« L’homme oublié du travail social » par Jean Yves DARTIGUENAVE & Jean François GARNIER Ed ERES – Coll « Pratiques du champ social » 2003 – 246 p 4° de couverture : « Cet ouvrage se présente comme un antidote aux dérives instrumentales et managériales qui affectent aujourd’hui en profondeur le travail social. Face à la tendance actuelle à réduire le traitement des difficultés et souffrances humaines à de simples procédures ou dispositifs, il engage les acteurs sociaux à fonder scientifiquement leurs interventions par une confrontation permanente entre la façon dont ils appréhendent la réalité sociale qu’ils ont pour tâche de traiter et un modèle explicatif susceptible d’éclairer les diverses modalités de la raison humaine. Le plus souvent, les travailleurs sociaux ont l’impression de ne disposer que d’un savoir en miettes qui donne à voir un homme morcelé, ce que renforce la logique atomisante des dispositifs d’actions sociales. Or le travail social, sous peine de perdre son âme doit s’articuler à un savoir constitué sur l’homme – sans pour autant renoncer à le discuter, à en éprouver sa pertinence - qui ne soit pas la somme des apports disciplinaires (sociologie, psychologie, économie sociale, etc…) En prenant appui sur des situations concrètes qui nécessitent l’intervention d’acteurs sociaux, les auteurs de cet ouvrage définissent une anthropologie qui rend compte de la spécificité des processus par lesquels l’homme négocie son rapport au monde et aux autres. Face au désarroi actuel des travailleurs sociaux, ils proposent ici une alternative théorique qui confère un sens aux pratiques existantes et envisagent des pistes de travail inexplorées. Leurs ambition est de participer au réenchantement des pratiques d’aide et d’assistance aux personnes trop souvent décriées en les ancrant dans une posture épistémologique exigeante. » Introduction : « Il s’agit de dégager la dimension proprement anthropologique du travail social, autrement dit d’en revenir à l’homme qui, trop souvent, nous paraît être le grand oublié du travail social. » (p.9) Car « les orientations idéologiques de l’époque sont centrées sur la recherche d’une efficacité à court terme…par l’accroissement de la productivité, d’une optimisation rationnelle, l’adéquation d’une offre à une Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 1 demande sociale ou des besoins sociaux, d’un pragmatisme et d’une technicité professionnelle » (p.9) « L’heure est avant tout à la concentration des énergies sur des questions d’organisation et de management au détriment d’une réflexion sur les buts et le sens des dispositifs en lien avec une problématique humaine. » (p.10) Il est normal que toute forme sociale tende à se réifier c’est-à-dire à se clôturer sur elle-même : face à quoi il faut proposer une alternative théorique pour « replacer l’homme au centre de l’intervention sociale » (p.10) « Même s’ils ne le formulent pas ainsi, les travailleurs sociaux éprouvent constamment la nécessité de fonder le sens de leur intervention » (p.13) 1° partie : « AUTOPSIE DU SAVOIR DES TRAVAILLEURS SOCIAUX » Chapitre 1 : UN SAVOIR A INTERROGER Par-delà la fausse querelle entre théorie et pratique Comme si la théorie était assimilée à une spéculation intellectuelle gratuite et l’intervention sociale à une obscure alchimie de la relation d’aide…interdisant toute réflexion …alors que « la théorie est une capacité proprement humaine à formaliser le monde et que les travailleurs sociaux sont producteurs d’un savoir qui est l’expression de la formalisation ou de la théorisation du réel à laquelle ils procèdent… » (p.21) Quel intérêt peut avoir le travail social à adopter une approche scientifique des phénomènes humains ? D’abord « en lui permettant d’apprécier ses missions et la portée de son action autrement que d’un point de vue mythique (selon l’idée que l’on s’en fait ) voire poétique (sans autre intention que de l’évoquer). » Ensuite en aidant « le travail social à fonder anthropologiquement son intervention par une confrontation permanente entre la façon dont il appréhende la réalité sociale qu’il se donne pour tâche de traiter et un modèle explicatif susceptible d’éclairer les diverses modalités de la raison humaine. » Enfin « en lui permettant de conférer une assise et une légitimité sociale à son travail »…car la spécificité du travail social ne peut être uniquement fondée sur une technicité professionnelle mais que celleci soit rattachée à un savoir sur l’homme. » (p 24/25) Un savoir en miettes Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 2 On constate : un désarroi ou une lassitude des TS, une obsolescence du WS par rapport aux mutations sociales, culturelles et économiques, un désajustement conjoncturel, un éloignement du WS du contact permanent avec les populations, une instrumentalisation et une taylorisation des modes d’intervention, une déligitimation par la classe politique de l’action du WS, un empilement des dispositifs… « L’heure est actuellement sinon au désenchantement, du moins au relativisme. On n’a pas tant affaire aujourd’hui à une « crise » du WS en tant que tel, qu’à une interrogation profonde des travailleurs sociaux sur le sens de leur contribution sociale » (p 27) Cette crise du sens ne vient pas uniquement de l’insuffisance de la formation initiale des travailleurs sociaux en sciences humaines, mais tient aussi de l’hétérogénéité du savoir auquel ils se réfèrent, sans pouvoir l’articuler… « être en mesure de composer une partition mariant la diversité et l’homogénéité, la différence et la complémentarité des points de vue…ne permettant de disposer que d’un savoir en miettes qui ne donne à voir qu’un homme morcelé »(p.30) Constat renforcé par la logique atomisante des dispositifs d’action sociale, renforçant la vision fragmentaire de l’homme et donc l’aspiration à un « sens global » « Il faut donc une alternative à l’émiettement du savoir des travailleurs sociaux que la pluridisciplinarité ne peut que reconduire sous le masque d’une prétendue complémentarité de points de vue. »(p.31) La langue du travail social Les travailleurs sociaux élaborent malgré tout un savoir qui leur est propre à travers les représentations qu’ils se font de leur activité, instruisant ainsi une « langue » spécifique sur leurs finalités et les conditions de mise en œuvre du WS, langue qui se manifeste à travers leur « vernaculaire » (leur manière de parler caractéristique de leur manière d’être) et leur « doxa »(c’est-à-dire leur manière de penser, renvoyant elle aussi à leur manière d’être) « socialement caractéristique ou typique ». Chapitre 2 : DES MOTS POUR LE DIRE Il s’agit de faire l’analyse des termes utilisés « spontanément et quasi naturellement » par les travailleurs sociaux visant la spécificité et la finalité du WS, comme : L’autonomie Qui est le maître mot du WS signifiant à la fois : « être indépendant, se prendre en charge, devenir acteur de sa propre vie et être libre de ses propres choix… », ce qui relève à la fois d’un registre social ( l’indépendance ) et d’un Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 3 registre moral ( la liberté ). De façon générale dans le WS, cette autonomie « s’apparente à un impératif catégorique qui ne souffre aucune concession avec la dépendance « institutionnelle », relationnelle et affective. » (p.39) Et pourtant, « à quoi peut aboutir une autonomie détachée de tout rapport d’interdépendance… et en dehors des rapports sociaux par lesquels elle s’institue ? »(p.40) L’acteur …notion souvent liée à celle d’autonomie pour qualifier le nécessaire dynamisme des individus ou tout au moins le fait de « bouger » par opposition à la « passivité » et à « l’immobilisme de ceux qui se laissent porter par les événements »… comme si l’usager ou le « client » du TS était doté d’une sociabilité virtuelle, non encore advenue, que le travailleur social se doit précisément de faire advenir. »…ce qui « débouche paradoxalement sur un déni de la personne...car l’usager qui ne fait pas montre de capacité à être « acteur de sa propre vie » témoigne fondamentalement d’une régression de son état assimilable à celui de l’enfant. » (p.41) Ce qui met en évidence, « la tendance du WS à entrevoir l’acteur exclusivement dans la réalisation d’un devenir ou ce qui revient au même à dénier la qualité d’acteur à l’usager dans l’ici et maintenant…car le travailleur social a souvent du mal à envisager l’existence sociale de l’usager en dehors de la relation de service qui l’unit à lui. »… « en bref, l’usager tend à être appréhendé essentiellement par ses manques au regard de critères implicites… »(p.43) Ceci révèle une forte tendance dans le WS à « l’ethnocentrisme c’est-à-dire à une projection par les travailleurs sociaux de leur propre univers social de référence sur celui de populations qu’ils prennent en charge »… « révélant une visée « autocentrée » de la relation sociale au cours de laquelle on tend à ramener l’autre à soi-même...en tentant de nier la différence irréductible de l’autre que nous nous employons par ailleurs à fonder implicitement. » (p.44) Il est vrai que « C’est ce dernier ( leur « client ») qui leur (les travailleurs sociaux) confère un statut et un rôle de paternité sociale qui participent à la reconnaissance sociale de leur profession. »…Et cependant « c’est cette « mort » de soi, cette capacité de créer en nous-mêmes du « vide » qui permet à l’autre de se frayer un chemin » (p.45). L’usager « C’est un terme qui désigne une sorte de « type moyen » auquel sont attachés des comportements attendus au regard des normes sociales standardisées.» (p.46) Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 4 Aussi c’est une notion souvent associée à celle de « besoin » que l’on postule implicitement chez l’usager, « induisant un comportement préétabli et immédiat dans la relation à autrui ». Ainsi est-on renvoyer à « l’image d’un usager susceptible de coïncider avec un environnement institutionnel, puisque l’usager n’existe pas indépendamment des situations sociales qui le définissent et par lesquelles il se définit , et des attentes sociales que l’on formule à son égard. » (p.47) Le client Terme qui dénote la prise en compte dans le WS d’une « démarche qualité », dans le cadre de l’élaboration d’une « offre » articulée à une « demande » d’insertion, où « à l’encontre de l’ancien schéma paternaliste, il s’agit de traiter d’égal à égal avec le « client ». Incontestablement ce terme marque une relation personnalisée, voire « appropriative », ce qui peut être pour le travailleur social, « une façon de légaliser la légitimité de son statut et de son rôle de paternité sociale…ce qui rend ce terme inséparable d’une autre notion : celle de « référent » Le lien social Actuellement c’est le véritable sésame de l’action sociale , mélangeant tout ce qui tourne autour de la convivialité, avec « une nostalgie de la communauté débarrassée de sa conflictualité », mais aussi dans certains cas avec une réelle « prégnance de l’approche individualiste qui sépare la personne de son inscription sociale et de son histoire. » Or « c’est une logique proprement humaine, paradoxale et conflictuelle qui nous paraît devoir être intégrée dans la problématique du lien social. » ( p.51/52) Chapitre 3 : DES MOTS POUR FAIRE Le projet Comme pour la notion d’autonomie, on retrouve l’ambiguïté qui mélange « deux registres : l’un qui concerne l’axiologie du désir, l’autre qui renvoie aux conditions sociales de la réalisation d’un devenir…mais dont la signification s’éclaire lorsqu’elle est couplée avec la notion d’autonomie ou d’acteur…le projet devenant le moyen par lequel « l’acteur » peut réaliser l’autonomie…cette notion de projet tend alors à revêtir le sens restrictif d’une projection dans le temps amenant à réaliser des démarches, c’est-à-dire à s’extirper des pesanteurs et de l’inertie du quotidien…comme pour réaliser son être dans un avenir chargé de promesses d’émancipation…la notion la plus achevée étant celle de « projet de vie » - « cette expression ne manque pas de sel lorsqu’elle s’applique à des personnes empêtrées dans une précarité Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 5 des conditions d’existence ou lorsqu’elle s’adresse à des personnes âgées arrivées au crépuscule de leur vie. »… « N’est-ce pas évacuer tout simplement l’humain avec tout ce qu’il comporte d’imperfections, d’ambivalences et d’incertitudes ?…là encore par prégnance d’ethnocentrisme ? » ( p.54/56) ...la notion d’évaluation en étant son corollaire naturel. Le contrat A 1° vue il semble un outil privilégié du WS pour « mesurer le chemin parcouru »… », pour rétablir un équilibre des termes de l’échange social rompu par la logique unilatérale de la relation d’aide…permettant de se démarquer d’une logique d’assistance…source d’humiliation ou d’avilissement, sous tendue par un rapport de domination… » - « En réalité, tout comme le projet et l’autonomie, le contrat ne se décrète pas …et est-on assuré, que le « client » est toujours en mesure d’instituer un rapport de parité, d’égal à égal, avec son « référent »…et quelle est sa marge de manœuvre…sous peine de ne plus bénéficier de l’aide demandée ? » (p.56/58) Importance du décentrement ! L’accompagnement Souvent il s’agit d’un souci de « faire avec » , de « partager une responsabilité et non d’en déposséder totalement l’autre. » Mais n’y a-t-il pas là un « déni du rôle structurant de la prise en charge d’autrui au nom du respect de la personne et de sa liberté individuelle ? » « Or, il y a lieu d’insister à l’encontre des idées reçues sur le fait qu’il n’est pas d’accompagnement de l’autre sans prise en charge d’autrui. L’accès à la parité sociale ne peut se faire que si la confrontation à la paternité sociale, à la loi du Père, diront d’autres, a eu lieu…On ne devient compagnon, c’est-àdire l’égal des autres membres d’une corporation que si l’on était capable de s’émanciper d’un maître auprès duquel on s’était entièrement formé. »(p.60/61) L’écoute « se présente comme un moyen d’asseoir la relation d’aide…mais les travailleurs sociaux tendent à céder à une conception magique de la parole …Ils ont tendance à occulter ou tout au moins à sous-estimer l’importance de la dimension sociologique de l’interlocution dans laquelle ils sont eux-mêmes pris. » - « Et tout échange verbal non seulement comporte mais se fonde sur du malentendu c’est-à-dire d’une non-coïncidence entre le dire et l’entendu » : ce qu’ils ont entendu ce n’est jamais ce que « l’autre » a dit mais ce qu’ils lui font dire. On ne peut ignorer que la relation du travailleur social à son client se pose dans des termes de « rapports de pouvoir ». De plus dans Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 6 l’entretien individuel le client ne vient jamais seul : « il est peuplé de tous ceux qu’il porte en lui, dont il retraduit singulièrement les usages jusques et y compris dans sa manière de s’adresser à son « référent ». (p.62/65) L’action individuelle et l’action collective « En rabattant le collectif exclusivement sur le groupe et l’individuel sur l’être psychique, les notions d’action individuelle et d’action collective achoppent à rendre compte précisément de l’enchevêtrement de « l’individuel » et du « collectif » dans les conduites sociales et les modes d’intervention. » ( p.69) L’insertion On en a fait un moyen privilégié de lutte contre l’exclusion. « Le terme d’insertion (introduire) désigne l’action qui consiste à faire une place parmi les autres, à côté des autres. On suppose donc qu’une collection d’individus posés les uns à côté des autres suffit à faire société. » Ce terme d’insertion s’est substitué à celui d’intégration « qui signifie « articuler à un tout » qui suppose donc l’interdépendance fonctionnelle d’un ou plusieurs éléments à un ensemble. L’intégration vise l’action qui consiste à faire une place parmi les autres , non seulement « à côté » mais aussi en cohérence ou en congruence avec les autres. » Il est absurde d’opposer insertion sociale et insertion professionnelle car l’insertion sociale ou plutôt l’intégration sociale renvoie au processus par lequel nous rétablissons du rapport social dans le jeu de l’interdépendance des rôles et des positions, là où l’insertion professionnelle désigne l’une des modalités concrètes de ce processus d’intégration. » « L‘insertion est souvent érigée en véritable impératif catégorique…dont la seule responsabilité revient au sujet. » « Face à cette impossibilité de mettre en œuvre leur désir, certains jeunes n’ont d’autres alternatives que de s’abolir comme sujets pour s’offrir exclusivement comme objets. » (p.69/73) Chapitre 4 : DES MOTS POUR CODIFIER …C’est-à-dire satisfaire à la capacité proprement humaine à légaliser le légitime, « à délimiter les frontières du permis et du défendu, à évaluer les aspects positifs et les négatifs… » La déontologie Seule la profession d’assistante dispose d’un code de déontologie qui représente « deux ordres de réalité confondus sous un même vocable : soit se prémunir contre ce qui apparaît comme une intrusion abusive dans le champ de son Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 7 intervention professionnelle,( ce qui renvoie à la responsabilité et à la compétence ) soit établir de la règle dans la relation à autrui (ce qui renvoie à la codification, donc à la légalisation du légitime) – enjeu de pouvoir dans le 1° cas et problème d’autorité dans le 2°, c’est-à-dire de limites que l’on s’impose à soi-même et dans la relation à autrui : or le pouvoir sur autrui ne se conjugue pas forcément avec autorité qui suppose une capacité à restreindre ses désirs et sa volonté de puissance. » (p.75/77) Le respect et la liberté de la personne Cet attachement au respect et à la liberté de la personne peut « rendre problématique l’exercice de la responsabilité des travailleurs sociaux au regard de la mise en œuvre sociale d’une autorité visant à interdire ou à autoriser, ce d’autant que le contexte social ne les y aide guère…où la question cruciale est devenue, selon Marcel Gauchet celle de l’autorité dans le monde démocratique. Cette incompréhension serait due à un déficit de reconnaissance sociale de la fonction de paternité symbolique…et à l’inverse de la difficulté des travailleurs sociaux eux-mêmes, parfois, à reconnaître l’autorité de la hiérarchie. » (p.78/82) L’évaluation Le plus souvent elle est mise en place avec une visée exclusivement instrumentale ( tableaux de bord, observatoires…) « parce que les présupposés ne sont pas interrogés », alors qu’une évaluation doit être « nécessairement orientée par la représentation sociale que l’on se fait du phénomène évalué, par la position que l’on occupe et le rôle que l’on joue dans un ensemble social et par l’habilitation à juger que l’on se donne »(p.82/85) En conclusion de cette 1° partie : « on perçoit l’obstacle majeur auquel se confronte le WS : son savoir tend à se clôturer sur lui-même, dans une perspective mythique et ethnocentrique, à défaut d’être confronté à un modèle conceptuel pour interroger ses approximations et ses impasses et interroger ses croyances » (p.86) 2° partie : VERS UN CHANGEMENT DE REGARD « Nous savons, depuis Emmanuel Kant, que la réalité en soi ne se livre pas comme cela à l’appréhension humaine : il existe plusieurs manières de la « construire ». Ici les auteurs vont donc s’inspirer du modèle élaboré par Jean Gagnepain dans sa « Théorie de la médiation » (p.91/92) Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 8 Chapitre 5 : « LES SITUATIONS SOCIALES » Les situations sociales telles qu’elles se présentent : « Las des discussions théoriques ( en référence à Marx, Freud ou Lacan ), les travailleurs sociaux sont aujourd’hui plus que jamais en quête d’outils performants pour régler les situations auxquelles ils doivent faire face. Nous sommes pourtant persuadés qu’aider l’homme, exige une connaissance de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements et que seule une approche qui répond aux exigences scientifiques peut apporter la connaissance opérationnelle nécessaire au travail social. » (p.93) En fait, on repère vite et fréquemment sur le terrain : découragement, incapacité face aux difficultés des personnes, impression de fatalité et de déterminisme face à la répétition et à la multiplicité des problèmes, impuissance, refuge dans la routine…bref, nécessité de casser ce cercle vicieux ! L’appel aux procédures : Que de politiques sociales, que de publics cibles, que de programmes, au point « qu’on pourrait décliner toutes les situations sociales prévisibles et noter les dispositifs susceptibles d’y répondre et nous aurions ainsi un guide parfait des procédures utiles au bon travailleurs social. Aurions-nous pour autant les clés pour lire et répondre aux problèmes sociaux soulevés… Or l’accumulation des procédures a pour effet pervers de construire les critères de dénomination des populations concernées qu’au travers de ces mesures administratives. » ( p.96) Chapitre 6 : A PROPOS DU MODELE : « De l’héritage à la rupture » Les sciences humaines ne sont pas exemptes d’anthropomorphisme, ce qui oblige à rester modeste quant à leur objectivité mais tout autant à travailler avec rigueur. Il y a plusieurs façons de dire le monde selon le regard que l’on porte sur lui, selon les points de vue que l’on adopte comme : la visée mythique qui ramène les choses aux mots (la plupart du temps mots-valises, concepts flous, fourre-tout de la « pensée ») la visée poétique, qui peut parfois être aussi un support de conscientisation et un moteur d’action ( cf Zola ou Charles Dickens) la visée scientifique – ici choisie à travers la théorie de la médiation de Jean Gagnepain « qui est parti de la clinique du langage pour spécifier l’humain, c’est-à-dire pour caractériser dans le monde du vivant « l’exception culturelle » qu’est l’homme » Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 9 La séparation du corps et de l’esprit. Elle est dès le départ réfutée dans la théorie de la médiation qui affirme au contraire que « L’homme est un corps spirituel ou un esprit corporel. »…à tel point que « nous acculturons sans cesse notre nature et nous naturalisons sans cesse notre culture. » L’obstacle de l’historicisme Il consiste à vouloir prendre le principe de « l’origination » comme hypothèse unique d’explication de toute chose…qui est toujours prégnant en psychologie comme en sociologie « et le travail social hérite de ce mode de penser…Or il faut plutôt envisager la causalité en réincorporant l’histoire à l’homme au lieu d’en faire un déterminisme exogène… » ( p.104) L’abstraction comme spécificité de la raison humaine « Nous partageons avec l’animal l’appartenance à la nature…mais nous nous en extrayons pour « humaniser » cette nature par un mouvement d’abstraction, d’ « acculturation » qui est définitoire de l’humain. » (p.106) « L’abstraction est bien cette capacité de s’interdire, propre à l’humain, capacité « éthique » qui balisera par la morale interposée tout ce qui reste dans la sphère du permis » ( p.108) La dialectique entre implicite et explicite L’homme oscille sans cesse entre deux pôles contradictoires : acculturation de la nature et naturalisation de la culture ; distinction/homogénéité ; appartenance à un ensemble/ singularisation; contestation de notre condition animale/ recherche de réintégration de notre condition naturelle contestée…Or dans le langage, « analyser c’est être capable de distinguer ce qui est différent et de rassembler ce qui se ressemble », ce que J.G. appelle « instance » - « ce processus qui nous fait abstraire l’état de nature et nous distingue de l’animal » ; mais chacun le fait à travers sa propre langue ; ce pôle de réinvestissement étant désigné par J.G sous le terme de « performance » La déconstruction en 4 plans « si la capacité du langage est strictement humaine, elle ne rend pas compte à elle seule de l’intégralité de la raison humaine. » Ceci est une ligne de partage importante de J.G. par rapport à ses illustres prédécesseurs que sont Freud ou Lacan. Car la raison humaine se diffracte en 4 modalités, ou 4 « savoirs dire », ou encore 4 manières d’être rationnels. « L’homme est un être logique, Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 10 technique, social et éthique »… « Ainsi, dans le langage j’use de grammaire (logique), d’écriture (technique), d’une langue (social), et d’une manière de dire qui tend à la fois à cacher et à trahir (éthique). Ce que révèle la clinique neurologique et psychiatrique lorsqu’elle isole respectivement des troubles de la grammaticalité, de la technique, de la communication et du comportement. Or plus largement, le plus souvent, dans le travail social se propage une forte tendance à associer des phénomènes qui ressortissent de plans différents. Exemple 1 : la prise de drogue : acte de délinquance ou maladie ? Exemple 2 : l’alcoolisme : fait moral ou fait social ? (p.109/110) Chapitre 7 : LE SOCIAL : UNE DES MODALITES DE LA RAISON HUMAINE L’homme émerge au social = « acculturation » : c’est une transformation radicale de l’état de nature qui est un processus de séparation et qui incite l’homme à faire société. « Tout ce qui est de l’ordre de la nature est donc acculturé chez l’homme. » (p.112) C’est ainsi que les 2 fonctions fondamentales qui sont liées à la reproduction de l’espèce, la sexualité (accouplement) et la génitalité (faire des enfants) sont transformées par l’instance fondamentale de l’ordre culturel. « L’enfant ne peut accéder à la capacité rationnelle sociale qu’à partir du moment où l’acculturation de la sexualité et de la génitalité est rendue possible… » (p.112) car l’enfant ne vit que dans le social des autres ( parents, éducateurs, copains…parce qu’il n’a pas encore accès à la réciprocité du lien. Si « l’enfant est d’emblée dans le social dont il subit l’influence à tous niveaux, pour autant, il ne peut y apporter son concours mais seulement y puiser ses références. » (p.113) Individuel et collectif Les sciences de l’homme sont fondées sur cette distinction individuel/collectif (cf Ferdinand de Saussure en linguistique pour lequel la parole relève de l’individuel et la langue du collectif. Cf Durkheim fondant la sociologie sur la distinction entre individus et sociétés.) Idem pour J.G. invitant à dépasser l’individuation pour accéder à la personne, qui ne se réduit pas à l’individu pas plus qu’au collectif. L’implicite du social : la socialité La conception que J.G. a de la personne n’est pas celle des personnalistes, puisqu’il s’agit d’opérer une rupture en passant du sujet à la personne pour qu’il y ait émergence de la socialité. Cette acculturation passe par du vide et de la mort puisqu’il s’agit de la négation de la communauté au sens de troupeau. Car, Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 11 « l’homme naît à la personne que lorsque s’opposant à lui-même il devient en tant qu’autre capable de négocier son moi » (p.115) Les deux faces de la socialité La personne «s’acculture » donc en dépassant les 2 fonctions naturelles que sont la sexualité et la génitalité : la sexualité transformée dans la parité (pôle instituant) : »Nous transformons le rapport entre mâle et femelle en rapport entre homme et femme…car la loi fondamentale, la constante anthropologique est celle de la différenciation, de la séparation d’avec ceux qui me sont semblables…en créant l’autre en tant que pair sous la double loi de la distinction/homogénéité, de la différence/ressemblance…L’accès au pair est donc l’accès au « même » et au tout autre que soi, dans le double mouvement de l’appropriation et de l’exclusion, de l’homogène et de l’hétérogène,, du même et du différent, du semblable et de l’étranger…C’est pourquoi cette institution du « pair » est déterminante dans le problématique du lien social. » (p.116) « On voit, ici, combien la représentation d’un lien social sans conflit relève d’un non-sens puisque le lien social émerge de cette capacité de rupture qui nous fait Homme… : voir en quoi je suis semblable et en quoi je suis différent. C’est le principe d’identité. » (p.117) la génitalité naturelle est acculturée en paternité, ce qui est bien un déni de la nature, en transformant l’élevage en éducation, car « il ne peut y avoir confusion entre le géniteur et le père…car l’homme ressent la nécessité de faire don à un autrui a priori indéterminé : il s’agit bien là de paternité sociologique, un « pour autrui » (Sartre) qui contient la notion de réciprocité. C’est ici que se situe la citoyenneté et, de manière plus large, la responsabilité. » Ainsi donc « le rapport de parité et la relation de paternité sont imbriqués l’un dans l’autre. Identité sociale et utilité sociale vont de pair. C’est en redonnant son utilité sociale que l’on peut agir sur l’affirmation identitaire de la personne privée d’emploi. Car des difficultés identitaires entraînent des difficultés de responsabilité, d’utilité sociale. Il n’y a donc pas d’identité sans responsabilité, ni de responsabilité sans identité. Ce système à deux faces, nous l’appelons « Institution de la personne »…qui se décline en instituant – capacité à créer de l’identité et de l’unité – et en institué – capacité à créer du « métier », de l’utilité sociale, du partage des tâches à accomplir pour faire société. » (p.119) L’explicite du social : la sociabilité Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 12 « J.G. utilise le terme de « politique » pour désigner le mouvement dialectique, dans le sens d’une mise en œuvre perpétuelle du contrat social qui tente d’organiser les relations des hommes entre eux. Le lien social n’existe que parce qu’il y a cette irrémédiable impuissance à la réunification de l’espèce, à cette tentative de combler, d’universaliser ce que l’ethnie divise et atomise…d’où cette recherche continuelle de la communauté – dans une sociabilité paisible, « constructive » et complémentaire – et cette faculté simultanée à générer la différence, l’exclusion, le conflit : travail de balancement sans fin entre la division et la convention » (p.120/121) Chapitre 8 : L’ETHIQUE : UNE AUTRE MODALITE DE LA RAISON HUMAINE Le social et la morale J.G. dissocie le plan de la personne et celui de la norme, car « la morale ne ressort pas d’une quelconque pression, d’une autorité extérieure…elle est essentiellement un mode d’analyse de notre propre désir, une capacité que nous avons d’auto-contrôler notre propre désir…parce que l’enfant porte en lui ce sens du bien et du mal…mais cependant toute capacité de norme s’inscrit dans des codes sociaux que la société met en place » (p.124) Il est donc important de savoir différencier – surtout dans le WS – ce qui relève du « social » de ce qui relève de la « morale », « afin de pouvoir différencier ce qui est de l’ordre de la responsabilité et ce qui est de l’ordre de la culpabilité ». Le traitement naturel des affects C’est ce que J.G. nomme « le projet » = cette capacité naturelle à différer la satisfaction immédiate. La dialectique éthico-morale Nous avons vu que la rationalité humaine s’exerce selon une modalité : logique au plan du langage technique au plan de l’outil ethnique au plan de la personne éthique au plan de la norme. Celle-ci est la capacité de « noloir », de ne pas vouloir, de s’abstenir, de refuser une jouissance comme voie d’accès à un autre plaisir, à une valeur : « La valeur ( ou désir) est cette capacité à renoncer à un plaisir immédiat pour un autre qui satisfait davantage. Ces éléments sont le prix et le bien…Dans le plan de la norme on distingue ainsi deux faces de l’analyse éthique qui fonde le Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 13 noloir : le réglementant qui est l’analyse du prix et le réglementé qui est l’analyse du bien ». (p.128) Chapitre 9 : POUR UNE RELECTURE DES « PROBLEMES SOCIAUX » « Tous les problèmes qui se présentent aux TS dont inscrits socialement…Mais cela ne veut pas dire pour autant que ces problèmes aient leur source dans le processus humain du social. » (p.129) Les troubles structurels ou une des limites du TS Parmi les personnes aidées les TS rencontrent des pathologies qui ne sont pas sans les désemparer…car elles relèvent plus de la clinique que de l’aide sociale, car elles sont de l’ordre de la carence ou de la détérioration, la carence étant « l’absence d’émergence de la rationalité concernée » et la détérioration de «la disparition d’une capacité rationnelle qui a émergé mais qui n’existe plus ». Si l’analyse est trop prégnante on parlera de troubles autolytiques, c’est le cas du schizophrène chez lequel le processus d’édification de frontière l’emporte au détriment de la relation…et si l’on parle au contraire d’absence d’analyse on parlera de troubles fusionnels, c’est le cas du paranoïaque qui souffre de manière paroxystique de la présence des autres, ne lui permettant plus de prendre suffisamment de recul par rapport à la situation. Suit la présentation du cas de Jérôme : avec couple parental éclaté, relations difficiles avec le père, foyer d’accueil source de conflits avec l’équipe éducative, engagement dans l’armée d’où il est renvoyé sans solution d’hébergement et sans « repère familial » : Les TS émettent le diagnostic d’ « instabilité psychologique » et de « tendance à la délinquance » mais les tentatives d’insertion sont vouées à l’échec, car « l’insertion c’est en effet inscrire un élément dans un texte existant. Or, ce qui manque pour J. c’est justement le « texte », faute de sphère d’appartenance…Autrement dit, J. n’accède pas à sa propre histoire, étant dans l’incapacité de faire des liens, d’en donner la cohérence et un sens. Il reste dans une succession d’histoires sans fil d’Ariane pour en faire un « récit ». C’est en quelque sorte un homme « introuvable » (p.134/5) Suit encore la présentation du cas de Mauricette analysée comme un trouble fusionnel de l’institué, pour conclure sur ce point : « Il s’agit de construire une compréhension de l’humain qui serve de cadre à l’intervention sur l’humain.(p.142) Les problèmes de conformité ou le rapport au code Dans ce que nous appelons « la crise de la parentalité », nous constatons que l’exercice de la parentalité est de plus en plus délégué aux instances spécialisées Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 14 sans que cette délégation soit totalement assumée puisqu’elle est imposée. D’où « l’imposition de plus en plus prégnante de codes sociaux qui est l’expression d’un ethnocentrisme auquel nous ne pouvons échapper totalement du fait des constructions administratives des problèmes sociaux et des populations « cibles » allant dans le sens d’une vision uniforme, surplombante du social. »- Car « la politique tend toujours vers l’uniformité, comme recherche d’une communauté à jamais perdue…qui exige une quête incessante d’universalité ». (p.145) Les désaffiliations ou le travail de la conjoncture L’étendue des dégâts La désaffiliation ( en tant que concept qui indique non pas une absence d’affiliation mais un relâchement total ou partiel des liens sociaux )n’est pas une carence, puisque les facultés culturelles existent mais ce sont les conditions sociales dans lesquelles elles s’investissent qui limitent leur « rendement ». C’est pourquoi J.G. distingue 2 faces de désaffiliation ( correspondant aux 2 faces de la structure de la personne) : la désaffiliation sociale identitaire est une difficulté à exercer sa singularité et à mettre en œuvre des processus d’appartenance ce qui fait que tout ce qui lie ou sépare devient problématique : c’est l’exercice de la parité dans l’échange social qui est mis à mal. La désaffiliation sociale contributive exprime la difficulté à exercer sa contribution sociale, car la force du don et du contre-don est compromise au profit de la soumission et de l’assistance, d’où la difficulté à participer, échanger, servir et édifier puisque c’est l’exercice de la paternité dans l’échange social qui est mis à mal. Quelques problèmes récurrents L’alcoolisme dans tous ses états « La détermination principale est d’ordre axiologique : il s’agit souvent d’un problème de dépendance dans le sens d’une incapacité à « se prendre en main », à accéder à la maîtrise de soi, à la liberté. » - « C’est une maladie »(p.159), celle de l’incapacité à accéder au « noloir », une dépendance qui est dans l’ordre de la restriction du désir… L’argent en manque ? Etant donné que les problèmes d’argent peuvent recouvrir diverses formes de difficultés, il est important d’aller voir jusqu’à ces problèmes plus fondamentaux Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 15 car « ne pas accéder à ce niveau de compréhension c’est se priver des possibilités d’accompagner efficacement les personnes. » (p.165) Y a plus d’enfants ! Partant du constat du nombre important de demandes d’aides concernant les problèmes d’éducation, force est de constater que « c’est sur tout ce qui fait autorité que le discrédit est porté…et consécutivement c’est l’ordre des places sociales, qui est, de ce fait, contesté. » (p.170) Jean Pierre Lebrun énumère les différentes figures de pères : le géniteur : père biologique le père réel : placé près de la mère et ayant la charge de transmettre la Loi le père imaginaire représentant l’autorité, dans l’ordre social hiérarchisé la fonction paternelle dans la structure, renvoyant à la tiercité incluse dans la parole Ainsi, « le déclin de la place du père dans le social prive de sa légitimité l’exercice réel de la fonction paternelle dans la famille, le nouage réelmaginaire-symbolique qui est indispensable à son fonctionnement. » ce qui se traduit souvent par l’enfant à qui plus rien n’est interdit car le père ne peut plus lui mettre de limite : comment alors, l’enfant « sans père » pourra-t-il à son tour assumer son rapport à la limite ? « Il faut toujours, dit JPL, que l’église soit au milieu du village, c’est-à-dire que toute société a besoin de son repère organisateur, commun à tous, qui fasse centre, même s’il est contesté. » (p.172) « Conférer une légitimité à la parole d’un père (sociologique) nous paraît devoir être une ambition pour les TS. Réhabiliter c’est redonner la place et du même coup, redistribuer les autres places…en réinstituant une tiercité perdue…Car le laxisme dans l’éducation des enfants revient à refuser d’imposer la frustration à l’enfant et du coup à en faire un esclave de luimême. Il faut donc contraindre l’enfant à la liberté. L’interdit est interdit parce qu’il est interdit : il ne se justifie que par-là ! » (p.174/175) 3° Partie : VERS UNE DEMARCHE EXPERIMENTALE Chapitre 10 : DE LA METHODE A UNE ANTHROPOSOCIOLOGIE RECIPROQUE La méthode en service social est clinique en ce sens qu’il intervient en vue d’un traitement ; elle s’apparente donc à la méthode scientifique dont les étapes sont : - 1° investigation ou observation des faits, - 2° énonciation d’une hypothèse, laquelle imagine un lien jusqu’ici inaperçu entre les réalités observées Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 16 - 3° expérimentation permettant de contrôler la validité de l’hypothèse explicative émise Cette démarche suppose d’avoir recours à un modèle conceptuel ; c’est une condition fondamentale pour instaurer une visée scientifique au sein du WS pour ne pas le réduire à une pure technicité de l’intervention au mépris d’une connaissance de l’homme sur laquelle elle entend agir. Il y a réciprocité dans cette démarche par l’étroite association du chercheur et des partenaires sociaux dans « la coproduction d’un savoir » en même temps que la reconnaissance de l’irréductible différenciation des rôles et des positions de chacun. « C’est dire que cette anthroposociologie réciproque repose fondamentalement sur une dialectique de l’appropriation et de la désappropriation du savoir…permettant d’aller à contre-courant de toute tendance ethnocentriste par un constant effort d’excentration, par la présence permanente du « tiers » et par la recherche constante à mettre des mots sur les choses. » (p.186/187) Chapitre 11 : UNE MISE A L’EPREUVE DU TRAVAIL SOCIAL A travers la présentation d’une expérience …qui concernait un éclairage sociologique apporté à des univers sociaux de jeunes placés en situation de rupture par rapport au monde du travail et des institutions sociales. « La confrontation des différents points de vue émis à permis de tendre vers une objectivation des situations examinées. Elle acculait constamment chaque professionnel à la précision dans l’exposé des « faits » et dans leur argumentation et à revisiter en permanence leur propre point de vue compte tenu des informations délivrées par les autres … » (p.195) L’expérience a montré l’importance d’un cadre conceptuel, réduisant les polysémies des termes du WS, décryptant les situations intégrant des déterminismes sociologiques, tempérant un ethnocentrisme prégnant, nommant et ordonnant ce que les partenaires ressentaient intuitivement et parfois confusément. La réflexion s’est faite à partir de l’utilisation de la technique du génogramme qui sert en analyse systémique, permettant de visualiser les relations de parenté entre les membres de la famille…avec le risque réel de réduire cette approche aux seuls rapports interpersonnels entre membres d’une même famille. « Seule la référence permanente au cadre conceptuel ( pour les auteurs, c’est la théorie de la médiation de J.G.) peut permettre de lier ce qui est séparé et inversement de séparer ce qui n’est pas démêlé, dans la présentation des situations familiales » (p.208) Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 17 Ce détour par un cadre conceptuel permet d’affiner le diagnostic initial et d’interroger ou de repenser les perspectives d’intervention du WS, car il oblige « à aller au-delà du simple relevé des manifestations sociales des difficultés des personnes pour les rapporter à un principe explicatif qui objective les situations en réduisant le champ des conjectures et par-delà, de l’incertitude…On peut y voir une façon de réenchanater l’intervention sociale en contrant son sentiment d’impuissance tout en évitant le piège de la toute-puissance. » (p.230) Conclusion ou éloge de la subversion « Il faut opposer de la résistance et inverser ce qui nous paraît être à l’envers dans le WS aujourd’hui… l’instrumentalisation du WS par les politiques le remplacement du « tiers » par les « experts » qui détiennent le pouvoir au service des élus le chiffre et la statistique convoqués comme légitimations scientifiques les effets de mode ( dénominations, publics cibles, méthodes, objectifs) qui tiennent lieu de traitement des « problèmes sociaux » Or « toutes les approches ne sont pas équivalentes…ces opérations de construction du réel nécessitent d’être interrogées » - « Ce positionnement épistémologique est fondamental pour replacer l’homme au cœur du WS sous peine de laisser celui-ci dériver vers une simple fonction d’exécution de politiques publiques. » (p.232/233) « La réhabilitation du WS passe par une reconnaissance active de sa fonction de diagnostic et d’entremise sociale (au sens de faculté d’agir en faveur de l’établissement ou du rétablissement des termes de l’échange social dans les situations de désaffiliations identitaires et/ou contributives » « C’est en renversant certaines aberrations du WS actuel, en réhabilitant l’homme non pas à la manière des humanistes de la Renaissance mais en révélant le plus scientifiquement possible ses capacités et ses facultés que nous mènerons cette « subversion »…qui doit commencer dès la formation où il y a « oubli de l’homme »… en raison de certaines prévalences : tendance managériale, vacuité des valeurs de référence, reproduction professionnelle renforcée par le magique « référentiel de compétences »… hypertrophie des apports méthodologiques au détriment des sciences humaines… pauvreté d’analyse… manque de mise à distance… et tout ce qui œuvre dans le sens d’une instrumentalisation de l’intervention sociale au nom d’un pragmatisme donnant aux décideurs l’illusion d’une maîtrise ». (p.236) « En bref, il faut apprendre aux futurs travailleurs sociaux à envisager l’Homme en tant qu’objet de leur préoccupation professionnelle ». (p.239) St Grégoire ce 25 juin 2009 J.B. Notes sur « L’homme oublié du travail social » / JB – mai/juin 18 2009 18