Memo euro Agnès Bénassy-Quéré, avril 2014 Ce que l’euro a apporté aux Français • • • • L’inflation a disparu : le panier de consommation s’est renchéri de 27% en 15 ans (soit 1,6% par an en moyenne sur 1999-2013), alors que son prix avait augmenté de 54% durant les 15 années d’avant (2,9% par an en moyenne sur 1984-1998). Source : Ameco. Les taux d’intérêt n’ont jamais été si bas : taux d’intérêt réels à long terme (= coût réel des emprunts) de 2,3% en moyenne de 1999 à 2013, contre 5,4% en moyenne les 15 années précédentes (1984-1998). Source Ameco. Pas de dévaluation compétitive de nos partenaires du sud pendant la crise. Ailleurs dans le monde (Asie, Amérique latine), la guerre des monnaies a prévalu. Or l’Italie représente une part de nos exportations (7,4%) plu importante que les Etats-Unis (6,1%). Idem Espagne (6,8%). Ensemble, Italie et Espagne représentent presque autant que l’Allemagne (16,6%). Chiffres Douanes 2012. La France n’a donc rien à gagner d’une guerre des monnaies intraeuropéenne. Une souveraineté monétaire partagée : Pendant toute la période qui précède l'euro, la France n'avait que l'apparence de la souveraineté monétaire car en réalité les taux d'intérêt étaient largement fixés par la Bundesbank. Aujourd'hui, la politique monétaire n’est plus décidée par l’Allemagne seule. La politique monétaire unique a largement suivi les besoins de l’économie française, pays intermédiaire entre Nord et Sud représentant 20% de l’indice des prix suivi par la BCE. Lors de la réunification allemande, au contraire, la France avait dû « importer » la politique monétaire restrictive de l’Allemagne. Ce que l’euro peut encore apporter aux Français • • • Une monnaie véritablement internationale faisant jeu égal avec le dollar. Déjà plus de 60% de nos exportations (50% de nos importations) hors zone euro sont libellées en euro (source : BCE). On peut aller plus loin (le pétrole et les grandes matières premières libellés en euro). Cela transfère le risque de change à nos partenaires commerciaux. Le développement de l’euro sur les marchés financiers permet aussi de limiter le risque de change. En outre, il engendre des flux d’investissements étrangers. Les bénéfices d'émettre une devise de réserve internationale sont majeurs et il est certain que le franc ne sera jamais pas une devise internationale. Une force de rappel par rapport à l’incapacité chronique de nos gouvernements à ramener nos finances publiques à l’équilibre. Le solde budgétaire français est en déficit depuis les années 1970. L’euro peut nous aider à apporter la discipline qui manque à nos gouvernements successifs, pour le bonheur des générations futures (qui hériteront de la dette publique). Une efficacité plus grande de la politique économique pour limiter chômage et pauvreté pendant les crises. L’union bancaire et une éventuelle union budgétaire permettraient à un • Etat membre de trouver du soutien sur les marchés financiers ou auprès de ses partenaires européens en cas de crise. Le tout sans guerre des monnaies fratricide. Une zone qui pèse dans la régulation internationale, par exemple dans la régulation financière, la lutte contre les paradis fiscaux. La voix européenne est entendue, parfois crainte, dans les enceintes internationales où elle a su s’organiser (essentiellement l’OMC). Il lui appartient de s’organiser pour peser plus efficacement au FMI, à l’OCDE, au G20, au Comité de Bâle. Seule, la France n’a aucune chance de peser dans le débat international. Pourquoi le démantèlement de l’euro n’est pas la solution • • • • • • • • Nos principaux problèmes ne sont pas dus à l’euro. Nous avons la même monnaie que l’Allemagne et pourtant de bien moins bonnes performances que l’Allemagne à l’exportation. Le dynamisme de nos dépenses de santé n’est pas dû à l’euro. Notre droit du travail touffu n’est pas dû à l’euro. Notre politique du logement inefficace n’est pas due à l’euro. Notre émiettement territorial n’est pas dû à l’euro, etc. Ce serait la guerre des monnaies à l’intérieur de l’Europe. Nous avons déjà vécu la vulnérabilité d’un régime de change fixe (cf. nombreuses crises, dont la crise européenne de 1992-1993). L'idée d'une monnaie commune pour le commerce extérieur et d'une monnaie nationale est un leurre. Il combine en effet tous les inconvénients de l'euro sans les avantages. Le seul véritable régime alternatif est le régime de change flottant, comme aujourd’hui entre l’euro et le dollar. L’artisan du sud-est ne serait plus à l’abri d’une soudaine dépréciation de 20% de la lire italienne ; le maraîcher du Languedoc ne serait plus à l’abri d’une soudaine dépréciation de 20% de la peseta espagnole, etc. Il est contradictoire de se plaindre de la « guerre des monnaies » au niveau mondial et de la souhaiter au sein de l’Union européenne. Les taux d’intérêt augmenteraient en France car les marchés auraient moins confiance dans la stabilité de la monnaie française. Les entreprises françaises devraient s’endetter en monnaie étrangère, et donc supporter le risque de change. Elles seraient obligées de gérer une trésorerie dans chacune des monnaies européennes dans lesquelles elles ont une activité. A moins de mimer la politique de la BCE (mais alors, à quoi bon revenir au franc), l’inflation ressurgirait en France, rognant le pouvoir d’achat des plus modestes (lesquels ont peu de possibilités de s’en protéger) Les dettes privées qui devraient être renégociées une par une avec les créanciers (avec une probable inégalité de traitement entre gros et petits débiteurs). Les procédures judiciaires pourraient traîner de nombreuses années. La crise monétaire argentine de 2002 n’est toujours pas réglée à ce jour. Les dettes publiques étrangères étant pour la plupart re-libellées unilatéralement dans les nouvelles monnaies nationales, l’épargnant comme le contribuable français perdraient sur les prêts consentis aux pays européens dont les monnaies se déprécieraient. Un démantèlement de l’euro mettrait en péril le marché unique, lequel serait rapidement remis en cause par les distorsions réelles ou supposées de concurrence introduites par les fluctuations monétaires. Pour comprendre les effets du marché unique (et, au-delà, de l’intégration européenne), on peut comparer l’évolution économique de la Pologne et de l’Ukraine. En 1991, les deux pays avaient à peu près le même PIB par habitant, en standard de pouvoir d’achat. En 2013, le PIB par habitant de la Pologne était le triple de celui de l’Ukraine. Pourquoi l’idée d’un démantèlement « ordonné » est une illusion • • • • Réintroduire une monnaie nationale prend du temps. Impossible de le faire en un weekend. Dès les premières rumeurs, les plus fortunés auraient vite fait de déménager leur épargne à l’étranger. Les contrôles des changes sont difficiles a mettre en œuvre (et contraires au traités européens) et facilement contournés (principalement par les plus riches), sauf à boquer les comptes bancaires, mais ce n’est pas une mesure très populaire. Quant au tamponnage des billets le jour du basculement, il faudrait fermer les frontières ou fouiller les voyageurs cherchant à faire tamponner leurs billets en Allemagne plutôt qu’en Italie. A court terme, les Français se trouveraient dans l’impossibilité d’emprunter à l’étranger pour financer une partie de leurs importations (rappelons que les importations excèdent de 8% les exportations en France). Seuls les plus riches pourraient continuer à consommer des produits importés (carburant, médicaments, électronique…). A court terme, il est probable que la nouvelle monnaie française se déprécierait très violemment par rapport au mark et au dollar. Lors de la crise financière argentine, en 2002, le peso s’est déprécié de 80% à court terme. Les prix des importations en provenance d’Allemagne ou de pays non européens seraient revalorisés d’autant. Sans l’euro, la Grèce ne s’en serait pas mieux sortie. Elle n’aurait pas bénéficié des plans d’aide (ni du système de paiements Target 2 qui a permis aux banques grecques de ne pas faire faillite malgré les retraits massifs) et aurait vraisemblablement suivi un scenario type Argentine, les matières premières en moins. Elle aurait dévalué sa monnaie au lieu de procéder à un lent ajustement des prix. En termes de pouvoir d’achat l’effet aurait été plus violent à court terme et identique à moyen terme, le tout pour un effet incertain en termes d’emploi. Pourquoi l’idée d’une zone euro coupée en deux ne fait pas sens pour la France • • • Si la France est au Nord, elle subira l’appréciation de l’euro du Nord par rapport au Sud Si la France est au Sud, elle perdra le bénéfice de la crédibilité monétaire (taux d’intérêt faibles). Dans tous les cas, les bénéfices microéconomiques de l’euro seront divisés par deux. Pourquoi l’idée d’une monnaie commune ne fait pas sens • • • Si chaque monnaie nationale est fixe par rapport à la monnaie commune, quel est le gain ? C’est un SME qui ne dit pas son nom. Il suppose la fin de la libre circulation des capitaux en Europe, donc la fin du marché unique. Il y a 20 ans, les Européens ont été drôlement contents de mettre fin au SME ! Chaque monnaie nationale se trouverait avec plusieurs taux de change par rapport à la même monnaie étrangère, source de marché noir, de fraude, d’inefficacités