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PRÉSENTATION (Extraits)
par Myriam Bienenstock
La philosophie de l’histoire qui fut, longtemps, le grand titre de gloire de
Hegel, semble en être devenue aujourd’hui le talon d’Achille. On se
défend de pratiquer une telle matière, on la dissimule, on traite d’autre
chose, même lorsqu’il s’agit d’étudier Hegel – et pourtant nous savons
bien qu’en fin de compte cet auteur est jugé, dans une large mesure, en
fonction de cette discipline : si la philosophie de l’histoire est rejetée, la
philosophie de Hegel l’est elle aussi. Lorsque, au contraire, cette
discipline intéresse, c’est d’abord à Hegel que l’on pense, tant il est vrai
que, aujourd’hui, la philosophie de l’histoire elle-même est presque
identifiée, en tant que discipline, à Hegel. Force est bien de constater
aussi que, envers et par-delà toutes les critiques, elle continue à exister :
elle suscite, encore et toujours, de l’intérêt, en tout cas dans le grand
public. Hegel n’eut-il pas raison d’affirmer qu’elle ne disparaîtrait
jamais ? Si philosopher, c’est penser, penser avec la raison, alors, disait-
il – par exemple en 1830-1831, dans l’introduction au tout dernier cours
qu’il donna sur le sujet (infra, p. 52) –, philosopher sur l’histoire, c’est
tout simplement considérer celle-ci par la pensée ; et cela, aucun être
humain ne peut cesser de le faire, si ce n’est au risque de perdre ce qui
fait de lui, justement, un humain. Le spectacle de l’histoire, qui se
renouvelle sans cesse – les guerres et leur alternance de victoires
éclatantes et de défaites retentissantes, mais aussi le déchaînement des
passions humaines qui animent les unes comme les autres –, provoque la
pensée, donc la philosophie. En ce sens très général, mais fondamental,
la philosophie de l’histoire se poursuivra, sans doute.
Mais telle est justement la thèse qui suscite la réticence, voire
l’opposition des lecteurs : dans la philosophie de l’histoire, il s’agit de
considérer l’histoire par la pensée, par la raison. Hegel lui-même savait
déjà combien cette prétention suscite de réticences. Voilà pourquoi, dans
l’introduction à ses cours sur la philosophie de l’histoire, il insiste :
Pour connaître la raison dans l’histoire, ou bien pour connaître rationnellement
l’histoire, il faut, à dire vrai, apporter la raison avec soi, car la façon dont on
considère l’histoire et le monde est aussi la façon dont elle vous considère…
(infra, p. 127).
Si vous considérez le monde rationnellement, lui aussi vous considérera
rationnellement, il y a là une détermination réciproque. (infra, p. 56).
Celui qui aborde l’histoire avec la raison, l’histoire le lui rend : la phrase
revient, presque comme un leitmotiv, tout au long des cours de Hegel
sur ce sujet. Mais c’est dans la toute première version, celle de 1822-
1823, que sa signification apparaît le plus clairement ; car en 1822-1823
Hegel explique non pas seulement ce qu’il veut dire, mais aussi contre
qui – contre quels adversaires, et dans quel contexte – il le dit :
Récemment, après que l’on eut trouvé la connaissance du monde et l’expérience
de la vérité très difficiles, comme on souhaitait avoir des idées, on s’est tourné
vers l’histoire. De l’histoire, on s’est promis toutes sortes d’éclaircissements sur
la nature de l’esprit, sur la nature du droit, etc. Mais elle est vide ; il n’y a rien à
apprendre d’elle si l’on n’apporte pas avec soi la raison et l’esprit (infra, p. 127).
Elle est vide : cela, Hegel le disait d’abord à ceux d’entre ses
contemporains qui en appelaient à un « esprit du peuple » enraciné dans
le passé, donc à l’histoire, comme à la source de toute légitimité – et, en
cette période de montée rapide du romantisme politique et du