Physique quantique des systèmes à N-corps
La physique des gaz quantiques près du zéro absolu (ultra-froid) est actuellement un des
domaines de recherche les plus actifs, tant expérimentalement que théoriquement. Ces systèmes
quantiques à plusieurs corps en interaction exhibent des comportements collectifs typiques de la
physique de la matière condensée ou de la physique nucléaire. Par exemple, dans un gaz de Fermi, la
présence d’interactions attractives provoque l’appariement des fermions et l’émergence d’une phase
superfluide, analogue à celle des supraconducteurs, de l’Helium 3, des noyaux atomiques ou des
étoiles à neutrons. La limite unitaire, où la section efficace de collision prend la valeur maximale
autorisée par la mécanique quantique, est l’une des plus redoutables sur le plan théorique : il n’y
apparaît en effet aucun petit paramètre susceptible de permettre des développements perturbatifs
autour d’un modèle soluble. On s’attend toutefois à voire émerger des propriétés universelles puisque
l’interaction n’introduit aucune échelle de longueur ou d’énergie.
Nous avons poursuivi l’étude de l’état fondamental d’un système dilué de fermions de spin ½
en interaction résonnante au travers de calculs Monte-Carlo quantique (QMC) exacts dans le cadre
d’un modèle sur réseau. De façon générale, les méthodes QMC offrent une alternative attrayante à la
complexité exponentielle du problème quantique à N-corps en reconstruisant l’état exact du système
par la moyenne de trajectoires Browniennes en temps imaginaire d’états à particules indépendantes.
Mais elles se heurtent souvent à l’émergence de configurations à « poids négatifs » qui les rendent
inopérantes. Nous avons néanmoins montré en 2007 qu’une modification de la dynamique
stochastique des états individuels pouvait éviter l’apparition des trajectoires « pathologiques ». Les
principaux résultats obtenus ces deux dernières années sont listés ci-dessous :
• Validation de l’énergie de l’état fondamental du gaz non polarisé à la limite unitaire. Nos
simulations QMC avec le schéma sans « problème de signe » conduisent à un rapport universel
ξ
≈0.45 1
entre l’énergie du gaz de Fermi en interaction et celle du gaz parfait (pour un
facteur de remplissage du réseau de l’ordre 0.05). Cette valeur a été confirmée au travers de
calculs QMC « standard » pour lesquels la symétrie des populations
N
↑
,N
↓
dans les deux
canaux de spins
↑,↓
est garante d’un échantillonnage à poids positifs.
• Etude du gaz fortement polarisé. Pour un fort déséquilibre de population
N
↓
N
↑
, le gaz
unitaire est dans une phase normale dont les propriétés sont directement reliées à l’énergie de
liaison
E
b
et la masse effective
*
d’une impureté
↓
dans la mer de Fermi d’atomes
. A la
limite thermodynamique, les valeurs exactes de ces deux paramètres sont connues et
correspondent quasiment aux estimations variationnelles où l’impureté est habillée de deux
excitations particule-trou. Nous avons effectué des calculs variationnels similaires avec le
modèle sur réseau et pour les systèmes finis utilisés dans l’approche QMC sans « problème de
signe ». Les résultats QMC obtenus pour les caractéristiques
E
b
,
m
*
de la quasi-particule
↓
sont systématiquement en accord avec les bornes variationnelles et ils valident à nouveau notre
méthode stochastique en conduisant aux valeurs exactes, après extrapolation dans la limite
d’un réseau infini et dans la limite thermodynamique
N
↑
.
• Détermination de l’équation d’état à température nulle du gaz polarisé. Les expériences menées
avec des vapeurs atomiques piégées et refroidies par laser montrent une coexistence entre une
phase superfluide et une phase normale partiellement polarisée au delà d’une asymétrie
N
↓
N
↑
critique. Nous avons déterminé l’énergie QMC de l’état fondamental d’un gaz de
N
↑
N
↓
66
atomes pour toutes les configurations
N
↑
,N
↓
possibles. Nos résultats
confirment qualitativement le scénario de séparation de phases. Néanmoins, ils sont contaminés
par des corrections de portée effectives induites par la discrétisation des positions accessibles.
Nous travaillons actuellement à leur élimination par des extrapolations similaires à celles
réalisées pour le problème à une impureté.
Les résultats encourageants que nous avons obtenus pour le gaz unitaire nous ont enfin
amené à explorer la possibilité d’appliquer notre nouvelle approche QMC au problème à N-corps
nucléaire dans le cadre du modèle en couches des noyaux atomiques. Ce travail fait l’objet de la thèse
de J. Bonnard (démarrée le 1-10-09) et poursuit l’objectif de disposer à terme d’une
réelle
alternative
aux méthodes de diagonalisation directe. Actuellement, les techniques Monte-Carlo développées pour
le modèle en couches ne peuvent en effet contourner le problème du signe qu’au prix
d’approximations incontrôlées : les calculs sont menés avec une petite fraction
f
des interactions à
l’origine du problème, puis extrapolés dans la limite
f
1
.