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L’environnement politique de l’énergie nucléaire qui a constitué un obstacle majeur à son
expansion est en train de changer. Devant les difficultés à limiter les émissions de gaz à effet
de serre et faire face à la dépendance d’importations énergétiques croissantes, le nucléaire
retrouve les faveurs des gouvernements de certains pays industrialisés (Etats-Unis, Royaume
Uni, Italie notamment) où il avait été délaissé depuis les années quatre-vingt. Hirondelle qui
semble faire le printemps, la commande finlandaise d’un réacteur EPR de 1500MW de 2003
montre que les obstacles politiques à la relance des investissements électronucléaires par les
entreprises électriques pourraient s’effacer. L’Asie de l’est qui a été le seul marché régional
actif depuis vingt ans continue sur sa lancée, notamment avec la Chine qui annonce une
croissance de sa capacité installée de 30 GW d’ici 2020, l’Asie du sud (Inde, Indonésie,
Vietnam) pouvant suivre sur cette trajectoire. En imaginant que la nécessité du nucléaire
s’impose alors avec suffisamment de force pour renverser les nouveaux obstacles que la
libéralisation des industries électriques a érigés devant son développement, cette relance
mondiale suscite des interrogations sur les forces industrielles actuelles dans un secteur
anémié par deux décennies de vaches maigres.
Il y a trente ans, le marché mondial des réacteurs nucléaires connaissait un décollage très
prometteur avec des anticipations de commandes de 50 GW par an pour les années quatre-
vingt. Quatre grands groupes américains de la construction électrique et mécanique tenaient le
haut du pavé en multipliant les ventes et les accords de licence en Europe, au Japon et dans le
monde, tandis qu’appuyés sur la protection de leurs marchés nationaux, certains constructeurs
nationaux (Siemens-KWU, Framatome, Atomic Energy of Canada Limited) commençaient à
s’imposer à l’international. Mais, dès 1980, l’arrêt des commandes a contraint la jeune
industrie des réacteurs à des adaptations. L’exportation n’a constitué qu’une planche de salut
temporaire en raison de l’étroitesse du marché international. L’appareil industriel a dû être
réduit. La moitié de firmes ont choisi de sortir du métier nucléaire à la fin de la précédente
décennie.
Pour analyser les forces industrielles en présence sur le marché des réacteurs, on caractérisera
d’abord le marché nucléaire qui ne peut se caractériser selon les critères simples de
l’économie industrielle. C’est en effet un marché complexe dans lequel la compétitivité
industrielle ne résulte pas seulement des coûts et de la productivité des facteurs, de la qualité
de l’appareil industriel ou de l’intensité de la R&D, comme dans les secteurs industriels
« normaux », comme on le considère en économie industrielle, mais aussi de paramètres
gouvernementaux, géopolitiques et financiers importants. On précisera le type d’avantages
concurrentiels existants sur ce marché qui, bien qu’étroit, pourrait rapidement s’élargir sous
l’effet de l’ouverture des marchés nationaux qui pourraient redécoller comme le marché
américain. Dans un second temps on examinera les forces et les faiblesses des compétiteurs
majeurs, l’industrie américano-britannique, l’industrie russe et l’industrie française, sans
oublier l’outsider canadien.
1. La dynamique concurrentielle de la construction nucléaire mondiale
Au début des années quatre vingt-dix, l’offre mondiale des réacteurs comprenait huit
entreprises de trois catégories :
- des groupes de construction électrique avec General Electric, Westinghouse, Siemens
et ABB ou de construction mécanique avec Babcock&Wilcox et Combustion
Engineering,