Atelier n° 4 : Le théâtre à l’hôpital
Ont participé à cet atelier :
Nicolas GENIE, Comédien de la Compagnie Mises en Scène
Françoise BEAU, Comédienne de la Compagnie Mises en Scène
Enzo TOMA, Metteur en scène du Teatro Kismet de Bari, Italie
François CHAFFIN, Théâtre du Menteur, Intervenant à l’hôpital de Bligny
Josiane QUILLIVIC, Maquilleuse de la Compagnie “ Amuses-gueules ”.
L’atelier était animé par Pascal BILLOM, Compagnie Mises en scène, Avignon.
François CHAFFIN
Théâtre du Menteur, Intervenant à l’hôpital de Bligny
Il a été souvent question, aujourd’hui et hier, de pédiatrie et de psychiatrie.
Pourtant, le travail que nous effectuons à l’hôpital de Bligny, situé à
30 kilomètres au sud-ouest de Paris, dans l’Essonne, est davantage destiné aux
adultes, atteints du sida ou du cancer. Il m’a semblé que nous n’étions pas si
nombreux à travailler pour les adultes qui fréquentent les hôpitaux.
Le théâtre de Bligny a été bâti dans les années 20, dans une architecture
pseudo-mexicaine et art déco. En cette année 1920, le directeur du sanatorium
de Bligny a estimé qu’un établissement culturel améliorerait le traitement de ses
patients, à l’époque atteints de tuberculose.
L’introduction de la culture à l’hôpital est donc antérieure aux mesures prises
par Philippe Douste-Blazy, même si le dispositif juridique qu’il a mis en place
permet de financer et surtout de professionnaliser l’action des artistes en milieu
hospitalier.
Ce théâtre a fermé ses portes dans les années 70, lorsque la télévision a
commencé à davantage s’occuper des malades que le spectacle vivant. Renaud
Barrot, Bourvil, de Funès, Serrault, Poiré, ainsi que tous les cabaretiers de
l’après-guerre tels que Baquet, etc., se sont produits dans ce théâtre de
600 places. Tous ces artistes estimaient que le public du théâtre était
particulièrement exigeant et rodaient ici leur spectacle avant de le jouer à Paris.
Patrick Cauvin décrit le passé résistant de ce théâtre, qui a dissimulé juifs et
résistants pendant la guerre, dans son roman Théâtre dans la nuit, publié chez
Albin Michel il y a trois ans.
Il a été décidé de procéder à la réouverture de ce théâtre, mais seulement de
manière occasionnelle, car il est évidemment hors normes aujourd'hui, tant en
termes de sécurité que d’ERP. Il ne bénéficie pas, de surcroît, des
investissements scéniques qui permettraient qu’une saison s’y déroule.
Le directeur actuel de l’hôpital de Bligny a cependant été très sensible à l’idée de
la culture à l’hôpital. Lui et son service technique nous ont donc donné les
moyens de construire un autre théâtre, constitué d’un petit plateau de six
mètres par quatre et de 70 places, au sein même de l’hôpital.
C'est ainsi qu’est né le théâtre de l’hôpital de Bligny, co-dirigé par Valérie
Dassonville et moi-même. Nous avons décidé en 1996, c’est-à-dire la première
année, de proposer une saison culturelle à l’ensemble du public de l’hôpital : les
patients, le personnel, et le public local, public rural du district de Limours.
Malgré quelques difficultés de financement, une vingtaine d’actions ont été
organisées :
des spectacles invités que nous repérions, soit à Avignon, soit en région
parisienne ;
des spectacles de lecture et autres cabarets lecture ;
l’édition d’un journal, intitulé Parole ;
des ateliers de pratique artistique, à destination des membres du personnel.
Cette action est désormais pérenne, et ce grâce à de nombreux partenariats :
le jumelage de l’hôpital de Bligny avec la DRAC et la Fondation Banque CIC pour
le Livre ;
la Compagnie, qui a produit une partie des manifestations ;
le Conseil général ;
le Comité d’entreprise.
La participation du Comité d’entreprise est pour nous très révélatrice, puisque
l’argent du CE revient, en principe, de droit, aux activités de loisirs du personnel.
Or le CE a financé une grande partie des agapes qui accompagnent une bonne
saison théâtrale.
Certaines représentations sont suivies par 30, 50 ou 70 spectateurs, pour une
population d’environ 1 000 personnes. La fréquentation moyenne du théâtre s’y
trouve donc largement supérieure à celle du théâtre en France, où seuls 6 % de
la population se rendent au théâtre une fois par an. Il est, d’après nous,
impératif que tout ce qui se produit à l’hôpital soit ébruité. Rien n’est réser
aux patients.
J’accepte, en tant qu’artiste, d’être qualifié d’auxiliaire de bien-être, un terme
qui circule régulièrement à l’hôpital. Mais je ne suis absolument pas thérapeute.
J’ignore tout de la médecine et j’ai la chance d’avoir une santé formidable.
Prétendre que l’art est une thérapie me semble un peu suffisant.
La saison culturelle n’est pas programmée en fonction des productions de la
Compagnie, mais se veut, au contraire, éclectique. De nombreuses compagnies
sont invitées et les domaines artistiques acceptés sont très divers : arts
plastiques, musique, théâtre, lecture, édition d’un journal, dans lequel sont
publiés les poèmes de ceux qui le souhaitent.
La saison est ouverte et payante. L’entrée coûte 5 francs.
Bien entendu, le public a pour spécificité d’être très captif, et de se trouver dans
une situation de souffrance. Les spectateurs viennent en outre particulièrement
nombreux si l’on en croit le taux de remplissage.
Lorsqu’ils se rendent au théâtre, les malades s’endimanchent et emmènent leur
famille, parents, enfants et proches. Les habitants du district viennent eux aussi
assister à certaines représentations. Ce métissage entre bien-portants et
malades constitue une motivation supplémentaire dans notre travail.
Notre ambition est de faire de ce théâtre un théâtre permanent au sein de
l’hôpital, c’est-à-dire un équipement culturel de proximité, destiné à l’ensemble
des résidents de l’hôpital et aux 25 000 habitants qui peuplent ce canton rural,
totalement sous-équipé en salles de spectacles.
Notre projet ne s’inscrit pas non plus dans une appropriation égoïste de la
définition des orientations culturelles de la saison. Il s’agit au contraire d’inviter
de très nombreuses compagnies. Elles seront onze à se produire à l’hôpital,
pendant trois semaines ou un mois. Un outil de spectacle tout à fait opérationnel
sera mis à leur disposition : moyens techniques, équipement scénique complet,
etc.
La culture ne doit pas être subie. Elle doit faire l’objet d’une démarche volontaire
ou, en d’autres termes, d’une demande de service.
Le théâtre de l’hôpital de Bligny cherche actuellement un soutien financier. Le
coût de la réhabilitation du théâtre est aujourd'hui évalué à 3,5 millions de
francs. Toujours est-il que l’existence, en milieu hospitalier, d’un théâtre ouvert
chaque jour dans la cité constituerait une expérience unique, sinon rare, sur le
territoire français.
Le théâtre pourra, à l’occasion, se muer en cafétéria. La culture, ce sont aussi
les jeux de société, la presse, la discussion en forum avec ses camarades
malades ou le personnel. La culture, c’est aussi le nivellement des
compétences : le malade devient l’égal du médecin.
Enzo TOMA
Metteur en scène du Teatro Kismet de Bari, Italie
Le théâtre à l’hôpital n’existe pas en Italie, pas davantage d’ailleurs que la
culture à l’hôpital, même si quelques expériences sont menées avec les enfants,
en oncologie. Certains artistes travaillent avec des psychiatres. Je travaille, pour
ma part, auprès d’enfants handicapés mentaux.
Je ne crois pas en l’art thérapie. La thérapie est codifiable. Elle est chimie quand
l’art est alchimie. Le médecin et les artistes doivent certes trouver un langage
commun et travailler conjointement, mais l’art ne sera jamais une thérapie.
L’art thérapie, c’est la mort de l’art. L’art est toujours en mouvement. Il est
source de conflits et de désordres alors que la thérapie permet d’y remédier.
L’art permet, de surcroît, un changement de point de vue.
La santé n’est pas la condition normale de l’être humain. Il souffre
systématiquement de petites douleurs physiques ou mentales. La santé n’est
qu’un idéal.
Le monde des personnes handicapées ou souffrantes est, pour nous, une
représentation de l’échec de la condition humaine.
Il s’agit là d’une formidable opportunité pour l’artiste, car les personnes qui
vivent cette situation de handicap donnent aux artistes la possibilité
d’appréhender leur travail d’un point de vue différent. J’ai la conviction que ce
n’est que dans l’expérience des limites de la condition humaine que l’art et la
poésie peuvent être appréhendés.
Mon travail n’a pas pour objectif de faire la démonstration des capacités des
acteurs handicapés. Au contraire, le théâtre doit permettre d’apercevoir des
aptitudes différentes dont on ne soupçonnait pas l’existence.
La situation des handicapés mentaux favorise le travail artistique, puisqu’il n’y a
plus d’espace pour l’esthétisme. Le Beau n’est plus un objectif en soi. Ce qui
importe avant tout, c'est le geste. Le geste d’un handicapé mental est en lui-
même très expressif. Tout ce que le geste raconte, c'est déjà du théâtre. Il est
inutile d’être directif avec les acteurs handicapés, car c’est la liberté de leurs
gestes qui est théâtrale. L’acteur handicapé fait preuve d’autres aptitudes que
les nôtres.
Le public, par sa méconnaissance des acteurs handicapés, juge généralement un
spectacle de bonne qualité si le jeu des acteurs est proche de la normalité. Ce
type de jugement n’est pas fondé. Le fait que des acteurs se dévoilent sur une
scène de théâtre suffit en soi à ce que le spectacle soit de qualité.
Il est vain de demander, à des acteurs handicapés, un travail proche de la
normalité. Mes spectacles font appel à des acteurs handicapés et non-
handicapés. Je demande à ces derniers de ne pas faire appel à leurs aptitudes
professionnelles, mais ils éprouvent les pires difficultés à s’exprimer.
Je n’ai recouru aux mots qu’après dix années de travail, car j’estime que les
mots sont étrangers au monde des handicapés mentaux. L’art ne peut se
construire qu’en respectant autrui.
Je connais la neurophysiologie, mais la médecine ne connaît pas le théâtre. Elle
ne va jamais au théâtre d’avant-garde ou de recherche.
Travailler auprès d’handicapés mentaux constitue une opportunité inestimable
pour l’artiste. Les acteurs handicapés connaissent la satisfaction d’être applaudi
et de connaître le succès, mais l’artiste, quant à lui, a l’occasion d’appréhender
son travail d’un point de vue différent et novateur.
Ce qui importe avant tout, ce n’est pas la compréhension des textes mais la
possibilité d’accéder au territoire de l’art. Le public doit se sentir différent
lorsqu’il sort d’une salle de théâtre. Il faut que son point de vue ait changé.
Pascal BILLOM
Compagnie Mises en scène, Avignon
Nicolas Genie et François Beau représentent la Compagnie “ Mises en scène ”.
Ils sont comédiens et interviennent tous deux au service hospitalier d’Avignon.
En 1997, le Ministère de la Culture a lancé le programme “ Lire à l’hôpital ” dans
cinq villes de France, Strasbourg et Avignon étant les deux cités choisies
unilatéralement pour mener ce programme.
Caroline Simonds, de l’association “ Le rire médecin ” était responsable de
l’application du programme à Strasbourg comme à Avignon. C’est désormais la
Compagnie “ Mises en scène ” qui a la charge de ce programme à Avignon, et
“ Le rire médecin ” à Strasbourg.
L’originalité de l’action menée à Avignon réside en l’intervention de comédiens
en milieu hospitalier, en l’occurrence, au sein du service hémato-oncologie du
Docteur Lepeu.
Les comédiens qui interviennent sont des personnages de théâtre dont le travail
est basé sur des textes et des improvisations.
Leur travail est financé par la DRAC, le Conseil régional, le Laboratoire Sanofi, et
les entreprises Plachere et UO SA. Cependant, ces partenariats ne dispensent
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !