Le Socle
Pour une nouvelle vision de la politique
Qu’est-ce que la politique ? Nous la regardons
ordinairement comme une lutte pour le pouvoir,
comme un rapport de forces, ou bien peut-être
comme un engagement militant pour défendre les
valeurs propres à un parti, à une communauté, à une
sensibilité particulière au sein de la société.
Quoi de plus évident que ces définitions ? Et pourtant,
elles sont le résultat d’une erreur commune : car la
politique n’est rien de tout cela.
Nous vivons en société, et nous ne pouvons que
constater la solidarité de fait qui nous relie les uns aux
autres. Nous ne pourrions pas survivre, ni a fortiori
être libres, accomplis, heureux, hors de toute société
humaine. Nous sommes nés d’une histoire et
d’une communauté, à laquelle nous sommes donc
liés et dont nous sommes redevables. Mais cette
communauté, comme toute histoire humaine,
s’aventure dans le temps comme dans un clair-obscur
incertain, elle doit se frayer un chemin. Dans la
situation où nous la recevons, que faut-il faire ?
Quelles sont les bonnes décisions à prendre ? Quel
choix sera le plus juste pour chacun de ceux qui, dans
des positions si variées, contribuent pourtant tous
ensemble à former cette société ?
Jamais la réponse à ces questions ne sera
évidente, transparente. C’est à nous qu’il
appartient de choisir, de décider.
Il nous faut reprendre conscience de cette
responsabilité proprement vertigineuse : notre
avenir collectif, comme chacune de nos vies, dépend
de notre liberté. Rien n’est jamais écrit d’avance. Il
faut donc tout mettre en œuvre pour permettre que
nous prenions, à la fin, les meilleures décisions,
que nous fassions le juste choix. C’est
exactement cela qu’on appelle la politique.
Parce que les situations sont toujours complexes, la
politique consiste, comme l’expliquait Aristote, à
parler ensemble du bien et du juste. Plus les
situations sont complexes, plus ce dialogue est
nécessaire ; et, pour que ce dialogue soit possible, il
faut que se rencontrent des paroles, des visions
clairement développées, cohérentes et assumées, de
ce qu’est la justice et le bien.
Ainsi la politique n’est-elle pas rapport de forces
entre des intérêts opposés, mais rencontre entre
des projets toujours imparfaits bien sûr, mais
toujours animés par le désir de servir la cité dans
son ensemble.
Si la politique française traverse aujourd’hui une crise
si profonde, c’est parce que nous avons perdu le
sens de ce dialogue raisonné.
Le XXe siècle a été dominé par les grandes
idéologies, qui ont fait de la cité le terrain dun
affrontement, préférant ignorer le réel pour s’imposer
plutôt que de s’obliger à la lucidité responsable
qu’impose un authentique débat.
Ce déni de réalité a donné naissance au totalitarisme,
une forme de désagrégation politique comme l’histoire
n’en avait jamais vue. Mais qu’avons-nous vraiment
appris de cette tragédie ? Près de trente ans après la
chute du mur de Berlin, la vie politique française est
toujours enlisée dans une incapacité générale à
retrouver le sens du réel. Les grandes utopies
dévastées ont laissé derrière elles un vocabulaire
fossilisé, des équations archaïques et des obsessions
périmées.
Dans ce champ de ruines, le débat politique vidé
de son sens n’est resté qu’une occasion de
fractures et de divisions. Pour les partis et les
responsables qui devraient porter une parole
publique, il ne s’agit plus d’assumer une vision,
quitte à ce qu’elle apporte à la réflexion commune
quelque chose de singulier et d’original mais de
trouver par tous les moyens des occasions de
« cliver », pour justifier son existence par la division
qu’on crée. Dans cette inféconde inversion, le
langage s’est retourné sur lui-même. Il ne sert
plus à créer du lien, mais à faire exister des
divisions ; quand communiquer est devenu plus
important que dire, paradoxalement, les mots les
plus communs nous séparent.
Or l'opposition n'est pas encore de la politique : le
rapport de force, le bras de fer établi entre des
groupes d’intérêt qui s’affrontent, ce n’est pas de la
politique. C’est quil se présente sous forme de
violence ou de luttes d’influence, les deux étant
souvent liés... exactement ce que la politique doit
dépasser, pour, de la diversité, parvenir à former une
cité. Unie, dans la multiplicité. Et multiple, mais dans
l’unité...
L’urgence est donc toute désignée, si nous voulons
redonner sens à la politique, avant qu’elle ne
s’effondre à nouveau, nécessairement dans la
violence. L’urgence, c’est de redonner au débat
public une consistance, une densité ; de lui
apporter des paroles qui tentent à nouveau de
nommer, qui disent quelque chose sur notre
société, quelque chose de cohérent, de clair,
d’assumé.
L’urgence consiste à refonder une authentique vision
du monde, à proposer un chemin quitte à ce qu’il
soit contesté. Nous ne sommes pas des individus
isolés, préoccupés uniquement de leur propre intérêt ;
et quand nous en arriverons là, c’est que la cité aura
disparu, laissant place à ce qui de tous temps
accompagne sa dissolution : la barbarie du tous
contre tous.
Nous refusons de nous laisser enfermer dans des
marges ou dans des cases, dans des combats
catégoriels, dans des déterministes stéréotypés :
nous héritons de cette société, nous avons quelque
chose à en dire, quelque chose qui la concerne tout
entière. Et notre première responsabilité, c’est de
faire l’effort de le dire, de le formuler vraiment,
pour engager le dialogue.
C’est par là que la politique retrouvera son sens
commun. Depuis sa fondation, Sens Commun a
voulu remettre l’engagement politique à l’endroit,
en repartant d’une vision, d’un projet, d’une parole
claire et consistante sur la société contemporaine.
À travers le socle qu’il veut proposer ici, c’est du
même élan qu’il s’agit : développer un propos
cohérent, fondé et exigeant, pour engager le
dialogue partout, et d’abord sur le terrain. Pour
retrouver la cité, il faut parler en citoyens. Voilà le
sens de cette vision, développée au long de ces
pages : en la nommant, vous contribuez à rendre à la
politique le sens du réel, le bon sens, le sens
commun. Et par là, vous rendez à la politique son
sens le plus complet et plein, un sens
authentiquement commun.
AVERTISSEMENT AU LECTEUR
Le socle programmatique que vous allez lire :
1. est une synthèse de travaux plus complets. Il ne prétend donc pas à
l’exhaustivité et s’est concentré sur les sujets pour lesquels la vision de Sens
Commun est particulièrement importante et attendue.
2. ne constitue pas un texte définitif ou figé, mais a vocation à être perfectionné
et amendé grâce aux contributions des militants de Sens Commun.
3. n’a pas pour but de dresser une liste à la Prévert de propositions isolées les
unes des autres, mais entend d’abord dégager une vision cohérente pour
informer adhérents, sympathisants ou simples curieux des inspirations de
Sens Commun.
4. repose en grande partie sur les travaux du groupe Études de Sens Commun
et de ses bénévoles qui ont donné de leur temps pour nous permettre d’affiner
notre pensée et de préciser notre cap : qu’ils trouvent à travers ces quelques
lignes l’expression de notre plus sincère gratitude.
Bonne lecture !
SOCIÉTÉ
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