Le plagiat ´etudiant
Pascal Guibert, Christophe Michaut
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Pascal Guibert, Christophe Michaut. Le plagiat ´etudiant. Education et Soci´et´es : Re-
vue internationale de sociologie de l’´education, De Boeck Sup´erieur 2011, 28, pp.149-164.
<10.3917/es.028.0149>.<halshs-01096641>
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Le plagiat étudiant
Pascal Guibert et Christophe Michaut
Maîtres de conférences en Sciences de l’éducation
Centre de recherche en éducation de Nantes, Université de Nantes
In Education & Sociétés, 2/2011, n°28, pp. 149-164.
RÉSUMÉ. Les médias traitent souvent du plagiat chez les écrivains, les musiciens ou les
universitaires. Cette pratique concerne aussi les étudiants dont 34,5% auraient déjà recopié un
texte ou partie d’un texte pour le présenter comme personnel dans le cadre d’un travail
individuel à rendre à un enseignant. Cette fréquence est du même ordre dans les travaux
américains estimant entre un quart et un tiers la proportion d’étudiants ayant produit un
travail reprenant quelques phrases sur Internet sans en fournir la source (Park, 2003) quelle
qu’en soit la forme (copier-coller, paraphrase, traduction, etc.). Ces plagiats ne sont pas tous
détectables, malgré le développement de logiciel de repérage. S’appuyant sur une enquête à
laquelle ont pondu 1485 étudiants, l’article examine les caractéristiques individuelles et
contextuelles associées à certaines formes de plagiat. Les principaux résultats issus des modèles
de régression révèlent une corrélation significative entre le plagiat universitaire, le plagiat
scolaire et d’autres formes de tricherie (fraude aux examens). Le plagiat est moins fréquent dans
les filières littéraires que dans les filières scientifiques et économiques.
MOTS-CLÉS : étudiant, examen, fraude aux examens, plagiat, tricherie.
es media dénoncent gulièrement des cas de plagiat chez les écrivains, les
musiciens, les scientifiques et dans les domaines qui font appel à la
création. Le travail scientifique n’est pas épargné et ces dernières années
plusieurs articles ont éconsacrés au plagiat chez les étudiants et les universitaires.
Face à ces révélations, les établissements d’enseignement supérieur ont décidé de
réagir en s’équipant de logiciels de détection du plagiat ou, comme à Lyon, de mettre
en ligne les thèses afin qu’il soit plus facile d’identifier les écrits qui en reproduiraient
des parties.
Le phénomène du plagiat et de la tricherie aux examens a pris une telle ampleur
sociale qu’une question au gouvernement a été posée à l’Assemblée nationale et qu’en
mars 2011, une mission a été confiée par Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche, à la philosophe Claudine Tiercelin, professeur au Collège
de France, sur l'éthique et la déontologie universitaires. Quelques années avant,
d’autres missions de réflexion avaient abordé ce sujet : le rapport Isaac (2008, 47) sur
l’université numérique préconisait déjà “une politique de dissuasion grâce aux outils de
détection anti-plagiat”.
Le plagiat n’est pas une pratique estudiantine récente et existe dans de nombreux
pays (Park 2003). Les travaux américains estiment entre un quart et un tiers la
proportion d’étudiants ayant produit un travail reprenant quelques phrases sur
Internet sans en fournir la source (McCabe, Trevino & Butterfield 2001). Cette
fréquence est du même ordre en France, une étude récente (Guibert & Michaut
2009) révèle que 34,5% des étudiants, dans un travail individuel à rendre à un
enseignant, ont déjà recopié tout ou partie d’un texte pour le présenter comme un
L
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travail personnel. La transformation des façons de travailler et l’utilisation d’Internet
comme outil d’apprentissage et d’accès aux connaissances facilitent le recours au
plagiat dont l’augmentation est sensible ces dernières années (Audet 2011).
Si le plagiat et la tricherie scolaire et universitaire sont souvent évoqués dans les
media, la production scientifique sur le sujet est limitée et les politiques universitaires
visant à encadrer ces pratiques sont balbutiantes. Le retard dans la prise de conscience
du phénomène et dans la recherche de mesures visant à lutter contre le plagiat est
caractéristique de la situation française. Longtemps tabous la fraude et le plagiat sont
considérés par les universités comme difficiles à endiguer et risquant, si on les dévoile,
de porter atteinte à leur réputation et à la qualité des diplômes délivrés. Malgré tout,
sous l’impulsion d’acteurs qu’on peut appeler des “entrepreneurs de morale” (Becker
1963), la triche et le plagiat sont de plus en plus perçus comme des déviances remettant
en cause les principes et le fonctionnement des évaluations de la formation. De
nombreux blogs dénonçant les plagiaires ou prônant la lutte contre le plagiat sont
apparus ces dix dernières années. Des démarches de même type émanent d’entreprises
qui dénoncent, à des fins commerciales, l’ampleur de ces pratiques. Des “enquêtes clé
en main” ont été proposées aux universités (Lyon, Nantes, Barcelone…).
Cet article ne se situe ni du côté de la morale, ni de la justice, encore moins de la
dénonciation à but commercial ou de réorganisation institutionnelle, mais interroge
sociologiquement le plagiat comme pratique estudiantine. L’objectif de l’analyse est de
comprendre et de mesurer la place de ces pratiques et des réponses apportées. L’article
vise à prendre l’ampleur des différentes formes de plagiat universitaire à partir de
déclarations d’étudiants et à examiner, toutes choses égales par ailleurs, l’effet des
caractéristiques individuelles sur le plagiat. Les pratiques sociales déviantes pouvant
être délicates à déclarer, il fallait garantir l’anonymat et exclure toute enquête en face-
à-face (Ogien 1999). Mais aussi atteindre une taille critique pour évaluer l’influence de
différentes variables sur le plagiat dans chaque catégorie d’étudiants. Ce qui a conduit
au choix du questionnaire en ligne, qui, outre son faible coût, permet de toucher un
public accoutumé aux outils informatiques plus que le traditionnel questionnaire
papier. Un courriel a été adressé à tous les étudiants d’une université pluridisciplinaire
française (N = 32000), via leur messagerie universitaire, les invitant à répondre à un
questionnaire en ligne hébergé sur un serveur. Constitué de 108 questions fermées et
de 5 questions ouvertes, le questionnaire aborde sept thèmes : pratiques,
représentations et justifications des tricheries scolaire et universitaire ; connaissance
des sanctions ; conditions de surveillance des examens ; pratiques extra-universitaires
de fraude (fausse déclaration administrative, utilisation de transport en commun sans
titre de transport, téléchargement illégal, etc.) ; scolarité antérieure, formation suivie
et manières d’étudier ; conditions de vie et pratiques culturelles ; caractéristiques
sociodémographiques.
1815 étudiants (soit 5,7% de la population) ont répondu à l’enquête. Nous n’avons
gardé que ceux (N= 1485) qui ont eu à remettre au moins un document à valider
(dossier, exposé rédigé, mémoire, rapport de stage, etc.). La diffusion en ligne pouvant
engendrer des biais de sélection conséquents, il fallait rapporter les caractéristiques de
l’échantillon à celle de la population. Malgré un taux de réponse relativement faible
sans doute là l’absence de consultation de la messagerie universitaire par partie des
étudiants la validité des résultats est garantie par la représentativité de l’échantillon.
Les caractéristiques sociales (âge, sexe et origine sociale) et scolaires (série du
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baccalauréat, disciplines universitaires, niveau d’étude) de l’échantillon ne sont pas
significativement différentes de celles de la population inscrite. Les conditions de vie,
les pratiques culturelles ou les manières d’étudier sont, en moyenne, très proches de
celles des enquêtes réalisées par l’Observatoire de la vie étudiante. Enfin, tous les
niveaux de formation et toutes les disciplines sont suffisamment représentés pour
apprécier l’ampleur du plagiat. La possibilité d’un biais de sirabilité sociale ne doit
pas être niée dans la mesure les résultats sont obtenus sur la base d’une auto
déclaration et non d’une observation. Des étudiants ont pu être réticents à révéler des
faits susceptibles de sanction et chercher à se présenter d’une manière valorisante. À
l’instar des recherches de délinquance autoreportée qui montrent que la diffusion par
Internet des enquêtes limite cette désirabilité, notamment chez les jeunes (Aebi &
Jaquier 2008), les auteurs estiment que les étudiants interrogés ont moins cherché à
masquer volontairement certaines pratiques qu’à les reconnaître.
Après avoir défini les différentes formes de plagiat et les approches théoriques
pouvant les expliquer, l’article présente l’ampleur du phénomène et les caractéristiques
des plagiaires pour souligner l’intérêt de ces résultats dans la compréhension des
politiques de prévention du plagiat par les universités.
Plagiat : de quoi parle-t-on ?
Soulignons d’abord que le plagiat n’a pas toujours été sanctionné. C’est seulement
à partir du XVIIIe siècle qu’il est plus encadré juridiquement afin de préserver les
intérêts, en particulier financiers, des auteurs.
Les différentes formes de plagiat : de la paraphrase à l’écrivain fantôme
Le plagiat désigne un emprunt abusif, parfois assimilé à un vol. Il peut être défini
comme une action qui consiste à “emprunter à un ouvrage original, et à son auteur, des
éléments, des fragments dont on s'attribue abusivement la paternité en les
reproduisant, avec plus ou moins de fidélité, dans une œuvre que l'on présente comme
personnelle (Trésor de la Langue Française). Pour Le Petit Robert, il s’agit de “copier
(un auteur) en s'attribuant indûment des passages de son œuvre” et le plagiaire est
“une personne qui pille ou démarque les ouvrages des auteurs”, qui réalise un “vol
littéraire”. Ainsi le plagiat concerne, avant tout, le copiage de l’idée et de la façon de
l’exprimer plutôt que sa présentation, notamment dans sa dimension matérielle. Même
si le mot n’apparaît pas dans le Code de la propriété intellectuelle, le plagiat peut être
assimilé à une contrefaçon.
Dans le domaine scolaire et universitaire, quatre formes majeures de plagiat
ressortent d’une revue des recherches de Park (2003) :
Voler ou acheter, afin de les reproduire intégralement, des supports articles de
recherche disponibles sur des banques de données, dissertations, exposés, rapports
de stage, etc. et s’en attribuer la paternité. S’ajoutent à cette catégorie les
documents téléchargés sur Internet et reproduits in extenso sans modification du
texte d’origine.
Faire appel à un écrivain fantôme chargé de réaliser le travail. Il peut être choisi dans
l’entourage ou une société spécialisée.
Élaborer un document à partir d’un ou plusieurs originaux textes, tableaux,
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graphiques, images, etc. en omettant les guillemets et/ou la source (par exemple, le
copier-coller de passages sur Internet).
Paraphraser un document, une idée sans indiquer les références et en se faisant
passer (volontairement ou involontairement) pour l’auteur. Délicate à appréhender,
la paraphrase, contrairement aux autres formes de plagiat, nécessite des
compétences rédactionnelles.
L’université du Québec à Montréal (UQAM) y ajoute la traduction de texte sans
mentionner la provenance et l’autoplagiat qui consiste à présenter le même document
à plusieurs évaluations, comme par exemple, présenter en deuxième année de master,
le mémoire réalisé en première année.
Le plagiat étudiant prend ainsi de multiples formes, plus ou moins détectables et
objets de sanction. La plus communément reconnue est la reproduction partielle d’un
article, d’un livre ou de tout document réalisé par un ou plusieurs auteurs, dans le but
de valoriser une production. Cette définition suppose d’identifier la source, ceux qui
subissent un préjudice, l’intention du plagiaire et la valeur du plagiat. Si la source est
identifiable lorsque la production plagiée est publiée ou déposée, elle peut être
différemment interprétée lorsqu’elle provient d’auteurs inconnus ou de multiples
contributeurs invisibles, comme c’est le cas par exemple d’articles publiés sur
Wikipédia. Non que la reproduction de supports déposés sur Internet soit exempte de
sanctions juridiques, mais parce que les étudiants peuvent les considérer comme un
bien commun, universel et qu’à ce titre, nul n’en est propriétaire.
Les intentions des plagiaires sont donc de nature différente. Pour certains, il
s’agit d’une omission de citation des sources (par oubli ou méconnaissance des règles
universitaires d’écriture) ; Pour d’autres, de cryptomnésie (réécriture d’une partie ou
d’idées lues dans un texte oublié depuis) ou d’une usurpation de propriété
intellectuelle (appropriation volontaire et abusive). Enfin, le plagiat est diversement
apprécié et sanctionné selon la valeur sociale ou marchande qu’il est susceptible de
procurer : un étudiant de première année, oubliant de citer ses sources, risque
probablement moins qu’un doctorant faisant appel à un prestataire pour rédiger sa
thèse.
Approches économiques et sociologiques du plagiat
Dans cet article, trois références théoriques structurent l’analyse : l’acteur
rationnel ; l’association différentielle et l’incompréhension des règles universitaires.
Dans une approche économique néoclassique (Becker 1968), le plagiat peut être
considéré comme un crime d’individus en quête d’une maximisation de l’utilité de
cette activité. Dans ce cadre, le passage à l’acte dépend de l’espérance pour le décideur
d’obtenir une satisfaction en fonction des ressources et du temps dont il dispose, mais
aussi de la probabilité de sanction. L’activité criminelle est supposée varier en raison
inverse de la répression, c’est-à-dire que l’intensité du crime diminue au fur et à
mesure que le risque et la gravité des sanctions augmentent. La décision de plagier ou
non résulte d’un choix rationnel des étudiants selon une estimation de type coût-
avantage. À coût constant, les étudiants devraient plus souvent plagier dans les
formations à rendement élevé sur le marché du travail et la fréquence du plagiat être
plus importante dans les disciplines les plus rentables (médecine, écoles d’ingénieurs
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