r46 JEAN-MICHEL
BUEE
langage
qui lui donne un sens. En un mot, la poésie
n'est autre que le fait
du sens,
et c'est elle qui, en rendant
ce fait visible à la philosophie,
lui
permet aussi de se comprendre : en apercevant dans le langage
le lieu où
le sens se crée, la philosophie
en vient à apercevoir
qu'elle est, elle, celui
où le sens se pense ; autrement
dit, la science
du sens, le discours qui
comprend que tout discours a affaire au sens et que dans la cohérence de
chacun de ses discours, I'homme ne vise qu'à retrouver la présence
du
sens, l'unité immédiate, la coïncidence antérieure à toute séparation
et à
toute différence dont la spontanéité de son langage est le lieu. Mais en
même temps, la philosophie saisirait-elle I'importance de la poésie et
pourrait-elle y découvrir sa propre catégorie, si la poésie n'était pas son
autre, c'est-à-dire le miroir dans lequel elle aperçoit I'image inversée
d'elle-même ? Ce rapport spéculaire traduit la distance qu'a instauré le
parcours
catégorial
entre discours et langage, ou, si l'on préfère,
il renvoie
au fait que le discours s'est libéré de l'illusion qui I'habite, de cette
illusion sans
cesse
renaissante
qui consiste
à croire qu'il lui suffirait de se
refermer sur sa propre cohérence
pour y retrouver la présence
concrète
à
laquelle donne immédiatement accès le langage
poétique.
Dans la catégorie
du sens,
c'est cette
distance
qui se pense,
sous la forme de l'écart entre
sens formel et sens concrets,
écart qui en interdisant leur coïncidence
interdit aussi
à la philosophie
d'être autre chose
qu'un discours formel-
lement cohérent, le discours dans lequel se dit I'unité formelle des
multiples sens concrets que I'homme a créés dans la spontanéité de son
langage
poétique.
En thématisant
ce lien d'extrême proximité et de distance infinie qu'est
son lien à la poésie, la philosophie comprend qu'elle n'est pas pour
I'homme le lieu de la présence
et du contentement
: il peut certes s'y
comprendre,
mais il ., n'y trouve rien à prendre " (LP,435), aucun
contenu concret qui viendrait combler son désir de satisfaction et de
présence. Or, qu'en résulte-t-il ? Que ce désir serait vain ? Et qu'il
faudrait y renoncer pour se contenter, d'un côté, d'un discours cohérent
mais vide, et de I'autre, d'une satisfaction
pleine et entière, mais incom-
municable ? Ou plutôt que cette dualité, bien qu'irréductible, peut
cependant être dépassée ? Et que I'homme peut trouver le contentement,
non dans le discours, mais par le discours, au moyen du discours, en
parvenant
à une satisfaction
qui se situe au-delà de la philosophie, mais à
laquelle la philosophie
et elle seule
peut donner accès ?
Il est évident que ce contentement
capable d'unir cohérence et
sentiment, sans pourtant constituer la synthèse de la philosophie et de la
poésie, n'est rien d'autre que ce que la tradition philosophique
a toujours
désigné
sous le nom de sagesse.
Mais il est tout aussi évident
que I'idée
de sagesse
ne suffit pas, en tant que telle, à résoudre le problème de la