l’étouffer. Nos vies n’auront pas été inutiles, nos vies n’auront pas été vécues en vain.” Un autre discours
attribué à Danton… A lire ce propos, on ne peut s’empêcher d’établir le parallèle entre les deux révolutions.
L’une et l’autre ont forcé le destin des peuples en consacrant, pour la révolution française, la victoire des droits
de l’homme et en accélérant, pour la révolution algérienne, le mouvement de décolonisation et de libération des
pays sous occupation coloniale. Quand bien même, la première a piétiné les principes qui l’ont fondée et que le
pays où elle est née, la France a soumis durant cent trente années — dans des conditions inhumaines, il faut le
rappeler — un pays, l’Algérie, et son peuple.
La colonisation ? “Un devoir civilisateur hérité des lumières”. Un ignoble alibi, une abject mystification qui avait
pourtant trouvé, en son temps, des défenseurs, même parmi les personnalités françaises les plus prestigieuses.
“C’est la civilisation qui marche sur la barbarie, c’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit”,
avait écrit Victor Hugo (1841). La nature de la colonisation avait montré que la réalité était autre, qu’elle était
plus sombre. Une colonie de peuplement qui avait pour seul dessein la volonté d’accaparer le territoire algérien
et de soumettre à un régime d’exclusion son peuple. Le code de l’indigénat (1881), avec ses lois d’exception
(infractions spécifiques, permis de circulation interne…), avait fait des autochtones des expropriés, des bannis
sur leur propre terre. Cette infamie – qui avait asservi les Algériens et étouffé toute forme d’expression de la
liberté – avait plongé le peuple dans les ténèbres de la longue nuit coloniale. Faut-il rappeler que c’est durant la
guerre de Libération nationale que la torture avait été érigée en institution et que l’armée française, devenue
spécialiste en la matière, en avait fait une méthode systématique de lutte contre la subversion ? Une pratique
qui avait été enseignée et qui avait servi d’exemple pour certaines dictatures, notamment celles d’Amérique
latine.
Abolir les privilèges de l’occupant, recouvrer la souveraineté et la liberté. C’étaient les idéaux que la Révolution
algérienne portait en son sein. C’était son credo. Une raison d’être qui avait été clairement explicitée par la
plateforme du Congrès de la Soummam. “La révolution algérienne, malgré les calomnies de la propagande
colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et
social (…). Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence
de nations captives” (août 1956). En mettant à nu la nature violente et inhumaine de l’occupation française de
l’Algérie, la guerre de Libération nationale avait réussi à faire condamner le système colonial par l’ensemble de
la communauté internationale. C’est pourquoi le peuple algérien est sorti victorieux de son combat contre l’une
des plus grandes puissances militaires de la planète. C’est pourquoi il a vaincu. C’est pourquoi aussi la lutte
pour l’indépendance de l’Algérie a eu une aura extraordinaire et qu’elle a contribué au bouleversement de
l’ordre politique mondial. Mais la Révolution algérienne – pour audacieuse, exemplaire et juste qu’elle fût – n’a
pas été épargnée par les luttes intestines et les rivalités sanglantes. Beaucoup de ceux qui l’ont portée, parmi
les plus héroïques, n’ont pas été épargnés par les purges fratricides et ont disparu de façon tragique… au nom
de la révolution. Les vicissitudes des événements, les travers de l’histoire. Sans doute, le tragique destin de
nombre de révolutionnaires. Est-il utile de souligner que Danton avait également subi un sort cruel ? Il avait
prononcé le discours ci-dessus alors qu’il était accusé de trahison et qu’il allait être conduit à la guillotine. Car,
allié puis adversaire, pour des raisons idéologiques, de Robespierre – autre figure légendaire de la révolution
française – il avait été condamné par ce dernier à la mort. Robespierre avait, à son tour, été exécuté…
Les générations de l’après-indépendance ont hérité d’un pays libre. Cependant, à voir l’état dans lequel se
trouve aujourd’hui l’Algérie, force est de constater que la génération de Novembre 54 a failli. Elle a omis de
léguer, en héritage, son audace. Un dommage, car le tocsin ne s’est plus fait entendre. Les consciences se sont
assoupies. Le peuple algérien, bercé par la grandeur de sa révolution et anesthésié par la gloire de ses martyrs,
s’est abandonné à une léthargique satisfaction. Il a baissé la garde et n’a pas veillé à la sauvegarde des valeurs
qui ont nourri la lutte de libération ; il n’a pas veillé, non plus, à la préservation de sa liberté et à la protection
de l’indépendance de sa patrie. Pendant ce temps, le combat libérateur des aînés a été confisqué et les valeurs
de la révolution, pour lesquelles ces derniers se sont sacrifiés, ont été détournées. Un autre destin a été écrit
pour l’Algérie et son peuple. Ce destin n’est pas éloigné de celui que la génération de Novembre 54 a rejeté au
prix du sang.
Le peuple a souffert pour recouvrer sa souveraineté. Il a lutté, comme l’a lucidement signifié le Congrès de la
Soummam, “(…) pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale