l’hébreu biblique, ce qui donne surtout les sens de jugement et de juge6). Ce qui est dû en
justice à Dieu, c’est évidemment le culte7 ; de cette manière, on a pu glisser tardivement du
sens de culte à celui de religion (ce dernier terme ne recouvrant pas que le culte).
Quant au mot ikrâh, sa signification est inséparable de celle de la racine krh, c’est-à-
dire partager en deux ou, au sens figuré, diviser intérieurement, troubler (cf. Daniel 7,15). On
retrouve ce sens dans l’arabe karat
a, affliger (t et h ont une équivalence originelle). Le verbe
kariha, détester, semble être ainsi un doublet artificiel d’où dérive notre forme causative
ikrâh, le fait de faire détester, d’où est extraite par glissement l’idée de contrainte. Mais le
sens originel de ikrâh serait plutôt le fait de causer un trouble intérieur.
Alors la totalité du verset 2,256 prend un sens beaucoup plus cohérent :
“[Pour le croyant, il ne doit y avoir] pas de cause de trouble dans le culte, car le bon chemin se
distingue de l’errance, etc.” (s.2,256).
Du reste, il apparaît que le sens premier de la racine krh reste sous-jacent dans les
diverses occurrences coraniques, quelle que soit leur forme verbale. Par exemple, en s.2,216,
le mot kurh signifie plutôt trouble ou source d’hésitation que contrainte ou désagrément :
“On vous a prescrit le combat à mort (qitâlu) 8, ce qui vous est un trouble (kurhun)”.
De plus, avant le verset s.2,256, il est justement question du
“Jour où il n’y aura plus ni marchandage ni amitié ni intercession” (2,254) ;
l’enseignement du passage n’est-il pas d’affirmer que les croyants guidés par Dieu et sûrs de
leur récompense rendront un culte à Dieu dans la tranquillité d’esprit – à la différence des
autres ? Dieu ne voit-il pas mieux que l’homme quel est le bon chemin et quel est le
mauvais ?
“Pas de trouble dans le culte à rendre à Dieu. Le bon chemin se distingue en effet de l’errance…
Dieu est le Patron de ceux qui croient : Il les fait sortir des ténèbres à la lumière. Mais ceux qui
kafarent9 ont pour patrons les tâghût [démons rebelles ou entités idolâtres] : ceux-ci les font
sortir de la lumière aux ténèbres” (s.2,256b-257).
Les vrais croyants qui rendent à Dieu un culte sont sur le bon chemin de lumière, tandis que
les autres sont dans l’errance : ils sont voués aux démons et aux ténèbres. Le texte est clair.
6 En 1S 24,16 et Ps 68,6 ; le verbe apparaît souvent (juger : Gn 15,14 ; Dt 32,36 ; Jr 5,28.21,12 ; Ps 110,6 ; Qo
6,10). En Jb 36,17 dîn a le sens de jugement ; en Is 10,2 et en Pr 20,8 plutôt celui de tribunal ; au Ps 9,5, plutôt
celui d’une cause, et en Est 1,13, celui de droit.
7 Hormis dans l’expression “Jour de la Rétribution”, HAMIDULLAH traduit dîn autrement encore que par religion
en s.16,52 : “A Lui l’obéissance et une éternité”. Le glissement de sens apparaît évident en de nombreux
passages ; par ex. en s.8,72 : “S’ils vous demandent du secours au nom de la religion” : le contexte indique : en
raison des services rendus, c’est-à-dire au nom de la justice !
Ou encore en s.12,76 : “Joseph n’avait pas à se saisir de son frère selon la religion du roi” ; il s’agit
évidemment de la justice du roi. De même, en s.24,2, la fornication sera punie selon la justice de Dieu – et non
selon la religion de Dieu. On peut continuer. “A Dieu est la Justice”, évidemment, et non la religion (s.39,3) ; en
s.3,83, parler de la “religion de Dieu” est absurde, mais non pas de sa Justice. De même, “Que la religion soit
toute à Dieu” devrait être rectifié en : “Que ce qui est dû soit [rendu] à Dieu” (s.2,193 || s.8,39). La “loi de la
religion” (s.9,122) n’a guère de sens, mais bien la “loi de la justice”. Voir aussi s.15,35; 26,82; 37,20; 38,78; etc.
8 Le verbe correspondant, qâtala, est habituellement traduit par combattre, mais il s’agit d’un affadissement
trompeur : c’est la 3e forme du verbe qatala signifiant tuer, forme propre à une action qui se concrétise envers un
tiers et va jusqu’au bout ; elle signifie : ne pas hésiter à tuer, combattre à mort.
9 Pour le sens de ce verbe et à propos de l’identité de ceux qui kafarent, on se reportera à La racine KFR. Les
points de suspension correspondent à cette partie du verset assez compliquée qui fait allusion aux croyants du
passé : “Quiconque a rejeté (kafara, a recouvert) les tâghût et croit en Dieu, s’est agrippé dans le passé (fa-qad)
à l’anse la plus solide et sans fêlure. Dieu est Celui qui entend et qui sait”.
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