Ce déni de réalité a donné naissance au totalitarisme,
une forme de désagrégation politique comme l’histoire
n’en avait jamais vue. Mais qu’avons-nous vraiment
appris de cette tragédie ? Près de trente ans après la
chute du mur de Berlin, la vie politique française est
toujours enlisée dans une incapacité générale à
retrouver le sens du réel. Les grandes utopies
dévastées ont laissé derrière elles un vocabulaire
fossilisé, des équations archaïques et des obsessions
périmées.
Dans ce champ de ruines, le débat politique vidé
de son sens n’est resté qu’une occasion de
fractures et de divisions. Pour les partis et les
responsables qui devraient porter une parole
publique, il ne s’agit plus d’assumer une vision,
quitte à ce qu’elle apporte à la réflexion commune
quelque chose de singulier et d’original – mais de
trouver par tous les moyens des occasions de
« cliver », pour justifier son existence par la division
qu’on crée. Dans cette inféconde inversion, le
langage s’est retourné sur lui-même. Il ne sert
plus à créer du lien, mais à faire exister des
divisions ; quand communiquer est devenu plus
important que dire, paradoxalement, les mots les
plus communs nous séparent.
Or l'opposition n'est pas encore de la politique : le
rapport de force, le bras de fer établi entre des
groupes d’intérêt qui s’affrontent, ce n’est pas de la
politique. C’est – qu’il se présente sous forme de
violence ou de luttes d’influence, les deux étant
souvent liés... – exactement ce que la politique doit
dépasser, pour, de la diversité, parvenir à former une
cité. Unie, dans la multiplicité. Et multiple, mais dans
l’unité...
L’urgence est donc toute désignée, si nous voulons
redonner sens à la politique, avant qu’elle ne
s’effondre à nouveau, nécessairement dans la
violence. L’urgence, c’est de redonner au débat
public une consistance, une densité ; de lui
apporter des paroles qui tentent à nouveau de
nommer, qui disent quelque chose sur notre
société, quelque chose de cohérent, de clair,
d’assumé.
L’urgence consiste à refonder une authentique vision
du monde, à proposer un chemin – quitte à ce qu’il
soit contesté. Nous ne sommes pas des individus
isolés, préoccupés uniquement de leur propre intérêt ;
et quand nous en arriverons là, c’est que la cité aura
disparu, laissant place à ce qui de tous temps
accompagne sa dissolution : la barbarie du tous
contre tous.
Nous refusons de nous laisser enfermer dans des
marges ou dans des cases, dans des combats
catégoriels, dans des déterministes stéréotypés :
nous héritons de cette société, nous avons quelque
chose à en dire, quelque chose qui la concerne tout
entière. Et notre première responsabilité, c’est de
faire l’effort de le dire, de le formuler vraiment,
pour engager le dialogue.
C’est par là que la politique retrouvera son sens
commun. Depuis sa fondation, Sens Commun a
voulu remettre l’engagement politique à l’endroit,
en repartant d’une vision, d’un projet, d’une parole
claire et consistante sur la société contemporaine.
À travers le socle qu’il veut proposer ici, c’est du
même élan qu’il s’agit : développer un propos
cohérent, fondé et exigeant, pour engager le
dialogue partout, et d’abord sur le terrain. Pour
retrouver la cité, il faut parler en citoyens. Voilà le
sens de cette vision, développée au long de ces
pages : en la nommant, vous contribuez à rendre à la
politique le sens du réel, le bon sens, le sens
commun. Et par là, vous rendez à la politique son
sens le plus complet et plein, un sens
authentiquement commun.