
multinationale. Elle déplace donc le problème à la périphérie, en exigeant et vérifiant que la filiale du
groupe, chaque année, dégage un profit taxable.
L’argument d’un éventuel redressement n’est donc plus que tel ou tel produit n’a pas de rentabilité
suffisante, mais que, globalement, la filiale doit avoir une rentabilité acceptable. Depuis la fin du
XIXe siècle, l’administration fiscale américaine a mis en place des règles sophistiquées, concernant la
répartition du profit entre les différentes succursales d’un même groupe installées dans différents
États américains. Les pays de l’Union européenne réfléchissent à l’application de cette formule de
l’apportionment. L’apportionment consiste à évaluer la répartition en fonction de différents ratios, au
nombre de trois le plus souvent (le chiffre d’affaires réalisé dans l’État vis-à-vis du chiffre d’affaires
total, la masse salariale réalisée dans l’État par rapport à la masse salariale totale et la valeur des
immobilisations, des capitaux investis localement, au regard de la totalité des capitaux investis). La
pondération entre les critères varie d’un État à l’autre, certains pratiquant une pondération égale
entre les trois, d’autres doublant la part des ventes. Ce type de critères est une manière de favoriser
l’appréciation par les administrations fiscales des risques d’évasion fiscale.
À l’image de ce qui est courant en analyse financière, la rentabilité exigée par le fisc est définie
comme une fonction des capitaux propres investis dans la filiale. Ce déplacement du contrôle fiscal,
de la rentabilité du produit vers la rentabilité globale semble être en soi le signe d’un
dysfonctionnement : avec une telle logique, il n’existe aucun argument de fait pour définir si la
rentabilité d’une filiale est anormalement faible (au détriment du fisc de la filiale vendeuse), ou
anormalement forte (au détriment du fisc de la filiale acheteuse).
Et effectivement, on assiste parfois à des situations ubuesques où :
– d’une part, le fisc de l’État A contrôle une filiale acheteuse en la redressant pour prix de transferts
anormalement élevés. (Elle considère alors que les achats de la filiale sont faits à un prix trop élevé,
et elle refuse la déductibilité de la charge, augmentant donc l’assiette fiscale) ;
– et d’autre part, le fisc de l’État B contrôle la filiale vendeuse du même produit, en la redressant
pour prix de transferts anormalement bas.
Ce genre de situation existe. Il est clair que des arrangements sont ensuite cherchés. Mais ils le sont à
des niveaux politiques, diplomatiques, et sont des arrangements de gré-à-gré. On peut parler ici de
marchandage fiscal.
L’absence de règles précises, le fait que les fiscs réagissent en ordre dispersé, rend les fiscs très
inégaux face aux multinationales. Il y a inégalité dans l’intensité du contrôle d’abord, et inégalité
peut-être, ensuite, dans la négociation du règlement. On peut admettre que l’ensemble de ces
mécanismes et de ces règlements joue au détriment des fiscs des États les moins avancés.
Certains Etats, comme la Chine ou le Brésil, maintiennent des pratiques contraignantes sur les prix de
transfert, distinctes de celles de l’OCDE (voir infra). Au Brésil par exemple, la loi de 2002 sur les prix
de transfert prévoit des prix plafond sur les importations et des prix plancher sur les exportations.
Cette disposition permet d’éviter des prix de transferts défavorables au fisc brésilien.
Le Brésil a pourtant tissé un réseau de conventions fiscales, dont une avec la France, sur la base des
conventions proposées par l’OCDE, alors que le Brésil n’est qu’observateur à l’OCDE, et non
membre. Dans la pratique, on le voit, ces conventions n’éliminent pas totalement les doubles
impositions.
La présidente du Brésil, D. Rousseff a annoncé son intention de mener une réforme fiscale, qui
pourrait aller dans le sens d’une convergence vers les pratiques de l’OCDE. Il est encore trop tôt pour
commenter le contenu de cette réforme à venir.
Une réglementation internationale insuffisante ?
Il existe pourtant une réglementation internationale en matière de prix de transfert. Initiée par les
accords du GATT, et précisée depuis par l’OCDE, la réglementation fixe le principe de « prix de pleine
concurrence » (arm’s length principle) pour définir comment doit se calculer le prix de transfert.
L’OCDE a posé dès 1976 le principe d’une responsabilité des entreprises vis-à-vis du niveau
d’imposition dont elles peuvent faire l’objet dans les pays hôtes et publié en 1995 des lignes