et les taux de profits. Ils permettent également de faire baisser les prix et donc de
réduire les inégalités de consommation. L’implication des pouvoirs publics dans l’organisation d’un
dialogue, le recensement des leviers de productivité (comme l’amélioration des transports par
exemple), la mise en place d’objectifs chiffrés et de calendriers précis permettraient de relancer les
économies ultramarines.
Favoriser la production locale
À Mayotte, 80 % du poulet est importé du Brésil. S’il était produit
localement, il ne coûterait peut-être pas moins cher que celui du
Brésil, mais cette production locale profiterait aux habitants de
Mayotte. « La redistribution des richesses passe par le fait de
privilégier une production locale qui profite à de nombreux
habitants du territoire, notamment aux plus pauvres, plutôt qu’un
système de commerce qui profite à quelques-uns » (François
Chérèque).
Dans cette perspective, le dispositif de l’Octroi de mer protège un
certain nombre de secteurs et favorise la production locale contre la
concurrence des produits importés (Thomas Degos).
Améliorer le dialogue entre les acteurs
Il est urgent d’opérer un décloisonnement institutionnel, d’organiser un meilleur dialogue entre élus et
professionnels et de permettre aux « acteurs de la réponse sociale de se rencontrer à l’intérieur de
chacun des départements d’Outre-mer et de travailler ensemble » (Hervé Guéry). Cela permettrait
notamment de mieux identifier les spécificités ultramarines et de définir des plans d’action pertinents.
La question de l’évaluation des politiques publiques des DOM est également cruciale.
CONCLUSION
« Les inégalités s’incarnent et se mesurent dans les écarts de richesse mais elles connaissent
malheureusement bien d’autres illustrations corrélatives : le logement, la situation sanitaire des
populations, le taux de scolarisation ou bien le niveau d’instruction ». Des problématiques spécifiques
à chaque territoire, comme le vieillissement démographique pour les Antilles, le phénomène
d’immigration massif pour la Guyane et Mayotte ou les difficultés liées à la cohabitation interethnique
en Nouvelle-Calédonie contribuent à la complexité du travail de réduction des inégalités dans les
Outre-mer. « Une approche exclusivement budgétaire ne peut suffire ». Les solutions seront
nécessairement multiples et devront être combinées. « Une action efficace ne peut être menée qu’en
synergie sur le front de l’accompagnement social et sur celui du développement économique et de la
création d’emplois » (Serge Larcher).
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Pour en savoir plus : téléchargez le compte rendu des débats
Conférence « Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier ? »
Mercredi 25 juin 2014
à l’Agence Française de Développement
Compte rendu des débats
Conférence animée par François Thomas, chef du bureau de Paris de Radio Caraïbes
International (RCI) et directeur délégué du magazine Brune, avec :
– Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’Agence Française de Développement
(AFD)
– Hervé Guéry, directeur du Centre d’observation et de mesure des politiques d’action
sociale (Compas)
– Françoise Rivière, économiste, département de la Recherche, AFD
– Olivier
Sudrie,
maître
de
conférences
à
l’université
de
Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au Centre d’études sur la mondialisation, les
conflits, les territoires et les vulnérabilités (CEMOTEV)
– François Chérèque, en charge du suivi du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour
l’inclusion sociale à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), président de
l’Agence du Service Civique
– Matthieu Barrier (remplace Jean-Marc EWALD, directeur régional en charge des Outremer de l’Association pour le droit à l’initiative économique), directeur adjoint du réseau
de l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE)
– Mathieu Lefebvre, adjoint à la sous-direction des politiques publiques, direction générale
des Outre-mer, ministère des Outre-mer
– Pascal Pacaut, directeur du département Outre-mer, AFD
– Thomas Degos, directeur général des Outre-mer, ministère des Outre-mer
– Serge Larcher, sénateur de la Martinique, président de la délégation sénatoriale à l’Outremer
INTRODUCTION
François Thomas, chef du bureau de Paris de Radio Caraïbes International (RCI) et directeur
délégué du magazine Brune
Les territoires d’Outre-mer, départements et collectivités, ont connu au cours des deux dernières
décennies des taux de croissance de leur PIB (entre 2 % et 4 % de 1990 à 2005) parmi les plus élevés
des régions françaises, participant à un phénomène progressif de rattrapage économique et social par
rapport à l’Hexagone. Toutefois, un reflux de cette dynamique a été observé au milieu des années
2000. Cette dynamique de réduction des écarts de niveau de vie avec l’Hexagone masque un
phénomène prégnant dans les Outre-mer : le poids des inégalités.
Dans l’étude publiée en octobre 2013 par le Centre d’observation et de mesure des politiques sociales
(Compas) intitulée « Des départements d’Outre-mer marqués par les difficultés sociales et les
inégalités », les départements d’Outre-mer sont décrits comme des territoires où coexistent forte
richesse et très grande pauvreté. Qu’en est-il réellement et comment peut-on y remédier ?
Cette conférence se déroulera en deux parties :
– La première partie dressera un état des lieux, s’interrogera sur les formes d’inégalités
dans les Outre-mer ainsi que sur les inégalités et le chômage élevé, et se demandera si le
modèle économique actuel dans ces territoires est encore pertinent.
– La seconde partie mettra en avant les pistes envisageables pour réduire, atténuer,
corriger, éradiquer les inégalités dans les Outre-mer. Ce sera l’occasion de questionner
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les politiques publiques et de se demander quelle est la place du secteur privé dans la
réduction des inégalités.
ALLOCUTION D’OUVERTURE
Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’AFD
Au sein des zones géographiques dans lesquelles elle intervient, l’AFD attache une grande
importance à agir de deux manières : d’une part au moyen de ses apports financiers, d’autre
part en menant des réflexions de fond sur les enjeux, les mécanismes, les situations économiques
et sociales de ces zones géographiques. Cette approche est essentielle pour éclairer les décideurs
publics dans les politiques qu’ils ont à définir et à conduire, et indispensable pour que l’AFD définisse
des priorités dans ses axes d’intervention.
Cette conférence est en cohérence avec deux conférences organisées précédemment par l’AFD :
– La conférence « Le développement humain et la cohésion sociale dans les Outre-mer »
(23 novembre 2012 au Sénat) a été l’occasion de présenter des résultats (obtenus dans le
cadre du partenariat CEROM (Comptes économiques rapides pour l’Outre-mer) qui
mettaient l’accent sur le développement humain dans les Outre-mer en essayant de montrer
comment évoluaient les équilibres démographiques ainsi que la situation sociale en matière
de niveau d’éducation, de santé, de vie. Cela avait permis de positionner les Outre-mer par
rapport aux pays environnants, par rapport à la métropole, mais également les uns vis-à-vis
des autres.
– La conférence « Santé et médico-social – Quelles perspectives dans les Outre-mer ? »
(24 juin 2013) était la suite naturelle de celle de 2012. Elle avait déjà montré un certain
nombre d’inégalités au sein de ces territoires (au sens générique du terme, et non au sens
institutionnel) d’Outre-mer.
Le constat des inégalités dans les Outre-mer
Les inégalités en Outre-mer sont d’abord des « images choc ». Les images les plus fortes
concernent certainement les questions d’habitat. À Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, on observe la
juxtaposition de squats à l’intérieur de la ville (habitations en tôle sans aucun assainissement ni service
public dans lesquelles vivent des milliers de gens et étudient des enfants qui vont à l’école) et de
résidences luxueuses sur la Baie des Citrons. Pendant longtemps, on a évoqué le bidonville du quartier
de Boissard aux Abymes en Guadeloupe comme le plus grand bidonville de France. Des actions
considérables ont certes été entreprises pour résorber ce bidonville, mais elles ne sont pas achevées.
Cette inégalité d’habitations, et donc de mode de vie, se manifeste lorsqu’on compare le bidonville de
Boissard et les magnifiques résidences sur les côtes dans les environs de Sainte-Anne et de SaintFrançois.
Ces images sont confirmées par les chiffres. Sans entrer dans les détails, les inégalités dans les
Outre-mer par rapport à l’Hexagone sont marquantes : le taux de pauvreté est trois ou quatre fois plus
élevé, le taux de chômage officiel, qui touche majoritairement des jeunes, est deux ou trois fois plus
élevé, les difficultés de lecture, qui touchent entre 30 % et 75 % des jeunes de dix-huit ans, sont entre
trois et sept fois plus élevées. L’indice de Gini (utilisé par les économistes pour mesurer
précisément les inégalités) est plus élevé, même s’il varie d’un territoire à un autre, dans les
Outre-mer (indice de l’ordre de 0,4) qu’il ne l’est dans l’Hexagone (indice de l’ordre de 0,3). Cet
indice met les Outre-mer à un niveau proche de la République Dominicaine ou de l’Argentine. Cette
inégalité n’est donc pas seulement une image, elle est aussi un fait. Il est important de mettre en
avant cette réalité car les Outre-mer peuvent avoir tendance à se considérer comme isolés du reste du
monde alors qu’ils ne le sont pas.
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Les inégalités : un risque pour la croissance et la cohésion future des sociétés
Il est frappant de constater que cette thématique de l’inégalité monte en puissance dans le débat
international (aussi bien dans les pays du Nord que dans les pays du Sud) sur l’amélioration des
conditions de vie et sur la pérennité des modèles sociaux et économiques. Les travaux de Thomas
Piketty, du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, ainsi que les plus
récentes parutions du Forum économique mondial, mettent l’accent sur le risque des inégalités
quant à la croissance et la cohésion futures des sociétés.
Ces risques se concrétisent dans les Outre-mer. Depuis 2008 existent des tensions sociales dans
différents territoires (dans les Antilles, en Guyane, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie) se traduisant
par des manifestations très fortes, dont l’analyse n’est pas évidente, mais dont on sait que les
motivations sont notamment les inégalités de revenus et la capacité à faire face à la vie chère en
fonction de son appartenance à une classe économique. Un grand nombre de ces manifestations ont
leurs racines dans des modèles sociaux déséquilibrés, peut-être parfois avec des racines historiques qui
les ont bien entendu nourris. Ces manifestations sont certainement l’expression de frustrations
liées aux inégalités économiques ou sociales qui persistent, même après une période longue et
soutenue de croissance économique dans les années 1990, et même après (et c’est peut-être un
paradoxe) la mise en place de minima sociaux par l’État afin de rattraper les périodes précédentes.
Alors qu’on pensait avoir réduit les inégalités de traitement social, on voit se maintenir ces inégalités.
La mise en œuvre nécessaire d’analyses et d’actions pour réduire les inégalités en Outre-mer

Des analyses approfondies et dynamiques des inégalités en Outre-mer
Les tensions sociales dans les Outre-mer sont sujettes à de nombreuses interprétations et les
sources de ces inégalités peuvent être éclairées de diverses manières. L’enjeu est donc d’apporter
des analyses plus poussées, quantitatives et qualitatives (avec l’importance d’introduire la
composante des modèles sociaux) : les inégalités doivent être étudiées en termes de revenus mais aussi
en termes d’accès aux services de base et à l’éducation ou encore en termes d’inégalités de genre. Une
approche dynamique de ces inégalités est également nécessaire : il faut voir les choses de façon
historique, dans leur évolution, et les études citées précédemment en matière démographique
montrent à quel point la photographie de la population à un instant donné dans le temps ne suffit pas.

Les actions de l’AFD pour réduire les inégalités en Outre-mer
Ces interrogations sont essentielles et prioritaires pour l’AFD car, d’une part, la place de l’Outre-mer y
est historique, et d’autre part, cette place a augmenté à mesure que l’activité de l’AFD a augmenté (son
activité totale est aujourd’hui de l’ordre de 1,5 milliard d’euros. Les personnes intervenant outremer n’ont pas besoin d’être poussées pour entreprendre : de nombreuses demandes sont
adressées à l’AFD et énormément d’actions sont à mener.
L’AFD travaille outre-mer sur des grandes thématiques avec pour ambition de réduire les inégalités :
– interventions dans le logement : aménagement du territoire, préparation de fonciers à
bâtir, financements de logements...
– investissements dans les services de base avec les collectivités locales : infrastructures de
santé, d’éducation, d’eau...
– interventions dans les collectivités éloignées (absence de routes pour certaines communes
isolées de Guyane, par exemple).
– actions vis-à-vis du secteur privé créateur d’emplois.
Il reste encore beaucoup à faire pour, d’une part, être en mesure d’analyser les mécanismes à
l’œuvre entre la mise en place de ces différentes politiques et la réduction des inégalités, et
d’autre part, trouver des leviers d’action pour réduire ces inégalités, les travaux évoqués
précédemment mettant en évidence qu’il ne suffit pas d’une croissance positive pour y parvenir.

Élargir l’analyse des différents enjeux liés aux inégalités en Outre-mer
Il est important d’élargir la manière d’analyser ces enjeux :
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–
–
–
Les perspectives concernant les négociations de l’après 2015 : les Objectifs du
millénaire pour le développement (OMD), concentrés jusqu’à présent sur les pays du Sud,
vont se transformer (suite aux négociations en cours à ce jour) en Objectifs de
développement durable (ODD) qui concerneront à la fois les pays du Nord et les pays du
Sud dans une vision globale de l’avenir de la planète. Cela signifie qu’un pays comme la
France va s’engager devant la communauté internationale vers un certain nombre
d’Objectifs de développement durable (climat, énergie...) ainsi que sur la réduction des
inégalités. L’AFD va continuer à intervenir dans les Outre-mer et les pays du Sud, mais
avec ces objectifs communs de développement durable qui vont constituer un lien fort
entre les différentes activités ainsi qu’une référence importante pour les décideurs
politiques d’Outre-mer.
Les facteurs de résilience : dans quelle mesure l’activité informelle (économie informelle,
emploi informel...) dans les Outre-mer est, ou non, un facteur de réduction des inégalités,
ou du moins d’adaptation à la situation ?
Les grandes théories économiques : les territoires insulaires d’Outre-mer sont souvent
des petites économies. Il y a probablement des corrections, ou du moins des adaptations, à
apporter aux analyses effectuées sur le plan international de ces géographies particulières.
I. ÉTAT DES LIEUX ET CAUSES DES INÉGALITÉS DANS LES OUTRE-MER
Hervé Guéry, directeur du Centre d’observation et de mesure des politiques d’action sociale
(Compas)
a) Les territoires des départements d’Outre-mer marqués par les difficultés sociales et les
inégalités
Les inégalités dans les Outre-mer
Le Compas intervient depuis une quinzaine d’années, principalement auprès des centres communaux
ou intercommunaux d’action sociale, et travaille notamment dans les départements d’Outre-mer (La
Réunion, Martinique, Guadeloupe, Guyane) mais également en Nouvelle-Calédonie.
On peut identifier trois types d’inégalités :
– les inégalités entre les individus ;
– les inégalités à l’intérieur des départements d’Outre-mer entre les différents quartiers
ou communes ;
– les inégalités entre les départements d’Outre-mer et l’Hexagone.
On peut ajouter les inégalités dans la prise en charge des réalités sociales, essentielles par rapport
au travail effectué par le Compas. Trois axes peuvent être mis en avant :
– la question de l’éducation
– la question de la politique de la ville, sur laquelle on est actuellement en plein débat. Il
est en effet intéressant de s’interroger : pourquoi revoir à chaque fois les modalités de
calcul quand on est dans les DOM par rapport à ce qu’on peut observer dans l’Hexagone ?
– la prise en charge de l’enfance, et notamment de l’enfance en danger (avec des
situations alarmantes en Guyane ou à Mayotte : on observe un besoin de prise en charge
qui n’est pas à la hauteur de ce qu’on pourrait espérer trouver en France).
Les inégalités doivent être appréhendées non pas de manière statique mais en observant les
évolutions et les tendances, c’est-à-dire comment les inégalités se réduisent ou s’accroissent.
10
La formation
La situation des quartiers de la commune du Port à La Réunion a été étudiée. L’indicateur
mesure la différence entre la part des diplômés de l’enseignement supérieur sur le territoire et au
niveau national sur plusieurs périodes (il y a 20 ans, il y a 10 ans et aujourd’hui) et à différentes
échelles géographiques (Le Port, la côte Ouest, donc l’intercommunalité, La Réunion et l’ensemble
des départements d’Outre-mer).
Pour l’ensemble des départements d’Outre-mer, on observe les points de retard suivants par
rapport à l’Hexagone : 5 points de retard il y a 20 ans, 7 points de retard il y a 10 ans, 9 points de
retard aujourd’hui. Pour La Réunion aujourd’hui, il y a 10 points de retard ; pour Le Port aujourd’hui,
on arrive à 20 points de retard. Il n’est cependant pas possible d’illustrer les différences entre
territoires car tous les quartiers du Port sont dans une situation similaire. Ce qui est présenté
pour Le Port pourrait être présenté dans bien d’autres endroits, à l’exception d’un certain nombre de
grandes villes où l’on retrouverait quelques quartiers aux situations différentes.
11
Le taux d’activité
Le taux d’activité est le nombre de personnes entre 25 et 54 ans qui travaillent ou recherchent
un travail. Au niveau national, il y a une stagnation de ce taux d’activité pour les hommes et une forte
progression pour les femmes. Dans les départements d’Outre-mer, il y a une légère régression pour les
hommes et une très légère progression pour les femmes qui est beaucoup plus faible que celle
observée au niveau national. On observe donc un accroissement des écarts entre les DOM et
l’Hexagone. La question de la situation des femmes dans les départements d’Outre-mer est
importante, notamment concernant leur accès parfois complexe aux différents services ou activités de
bien-être, d’autant plus qu’entre les femmes des départements d’Outre-mer, il existe des différences
extrêmement importantes selon les territoires et les situations sociales.
Des inégalités entre territoires : l’exemple de la Martinique

Analyse typologique
La carte de gauche correspond à une analyse typologique centrée sur les quartiers. Du côté du
François ou à l’ouest vers Fort-de-France ou Schœlcher, on retrouve des territoires très favorisés.
D’autres territoires, de couleur orange, sont plus défavorisés. La séparation Nord-Sud est frappante
12
du fait des inégalités de ces deux territoires. Au nord, les indices ne cessent de se dégrader et la
population vieillit. Cela engendre un mouvement migratoire important du nord vers le sud. Ces
inégalités spatiales se renforcent de manière évidente. La question d’un développement homogène
du territoire est donc posée, notamment avec le vieillissement important de la population sur la
partie nord et les problèmes d’équipement et d’accès aux services. Des personnes âgées habitant le
secteur du Lorrain rencontrent par exemple de grandes difficultés pour se rendre chez le cardiologue
une ou deux fois par an, en plus du coût élevé du voyage, pris en charge par les personnes ou bien par
la sécurité sociale.

Données carroyées
La carte de droite localise la pauvreté. C’est une cartographie carroyée, c’est-à-dire une
cartographie au carreau de 200 mètres par 200 mètres (réalisée par l’Insee), qui permet de
localiser les données de manière très précise.
La situation de la pauvreté est fortement concentrée sur le secteur de Fort-de-France. Sur le
secteur de Schœlcher, la population est relativement dense, mais il y a peu de pauvres. La
pauvreté est à proximité immédiate, entre le secteur de Didier et le centre de Fort-de-France ou le
secteur de Volga : on retrouve des écarts de niveau de vie très importants. On pourrait retrouver ces
écarts sur le secteur du François avec des quartiers sur les territoires les plus riches de la Martinique à
proximité de territoires dont la population est extrêmement pauvre.
L’indice de Gini a été évoqué précédemment ; sur l’ensemble des territoires, on retrouve un neuvième
décile. Les 10 % les plus riches ont un niveau de vie équivalent voire supérieur à ce qu’on peut
retrouver dans dans un certain nombre de territoires de l’Hexagone, alors que sur les 90 % restants, et
notamment sur les 10-30% les plus pauvres, on constate une situation de pauvreté beaucoup plus
importante. Il y a donc des écarts de niveau de vie très forts entre les individus, amplifiés
indirectement par l’importance de l’emploi dans la fonction publique, avec un système de
rémunération plus avantageux.
Les squats de Nouméa en Nouvelle-Calédonie ont été évoqués par Jacques Moineville, mais on
retrouve le même phénomène sur l’ensemble des territoires d’Outre-mer (entre Cayenne et RémireMontjoly en Guyane, par exemple) : la juxtaposition de poches de pauvreté très importantes et de
populations extrêmement aisées. On constate une absence de vivre ensemble : la confrontation entre
les deux populations ne se fait pas facilement.
Des enjeux de connaissance
Aujourd’hui, il est important de contribuer à développer la connaissance. Un manque d’indicateurs
est certainement à signaler, et l’on en vient également à s’interroger sur leur pertinence pour la
spécificité des départements d’Outre-mer ; par exemple, les indicateurs utilisés par le Compas
ne prennent pas en compte l’économie informelle. Paradoxalement, quand on arrive à Saint-Laurent
du Maroni, on nous dit que nos indicateurs sont déjà dépassés. D’un côté, les acteurs du social
considèrent qu’une seule partie de la réalité est prise en compte, de l’autre, d’autres acteurs estiment
qu’oublier l’informel est une erreur puisque cet informel pourrait compenser les inégalités
apparaissant à l’issue des études effectuées.
Où est la réalité entre ces deux extrêmes ? Quelle est la part de l’informel dans le comblement des
inégalités ? L’informel existe, mais tout le monde n’est pas égal face à cette réalité : certaines
populations vendent des canettes réfrigérées sur le bord de la route et gagnent 20 euros par jour,
d’autres cumulent l’informel avec un emploi et ont un niveau de rémunération bien supérieur à 20
euros par jour. Ceux qui ont le plus sont donc peut-être ceux qui bénéficient de l’informel de façon
cumulée, tandis que ceux qui n’ont pas grand-chose n’ont pas de reconnaissance sur le marché du
travail (ils ne pourront jamais vendre une heure de travail à 80 ou 100 euros).
L’informel, comme les solidarités intergénérationnelles, joue un rôle certain, mais difficilement
quantifiable. Cependant, il n’est pas sûr que cet informel joue un rôle dans la réduction des
inégalités, et cela pourrait être l’enjeu d’une analyse. Dans ce contexte, les enjeux de
connaissance sont donc majeurs.
– Comment développer les outils de connaissance et de mesure ? Comment les adapter
aux réalités domiennes ? On peut à ce propos citer la Guyane ou Mayotte et leurs
13
–
–
–
–
phénomènes de flux migratoires importants, maîtrisés ou non maîtrisés, avec une
population cachée qui vit dans une grande pauvreté.
Comment avoir les mêmes critères (en supposant qu’il soit possible de les construire) sur
l’ensemble des territoires, ainsi que les mêmes seuils (la question de la politique de la
ville aujourd’hui) ?
Il faut permettre aux acteurs de la réponse sociale de se rencontrer à l’intérieur de
chacun des départements d’Outre-mer et de travailler ensemble. Face à l’ampleur des
problèmes, on continue à avoir le même fonctionnement que celui qu’on connaît ici, à
savoir un cloisonnement institutionnel où travailler ensemble n’est pas évident. Les
évolutions administratives territoriales actuelles vont peut-être faire évoluer les choses.
Une prise en compte de la réalité domienne est également nécessaire : il existe des
réalités spécifiques à chaque département, mais il y a aussi des réalités communes qui
font que les DOM dans leur ensemble ont une situation très différente de celle de
l’Hexagone.
Avec les élus et les professionnels, partager les réalités sociales à l’intérieur des
différents territoires afin de définir des plans d’action pertinents.
La question de l’évaluation des politiques publiques des DOM est importante. Elles
portent certainement leurs fruits (Jacques Moineville a parlé du rattrapage des politiques
publiques qui a pu avoir lieu) mais certaines ont des effets pervers. Certains financements
ne pourraient-ils pas basculer dans l’éducatif ou bien dans la prise en charge des enfants ?
Françoise Rivière, économiste, département de la Recherche à l’AFD
b) Caractériser les inégalités dans les Outre-mer : une approche comparative
Les Outre-mer : des sociétés bien plus inégalitaires qu’en France hexagonale, même après
redistribution des revenus
Deux indicateurs caractérisent les inégalités :
– Les rapports inter-décile D9/D1 mesurent le rapport entre les revenus des 10 % les plus
riches et les revenus des 10 % les plus pauvres.
– L’indice de Gini mesure les inégalités sur l’ensemble de la distribution des revenus.
14
Les chiffres indiqués sur le document sont les derniers recensés pour chacune des géographies (même
s’il n’y a pas de grande variation d’une année sur l’autre), après redistribution.

Rapports inter-décile D9/D1
En France métropolitaine, les 10 % les plus riches gagnent en moyenne 3,6 fois plus que les 10 % les
plus pauvres. Le territoire le plus inégalitaire est la Guyane avec un indice de 11 ; la NouvelleCalédonie vient après. Le territoire le moins inégalitaire est La Réunion avec un coefficient de 5,4.

Indice de Gini
L’indice de Gini indique dans quelle mesure la répartition des revenus dans une économie s’écarte de
l’égalité parfaite. Plus l’indice se rapproche de 0, plus la société est égalitaire, plus il se rapproche de
1, plus la société est inégalitaire. En France métropolitaine, l’indice est de 0,29. La NouvelleCalédonie a l’indice le plus élevé (0,43), La Réunion a l’indice le moins élevé (0,39) et apparaît donc
encore une fois comme le département où les inégalités sont les moins fortes.

Rapport des revenus du travail entre les hommes et les femmes
Au sein du département de la Recherche, des travaux ont été menés sur des indicateurs de
vulnérabilité, des indicateurs d’inégalités, etc. En ce qui concerne les salaires, la situation outre-mer
est atypique : les inégalités sont moins défavorables pour les femmes que dans l’Hexagone. Cela ne
signifie pas que les sociétés ultramarines sont moins inégalitaires que les autres sociétés sur les aspects
de genre ; cela est dû notamment à la structure singulière de ces économies, marquées par une
prédominance des emplois publics bénéficiant de la surrémunération qui profitent principalement aux
femmes..
Où se situent les Outre-mer dans l’échelle des pays ? L’extrême supérieur est la Namibie qui a
l’indice de Gini le plus élevé (0,71). L’économie la plus égalitaire est la Suède (indice de Gini : 0,23).
Au centre se situent les départements et communautés d’Outre-mer (0,39 pour La Réunion et 0,43
pour la Nouvelle-Calédonie). Ces indices de Gini, après redistribution, sont supérieurs à ceux de
certains pays d’Asie (Vietnam et Indonésie, par exemple). Traditionnellement, les pays asiatiques sont
moins inégalitaires que les pays d’Amérique latine.
Il est également intéressant de comparer la répartition des revenus avant redistribution et après
redistribution. Pour La Réunion, l’indice est de 0,53 avant redistribution et de 0,39 après
redistribution. Pour la Martinique, l’indice est de 0,47 avant redistribution (niveau d’inégalités de la
République Dominicaine) et 0,41 après redistribution. Cette comparaison permet de mesurer l’effet de
la politique de redistribution (prestations et minima sociaux) sur la réduction des inégalités et de
constater qu’on a un effet redistributif plus fort à La Réunion.
Diminution des inégalités dans les années 1990, augmentation dans les années 2000
Dans les années 1990 a lieu une réduction sensible des inégalités, sous l’effet conjoint de :
– la forte croissance économique qui a été créatrice d’emplois, dans le secteur public mais
aussi dans le secteur marchand ;
– l’alignement progressif des prestations sociales et minima sociaux (le RMI et le SMIC
ont terminé leur alignement dans les DOM respectivement en 2002 et 1996).
Cela a permis de compenser en partie la faiblesse des revenus du travail dans ces géographies et
a amené à une réduction des taux de bas revenus (pourcentage de personnes en dessous du seuil de
pauvreté, particulièrement révélateur aux Antilles).
Dans les années 2000, la période de forte croissance s’accompagne d’une augmentation des
inégalités et d’une augmentation des taux de pauvreté. Cela s’est traduit par :
– une augmentation des taux de bas revenus entre 2001 et 2006 (d’après deux enquêtes de
l’Insee), particulièrement sensible aux Antilles, un peu moins à La Réunion ;
– une pauvreté qui touche les exclus du marché du travail (chômeurs) mais également
les travailleurs pauvres (les salariés du secteur public ou privé mais en situation de sousemploi ou de temps partiel).
Les politiques de redistribution sont plus réductrices des inégalités à La Réunion ; viendraient ensuite
dans les analyses la Guadeloupe, puis la Guyane, puis la Martinique.
15
Depuis 2008, le nombre d’enquêtes menées a diminué, mais les crises économiques et sociales ont
induit une hausse des prestations sociales (indemnités chômage par exemple). La Réunion est le
seul territoire à avoir bénéficié d’enquêtes récentes (2007 et 2010) qui montrent une réduction des taux
de bas revenus ; les hauts revenus ont augmenté dans une moindre proportion par rapport aux revenus
se situant au voisinage du seuil de pauvreté. Néanmoins, l’enquête de 2010 montre qu’un enfant sur
deux est en situation de pauvreté.
Des sociétés fragmentées
Deux caractéristiques fortes de ces sociétés peuvent être soulignées:
– La surrémunération dans la fonction publique qui a des effets induits sur les salaires du
secteur privé (employés et cadres), en plus des abattements fiscaux. Le revenu disponible
des ménages est donc équivalent, voire supérieur, à emploi égal, à ce qu’on observe en
France continentale. Cette frange de la population est en situation de stabilité de l’emploi
avec des revenus corrects.
– Le chômage, avec son ampleur (taux de 21 % en Martinique, 29 % à La Réunion, 36 % à
Mayotte) et sa durée (taux de chômage à deux chiffres depuis les années 1970). C’est donc
un phénomène structurel et permanent qui touche les jeunes. Ce qui est frappant est la part
de chômeurs de longue durée : plus de 70 % (inscrits au Pôle emploi) sont au chômage
depuis plus d’un an, plus de 50 % depuis plus de trois ans. Dans ce contexte, une part
importante de chômeurs est découragée et non comptabilisée dans les statistiques. Le taux
de chômage n’est donc pas un indicateur très pertinent en comparaison du taux d’activité
qu’il est préférable de considérer. L’Insee essaye notamment de pallier ces difficultés en
évaluant ce qu’on appelle le « halo du chômage ».
Au sein des personnes touchées par le chômage, on observe deux types de population :
– Une population au sein de laquelle les personnes alternent périodes de chômage, de
CDD, d’Intérim et tout ce qu’on appelle les « formes particulières d’emploi ».
– Une population durablement éloignée de la sphère de l’emploi, proche de la trappe à
pauvreté, qui comprend une grande partie des bénéficiaires des minima sociaux et des
emplois aidés, qui jouent d’ailleurs un rôle de stabilisateur social. La pauvreté n’est pas
seulement monétaire, elle est un processus cumulatif qui induit difficultés de logement,
problèmes de santé, illettrisme, échec scolaire, mais aussi autocensure (on peut citer à ce
propos Amartya Sen et sa théorie des « capabilités », puisque la pauvreté ne se lit pas
seulement en termes de richesse monétaire mais également de liberté de choix,
d’accessibilité aux ressources, de s’autoriser à se former, à postuler à un emploi, à se
projeter dans l’avenir).
16
Taux de pauvreté et taux de chômage des jeunes
Taux de pauvreté (%)
(% de la population<60 % du revenu médian)
60
50
50
46
46
42
40
38
30
20
13
10
0
Le taux de chômage des jeunes est compris entre 50 % et 60 % des moins de 25 ans, donc en
augmentation. Concernant le taux de pauvreté, 13 % de la population est en dessous du seuil de
pauvreté dans l’Hexagone ; dans les DOM, cela varie entre 38 % en Martinique et 50 % en Guyane.
Indicateurs d’éducation et de santé
Des enquêtes ont été menées dans l’ensemble des régions, en France métropolitaine et dans les Outremer.
17

Éducation
On peut voir la part des jeunes en difficulté de lecture (10 % dans l’Hexagone, des pourcentages plus
élevés dans les DOM, notamment avec 75 % à Mayotte), et surtout la part des jeunes de 18 ans en
situation d’illettrisme. Le constat est inquiétant : il n’est pas question de gens éloignés du marché du
travail depuis 20 ans et qui désapprennent à lire et à écrire mais bien de gens qui ont 18 ans, donc qui
sortent du système scolaire. La question de l’employabilité de ces personnes se pose sérieusement :
plus la durée du chômage est élevée, plus les perspectives d’employabilité et les chances de réinsertion
professionnelle sont faibles.

Santé
Le taux de mortalité infantile est toujours de deux à trois fois supérieur outre-mer par rapport à la
moyenne hexagonale (il n’y a pas de grands écarts types entre les régions ou départements de
l’Hexagone).
Le taux de fécondité des adolescentes de 15 à 19 ans (mesuré pour 1 000) est un indicateur
symptomatique : 6 pour 1 000 dans l’Hexagone (la région la plus élevée est le Nord-Pas-de-Calais
avec 7,5, donc on constate bien que le taux n’est pas très élevé), et des taux élevés dans les DOM,
notamment avec 43 pour 1 000 à La Réunion (chiffre qui n’a pas diminué depuis 20 ans), 71 pour
1 000 en Guyane et 100 pour 1 000 à Mayotte. Dans ces géographies où les perspectives en matière
d’emploi sont très faibles, la seule façon d’acquérir un statut dans la société pour les jeunes femmes
est de devenir mère. Le taux de fécondité de La Réunion est deux fois supérieur à celui de l’île
Maurice, qui se trouve juste à côté ; cela soulève donc des interrogations.
Les défis
Il faut éviter une marginalisation de plus en plus importante de la population. Le but n’est pas de
dresser un tableau noir de la situation des DOM, un dynamisme reste présent quant aux créations
d’entreprises par exemple. Une certaine cohésion sociale est maintenue grâce à des solidarités
familiales et de proximité qui perdurent, mais qui s’étiolent, notamment avec le phénomène du
vieillissement conjugué à l’émigration des jeunes actifs et au phénomène de décohabitation.
Un article de presse disait que le travail au noir en France représentait 11 % du PIB. On subodore que
dans des économies où le secteur formel absorbe aussi peu d’actifs par rapport aux nouveaux entrants
sur le marché du travail, la pluriactivité occupe une place importante dans le secteur informel qui
apporte des revenus complémentaires, sans doute des revenus résiduels pour une grande partie de la
population (mais sur ce point, peu d’éléments tangibles existent).
Le défi reste la création d’emplois : est-elle conciliable avec le modèle économique actuel ?
Comment faire en sorte que l’on puisse naître dans ces territoires et se projeter dans l’avenir ?
Olivier Sudrie, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et
chercheur au Centre d’études sur la mondialisation, les conflits, les territoires et les
vulnérabilités (CEMOTEV)
c) Des inégalités qui risquent de bloquer durablement la croissance outre-mer
Un tassement des rythmes de croissance
Les inégalités de répartition des revenus sont
à l’origine du fort ralentissement de la
croissance économique dans l’ensemble de
l’Outre-mer, quel que soit son statut
institutionnel. Des solutions existent pour
retrouver une croissance plus juste et plus
forte en Outre-mer, notamment avec la mise
en œuvre de politiques publiques et de
politiques économiques de correction.
18
Le schéma met en évidence les évolutions de la croissance économique et permet de constater un
essoufflement du modèle de croissance ultramarin : tous les taux de croissance de l’ensemble des
géographies sont orientés à la baisse sur la période la plus récente (à partir de 2009). Cette baisse
peut être très sensible : le cas de la Polynésie est révélateur d’une crise économique profonde et
malheureusement durable. Chaque territoire a bien sûr son histoire et ses spécificités, mais le
ralentissement de croissance ne peut pas être expliqué par des chocs conjoncturels spécifiques.
La répartition primaire des revenus
La répartition primaire des revenus est, en quelque sorte, le
partage de la valeur ajoutée entre les profits et les salaires.
Les Outre-mer échappent à cette bonne répartition des
revenus. Il est possible de concevoir des sociétés dans
lesquelles la part des profits est très faible et la part des salaires
est très importante, ou à l’inverse, des sociétés dans lesquelles
la part des profits est importante et la part des salaires faible.
Les économistes s’accordent sur le fait qu’il existe une bonne
répartition, mais toutes les répartitions ne se valent pas. Une
répartition doit être économiquement viable et socialement
soutenable.
Malheureusement,
cette
notion
de
« soutenabilité sociale » fait défaut outre-mer.
Qu’est-ce qu’une bonne répartition ? La richesse créée se
répartit entre ceux qui y ont contribué : le capital reçoit des
profits et le travail reçoit des salaires. Il est nécessaire qu’il y
ait suffisamment de profits pour financer les investissements
(qui augmentent au fur et à mesure le capital) sans lesquels il
n’y aurait pas de croissance économique. Un certain niveau de
salaires est néanmoins nécessaire pour justifier la production et
alimenter la consommation des ménages, qui justifie à son tour
la production.
Si l’on compare le schéma à un bonhomme avec deux yeux, un tronc et deux jambes, on pourrait dire
qu’une bonne répartition économique permettrait au bonhomme de marcher sur ses deux jambes :
suffisamment de profit pour financer les investissements, suffisamment de salaires pour la
consommation. Lorsqu’une jambe est plus forte que l’autre, le bonhomme commence par boiter puis
finit par tomber. Cette situation est arrivée en Outre-mer, due à un problème de mauvaise répartition
entre la jambe du profit et des investissements et la jambe des salaires et de la consommation. Par
ailleurs, les économies ultramarines, comme n’importe quelle autre économie dans le monde, ne
satisfont pas en totalité leurs besoins ; une partie des biens d’équipements ou de consommation est
donc importée.
Ce modèle est très général et peut être comparé à une machine à fabriquer de la croissance pour
laquelle le réglage salaire/profit est essentiel.
Le modèle économique ultramarin favorise les distorsions dans la répartition des revenus
Quatre facteurs expliquent que le modèle économique ultramarin est intrinsèquement inégalitaire :

La concurrence oligopolistique
Les économies ultramarines sont en situation de concurrence oligopolistique du fait de leur
petite taille, c’est-à-dire qu’il y a un nombre limité d’offreurs. Dans un secteur, une entreprise peut
parfois être en situation de monopole, mais la plupart du temps, on trouve quatre ou cinq entreprises
(ce qui est normal étant donné la petite taille du marché). Dans ce genre de situation, la maximisation
du profit est simple à obtenir car les entreprises n’ont pas de concurrents et pratiquent le prix le plus
élevé possible jusqu’à « assassiner » leur clientèle. Des moyens existent pour ouvrir ces économies, et
il est important de le faire car elles sont très faiblement ouvertes. Si des entreprises en nombre limité
sur un secteur font monter les prix, le client peut se satisfaire par des produits importés ; cependant,
19
des barrières douanières ainsi que des barrières non tarifaires ont été établies. Il existe également une
entente, objective ou non, entre les producteurs locaux et les importateurs : tous trouvent un
intérêt à la pratique de prix élevés et la concurrence entre production locale et importations est
faussée. À Papeete, Nouméa ou Fort-de-France, une bouteille d’eau des volcans d’Auvergne est au
même prix qu’une bouteille d’eau locale. Le débat sur la vie chère est donc un débat sur les marges, et
cela revient à la même chose : on considère la question soit du côté de la répartition des revenus, des
marges, du profit, soit du côté de la vie chère.

Un capitalisme « familial »
La nature familiale du capitalisme joue sur l’augmentation des profits. La personne physique chef
d’entreprise se confond souvent avec la personne morale dans une majorité de petites entreprises.
Cette personne a une logique de revenus et d’augmentation de ses prix en fonction de la satisfaction de
sa consommation. Une partie non négligeable des profits est donc consommée directement par les
entrepreneurs eux-mêmes.

Des transferts publics métropolitains
Les transferts publics métropolitains augmentent les déformations dans la répartition des
revenus car ils permettent aux entreprises pratiquant des prix élevés de tout de même trouver
une demande exogène qui vient alimenter la consommation. Il serait possible de réduire très
fortement la masse salariale intérieure à partir du moment où des revenus viennent du reste du monde.
Les entreprises trouvent des clients dans les fonctionnaires surrémunérés, et cette clientèle aux revenus
venant de l’extérieur permet la pratique de prix élevés.

La défiscalisation
Il est souvent avancé que la défiscalisation est importante en raison du manque de fonds
propres, mais la réduction des fonds propres est justement possible grâce à la défiscalisation :
une partie des investissements étant financée par l’extérieur au travers de mécanismes de
défiscalisation, cela permet de réduire la part des profits nécessaires aux financements
d’investissements. Dès lors que cette part est réduite, la part des profits augmente et est consommée,
d’où les inégalités de consommation que Françoise Rivière mettait en avant entre la catégorie la plus
riche (D9) et la catégorie la plus pauvre (D1).
Un modèle économique ultramarin à bout de souffle
À partir du moment où ces flux principaux extérieurs (défiscalisation et transferts
métropolitains en matière de surrémunération) n’augmentent plus, l’alimentation externe du
modèle commence à poser problème et la croissance ralentit, voire se bloque, non pas à cause de
problèmes économiques mécaniques, mais en raison de mouvements sociaux se révoltant contre
la situation. On en voit l’illustration au travers des grandes crises de 2009 aux Antilles ou bien des
tensions prégnantes en Nouvelle-Calédonie. Le système peut être durablement inégalitaire, puis il y a
un moment où les inégalités deviennent insupportables ; un mouvement social naît toujours d’un
problème économique, et il faut nécessairement ce mouvement social pour que le système se bloque.
Des pistes d’action pour retrouver une croissance ultramarine plus forte et plus juste
Les inégalités étant liées intrinsèquement au modèle de croissance ultramarin, peut-on concrètement
retrouver de la croissance ? Cela est possible à une seule condition : que la croissance soit plus juste,
en rééquilibrant les revenus.
Pour y parvenir, les moyens sont nombreux.
– Il est possible d’agir par la redistribution. Françoise Rivière montrait les coefficients de
Gini mesurant les inégalités qui peuvent être réduites par la redistribution. Cela pose
cependant des problèmes, surtout en période de difficultés budgétaires.
– Un autre levier d’action possible est celui de la productivité, et surtout la répartition des
gains de productivité en faveur du travail.
20
Schéma de principe
Un schéma de principe va
permettre
un
exercice
volontairement
microéconomique qui sera
ensuite généralisé au niveau
macroéconomique.
Un
exemple
supposé
d’économie ultramarine est
posé (toutes fonctionnant sur
le même modèle, il est peu
important de préciser une
économie en particulier).
Pour produire, il faut du travail
(10 travailleurs) et des
machines, qui justifient les
profits (300 unités monétaires
de machines). Si on les
combine, on peut créer de la
richesse, c’est-à-dire de la
valeur ajoutée (production de 100). Une fois que cette richesse a été créée et vendue, les revenus issus
de la production doivent être répartis : les salariés reçoivent la moitié de la valeur ajoutée (50), l’autre
moitié (50) part au profit pour financer le capital (c’est donc une économie avec une répartition 5050). Le taux de salaire, c’est-à-dire la masse des salaires (50), rapporté au nombre de travailleurs,
c’est-à-dire le salaire par tête, donne 5 (chaque travailleur gagne 5). Le taux de marge de la valeur
ajoutée de l’entrepreneur est de 50 % ; son taux de profit est de 50 (ses profits rapportés au capital de
17 %). Le calcul de la productivité du travail (pour les puristes, il s’agit d’une productivité apparente
qui va consister à rapporter la richesse créée au nombre de travailleurs mobilisés pour la créer) :
chaque travailleur produit 10, et comme ils sont 10, 10 fois 10 font 100.
Si l’on fait l’hypothèse que la productivité du travail augmente et que chaque travailleur produise non
plus 10 mais 11. Si les travailleurs sont toujours 10 à travailler, ils vont pouvoir produire 110 et la
richesse augmente de 10 %. La question qui se pose alors est celle de la répartition de cette
augmentation de richesse. La réponse universelle pour les économistes lorsqu’on est en situation de
concurrence parfaite (mais les situations réelles d’Outre-mer sont des situations de concurrence
imparfaite pour lesquelles les politiques économiques doivent jouer un rôle) est de laisser les profits à
50 et de faire passer la masse salariale de 50 à 60. Si on additionne 50 et 60, cela correspond bien aux
110 de richesse ; l’objectif est de redistribuer les gains de productivité qui sont passés de 10 à 11 (donc
10 %) aux salariés qui les ont créés. Le taux de salaire augmente, le salaire passe de 5 à 6, le taux de
marge, certes, diminue (puisque les entreprises continuent de prélever 50 dans la valeur ajoutée), mais
la valeur ajoutée est passée de 100 à 110, d’où un taux de marge qui passe de 50 à 45. Les taux de
marge outre-mer sont élevés, le taux de profit ne change donc pas.
Les gains de productivité
Les gains de productivité :
– sont une source de croissance (on dit souvent qu’il faut explorer des secteurs de niche
pour trouver de la croissance outre-mer (perles, vanille...), alors qu’il faut surtout faire de
la productivité à peu près dans tous les secteurs) ;
– réduisent les inégalités grâce à la hausse des salaires réels ;
– permettent aux entreprises de maintenir le niveau de la marge et leur taux de profit ;
– pourraient ne pas être redistribués aux salariés sous forme de hausse de salaire mais
redonnés aux clients sous forme de baisse de prix. Cela peut se justifier dans certains
secteurs, notamment dans le tourisme, fortement concurrencé au niveau international, dont
les coûts outre-mer sont élevés.
21
Les moyens pour y parvenir :
– Les pouvoirs publics doivent initier le processus de gain de productivité et la
répartition équilibrée. Les mécanismes de marché dans les économies ultramarines ne se
mettront jamais spontanément en œuvre pour faire cela car les procédures de marché sont
insuffisantes. Un consensus macroéconomique, qui n’est pas encore acquis, est nécessaire.
Les schémas qui appuient cette intervention suscitent souvent des résistances. Les pouvoirs
publics doivent organiser le dialogue.
– Au niveau des branches ou des secteurs d’activité, il faut recenser les leviers de
productivité. La productivité ne se fait pas de la même façon dans les services,
l’agriculture ou l’industrie. On s’est rendu compte qu’un formidable levier de productivité
existait avec l’amélioration des transports en commun : la main-d’œuvre est beaucoup plus
productive dans la journée en arrivant le matin dans des délais raisonnables après avoir
utilisé un moyen de transport confortable.
– Les objectifs à atteindre doivent être chiffrés en se demandant combien de gains il est
possible d’obtenir. Les gains de productivité outre-mer étant très faibles depuis plusieurs
décennies, les gisements de productivité sont colossaux.
– Il faut également recenser les indicateurs, fixer un calendrier et s’entendre entre les
parties sur l’affectation des gains.
II. COMMENT CORRIGER LES INÉGALITÉS DANS LES OUTRE-MER ?
TABLE RONDE
François Thomas
François Chérèque, vous avez remis au gouvernement au mois de janvier l’évaluation de la première
année du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, schéma dans lequel les
Outre-mer ne sont pas oubliés. Vous étiez en Martinique au mois de juin, à La Réunion l’année
dernière. Comment contribuez-vous à la réduction des inégalités dans les Outre-mer ?
François Chérèque, en charge du suivi du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion
sociale à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), président de l’Agence du Service
Civique
Il est difficile de parler de l’Outre-mer en général et de considérer que la Guyane, La Réunion,
Mayotte, etc. peuvent être désignés dans le même temps sous ce terme unique. Je vais parler des
départements d’Outre-mer car on ne peut pas faire comme si les COM et les DOM étaient similaires, y
compris en termes institutionnels et politiques. On parle souvent des Outre-mer sans les replacer
dans leur contexte géographique.
François Thomas
On a parlé d’inégalités territoriales et d’inégalités intraterritoriales.
François Chérèque
On ne peut pas, par exemple, parler de la pauvreté des enfants en Guyane ou à Mayotte sans replacer
chaque territoire dans son contexte géographique. Il n’est pas possible de faire porter en totalité la
responsabilité de la souffrance des enfants aux élus locaux sans replacer le problème dans un
contexte régional qui est celui de l’immigration.
Concernant la pauvreté, l’écart au niveau des chiffres est beaucoup plus marquant que la
spécificité de la pauvreté. La cohabitation de personnes pauvres et de personnes riches en Outremer se retrouve en Île-de-France pour une raison simple : les personnes en situation de pauvreté
s’installent là où il y a de l’argent. Cette situation se retrouve dans tous les pays du monde (au
Brésil, par exemple, les plus pauvres ne s’installent pas au milieu de la forêt mais bien là où il y a de la
richesse). Ce genre de situation est donc beaucoup moins marquant que l’accroissement de l’écart des
inégalités en Outre-mer. Le plan de lutte contre la pauvreté doit s’appliquer en Outre-mer comme
dans les autres départements français. Mais étant donné qu’il existe des spécificités pour ces
22
territoires, l’application n’est pas forcément évidente. J’ai fait le tour de trois départements (la
Martinique, la Guadeloupe et La Réunion) : une déclinaison territoriale de ce plan de lutte contre la
pauvreté doit être mise en œuvre. On ne peut pas appliquer ce plan à Mayotte de la même façon car on
est dans l’arrivée de la départementalisation ; les écarts sont peu à peu réduits, y compris pour les
minima sociaux.
Premièrement, l’augmentation des minima sociaux concerne les départements d’Outre-mer.
Deuxièmement, l’accès aux droits est plus réduit selon les départements d’Outre-mer ; c’est un
problème important, même s’il y a des difficultés statistiques pour l’évaluer. En France, le nonaccès aux droits caractérise une partie de la pauvreté : le problème des minima sociaux n’est pas la
fraude mais le nombre de personnes qui ne bénéficient pas des droits qu’elles devraient toucher. En
Outre-mer, des personnes âgées sont pauvres et vivent avec des revenus indigents, non pas parce
que les minima sociaux n’existent pas mais parce qu’elles ne les touchent pas. La raison vient de
la reprise sur succession sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) ainsi que des
divisions des terrains sur lesquels ces personnes âgées habitent qui n’ont pas été faites historiquement
dans ces départements ; les familles (on ne sait pas si ce sont les enfants ou les parents) ne
demandent donc pas l’Aspa de peur que soit reprise dans l’héritage une partie de ce que les
minima sociaux donnent. J’ai rencontré à La Réunion une dame vivant avec 300 euros par mois alors
qu’elle a droit à des minima sociaux de 770 euros par mois, ce qui la ferait presque sortir du seuil de la
pauvreté.
François Thomas
C’est un problème d’information, dans ce cas.
François Chérèque
Cette dame vit dans une maison en tôle avec ses deux enfants qui touchent le RSA. Ce n’est pas un
problème d’information mais bien la peur que les enfants n’héritent pas du terrain qui appartient
aussi bien à la dame dont je vous parle qu’à ses enfants, neveux, nièces, etc. Il y a donc une pression
à ce propos car le cadastre n’a pas été fait. Ces éléments culturels et historiques sont importants.
Les chiffres disent que la situation de la santé s’améliore grâce à la Couverture maladie
universelle complémentaire (CMU-C) qui permet une couverture santé complète pour tout le
monde. Il existe néanmoins un paradoxe français : les personnes très pauvres ont une meilleure
couverture santé que les personnes au-dessus du seuil de pauvreté. Dans les départements d’Outremer, un très grand nombre de personnes bénéficient des minima sociaux, ce qui signifie donc une
amélioration de la situation d’accès à la santé. Cependant, dans les DOM et particulièrement aux
Antilles, la santé est aussi un problème provenant de la vétusté des équipements qui ne sont pas
modernisés à cause de dépenses importantes dans des emplois publics sous-qualifiés (embauches
de catégorie C à la place d’infirmières catégorie B, par exemple) pour des raisons d’emploi local.
La santé peut être un élément de développement économique des départements d’Outre-mer.
Dans le cas de La Réunion, de la Martinique ou de la Guadeloupe, une partie des pays environnants
ont des difficultés d’accès à la santé dus à des problèmes d’équipement ; en améliorant les
équipements hospitaliers dans ces départements, il est possible de « vendre » de la santé aux pays
voisins et de devenir un élément d’attractivité régionale.
On a eu la présentation de ce qu’est une économie de comptoir avec les systèmes de fausse
concurrence ne valorisant pas, en termes de coûts, les productions locales, qui se retrouvent vendues
aussi cher que les importations. Cependant, comme l’a exposé le sénateur Paul Vergès au cours d’une
rencontre à La Réunion, la surrémunération des fonctionnaires est aussi un élément d’augmentation du
coût de la vie. Certains hommes politiques et syndicalistes avancent l’idée de transformer cet argent
donné en surrémunération en un élément de développement local. La surrémunération est un facteur
d’accroissement d’inégalités de la même manière que le Salaire minimum interprofessionnel de
croissance (SMIC), qui a été une avancée, mais qui pose problème avec la prime de vie chère de 40 %.
Les différences de salaires entre une personne de catégorie C au SMIC dans la fonction publique (pour
laquelle une prime de vie chère de 40 % est ajoutée) et une personne au SMIC sans prime sont
importantes.
23
Il y a tous les éléments que la métropole peut apporter, il y a les éléments de développement
territoriaux et locaux, au-delà des propres territoires, et il y a des éléments de courage. Non pas de
privation de moyens que la métropole pourrait donner vis-à-vis de ces territoires mais de répartition à
l’intérieur des territoires avec un modèle d’organisation territoriale organisé, comme celui de la
métropole. L’exemple de La Réunion est parlant : une région, un département, des communes. En
métropole a lieu actuellement un débat sur la suppression des départements ; certains disent que les
supprimer va éloigner la décision sociale du terrain. Mais ce problème ne peut pas se retrouver à La
Réunion puisque c’est le même territoire.
Ne peut-on pas inventer un système d’organisation territoriale propre et choisi par les habitants de ces
territoires plutôt que de copier ce qui se fait et qui multiplie les intérêts particuliers ainsi que les
conflits ? Et ce, non pas pour faire des économies, mais pour redistribuer les moyens économiques et
sociaux dans un territoire ?
François Thomas
Le débat que vous soulevez est en plein dans l’actualité puisque deux collectivités uniques en
Martinique et en Guyane seront créées au cours des deux prochaines années. George Pau-Langevin a
annoncé récemment que la Guadeloupe et La Réunion deviendraient des régions sans
département dans le cadre de cette réforme.
Matthieu Barrier, comment l’ADIE contribue à encourager celles et ceux qui souhaitent avoir une
première activité en créant leur emploi pour ne pas attendre des solutions de la part de Pôle emploi, par
exemple ?
Matthieu Barrier (remplace Jean-Marc Ewald, directeur régional en charge des Outre-mer de
l’Association pour le droit à l’initiative économique), directeur adjoint du réseau de
l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE)
L’ADIE est une association nationale reconnue d’utilité publique existant depuis vingt-cinq ans. Elle a
une forte activité et est présente dans l’ensemble des DOM-TOM. L’ADIE est un outil de terrain
qui essaye d’agir efficacement sur la réduction des inégalités en proposant des microcrédits ainsi
qu’un accompagnement pour les personnes souhaitant développer leur propre emploi en créant
leur activité.
L’action de l’ADIE sur l’ensemble des DOM-TOM est au carrefour de tout ce qui a pu être dit
lors de cette conférence puisqu’elle agit sur la réduction du travail informel en permettant à des
gens qui exercent depuis plus ou moins longtemps des activités informelles ou coutumières
d’aller vers une activité formelle, si petite soit-elle. L’ADIE accompagne le développement de ces
activités afin qu’elles génèrent des revenus supérieurs pour la personne qui crée l’entreprise ; dans
certains cas, ces personnes sont aidées pour la création d’emplois supplémentaires (parfois un seul
pour le conjoint, par exemple). Tous ces emplois sont des créations de richesse, du moins des
sorties de l’informel vers le formel, ainsi qu’une participation concrète à l’économie locale.
L’année dernière, 4 119 personnes ont été financées par l’ADIE sur l’ensemble des DOM-COM ; cela
représente presque un tiers de l’activité de l’ADIE sur la métropole et les DOM-COM (ce poids
d’activité est compréhensible si l’on considère le difficile accès à l’emploi salarié classique pour une
frange importante de la population). Ces 4 119 personnes remboursent très bien leur crédit : le taux de
remboursement (au-dessus de 94 %) est meilleur sur ces géographies qu’en métropole sur des sommes
allant de 200 euros à 10 000 euros. Une personne en Polynésie avait démarré son activité avec un prêt
de 400 euros pour acheter des produits pour nettoyer des voitures ; n’ayant pas les moyens de se payer
une voiture, elle se déplaçait en stop. L’idée est de l’accompagner avec de nouveaux crédits si tout se
passe bien afin qu’elle développe son activité. Les activités accompagnées ont un taux de pérennité
de l’ordre de 60 % à trois ans.
Il est certain que ces activités n’ont pas l’ampleur de multinationales, mais ces micro-activités
réparties sur l’ensemble des territoires outre-mer contribuent au sentiment de reprise en main de son
destin et de capacité à développer une activité (certes souvent avant d’avoir un réel impact sur les
revenus : certaines personnes gagnent autant avec ces micro-activités qu’en bénéficiant du RSA). Le
microcrédit agit sur la réduction des inégalités en donnant leur chance à ceux qui n’en ont pas
d’autre. On a en effet évoqué le problème d’éducation : à Mayotte, en Guyane ou en Polynésie,
24
certaines personnes ne pourront jamais prétendre à un emploi à cause de leur niveau de formation et
ont comme seule solution de développer une activité indépendante. En leur permettant l’accès au
crédit, on débloque un certain nombre de situations, non seulement en ce qui concerne les
questions d’argent mais également les questions d’accompagnement et d’aide au développement
de l’entreprise. 60 % des personnes qui viennent nous voir sont des femmes. Les petites activités de
vente en bord de route ou sur les marchés sont souvent rattrapées par le cadre légal et la nécessité de
respecter un certain nombre de règles ; le besoin d’accompagnement sur ces questions (avoir le bon
papier au bon moment ou déclarer des revenus, par exemple) est très concret pour les aider à aller vers
plus de développement.
L’activité de l’ADIE a pu se développer grâce à l’AFD et le ministère des Outre-mer. Ses enjeux
actuels sont :
– renforcer l’accompagnement en trouvant des solutions de micro-assurance. Un
dispositif permettant d’avoir accès à des assurances adaptées et moins chères a été
développé en métropole, alors que trouver des partenaires en Outre-mer pour proposer des
assurances aux clients de l’ADIE est plus difficile. Pourtant, une assurance pour mutualiser
les risques est d’une grande importance afin de pérenniser une micro-activité ;
– réussir à mobiliser les banques sur le sujet du microcrédit dans les Outre-mer. En
2013, l’ADIE a prêté un peu plus de 15 millions d’euros dans les DOM-COM ;
aujourd’hui, l’association peine à mobiliser les banques pour ces géographies,
contrairement à la métropole.
François Thomas
Mathieu Lefebvre, quelle politique publique ? Quels sont les outils ? Quels sont les projets en cours ?
Comment peut-on corriger les inégalités, comment entrer dans un processus vertueux ?
Mathieu Lefebvre, adjoint à la sous-direction des politiques publiques, direction générale des
Outre-mer, ministère des Outre-mer
Les efforts financiers de l’État dans les territoires d’Outre-mer sont liés au maintien et à la
consolidation de la croissance de ces régions. 14,2 milliards d’euros (qui concernent l’ensemble
des programmes budgétaires de l’État) y ont été investis en 2014, auxquels s’ajoutent près de
4 milliards d’euros pour la dépense fiscale. Le budget du ministère des Outre-mer n’est qu’une
petite partie de ces 14,2 milliards (environ 2,1 milliards d’euros) ; il a été sanctuarisé ces deux
dernières années. Il a connu une hausse de 5 % en 2013 et de 20 millions d’euros en 2014 (hausse
significative dans le contexte budgétaire actuel de l’État). Dans le cadre du budget 2014, ont été
augmentés :
– la ligne budgétaire unique pour le logement social (renforcée de près de 8 %) ;
– les crédits du service militaire adapté pour la formation et l’insertion professionnelle
des jeunes.
Lorsqu’elle s’est déplacée récemment à La Réunion, la ministre des Outre-mer a annoncé que le
pacte de responsabilité se déclinerait au niveau des Outre-mer avec une adaptation pour
prendre en compte les régimes spécifiques en termes d’exonération outre-mer par rapport à
l’Hexagone.
Il est également important de noter les efforts financiers de l’Union européenne qui augmentent
de 23 % pour la période 2014-2020 par rapport à la période 2007-2013. Ces financements
européens concernent essentiellement les DOM dans le cadre du Fonds social européen (FSE) et du
Fonds européen de développement régional (FEDER). À une proportion moindre, le Fonds européen
de développement (FED) dont bénéficient les COM a également augmenté sur les différents territoires.
Ces moyens budgétaires importants sont mis au service de la croissance outre-mer, mais la
croissance économique ne fait pas tout et le modèle économique est également important. Une
question très claire de structuration économique des territoires existe et a été notamment rappelée
par Jacques Moineville avec la crise sociale de 2008-2009, mais aussi par les autres intervenants avec
les questions de vie chère et de marges.
Face à ce constat, une réponse a été apportée en 2012 par les pouvoirs publics avec la loi sur la
régulation économique (LRE) qui a permis de lancer un travail en profondeur sur le rééquilibrage
25
des marchés ultramarins avec un renforcement de la concurrence. La mesure emblématique de la
LRE est le bouclier qualité-prix (BQP) pour un panier d’une centaine de produits. Des bilans
intermédiaires pour 2013-2014 montrent sur ce panier une baisse des prix moyenne de 10 % en 2013
et de 12 % en 2014. Au-delà de cet effet quantitatif, un effet positif est constaté au niveau de certains
territoires par rapport à ce BQP puisqu’on le voit évoluer progressivement : il prend en compte un plus
grand nombre de produits frais et locaux. À La Réunion, une augmentation de la consommation de
produits agricoles et d’élevage frais et locaux a été constatée.
Un certain nombre de mesures dans la LRE permettent de renforcer les pouvoirs de surveillance
de l’État sur les marchés de gros : un travail a été effectué sur le marché de fret maritime, sur la
téléphonie, sur les tarifs bancaires. C’est une démarche en profondeur mais qui prend du temps.
Les politiques correctives des inégalités agissent dans plusieurs domaines :
– concernant le système redistributif de prestations sociales, il a un effet notable (l’écart
est réduit après redistribution) ;
– concernant la santé, de gros investissements hospitaliers sont prévus sur de nombreux
territoires (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Mayotte) ;
– concernant la formation et l’éducation, on constate des écarts avec l’Hexagone ; des
difficultés importantes existent, différentes selon les territoires. À Mayotte et en Guyane,
des problèmes de constructions scolaires sont dus à la démographie très dynamique de ces
territoires. L’État apporte des moyens financiers en complément des collectivités
compétentes en matière de construction scolaire. Pour la formation professionnelle, les
conseils régionaux mettent des moyens importants, mais l’État apporte aussi sa
contribution dans le cadre des dispositifs de mobilité avec L’Agence de l’Outre-mer pour
la Mobilité (LADOM) et dans le cadre du Service militaire adapté (SMA). Avec l’initiative
« Emploi des jeunes » mise en œuvre par l’Union européenne (UE), les territoires d’Outremer bénéficieront de 70 millions d’euros supplémentaires ;
– concernant la politique du logement, un fort investissement sur le logement social existe
en matière de crédit budgétaire, mais ce n’est pas le seul levier de l’État qui mobilise aussi
la défiscalisation. En 2013, près de 516 millions d’euros ont été investis dans le logement
social par rapport à 450 millions d’euros sur les investissements productifs.
François Thomas
Pascal Pacaut, l’AFD a engagé 1,5 milliard d’euros en 2013. L’ADIE a par exemple exprimé le
souhait que les banques nationales investissent davantage financièrement dans lesOutre-mer ;
comment l’AFD participe à ce processus vertueux de correction des inégalités en Outre-mer ?
Pascal Pacaut, directeur du département Outre-mer, AFD
L’action de l’AFD dans les Outre-mer s’inscrit historiquement dans un mandat de rattrapage
économique et social par rapport à l’Hexagone. L’AFD accompagne les acteurs publics,
essentiellement les collectivités locales, et les acteurs privés.
En ce qui concerne le constat des inégalités dans l’Outre-mer par rapport à l’Hexagone, il faut
faire attention au concept. La Banque publique d’investissement (BPI) a été créée il y a un an et demi
et est représentée dans les DOM par l’AFD. De nombreux acteurs (publics, socio-économiques...)
avançaient l’idée que, dans une démarche d’égalité de traitement des Outre-mer par rapport à
l’Hexagone, tous les produits de la BPI doivent être disponibles dans les Outre-mer. Cela a été mis en
œuvre dans une démarche d’égalité, mais sans évoquer la notion de spécificité. Les produits BPI de
l’Hexagone mis à disposition dans les Outre-mer étaient moins intéressants que ceux qui existaient
auparavant, certes moins organisés sous une entité unique comme la BPI, mais plus spécifiques et
donc plus intéressants pour les acteurs économiques. Les termes « égalité » et « spécificité » ont
donc une grande importance : il convient d’avoir un dispositif adapté dans un objectif d’égalité
en tenant compte des spécificités.
La tendance est mauvaise à moyen et long terme concernant les inégalités à l’intérieur des
géographies ultramarines. Dans les Outre-mer, l’essentiel du mix énergétique provient des énergies
fossiles. Les DOM bénéficient de la solidarité nationale pour la production d’électricité car il y a une
péréquation du tarif de l’électricité (ils bénéficient de l’énergie nucléaire et de la stabilité des prix
26
assez bas qu’elle entraîne). Étant donné qu’il s’agit d’une production d’énergie fossile, ces petites
économies isolées sont fragiles à cause de la tendance haussière assez forte du coût des énergies
fossiles et du développement très fort de phénomènes spéculatifs qui érodent les économies. Cela a un
impact sur les acteurs économiques et sur les populations les plus fragiles. Dans le cas du Pacifique où
cette péréquation tarifaire avec l’Hexagone n’existe pas, entraînant des hausses très sensibles du prix
du fioul lourd ou du charbon, l’impact est immédiat sur les acteurs économiques ainsi que sur les
ménages pour lesquels la croissance des charges d’électricité est très importante.
L’évolution climatique, avec des effets à long terme (hausse du niveau de la mer, hausse des
températures) et des effets à courts termes (dérèglement des saisons, phénomènes climatiques
extrêmes) atteint les agriculteurs et les populations fragiles. L’AFD essaye d’inciter les différents
acteurs à mieux anticiper, gérer et se remettre de ces différentes crises (de nature économique,
spéculative, climatique, etc.) pour que les plus faibles soient protégés et que les inégalités soient
combattues. Une approche microéconomique, par les écosystèmes (des territoires géographiques dans
lesquels des gènes, des espèces, des gens, des activités économiques cohabitent et se développent) est
nécessaire ; la prise en compte des écosystèmes permettra de renforcer la capacité de résistance
globale du système à tous ces phénomènes.
François Thomas
Sur l’année 2013, qu’avez-vous fait sur les Outre-mer ? Étiez-vous sur plusieurs fronts en même
temps ?
Pascal Pacaut
L’AFD travaille beaucoup sur le mix énergétique (énergies renouvelables, maîtrise de la demande,
efficacité énergétique), sur du transport collectif qui est un élément important de structuration des
territoires (en Martinique et en Nouvelle-Calédonie, on travaille sur de gros projets de transports
collectifs), sur la conception de la ville (concevoir des écoquartiers, construire des bâtiments moins
énergivores)... Il est important de mettre en œuvre tout ce qui peut limiter l’exposition des Outre-mer à
ces risques énergétiques car, du fait de leurs régimes équatoriaux et tropicaux, ces régions (hormis
Saint-Pierre-et-Miquelon) y sont beaucoup plus exposées que la métropole.
DEBAT AVEC LA SALLE
François Thomas
La première partie de cette conférence avait pour but de requalifier les inégalités avec des tableaux et
des descriptifs que vous retrouvez sur certains sites Internet comme celui de l’AFD ou du Compas.
Françoise Rivière a mis en avant le fait qu’il n’existe pas beaucoup de chiffres sur les COM du
Pacifique.
Françoise Rivière
Les statistiques dépendent des enquêtes mises en place. Dans les DOM, des statistiques proviennent
des revenus fiscaux (mais ce n’est pas suffisant car cela ne prend pas en compte les transferts sociaux)
et des enquêtes sur les budgets des familles. Ces enquêtes ne sont pas forcément réalisées à intervalles
réguliers. Dans les DOM, des enquêtes ont eu lieu en 1995, 2001 et 2006, L’Insee Réunion a réalisé
une enquête récente, une enquête est en cours de réalisation aux Antilles, une autre sera mise en place
l’année prochaine à Mayotte. Dans les COM du Pacifique, les enquêtes sont encore moins régulières ;
les chiffres sont plus nombreux pour la Nouvelle-Calédonie que pour la Polynésie. Une étude
commanditée par l’AFD, réalisée en 2009 en collaboration avec Développement, Institutions et
Mondialisation (DIAL) et l’Institut Statistique de Polynésie Française (ISPF), a permis de disposer des
indices de Gini.
François Thomas
Le modèle économique actuellement en vigueur dans les départements et les collectivités d’Outre-mer
est-il intrinsèquement inégalitaire comme le dit Olivier Sudrie ?
27
Claude Gelbras, président de Investissement et Financement Outre-mer
Je suis en opposition frontale avec Olivier Sudrie. Lorsqu’il déclare qu’il y a des superprofits en
Martinique en prenant l’exemple des eaux minérales, je répondrai qu’une année de chiffre d’affaires
de Didier équivaut à une journée de production d’Evian. Les économies d’échelles font que les
produits importés, dans tous les cas de figure, battent les pauvres économies locales. Il ne s’agit
donc pas d’une recherche de superprofit, il y a seulement un petit dumping de la part des eaux
importées.
Olivier Sudrie déclare que des réserves considérables de productivité existent dans nos
entreprises, c’est complètement faux. Je suis membre de la Chambre de commerce et d’industrie, de
la commission des impôts de la Martinique, de l’Observatoire des prix et des marges et ai été durant
des années président de banque ; je suis donc bien placé pour en parler. Entre 30 000 et 40 000
entreprises en Martinique comme en Guadeloupe sont pratiquement au bord du dépôt de bilan
(Victorin Lurel est d’accord sur ce fait). Ce ne sont donc pas des problèmes de gestion qui
permettraient d’améliorer la productivité et ou de créer des emplois.
François Thomas
Olivier Sudrie, que souhaitez-vous signifier lorsque vous parlez de productivité ?
Olivier Sudrie
Les gisements de productivité sont très importants outre-mer puisque il n’y a eu aucun aiguillon pour
faire de la productivité durant des décennies. On fait de la productivité quand on est en concurrence.
La productivité permet de produire à meilleurs prix à meilleurs coûts. D’un point de vue
macroéconomique, les statistiques sont incontestables sur ce point : les gains de productivité ont
été historiquement très faibles en Outre-mer parce qu’il n’y avait pas besoin d’en faire en raison
de l’absence de concurrence. Aujourd’hui, la concurrence n’est pas beaucoup plus importante
mais faire des gains de productivité est une nécessité absolue pour les redistribuer sous forme de
revenus et pour retrouver une croissance plus juste.
François Thomas
Ce que disait votre précédent interlocuteur reposait aussi sur du bon sens et des expertises de terrain
puisque des experts venant des Outre-mer sont aujourd’hui présents ; les parisiens ne sont donc pas les
seuls participants de cette conférence.
François Chérèque
Lorsque j’étais Secrétaire général à la CFDT, Syntex avait fait un rapport. Je prends l’exemple du
poulet à Mayotte. 80 % du poulet de Mayotte est importé du Brésil. Si le poulet est produit à Mayotte,
il coûtera peut-être aussi cher que celui importé du Brésil, mais cette production locale profitera aux
habitants de Mayotte. La redistribution des richesses passe par le fait de privilégier une
production locale qui profite à de nombreux habitants du territoire, notamment aux plus
pauvres, plutôt qu’un système de commerce qui profite à quelques-uns. Le modèle économique en
Outre-mer est certes inégalitaire, mais il n’est pas le seul : le système administratif, par exemple, l’est
aussi, et cela provoque également des inégalités.
Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte
L’insuffisance, voire le manque criant de statistiques, de données chiffrées, est un facteur
d’inégalités. Cette inégalité existe par rapport à la métropole mais également au sein même des
départements et des collectivités d’Outre-mer. Concernant Mayotte, il n’y a pas de données chiffrées,
excepté sur l’illettrisme ou bien sur le chômage qui est sous-évalué. Comment une politique
publique digne de ce nom peut-elle être mise en place avec ce manque ? Lorsque des statistiques
sont commandées, elles tardent à paraître ; c’est le cas dans tous les Outre-mer.
Mathieu Lefebvre
Un déficit de connaissances et de statistiques existe en effet, notamment sur Mayotte. Nous
travaillons actuellement sur la géographie prioritaire de la politique de la ville outre-mer en
28
nous appuyant sur un certain nombre de statistiques. Nous pouvons utiliser la méthode nationale
pour la Martinique et La Réunion grâce aux données carroyées. Pour les autres départements d’Outremer, nous nous appuyons sur les Îlots Regroupés pour les Informations Statistiques (IRIS) car nous
n’avons pas les données carroyées. Mayotte est en effet le territoire qui connaît le plus grand déficit en
matière de données, sur lequel il faut travailler. Nous insistons auprès de l’Insee et des différents
départements statistiques ministériels pour que les Outre-mer, Mayotte inclus, soient intégrés
dans les enquêtes lancées.
Pascal Pacaut
L’exhaustivité des statistiques n’est en effet pas au rendez-vous, mais il existe une association au sein
du CEROM, de l’Insee et des institutions de l’AFD pour publier, dans des délais tout à fait
raisonnables, des comptes rapides qui permettent d’avoir les principaux indicateurs économiques
quasiment en temps réel.
Hervé Bougault, directeur de l’AFD Fort-de-France (Martinique)
Mes questions sont plutôt adressées à Françoise Rivière et Olivier Sudrie sur leurs modèles
économiques. La réduction des inégalités passe malheureusement forcément par la croissance.
Concernant le souci d’avoir de la concurrence, le modèle oligopolistique a été évoqué. Les fortes
inégalités entre la Guadeloupe et la Martinique renvoient à la structuration de leur modèle
économique. La Martinique est très structurée avec de gros groupes, la Guadeloupe avec des petites et
moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE). Au sein de ces modèles
ultramarins, les structurations économiques avec des groupes qui contrôlent et maîtrisent des
secteurs ou des filières ne sont-elles pas beaucoup plus efficaces que des modèles où dominent les
PME et TPE ?
Concernant la répartition des profits et des salaires, une autre réflexion serait peut-être à mener
sur l’inégalité dans la répartition du patrimoine et sur sa composition. N’est-on pas plutôt sur un
patrimoine immobilier, lié à une défiscalisation et très peu productif ? Certes, cela engendre une petite
quantité de main-d’œuvre à court terme dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), mais
cela ne contribue pas à la croissance sur le long terme. Le modèle de développement de rattrapage n’at-il pas plus conduit à une accumulation de patrimoine sur quelques franges de la population ? Les
fonctionnaires ont été mentionnés, mais il y a aussi les capteurs de rentes dans le secteur privé
qui agissent sur la rente FEDER ou la rente de défiscalisation (250 à 300 euros par tête pour le
FEDER chaque année, ce qui est considérable compte tenu de ce qui est distribué sur un certain
nombre de pays en développement). Finalement, ces économies ne sont-elles pas des économies de
capteurs de rentes ?
Robert Taylor, secrétaire général du Comité d’action sociale en faveur des originaires des
départements d’Outre-mer en métropole (CASODOM) et directeur d’hôpital honoraire
Ce thème est intéressant sur la problématique des inégalités et de la croissance. François Chérèque a
abordé une question importante sur la santé. Jusqu’à maintenant, concernant les DOM, il n’y avait pas
d’inégalités dans ce secteur santé qui était un amortisseur social, soubassement du phénomène de
croissance dans nos économies depuis l’après-guerre.
Le rapport de la Cour des comptes, constatant sur les dix dernières années des inégalités et une
détérioration sensible de tous les indicateurs santé, doit nous interpeller. Si l’État n’a pas une position
claire en termes de pilotage sur ce secteur, ne va-t-on pas accélérer le phénomène ?
29
Mathieu Lefebvre
Concernant le domaine de la santé, nous constatons, comme la Cour des comptes, un phénomène
de rattrapage (quelque peu similaire aux autres secteurs), bien que les inégalités persistent (très
fortes entre les Outre-mer et l’Hexagone ainsi qu’entre les Outre-mer). L’État doit donc mettre en
œuvre un pilotage resserré au niveau interministériel, entre le ministère de la santé et celui des Outremer. Nous travaillons également aux politiques de santé dans un souci d’égalité et d’adaptation
puisque un certain nombre de problématiques sont spécifiques aux Outre-mer (nutrition,
pathologies parfois plus présentes sur ces territoires, etc.)
François Chérèque
Il ne faut pas négliger les indicateurs de santé en matière de nutrition, notamment pour tout ce
qui touche au développement de l’obésité et du diabète. Cela ne concerne pas uniquement les
équipements hospitaliers. Une loi, mise en place il y a un an, a été nécessaire afin d’empêcher l’ajout
de sucre dans des boissons déjà sucrées vendues aux Antilles. Pour une même boisson destinée à la
vente en métropole et aux Antilles, les producteurs rajoutaient du sucre dans les boissons vendues aux
Antilles pour induire des comportements addictifs. Grâce aux aides européennes, de la polenta est
envoyée en Martinique. Les banques alimentaires constataient que les Martiniquais n’en mangeaient
pas pour la simple raison que ce n’est pas dans leur culture. Les banques alimentaires devaient donc
rembourser à l’Europe ce qui n’était pas consommé. Ces systèmes sont quasiment coloniaux. Les
États-Unis ont fonctionné de la même manière avec l’Afrique sur le maïs. D’autres systèmes peuvent
être développés.
Le rapport de la Cour des comptes soulève le problème d’une utilisation de notre système de santé,
hospitalier en particulier, pour répondre à un besoin d’emploi local plutôt que de production de soins.
Par ailleurs, le niveau de technicité et d’accès aux soins dans les hôpitaux français des Outremer est plus élevé que celui des territoires environnants. Il y a donc de l’espoir si l’on imagine
faire de ces équipements médicaux un élément de l’économie.
Sonia Chane-Kune, chercheur et collaboratrice à l’Assemblée nationale
Dans toutes les interventions entendues aujourd’hui, deux chiffres n’apparaissent pas. Tout
d’abord le montant total des transferts publics de la métropole vers les Outre-mer, ensuite celui,
tabou, du montant des transferts privés de l’Outre-mer vers la métropole. Les sommes allant de
la métropole vers les Outre-mer reviennent ensuite des Outre-mer vers la métropole sous forme
de capitaux privés ; la comparaison entre ces deux chiffres révèle des différences minimes, ce qui
signifie qu’il n’y a pas de capitalisation dans les Outre-mer. Les profits réalisés peuvent certes être
consommés par les entreprises familiales, mais ces profits sont surtout « rapatriés ». Ce qui était
jusqu’ici valable dans le domaine de la distribution se retrouve dans le domaine de la production. À La
Réunion, de grands groupes, qui étaient auparavant des groupes familiaux ou à capitaux privés, sont
rachetés par des multinationales. Travailler à la réduction des inégalités sans aborder ce problème
fondamental semble complexe. Il est important que cette question ne reste pas taboue.
Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer
Les données chiffrées constituent un sujet qui a été traité par la délégation avec les questions
suivantes : quel est le public cible ? Quelles sont les problématiques ? Les données chiffrées sont
particulièrement difficiles à collecter, et donc à analyser, pour une raison très simple : produire
des données sur les Outre-mer nécessite de demander une contribution aux Outre-mer (comme
si, pour produire des données sur la Creuse, on demandait au conseil général de la Creuse de
cofinancer). Ce sujet nous préoccupe au quotidien.
Lors du colloque « L’audace ultramarine en Hexagone : comment s’exprime-t-elle ? Comment
s’incarne-t-elle ? » du 12 septembre 2013 au Sénat, une inégalité frappant les Outre-mer avait été
constatée : celle de la jeunesse la plus diplômée, qui est une vraie richesse, fuyant ces territoires
pour s’installer dans l’Hexagone ou à l’étranger. Réfléchir à la possibilité de faire revenir cette
jeunesse après expérience, soit physiquement, soit parce qu’elle se sera enrichie et aura les
moyens d’investir dans ces départements d’origine, est une réponse possible pour remédier en
partie aux inégalités des Outre-mer.
30
Une véritable volonté naît aujourd’hui chez ces jeunes et cela pourra apporter de la richesse dans ces
régions. En Martinique, la population vieillissante ne permettra pas d’avoir une activité pour apporter
de la croissance, contrairement à la jeunesse martiniquaise. Aux Antilles, près de la moitié des jeunes
sont ailleurs dans le monde à la recherche d’une insertion professionnelle ou d’une formation qui les
aidera à s’épanouir, et ceux qui restent grossissent les rangs des demandeurs d’emploi. Comment
réfléchir au retour de cette jeunesse qui vit principalement dans des grandes villes hors Outremer et a accès à la culture, à des services de garde d’enfants, à des niveaux de salaires plus
élevés, à des possibilités de développement de carrière ?
C’est une question qui peut s’adresser à des chefs d’entreprises implantés dans les Outre-mer.
Des efforts existent dans les Outre-mer pour repérer les ultramarins qui pourraient venir
occuper des postes à responsabilité. Quand on est originaire de Guadeloupe et qu’on retourne en
Guadeloupe, les conditions des entreprises pour revenir seront moins favorables (peut-être pas
concernant le salaire, mais concernant tout ce qui va autour) que les conditions qui seront offertes à
des Hexagonaux car ils ne connaissent pas le territoire. Les entreprises ne les aideront donc pas à
trouver un logement. Ce n’est pas parce qu’on est originaire des Outre-mer qu’on va forcément
retourner habiter chez ses parents à quarante ans. L’offre culturelle, de garde d’enfants, de
transports en commun existe dans les grandes villes mais est globalement insuffisantes dans les
Outre-mer ; cette offre pourrait faire revenir les jeunes à terme.
François Thomas
Au niveau de la délégation, vous avez aussi un slogan : « Les ultramarins ont de l’audace. » Pensezvous qu’en cela, vous participez au thème de cette conférence dans la réduction ou la correction des
inégalités outre-mer ?
Sophie Elizéon
Françoise Rivière a évoqué la tendance de certains à freiner leurs ambitions et à ne pas oser faire
preuve d’audace. La délégation a décrété que le slogan « Les ultramarins ont de l’audace » était
une action efficace de lutte contre les inégalités. Il s’agit de mettre en avant cette audace en
proposant des figures exemplaires à une jeunesse qui n’en a pas forcément. Quand on feuillette
des brochures d’organismes s’intéressant aux Outre-mer, on retrouve souvent des exemples
d’hexagonaux et très peu d’exemples d’ultramarins. Un travail de repérage d’ultramarins audacieux a
donc été entrepris pour proposer leurs figures exemplaires à la jeunesse afin qu’ils osent s’installer en
Hexagone ou à l’étranger. Certains ultramarins sont chefs d’entreprise en Inde, aux États-Unis, au
Québec, aux Émirats arabes unis, en Australie.
Matthieu Barrier
Concernant les jeunes audacieux dans les Outre-mer, 25 % des 4 000 personnes financées l’an
dernier avaient moins de 29 ans lorsqu’elles ont créé leur entreprise. Un certain nombre d’entre
elles sont allées faire leurs études en métropole et sont ensuite revenus. Une personne originaire de
Mayotte est revenue après trois ans d’études en métropole ; ne trouvant pas d’emploi localement, elle a
fait le choix de créer son entreprise dans le domaine du recyclage de l’électroménager. Ces entreprises
ont un potentiel de développement probablement plus élevé.
Claude Gelbras
En ce qui concerne le montant des transferts, il trouve sa source dans la formation du produit
intérieur brut (PIB) (c’est économique et non lié aux inégalités). Le PIB de la Martinique,
comparable à celui de la Guadeloupe, est de 8 milliards par an. 75 % de ce PIB est généré par la
fonction publique ; le parent pauvre est le secteur privé. En Martinique, le fait que le tourisme ne
représente que 5 % du PIB doit interpeller. Le rhum ne représente que 2 % environ du PIB. Le poids
de la fonction publique est considérable et cela occulte les vrais problèmes du secteur privé.
En ce qui concerne le retour au pays, de nombreux Antillais le désirent mais pas dans le secteur
privé car ils souhaitent la garantie de l’emploi et les 40 % de surrémunération. Le problème est
qu’il y a deux marchés du travail.
31
Daniel Hierso, responsable de Outre-mer Network
En ce qui concerne la jeunesse qui ose, je vous invite à écouter Tropiques FM tous les mercredi soir :
des entrepreneurs et des jeunes audacieux du monde entier y partagent leur expérience.
J’ai deux questions pour Matthieu Barrier. À propos du rattrapage des inégalités économiques
(puisque avec l’ADIE on est en phase de pré-amorçage), la vraie question est : comment créer de
l’emploi ? Comment vous appuyez-vous sur la dynamique des réseaux, qu’ils soient d’entrepreneurs
ou associatifs, à l’image de PlaNet Finance ?
J’ai une autre question pour l’AFD, qui a accompagné deux des adhérents d’Outre-mer Network qui
sont sur des secteurs d’innovation et de rupture. Sur les nouveaux marchés, green-business ou digital,
n’y aurait-il pas des foyers d’emplois nouveaux et de filières nouvelles qui pourraient permettre de
créer de la valeur à l’international et de rapatrier de la richesse localement comme a su le faire G2J ?
Matthieu Barrier
Le parti pris de l’ADIE concernant la lutte contre les inégalités est de donner accès aux crédits
(on appelle ça « le bas de la pyramide » pour évoquer les personnes qui n’ont accès à rien d’autre).
Notre préoccupation actuelle est de veiller à avoir des outils et des pratiques sur le terrain permettant
d’aller au plus bas. Les solutions sont difficiles à trouver pour un certain nombre de personnes
qu’on aide à démarrer et qui ont des besoins de développement au bout de deux ou trois ans car
ils ne sont pas suffisamment « bancarisables ». Un projet est en cours avec le ministère des Outremer pour être en mesure de renforcer l’accompagnement au développement des activités avec une
réflexion sur les outils financiers ; cela reste toutefois sur des niveaux très limités par rapport à ce
qu’évoque Daniel Hierso.
La solution se trouve peut-être dans le travail avec les réseaux sur toutes les étapes, aussi bien
pour le repérage des personnes ayant des besoins de financement que pour l’accompagnement
dans la durée. Il y a bien sûr PlaNet Finance mais aussi réseau Boutique de Gestion (BGE) ou les
réseaux consulaires. L’ADIE agit au milieu de tout ce réseau de partenaires. L’ADIE ne cherche en
aucun cas à avoir une banque avec ses clients propres mais se positionne au contraire dans une logique
d’ouverture vers l’ensemble des dispositifs existant pour faciliter des développements d’activité avec
si possible à la clé des créations d’emplois, de revenus et de chiffre d’affaires.
Pascal Pacaut
Historiquement, la défiscalisation a permis une croissance de l’activité avec peu de fonds
propres. Certaines entreprises sont en phase de maturité avec très peu de fonds propres et cela
engendre un double effet. Lorsqu’une crise économique survient, comme c’est le cas aujourd’hui,
les sociétés avec peu de fonds propres sont les premières à en pâtir. À une époque où l’on parle de
mondialisation et d’ouverture dans leur région, au sens limité ou large du terme, des entreprises
ultramarines, on constate une inégalité intrinsèque au système : une entreprise essayant de se projeter
dans son environnement avec peu de fonds propres va rencontrer beaucoup plus de difficultés à se
projeter et à développer son activité à l’extérieur qu’une entreprise possédant des fonds propres plus
importants.
Un travail est effectué à ce sujet avec le conseil régional de La Réunion pour monter un fonds
commun de placement à risque (FCPR). Des perspectives d’au moins une trentaine de millions
d’euros d’interventions en fonds propres sont nécessaires pour développer des fonds communs
auto-porteurs financièrement. C’est le cas pour La Réunion et probablement pour la NouvelleCalédonie mais pas pour la Polynésie française ni pour les départements français d’Amérique (DFA).
Pour les Antilles et la Guyane, un regroupement des départements est nécessaire (au moins de deux et
si possible des trois). Grâce à des fonds publics venant des conseils régionaux ou de l’AFD et de
partenaires divers (banques privées, caisses de retraite...), il serait possible d’atteindre cette taille
critique.
L’énergie thermique des mers est un exemple d’opportunité des Outre-mer dans le contexte
international. Il est possible de produire de l’électricité dans des volumes très importants (plusieurs
mégawatts voire, à terme, plusieurs dizaines de mégawatts) lorsque la différence de température entre
l’eau de surface et l’eau des profondeurs est d’au moins vingt degrés sur l’année. Ce développement
est impossible à Biarritz ou à Marseille ; en revanche, dans certaines géographies des Outre-mer,
32
on peut développer toute une filière technologique avec un potentiel de développement non
seulement dans les Outre-mer mais également sur tous les pays dans cette partie tropicale et
équatoriale de la planète. De l’électricité pourra donc être produite dans de très bonnes
conditions économiques avec l’utilisation de ce différentiel.
Annie Iasnogorodski, Fédération des Entreprises d’Outre-mer (FEDOM)
Le chiffre de 14 milliards, correspondant aux transferts publics sur l’Outre-mer, cité par Mathieu
Lefebvre est celui des documents de politique transversale (DPT). Ce chiffre prend uniquement en
compte les salaires de l’éducation nationale et des policiers. Ce recensement des frais de personnel des
fonctionnaires n’est effectué que pour l’Outre-mer. À ma connaissance, il n’existe pas de DPT du
Limousin, de la Haute-Normandie ou de la Basse-Normandie, ni même de la Corse. Ce type de
donnée ancre dans les esprits l’éternelle idée reçue selon laquelle les Outre-mer coûtent cher,
alors que les transferts publics spécifiques à l’Outre-mer, bien inférieurs à 14 milliards d’euros,
se trouvent dans les dépenses fiscales et le budget de la mission Outre-mer (de 2,1 milliards
d’euros). Ces amalgames de chiffres qu’on retrouve uniquement pour l’Outre-mer nuisent aux
façons de raisonner sur ces régions.
III. Les actions du gouvernement pour lutter contre les inégalités dans les Outre-mer
Thomas Degos, directeur général des Outre-mer, ministère des Outre-mer
Les débats de cette conférence étaient extrêmement riches. Le ministère des Outre-mer, et notamment
la direction générale à l’Outre-mer, porte un intérêt tout particulier aux séminaires organisés par
l’AFD.
Des inégalités de toutes sortes perdurent sur les territoires et départements d’Outre-mer, entre ces
différents départements et collectivités mais aussi entre les territoires ultramarins et l’Hexagone.
La première réponse à ces inégalités est de prendre en compte le volet prestation, le volet
redistribution et le volet lutte contre la vie chère. La deuxième réponse correspond à
l’intervention économique, ou plus précisément l’action en matière de politique publique en
faveur du développement économique dans les Outre-mer sans lequel il n’y aura pas d’emplois,
et sans emplois, il n’y aura pas de réduction des inégalités sur le long terme.
Les écarts des inégalités entre l’Outre-mer et l’Hexagone restent importants.
– La part des non-diplômés est de 36 % en Guadeloupe, 34 % en Martinique, 49 % en
Guyane, 44 % à La Réunion, près de 80 % à Mayotte. Dans l’Hexagone, la part des non
diplômés est de 18 %. Cela donne une idée du chemin à parcourir.
– 40 % de logements sont suroccupés en Guadeloupe, environ 23 % en Martinique, en
Guyane et à La Réunion, 10 % dans l’Hexagone.
– Le rapport interquartile (le rapport entre le salaire au-dessus duquel se situent 25% des
salaires et celui au-dessous duquel se situent 25 % des salaires) est de 2,4 dans les DOM et
de moins de 2 en France hexagonale. Au sein même d’un département d’Outre-mer, les
inégalités entre les différentes situations sont encore plus criantes que dans l’Hexagone.
On constate une situation qui révèle les inégalités entre les Outre-mer et l’Hexagone ainsi qu’une
situation sans doute plus inégalitaire que dans l’Hexagone au sein même des Outre-mer. À ces
inégalités constatées s’ajoutent des inégalités entre les femmes et les hommes parfois plus aiguës que
dans l’Hexagone. Dans un contexte de rattrapage des inégalités, mais de persistance d’un certain
nombre d’entre elles, l’attention et l’impatience ne faiblissent pas, au contraire. Il est légitime et
nécessaire de questionner les politiques publiques mises en œuvre car le modèle économique
utilisé dans les territoires ultramarins depuis plusieurs décennies atteint aujourd’hui un stade où
l’on peut se poser la question de sa rénovation.
La redistribution et les prestations sociales
Dans son portrait social 2013 de la France, l’Insee considère qu’outre-mer, avant redistribution, le
niveau de vie moyen annuel des 20 % les plus aisés a atteint 55 300 euros, soit 7,6 fois celui des 20 %
les plus modestes. Ces calculs de l’Insee sont à considérer en supposant que la mise en place de la
33
redistribution n’ait pas lieu. Après redistribution des prestations sociales et des prélèvements, l’écart
retombe à 4, ce qui signifie que les transferts augmentent d’environ 55 % le niveau de vie des 20 % les
plus modestes et réduisent l’écart d’à peu près la moitié.
Lorsqu’on avance que les prestations sociales ou la redistribution effectuées Outre-mer
n’atteignent pas leur but, c’est vrai puisqu’une inégalité subsiste. Cependant, on constate dans le
même temps que cette redistribution fait baisser de moitié la situation qui pourrait prévaloir si
la redistribution n’était pas mise en place. La réduction des écarts est encore plus grande aux
extrémités de la distribution des revenus, passant de 17,6 avant redistribution à 5,7 après
redistribution, non pas entre les 20 % des Français les plus pauvres et les 20 % les plus aisés, mais
entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus aisés. Plus on avance dans la détermination des
pôles, plus la redistribution joue.
Les prestations sociales telles que les allocations familiales, les minima sociaux, les aides au logement
contribuent pour deux tiers à cette réduction des inégalités. Les seules allocations familiales, bien que
distribuées sans condition de ressources (on pourrait donc considérer qu’elles ne luttent pas contre les
inégalités), participent pourtant à elles seules à un peu moins de 12% de la réduction des inégalités.
Selon l’Insee, cela s’explique par l’importance des masses financières en jeu ainsi qu’en raison
du fait que les ménages avec enfants sont distribués d’un bout à l’autre de l’échelle sociale ou de
l’échelle des revenus. Outre-mer, les caisses d’allocations familiales (CAF) ont versé au moins une
prestation à plus de 500 000 foyers en décembre 2013, ce qui représente une population couverte totale
de plus de 1,5 million de personnes sur 3 millions d’habitants. En mars 2014, le montant mensuel
moyen de prestations directes versées, toutes prestations confondues, s’établit à 443 euros dans
l’Hexagone et à plus de 550 euros dans l’Outre-mer. Il s’agit donc d’un vrai levier de réduction des
inégalités. Fin 2012, plus de 3,2 milliards d’euros de prestations sociales ont été délivrées par les CAF
dans les DOM, ce qui correspond à un peu moins de 5 % des dépenses pour l’ensemble du territoire
national.
La santé
Des inégalités persistent dans le domaine de la santé. La situation sanitaire des territoires
ultramarins est bien meilleure que celle qui prévaut dans les pays qui les entourent. Un
rattrapage est bien engagé par rapport à la métropole. Cependant, la situation est très
contrastée. Le récent rapport de la Cour des comptes du conseiller maître Alain Gillette rappelle cet
état de fait ; ce rapport global sur l’état de la santé dans les Outre-mer est le premier dont on peut
disposer. Il constitue une contribution très importante sur le pilotage des politiques publiques
sanitaires. Demain, le ministère des Outre-mer recevra l’ensemble des directeurs généraux d’agences
régionales de santé d’Outre-mer, le directeur de l’agence territoriale de santé de Saint-Pierre-etMiquelon ainsi que le directeur de l’agence de santé de Wallis et Futuna. Des travaux seront réalisés
au ministère de la santé avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS), la direction générale de
la santé (DGS) et la direction de la Sécurité sociale (DSS) pour tenter d’améliorer le pilotage national.
Des inégalités subsistent dans les domaines du dépistage, de la prévention, de la prise en charge du
cancer, de la prise en compte des risques, de l’accès aux soins ou encore en termes d’épidémiologie.
Prendre en compte les spécificités ultramarines est nécessaire : éloignement de l’Hexagone,
risques naturels, populations fragilisées et surexposées à certaines pathologies infectieuses voire
parfois frappées par la prévalence de certaines maladies génétiques peu connues dans l’ensemble
du territoire hexagonal, même si elles sont très présentes sur certaines régions, notamment l’Îlede-France (la drépanocytose, par exemple). Les recherches se poursuivent et le traitement des
inégalités doit avancer.
L’accès aux soins doit être renforcé par les infrastructures, les équipements et la lutte contre les
déserts médicaux ; il doit également tirer parti de la configuration de l’Outre-mer pour faire
avancer un certain nombre de dossiers comme celui de la télémédecine (également appelé
« territoire de soins numérique »). Ce projet est porté par le programme d’investissements d’avenir du
Commissariat général à l’investissement. La Réunion a répondu à ce projet (la sélection doit bientôt
avoir lieu) pour qu’une solution puisse être expérimentée sur l’océan Indien et transposée par la suite
sur d’autres secteurs géographiques.
34
Les risques environnementaux
Des inégalités existent également dans le domaine des risques environnementaux : le chlordécone en
Martinique ou en Guadeloupe, l’amiante naturel en Nouvelle-Calédonie, le mercure en Guyane, etc.
Le logement
Le ministère des Outre-mer s’engage sur l’inégalité criante concernant le logement avec une
volonté de réduire les situations d’insalubrité et d’habitats indignes qui ont des conséquences sur
le plan sanitaire. Environ 70 000 logements présentent une gravité particulière, notamment sur le plan
de la santé environnementale. On estime à 100 000 le nombre de logements à construire d’urgence. Le
ministère des Outre-mer s’est engagé dans un objectif de construction de 10 000 logements par an en
mobilisant les outils de politique publique à sa disposition. Avec la loi pour le développement
économique de l’Outre-mer (LODEOM) adoptée en 2009, l’intervention de la défiscalisation dans le
secteur du logement a été réorientée du logement intermédiaire vers les cibles prioritaires, c’est-à-dire
les logements locatifs sociaux. Cette défiscalisation a permis une augmentation de la production
du nombre de logements de l’ordre de 33 % entre 2009 et 2013. Une réforme profonde du
dispositif de défiscalisation a eu lieu l’année dernière sur la base de rapports parlementaires et a
permis de réorienter, de cibler et d’améliorer l’efficience de ce dispositif.
L’éducation
La réduction des inégalités passe par une évaluation du niveau de qualification. Le diplôme reste
le meilleur rempart contre le chômage des jeunes. L’éducation est un moyen pour la jeunesse de se
construire et de s’épanouir mais aussi de réussir son insertion professionnelle. Les conditions dans
lesquelles se déroule l’enseignement en Outre-mer constituent un défi permanent pour le système
éducatif. Le ministère des Outre-mer s’engage à lutter contre les situations de retard en matière
de réussite éducative et d’inégalités d’accès à l’éducation, notamment en Guyane ou à Mayotte où
les taux d’évolution démographique laissent entrevoir un doublement de population dans les vingtcinq prochaines années. La jeunesse est une thématique fondamentale pour l’Outre-mer. À Mayotte,
l’âge médian est de dix-sept ans et 60 % de la population a moins de vingt et un ans. Il est nécessaire
de construire un collège et un lycée par an à Mayotte et en Guyane. Le ministère des Outre-mer
tente de résoudre le problème de sous-équipement chronique en infrastructures scolaires sur le
premier degré. À Mayotte, pour lutter contre le système de rotation scolaire, a été mis en place un
système de financement des classes du premier degré porté par l’État. Pour chaque département, le
montant est d’environ 10 millions d’euros (un peu plus de 10 millions d’euros pour Mayotte, un peu
moins de 10 millions d’euros pour la Guyane). Les Contrats de Haute Qualité Éducative créent
pour chaque académie trois priorités sur lesquelles les ministères de l’Education nationale et des
Outre-mer entendent faire évoluer durablement le paysage éducatif ultramarin : la réussite pour
tous (avec une réduction des écarts avec l’Hexagone), la valorisation des démarches d’excellence
et l’expérimentation de dispositifs innovants. Ces contrats sont en cours de signature à La Réunion
et en Guyane et seront signés avec les autres académies dès 2015.
Les besoins constatés Outre-mer portent aussi sur les formations qualifiantes. Selon l’enquête
emploi de 2013, en Guadeloupe, 77 % des titulaires d’un diplôme du premier ou du deuxième cycle
universitaire occupent un emploi contre seulement 33 % des non diplômés. Le diplôme est la clé de
l’accès à l’emploi pour beaucoup de jeunes. Or, le taux de diplômés est en décrochage par rapport à
l’Hexagone. Au-delà des actions menées par les collectivités d’Outre-mer, l’offre globale de formation
doit permettre de couvrir localement l’ensemble des besoins des économies ultramarines et assurer aux
jeunes la qualification nécessaire pour accéder plus facilement à un emploi, en Outre-mer ou ailleurs.
La formation hors du territoire ultramarin est alors une nécessité qu’il convient d’accompagner
pour que ces formations qualifiantes les conduisent vers une inclusion durable dans l’emploi. La
prise en compte de ce constat s’est conduite par la définition d’une véritable politique publique
en matière de formation qualifiante en mobilité et par la mobilisation de moyens budgétaires
significatifs au travers du dispositif du passeport-mobilité formation professionnelle ou du
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passeport-mobilité études gérés par LADOM. Les moyens budgétaires dédiés à cette action se sont
élevés à plus de 45 millions d’euros en 2013.
Le SMA est également un opérateur central de l’État en Outre-mer. Les moyens du SMA ont été
sécurisés, confortés, voire augmentés de manière significative pour atteindre un objectif de prise en
charge annuelle de 6 000 jeunes au SMA avec un taux d’insertion qui dépasse les 75 %.
Adopté par le Gouvernement en janvier 2013, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et
pour l’inclusion sociale visait trois objectifs : réduire les inégalités et prévenir les ruptures, venir
en aide et accompagner vers l’insertion, coordonner l’action sociale et valoriser les acteurs. Des
mesures ont été prévues sur l’accès aux droits, aux biens essentiels, à l’emploi, à la formation
professionnelle, au logement, à l’hébergement, à la santé. Le plan s’applique en Outre-mer ainsi
qu’en France hexagonale. Il est très satisfaisant que la mission conduite par François Chérèque
sur la mise en œuvre territoriale de suivi et l’évaluation du plan pauvreté ait d’emblée intégré la
situation des Outre-mer.
La lutte pour le pouvoir d’achat et contre la vie chère
La réduction des inégalités passe par la mobilisation de prestations et de politiques publiques.
Au quotidien, la nécessité de soutenir la demande passe par la lutte contre la vie chère. La loi de
régulation économique pour les Outre-mer (promulguée le 20 novembre 2012) a été une des
premières lois du quinquennat. Cette loi a permis aux Outre-mer de se doter de nouveaux outils
destinés à un meilleur fonctionnement des marchés ultramarins trop étroits, sans doute
handicapés par l’existence de monopoles et de rentes. La loi de régulation économique pour les
Outre-mer a permis de répondre au constat d’une inégalité évoquée de nombreuses fois : les prix de
produits de grande consommation, en particulier les prix des produits alimentaires, sont très élevés et
les écarts avec l’Hexagone peuvent atteindre 40 % à 50 %. Cette loi a redonné aux pouvoirs publics
des moyens d’intervention pour développer la concurrence. Elle a également permis la mise en
œuvre immédiate de deux dispositifs aux effets bénéfiques et mesurés pour les consommateurs :
– le BQP (dispositif par lequel le préfet négocie chaque année avec les distributeurs le prix
global d’un panier d’une centaine d’articles de grande consommation) ;
– la nouvelle régulation des prix du carburant, qui a donné ses pleins effets par
l’application des décrets de la fin du mois de décembre 2013 et des arrêtés du début de
l’année 2014. Des baisses de prix à la pompe de parfois 6 centimes par litre ont été
constatées selon les carburants et les départements.
En sus de ces dispositifs, une surveillance des marchés de gros a été mise en place en
coordination avec l’Autorité de la concurrence. Les compagnies maritimes qui assurent le fret entre
l’Europe et les Antilles ont pris des engagements de baisse de leurs tarifs de près de 7 %. Dans le
secteur de la téléphonie mobile, la convergence tarifaire des communications est clairement engagée
avec la métropole. La loi de régulation économique avait également prévu un volet concernant la
convergence des tarifs bancaires ultramarins à propos desquels un rapport sera bientôt rendu par Fred
Constant ; le ministère des Outre-mer a notamment beaucoup travaillé avec l’Institut d’Émission des
Départements d’Outre-mer (IEDOM) et l’Institut d’Émission d’Outre-mer (IEOM) sur la mise en
place de ces dispositions. Dans les DOM, les tarifs bancaires sont aujourd’hui au même niveau que
ceux de l’Hexagone, bien que les frais de tenue de compte restent assez élevés. En NouvelleCalédonie, l’application par les banques commerciales des dispositions de l’accord sur la concertation
des tarifs bancaires a été signée le 23 décembre 2013 et a permis de constater fin avril 2014 une baisse,
quantifiée à 31,8 %.
Les dispositifs de relance et de développement économique

L’Octroi de Mer
L’Octroi de Mer est un dispositif qui a souvent été accusé d’être inflationniste. Tous les rapports
rendus par les observateurs indépendants ont montré que, même s’il fallait ponctuellement être
très vigilant à propos de la fixation des taux, ce dispositif permettait de développer une économie
sur place mais également d’en protéger un certain nombre de secteurs. Le différentiel de taux
entre l’Octroi de Mer externe (qui frappe les produits arrivant sur ces territoires) et l’Octroi de Mer
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interne (qui s’applique aux produits locaux) permet de les protéger. Cela oblige le ministère des Outremer à notifier à la Commission européenne ce qu’elle considère comme une aide et une distorsion de
concurrence.
Le produit de l’Octroi de Mer a varié entre -0,8 % et 3,3 % du PIB entre 2005 et 2011 ; le PIB a
augmenté de plus de 5,2 % dans cette même période. La pression fiscale liée à l’Octroi de Mer a connu
une diminution allant jusqu’à 0,5 % en fonction des territoires. Lorsque l’Octroi de Mer est mis en
place et lorsque la production et la consommation évoluent, les taux ne suivent pas ou bien se
rétractent ; cela met en évidence l’impact limité de l’Octroi de Mer sur le niveau des prix. Le système
de l’Octroi de Mer n’aboutit globalement pas à une imposition ou une taxation plus élevées que celles
qui résultent de l’imposition de la TVA en métropole (le taux de la TVA de l’Outre-mer est de 8,5 %
contre 20 % dans l’Hexagone). L’ajout pour un produit donné du taux applicable de l’Octroi de Mer
aux 8,5 % de la TVA ultramarine ne parvient jamais à donner un résultat dépassant le taux
métropolitain. C’est surtout pour son effet protecteur pour la production locale que l’Octroi de
Mer joue à plein sur sa dimension économique.

Les exonérations de cotisations sociales
Les exonérations de cotisations sociales sont un outil de politique publique en matière
économique qui participe à l’inclusion sociale des jeunes et des salariés sans diplôme, à
l’employabilité des publics fragiles (parce qu’elles sont centrées sur les bas salaires) et à la
création et au développement d’entreprises, notamment des TPE-PME.
L’Outre-mer connaît une situation particulière au regard des structures des entreprises. 90 % sont des
TPE dont la structure financière est fragile (plus fragile que celle qui peut prévaloir dans l’Hexagone).
Leur accès aux financements est plus compliqué que dans l’Hexagone. Sur les 2,2 milliards d’euros du
budget du ministère de l’Outre-mer, 1,131 milliard d’euros sont consacrés au remboursement au
comité d’œuvres sociales (COS) des cotisations sociales moins perçues par le fait des exonérations
mises en œuvre. Une importance particulière est donc accordée à ces exonérations de charges
sociales pour permettre aux entreprises et à l’emploi de se développer.
Le Pacte de responsabilité et de solidarité Outre-mer
Le Pacte de responsabilité et de solidarité Outre-mer s’appliquera au-delà du Pacte de responsabilité et
de solidarité qui s’applique sur le plan hexagonal. Le Pacte de responsabilité et de solidarité Outremer a vocation à s’appliquer de façon adaptée et complémentaire avec les dispositifs déjà
existants. La création du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en 2012 constituait
déjà une importante étape de la stratégie gouvernementale en faveur de la compétitivité, de la
croissance et de l’emploi.
Le Pacte de responsabilité et de solidarité complétera les dispositions mises en œuvre par le
CICE. Les Outre-mer bénéficieront des pleins effets du Pacte : entre 350 et 400 millions d’euros pour
les entreprises s’ajouteront aux 320 millions d’euros d’allégements déjà accordés au titre du CICE.
Cela entraînera des allégements de fiscalité, des allégements supplémentaires du coût du travail avec
un CICE en Outre-mer à 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016. Cette mesure est simple, lisible et efficace ;
son effet est plus intéressant qu’une exonération supplémentaire. Le CICE n’est pas imposable
quand, à l’inverse, des allégements de charges supplémentaires peuvent augmenter le résultat
fiscal des entreprises bénéficiaires.
Les ménages et salariés ultramarins bénéficieront également des mesures prévues dans le cadre
du Pacte : diminution des charges salariales permettant d’augmenter le pouvoir d’achat au niveau du
SMIC, réduction ou exonération de l’impôt sur le revenu pour les ménages les plus modestes (au
même titre que sur le plan national), revalorisation des prestations sociales pour les petites retraites.
Cet effort témoigne de la volonté du Gouvernement d’accompagner les Outre-mer dans un
développement économique et social. Avec le Pacte, le Gouvernement souhaite agir pour
renouveler sans la moindre ambiguïté son contrat de confiance avec les forces économiques des
Outre-mer et la solidarité qu’il entend faire vivre vis-à-vis des territoires, des ménages et des
économies touchées par des handicaps structurels, par le chômage et la crise.
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ALLOCUTION DE CLOTURE
Serge Larcher, sénateur de la Martinique, président de la délégation sénatoriale à l’Outre-mer
La matinée a été particulièrement riche en informations et en témoignages, et un débat fructueux s’est
noué autour de l’étude du Compas rendue publique en octobre 2013. Il est très satisfaisant de constater
que la préoccupation d’une meilleure connaissance de la situation des collectivités ultramarines et de
leurs populations fait peu à peu son chemin. L’AFD contribue largement à cette évolution.
Le manque de données statistiques et le caractère irrégulier de leur fréquence d’actualisation,
quand elles existent, constituent un double écueil pour la définition et la conduite de politiques
publiques pertinentes et cohérentes. Ce problème, tout à fait crucial, avait déjà été dénoncé en 2009
dans le rapport d’information sénatorial sur la situation des départements d’Outre-mer. Comment estil possible de conduire, modifier ou supprimer des politiques sans mesurer leurs effets sur le
terrain ? Il est important que les gouvernements successifs comprennent ce problème qui existe
depuis longtemps et perdure. Une approche exclusivement budgétaire ne suffit pas pour mettre en
place des politiques publiques en direction des populations ultramarines.
Les initiatives de l’AFD pour valoriser des enquêtes comme celle du Compas sur les inégalités, celle
présentée par Olivier Sudrie sur l’indice de développement humain, ou encore celle de ClaudeValentin Marie sur les évolutions démographiques présentée lors d’une rencontre organisée au Sénat
en novembre 2012, sont particulièrement pertinentes. La divulgation très prochaine par l’Insee des
résultats, d’abord annoncés pour le début de l’année 2014, de la dernière enquête Budget de famille
menée en 2011 devrait fournir l’occasion de nouvelles analyses intéressantes à promouvoir.
Concernant le sujet de la rencontre « Inégalités dans les Outre-mer : comment y remédier ? », la
première séquence de la conférence a permis un état des lieux grâce à la présentation d’Hervé Guéry, à
l’approche comparative de Françoise Rivière et à l’analyse macroéconomique d’Olivier Sudrie. Ils ont
expliqué que les Outre-mer étaient très inégalitaires, bien davantage que dans la plupart des
autres départements du territoire national, La Réunion et la Martinique en tête. Dans les Outremer comme ailleurs dans le monde, la corrélation entre inégalité et pauvreté se vérifie.
Une des études présentées utilise le coefficient de Gini pour mesurer la dispersion des revenus dans
une population donnée ; plus le coefficient s’approche de 1 et plus cette dispersion des inégalités est
forte. L’autre indice statistique de mesure du différentiel de revenus, le rapport interdéciles (qui
mesure l’écart entre le premier et le dernier décile des revenus), révèle également des situations assez
différentes d’un territoire à l’autre. Ainsi, en 2006, pour un rapport de 3,4 dans l’Hexagone, l’écart
s’établit dans l’ordre croissant à 5,4 à La Réunion, à 6,1 en Polynésie française, à 6,7 en Guadeloupe, à
7,2 en Martinique, à 7,9 en Nouvelle-Calédonie, à 9,7 à Mayotte et à 10,7 en Guyane. Ces chiffres
montrent que le rapport interdécile excède le double de celui de l’Hexagone dans la plupart des
territoires, voire le triple pour la Guyane. Corollaires des inégalités, les taux de pauvreté se sont
accentués entre 2001 et 2006. En 2006, 38 % des ménages martiniquais vivaient avec un revenu
moyen inférieur à 60 % du revenu médian national ; cette proportion atteignait 46 % en Guadeloupe,
49 % à La Réunion et même 50 % en Guyane. Au regard des données actualisées du Compas, il
semble que la situation de La Réunion se soit fortement dégradée et serait désormais le département le
plus inégalitaire, tandis que la Martinique occuperait la troisième marche du podium. Triste constat et
triste record.
Si, comme dans le reste du monde, pauvreté et inégalités constituent les deux visages d’une
même réalité, une singularité ultramarine existe. En dépit de l’élévation globale et tendancielle
sur le long terme des niveaux de vie, les inégalités perdurent alors même qu’une telle tendance
devrait engendrer un nivellement des situations et un tassement des écarts. Si une atténuation des
écarts a bien été enregistrée entre 1995 et 2001, un retournement des tendances a été constaté depuis
2001, les inégalités se creusant à nouveau jusqu’en 2006. Les résultats de la nouvelle enquête Budget
de famille portant sur les données de 2011 que l’Insee dévoilera prochainement risque fort de
confirmer cette aggravation tant la crise qui sévit dans l’Outre-mer depuis les mouvements sociaux de
2009 reste vive. Cela se vérifiera vraisemblablement pour les DOM mais également pour les COM ;
seule Saint-Barthélemy semble être épargnée, tout du moins tant que le tourisme de luxe s’y
maintiendra.
Les inégalités s’incarnent et se mesurent dans les écarts de richesse mais elles connaissent
malheureusement bien d’autres illustrations corrélatives : le logement, la situation sanitaire des
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populations, le taux de scolarisation ou bien le niveau d’instruction. Concernant la question
sanitaire, les inégalités sont patentes. Le rapport de septembre 2012 de la Direction de la recherche,
des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a révélé, sur la période 2000-2008, un taux de
mortalité infantile deux fois plus élevé dans les DOM (7,8 pour mille) que dans l’Hexagone (3,8 pour
mille). L’étude précise que cette surmortalité est largement imputable à la précarité et à la pauvreté,
plus d’un quart de la population bénéficiant de la CMU-C en 2009 contre moins de 6 % dans
l’Hexagone. Le rapport publié par la Cour des comptes, il y a quelques jours, sur la santé dans les
Outre-mer dresse un constat alarmant et confirme ces données. La Cour y relève notamment que la
mortalité infantile a augmenté entre 2000 et 2012 dans tous les Outre-mer et atteint à Mayotte un
niveau record de 16,1 pour mille en 2012. La Cour des comptes observe : « Les systèmes de santé
apparaissent à la peine, au risque de compromettre l’égalité des chances ».
Les écarts statistiques constatés dans les différents domaines révèlent un retard global des
Outre-mer sur l’Hexagone mais aussi une grande diversité des situations d’un territoire à
l’autre. Si certains éléments explicatifs pèsent sur l’ensemble des territoires ultramarins pour
contribuer à pérenniser et parfois même à creuser les inégalités, d’autres éléments explicatifs sont
propres à certains territoires. Il est important d’éviter les analyses simplificatrices ne tenant pas
compte de la diversité des situations ultramarines. La Cour des comptes dit dans son rapport sur la
santé dans les Outre-mer : « Une approche plus fine et plus décentralisée est nécessaire à la
mobilisation des acteurs politiques, économiques et sociaux de la santé outre-mer dans leur diversité. »
La recherche de solutions pour lutter contre l’essor de la pauvreté et son cortège d’inégalités
requiert à la fois une analyse globale du terrain et un état des lieux détaillé pour chaque
territoire. En effet, si des constantes se dégagent, des facteurs plus ciblés propres à tel ou tel territoire
ont un impact certain. Parmi les facteurs communs figure bien sûr la grande vulnérabilité des
économies insulaires dont la structure fortement déséquilibrée est encore marquée par l’héritage
colonial ou post-colonial. Le manque de diversification agricole aux Antilles ou bien le Centre
d’expérimentation du Pacifique en Polynésie en sont des exemples.
Surcoûts de production, dépendance énergétique, difficultés d’accès au crédit pour les petites
entreprises et les entreprises en général, nécessité de plaider en permanence auprès de Bruxelles le
maintien de régimes dérogatoires conditionnant la survie de certains secteurs, surrémunération du
secteur public qui créé un effet d’éviction au détriment du secteur productif, contraintes normatives
massives en comparaison des obligations en vigueur dans les pays voisins... Toutes ces réalités
débouchent sur des différentiels de compétitivité préjudiciables au développement des flux
commerciaux équilibrés avec des partenaires locaux et sont autant de freins à l’insertion
régionale.
Concernant les hôpitaux, un vieillissement des établissements hospitaliers est constaté dans les
départements d’Outre-mer. Les campagnes de promotion touristique des îles voisines mettent en
avant, parmi leurs arguments, la proximité des plateaux sanitaires des départements d’Outre-mer.
Concernant le sujet du sucre évoqué lors du débat, il ne faut pas oublier que, par le passé, les Antilles
étaient des îles à sucre, et cela a été la raison même leur colonisation. Une éducation du palais s’est
donc constituée. Il en est de même pour le sel, qui était utilisé pour conserver les aliments. Cela
explique aujourd’hui le nombre important de diabétiques et d’hypertendus dans les Antilles.
Concernant l’insertion régionale, c’est-à-dire l’élargissement du marché, les régions d’Outremer ne devraient plus se tourner uniquement vers la métropole mais vers l’environnement
régional car des niches et des solutions pourraient s’y trouver. Il faut travailler en ce sens afin de
trouver des solutions pour réduire les inégalités dans les départements d’Outre-mer. En élargissant les
marchés, l’emploi et la production augmentent et, par conséquent, les possibilités de génération
d’inégalités diminuent.
À la jonction entre l’économie et le social, le dénominateur commun à l’ensemble des Outre-mer
est le chômage massif qui équivaut à plus du double de celui de l’Hexagone : le taux de chômage a
passé la barre des 20 % dans tous les DOM, la moyenne de ces départements englobant le quart des
actifs avec un record pour La Réunion (avec un taux approchant les 30 %). La situation est deux fois
plus critique chez les jeunes puisque plus de la moitié des 15-24 ans sont chômeurs. Cela est donc bien
le creuset des inégalités.
Claude Gelbras, de jeunes diplômés des Outre-mer se trouvent dans le monde entier. Il ne faut pas
répéter sans cesse que les jeunes Martiniquais diplômés cherchent à travailler dans la fonction
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publique car c’est totalement faux. Ils cherchent tout naturellement de bons revenus. Or la fonction
publique est aujourd’hui saturée (les concours de l’agrégation, par exemple, ne sont plus ouverts). Les
jeunes vont donc chercher du travail ailleurs et ne demandent qu’à venir. L’effet pervers de la
surrémunération est notable : comme de très nombreux diplômés se trouvent sur le marché de
l’emploi et que le secteur privé leur propose des salaires qu’ils ne peuvent pas accepter, ils
préfèrent s’exiler. Ces jeunes ne cherchent pas la garantie de l’emploi dans la fonction publique. De
jeunes Antillais sont audacieux et prêts à embrasser le monde. Un colloque a été organisé justement
pour montrer qu’il existe des jeunes ultramarins qui réussissent dans le monde.
Une organisation sociale souvent cloisonnée sur un territoire étroit est un autre des points
communs entre les Outre-mer. Si ces régions donnent l’image d’une société multiculturelle, un réel
brassage est loin d’être une réalité et ces cloisonnements se superposent à un système éducatif
largement défaillant qui freine la mobilité sociale et cristallise les inégalités.
D’autres réalités plus spécifiques à tel ou tel territoire constituent des facteurs d’aggravation :
vieillissement démographique pour les Antilles, phénomène d’immigration massif pour la
Guyane et Mayotte, atténuation des solidarités familiales, difficultés liées à la cohabitation
interethnique en Nouvelle-Calédonie, situation d’immobilisme résultant de confrontations du
droit national et de systèmes coutumiers… Ce ne sont là que quelques exemples.
Au total, les causes sont nombreuses, s’additionnent et s’entremêlent. La complexité est grande
en Outre-mer. Un remerciement particulier à François Chérèque pour sa présence à la rencontre des
acteurs locaux lors du lancement du plan de lutte contre la pauvreté en juin 2013 en Martinique. Avec
la diversité des situations ultramarines liée au caractère particulièrement massif du phénomène de la
pauvreté dans les Outre-mer, la démarche de déclinaison locale du plan semble en effet indispensable.
Les recettes miracles n’existent pas. Les solutions seront nécessairement multiples et devront
être combinées, comme l’ont d’ailleurs souligné les intervenants de la seconde table ronde. À cet
égard, il n’y a pas de petites initiatives ou d’acteurs mineurs dans le maquis des aides et des
procédures. Les accompagnateurs, en particulier les accompagnateurs financiers (avec des
structures comme l’ADIE), ont un rôle important à jouer. Le microcrédit est d’autant plus
primordial que le tissu économique est atomisé, ce qui est bien le cas des Outre-mer.
Cependant, un chef d’orchestre est nécessaire pour impulser et coordonner, et cela a été mis en
évidence dans le premier rapport annuel sur la mise en place du plan de lutte contre la pauvreté. Une
action efficace ne peut être menée qu’en synergie sur le front de l’accompagnement social et sur
celui du développement économique et de la création d’emplois. L’avènement de la Collectivité
unique fin 2015 en Martinique et en Guyane semble être une évolution majeure et doit faciliter la
définition d’une politique de stratégie de développement qui tentera de dépasser les schémas
économiques hérités d’un autre âge.
De la biodiversité terrestre et marine aux ressources minières en passant par les énergies
renouvelables des mers, les potentiels ultramarins sont immenses. Cela a été évoqué la semaine
dernière au Sénat lors du débat sur les enjeux de la zone économique exclusive. Leur mise en valeur
créerait de nombreux emplois dans les Outre-mer mais aussi dans l’Hexagone via les retombées
technologiques.
Il relève de la responsabilité solidaire de l’État et des territoires de faire de cette valorisation une
priorité nationale, un investissement d’avenir. L’éradication des inégalités et de la pauvreté est
sans doute à ce prix.
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SIGLES
AFD : Agence Française de Développement
RCI : Radio Caraïbes International
Compas : Centre d’observation et de mesure des politiques d’action sociale
CEROM : Comptes économiques rapides pour l’Outre-mer
Insee : Institut national de la statistique et des études économiques
DOM : départements d’Outre-mer
COM : collectivités d’Outre-mer
FMI : Fonds monétaire international
OMD : objectifs du Millénaire pour le développement
IGAS : Inspection générale des affaires sociales
Aspa : allocation de solidarité aux personnes âgées
CMU-C : Couverture maladie universelle complémentaire
SMIC : Salaire minimum interprofessionnel de croissance
ADIE : Association pour le droit à l’initiative économique
FSE : Fonds Social Européen
FEDER : Fonds européen de développement régional
FED : Fonds européen de développement
LRE : loi relative à la régulation économique
BQP : bouclier qualité-prix
UE : Union européenne
BPI : Banque publique d’investissement
DIAL : Développement, Institutions et Mondialisation
ISPF : Institut Statistique de Polynésie Française
CFDT : Confédération française démocratique du travail
IRIS : L’Îlot Regroupé pour des Indicateurs Statistiques
PME : petites et moyennes entreprises
TPE : très petites entreprises
BTP : bâtiment et travaux publics
CASODOM : Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’Outre-mer en
Métropole
PIB : produit intérieur brut
BGE : Boutique de Gestion
FCPR : fonds commun de placement à risque
DFA : département français d’Amérique
DPT : documents de politique transversale
CAF : caisses d’allocations familiales
DGOS : direction générale de l’offre de soins
DGS : direction générale de la santé
DSS : direction de la Sécurité sociale
LODEOM : loi pour le développement économique de l’Outre-mer
SMA : Service Militaire Adapté
IEDOM : Institut d’Émission des Départements d’Outre-mer
IEOM : Institut d’Émission d’Outre-mer
COS : comité d’œuvres sociales
DREES : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
LADOM : L’Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité
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