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Ethique : grandes pensées et problèmes contemporains
Nicolas Auffray, Rennes, France
1. Introduction
1.1. Une question de termes
Dans le domaine de la morale, on emploie deux termes dont la différence est infime, celui
d’éthique et celui de morale. En général, le mot éthique est considéré comme plus moderne
que celui de morale qui renvoie à la conduite individuelle pour les uns et au contraire pour les
autres aux règles sociales.
Ethique vient de « éthos » en grec qui signifie les mœurs et morale vient du latin « mores »
qui veut également dire les mœurs.
Il est important d’établir une distinction essentielle entre science et éthique, différence qu’on
pourrait élargir à la différence entre savoir et sagesse.
1.2. Science et éthique
La science vise le savoir et la certitude tandis que la philosophie cherche la sagesse. La
sagesse est l’aboutissement d’un cheminement personnel et subjectif alors que, considéré de
manière globale, le savoir scientifique est défini comme la somme des connaissances
reconnues comme vraies. Idéalement le scientifique cherche à atteindre la vérité et à étendre
les connaissances. Le philosophe, lui, vise la découverte de soi et la recherche de la vérité
humaine. On voit ainsi apparaître deux objets différents : la réalité pour la science et
l’humanité, en tant que tout et comme ce qui est présent en chaque homme, pour la
philosophie. On dit fréquemment que la philosophie est une science humaine c’est à dire
qu’elle est une forme de savoir qui ne peut répondre aux critères de vérité et de vérifiabilité
des sciences dures comme la chimie ou la physique. Comme la sociologie, l’anthropologie, la
psychologie ou l’économie, la philosophie n’a pas la même force que les sciences dures en ce
qui concerne la vérité de ses découvertes parce que celles-ci ne sont pas vérifiables par un
processus méthodologique défini, précis et implacable comme c’est le cas dans les sciences
dures.
De là on voit la différence essentielle entre la philosophie, et donc l’éthique qui en est un des
éléments, et la science. Aussi bien il existe en science des vérités incontestables, résultat d’un
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processus méthodologique défini, aussi bien en philosophie toutes les vérités peuvent être
mises en cause ou interrogées.
L’éthique, de même, est hermétique à toute certitude définitive. Elle a pour but d’établir les
critères d’une vie bonne mais en aucun cas les principes ou maximes d’action ne peuvent
s’imposer de manière objectivement incontestable. En effet, la réalité dont on parle en éthique
est l’homme avec tout ce qu’il a de complexe, d’imprévisible, d’incertain et de mouvant.
Aucun individu n’est en effet jamais complètement le même : le temps le fait évoluer, de
même que les événements auxquels il est confronté, son histoire personnelle, le poids de son
vécu, de ses souvenirs. Il évolue également selon la manière dont il se reconsidère
perpétuellement comme à la fois identique à lui-même et différent.
Ainsi il n’existe pas de science éthique. Pour tout philosophe ce terme de « science éthique »
sonne comme un barbarisme. Certains ont tenté de bâtir une science philosophique, un savoir
objectif comme le fit Hegel mais cela a toujours contribué à enfermer l’homme dans un
système, à oublier son imprévisibilité, son caractère subjectif insaisissable et surtout sa liberté.
En gros tout ce qui le différencie des machines et des ordinateurs.
En éthique il est ainsi impossible de définir des règles de conduite définitives. Il n’existe pas
de règles de conduite fiables à 100%. Il est fondamental de comprendre cela avant
d’appréhender les pensées des différents philosophes en éthique. Nul n’est en mesure
d’apporter de solution toute faite, chacun propose une interprétation du réel et des principes et
règles particulières pour agir. A moins d’être un dieu, personne en philosophie n’a
complètement raison aussi bien, comme le dit Aristote, que personne n’est totalement dans le
faux. Chacune des théories que nous allons étudier possède donc sa part de vérité.
En philosophie, et donc également en éthique, le maître mot est le questionnement, le point
d’interrogation est le symbole du comportement philosophique. Il permet de mettre à défaut
les idées franchement incohérentes ou non tenables. Il libère alors des préjugés et des pensées
toutes faites, et permet à l’individu, grâce à la réflexion, de développer un regard perçant et
lucide sur les choses. La force de l’interrogation révèle l’importance en philosophie du doute
et de l’absence de certitudes finitives malgré la quête toujours inassouvie de la vérité. C’est
aussi ce paradoxe qui fait le sel de l’exercice philosophique.
Si l’éthique n’est pas une science en ce que nous ne pourrons jamais découvrir de règles de
conduite assurées et éternellement vraies, chaque individu doit alors réfléchir personnellement
à son idéal, à sa vision du monde juste et sa conception de ce qui est bien. Personne ne détient
la vérité en éthique, l’unique exigence pour les individus dont les actes peuvent poser des
questions éthiques est d’être en mesure d’argumenter sur leurs choix, d’avoir de bonnes
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raisons d’agir et d’être capable d’en rendre compte devant la collectivité, devant la société
voire même devant l’humanité présente et future dans des cas de bioéthique comme pour le
clonage ou la manipulation génétique par exemple.
Il importe maintenant de revenir sur les grandes pensées philosophiques en éthique. Cela
permet d’avoir des jalons pour aborder les problèmes éthiques contemporains. A partir de
Socrate et Platon, les pères de la philosophie jusqu’aux philosophes éthiciens contemporains
les plus influents. Un grand nombre de philosophes s’interrogent sur la nature de l’action
bonne, quel en est le fondement… Il s’agit au travers de cette nuée de philosophes d’identifier
ceux dont les pensées semblent à la fois les plus pertinentes et les plus intéressantes. Ce sont
celles qui ont un écho jusqu’à nous, jusque dans nos vies quotidiennes et celles qui ont
influencé notre culture et notre manière d’aborder la réalité.
Nous étudierons ensuite, grâce aux concepts mis en lumière quelques-uns des problèmes
contemporains auxquels nous sommes en éthique confrontés aujourd’hui.
2. Les grandes pensées
2.1. Socrate et Platon
Socrate est le personnage fondateur de la philosophie occidentale en tant qu’archétype du
philosophe. Il a été notamment mis en scène par Platon dans ses Dialogues. Sans Platon, nous
n’aurions pas eu connaissance du Socrate tel que nous le concevons aujourd’hui. Socrate qui a
vécu au 5ème Siècle avant Jésus-Christ à Athènes n’a en effet laissé à la postérité aucun texte
écrit de sa main.
Pour Socrate et Platon, le bien est hors de la réalité sensible, il est inaccessible pour les êtres
réels, il se trouve dans le monde des idées, dans le suprasensible. Ce concept de bien suprême,
supérieur à tout ce qui se trouve dans le monde réel constitue une première base importante
dans l’éthique. Ce concept suppose d’une certaine manière une supériorité de l’éthique vis-à-
vis de toutes les autres disciplines. Derrière les apparences fluctuantes, il existerait ainsi une
réalité qui serait éternelle, affranchie de toutes les contingences temporelles et spatiales et
accessibles par la vue de l’esprit. Cette réalité, où, pour Platon et Socrate, existent le Vrai, le
Beau et le Bien, l’homme peut l’atteindre par la réflexion, la dialectique et la recherche
attentive de tout ce qui est commun aux divers éléments du réel sensible.
Dans le Ménon de Platon, le personnage de Socrate affirme que la vertu, qualité éthique par
excellence, ne peut pas s’enseigner. On peut la découvrir par soi-même mais personne ne peut
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transmettre un savoir éthique aux autres par l’enseignement. Il n’existe pas pour Socrate de
recette à appliquer pour bien agir, c’est se fourvoyer de croire le contraire. Il prend dans ce
texte l’exemple de Périclès, le grand homme politique athénien, l’homme de vertu reconnu
comme tel par tous. Son fils, Alcibiade, malgré tous les conseils et l’exemple de son père n’a
pas réussi à devenir lui-même vertueux. L’exemple ne suffit pas, les conseils non plus,
devenir vertueux est en conclusion un travail personnel, une recherche individuelle. Et La
Raison est, en réalité, à trouver par chacun en lui-même.
2.2. Aristote
Aristote a été l’un des disciples de Platon, celui qui a eu le plus d’influence dans l’histoire des
idées. Par son influence sur la pensée occidentale, il est en effet, avec Socrate et Platon, le
troisième grand philosophe de l’époque grecque. Aristote prend à bras le corps le problème de
l’éthique, la question de savoir ce qu’est le bien, ce qu’est l’action bonne et ce qu’est la vertu.
A l’inverse de Platon, il ne cherche pas le bien hors du monde mais au cœur de la réalité
quotidienne. C’est essentiellement dans l’Ethique à Nicomaque qu’il développe ses théories
éthiques.
Pour Aristote, une action est bonne lorsqu’elle est la conclusion de la délibération de l’homme
vertueux. Son point de vue, ancré dans le réel, l’amène à décrire différents types d’individus
et les différentes vertus que sont la prudence, le courage, la justice, la tempérance ou encore
l’amitié, fondement selon lui de la vie harmonieuse de la cité. Pour Aristote, il existe ainsi une
forme d’homme idéal, une excellence qui serait l’homme possédant toutes les qualités
morales à leur plénitude, à leur niveau le plus élevé de perfection, c’est celui qu’il appelle
l’homme magnanime.
La morale chez Aristote est avant tout l’affaire de l’homme prudent. On devient un homme
vertueux avec le temps et la part de chance n’est pas à exclure. Aristote considère de plus que
c’est en étant vertueux, en agissant de manière bonne que l’on accède au bonheur. La vertu
mène à l’état suprême qu’est, selon lui, le bonheur. Ethique du bonheur via l’excellence
morale acquise grâce aux vertus, qu’on appelle « arété » en grec, son éthique est ainsi
considérée comme une éthique arétique (une éthique des vertus).
Pour vivre de manière heureuse, il faut ainsi être un homme prudent et vertueux, seulement
tous les individus ne peuvent le devenir (les esclaves, les femmes par exemple, ne peuvent pas
le devenir pour Aristote). Le bonheur et la vertu peuvent s’enseigner mais uniquement aux
meilleurs, la vertu aristotélicienne est aristocratique. La finalité de l’éthique est le bonheur, un
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bonheur qui n’est possible que dans une cité, dans une organisation politique démocratique au
sens antique du terme.
Le bonheur est accessible à partir du moment où l’on peut agir de manière prudente, en pesant
ses choix avec lucidité et expérience. L’homme est par nature, pour Aristote, un animal
raisonnable et en devenant prudent l’homme parvient à vivre heureux puisqu’il vit en
conformité avec sa nature d’être raisonnable. L’éthique d’Aristote est finalement une éthique
de la prudence et du bonheur où les actes doivent s’adapter aux circonstances pour être bons.
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.3. Stoïcisme, Epicurisme et Cynisme
Contemporaines d’Aristote, trois écoles de pensées de l’Antiquité ont traversé les siècles pour
nous parvenir presque intactes : le stoïcisme, l’épicurisme et le cynisme. Ces écoles ont en
commun d’avoir la même source d’inspiration, Socrate, la figure du sage athénien qui tentait
de mettre sa vie en adéquation avec ses pensées pour atteindre, justement, la sagesse. Leurs
influences ont été diverses par la suite mais ces pensées restent importantes dans la
philosophie pratique. Le but ultime de toutes ces doctrines est l’eudémonia, c'est-à-dire le
bonheur que l’homme trouve en accomplissant sa nature.
2.3.1 Les stoïciens
Les stoïciens d’abord considèrent que nous vivons dans un univers sur lequel l’individu n’a
pas réellement prise. Les grands stoïciens sont Epictète l’esclave et, plus tard, Marc-Aurèle,
l’empereur romain. Le stoïcisme est un cosmopolitisme, le stoïcien se considère ainsi comme
citoyen du monde en faisant fi des lois conventionnelles, c’est au sein de l’humanité
raisonnable que l’homme s’épanouit. Peu importe la classe sociale pour les stoïciens, derrière
les fonctions des uns et des autres, il y a toujours des hommes qui peuvent ainsi atteindre le
bonheur.
Pour les stoïciens, vouloir agir pour modifier le cours du monde entraîne le malheur et
l’éloignement de toute possibilité d’être heureux. L’homme ne peut rien pour changer l’ordre
des choses, l’ordre de l’univers. Sa volonté individuelle n’a absolument aucune prise sur le
destin de l’univers. Si justement il existe un ordre des choses, l’homme doit agir et tendre vers
le but que la nature lui fixe. L’homme, dans cette philosophie prônant l’ascèse, doit vivre en
acceptant l’ordre des choses, la fatalité, il doit même se mettre en accord avec la nature et
apprendre à suspendre son jugement. Et c’est de cette manière qu’il atteindra l’absence de
troubles, que l’homme, grâce à sa volonté, peut atteindre. L’homme est vraiment libre pour le
stoïcien quand il accepte de soumettre sa volonté au destin et à l’ordre du monde. En
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