DURKHEIM E., Ch. II « règles relatives à l'observation de faits sociaux », in Les règles de la méthode
sociologique, 1894.
Défini comme le « sociologue par excellence » (Simon, 1991), Émile Durkheim vise au travers
de cet écrit à formaliser ce qui constitue selon lui la « méthode sociologique », inaugurant ce faisant une
« rupture épistémologique » (Berthelot, 1991, p.33) avec ses prédécesseurs. Normalien, agrégé de
philosophie, l'auteur s'inscrit dans la tradition positiviste de son époque, à la suite d'Auguste Comte. Si
ce dernier a ouvert en France, la voie d'une science des sociétés à laquelle il donna le nom de
« sociologie », c'est Durkheim qui va s'appliquer à en formaliser les « règles », dans son second ouvrage
ici partiellement présenté.
Nous questionnerons la pertinence épistémologique de la « méthode » durkheimienne, portant
sur l'analyse des phénomènes sociaux, au sein des sociétés « modernes »1, aux prises d'un processus
d'individualisation croissant amenant une « division du travail social » (Durkheim, 1893).
Dans une première partie, nous tenterons de définir en quoi ce texte permet de poser une rupture
avec les conceptions précédentes de la discipline, tout en s'inscrivant dans une continuité avec les
méthodes des sciences naturelles, visant à « étudier les faits sociaux comme des choses ». Puis, partant
d'une définition du « fait social », nous donnerons une lecture du déterminisme aux fondements de la
méthode durkheimienne. Enfin, nous formulerons une analyse critique de ladite méthode, que nous
considérons impropre à saisir les nouvelles formes de domination, liées à l'émergence des sociétés
capitalistes modernes.
Si Durkheim partage le point de vue comtien quant à la nécessité d'appliquer une méthode
d'analyse rigoureuse et « positive » au fonctionnement des sociétés, il va néanmoins marquer ses
distances à l'égard de ce dernier. En effet, alors que Comte part de l'idée d'une évolution continue du
devenir des sociétés humaines, Durkheim va précisément lui objecter que ce sont des « idées » qu'il
prend pour objets d'études. En effet, pour ce dernier la sociologie, en tant que discipline scientifique, ne
saurait pronostiquer un hypothétique devenir des sociétés2. Dans pareil cas, elle resterait au rang d'un
« art » et ne pourrait prétendre à la nécessaire rigueur propre aux sciences. S'inspirant néanmoins de
Comte, c'est dans les sciences naturelles que l'auteur va puiser les fondements de la discipline
1 Que nous définirons par la transformation de l'Ancien Régime (notamment par le biais de la Révolution française)
et par « l'émergence de l'industrie dans les sociétés capitalistes occidentales » (Giraud, 1997, p.5), à savoir ce
qu'Adolphe Blanqui a nommé « Révolution industrielle. »
2 Ce faisant, il ne s'oppose pas à ce que les résultats de ses analyses soient exploités à des fins politiques. Bien au
contraire, selon ses propos, « la sociologie ne vaut pas une heure de peine si elle ne devait avoir qu'un intérêt
spéculatif » (1893). Il nous semble que sa « méthode », en vue de l'objectivation du savoir, implique de s'écarter, le
temps de l'analyse, de toute visée « utilitaire ». C'est dans une seconde phase, celle de la diffusion des
connaissances ainsi produites, que ses thèses de « sociologie morale » pourront viser alors à éclairer les choix
politiques de son époque. La sociologie de Durkheim pourra alors être considérée comme « une technique sociale
capable de traiter les conflits sociaux. Elle a besoin selon lui de concepts fermes et consistants, permettant de
dégager les lois sociales naturelles [...] » (Pfefferkorn, 2007, p.40).