est durablement minée. Ceux qui ont encore les moyens d’en constituer une
n’imaginent pas utiliser leur épargne alors qu’on ne sait pas de quoi demain
sera fait.
Naguère, quand l’activité économique patinait, certains gouvernements
s’octroyaient une marge de manœuvre en procédant à des dévaluations
compétitives de leur monnaie, histoire d’offrir à leurs industries d’exportation un
accès facilité à de nouveaux marchés. Avec, à la clé, de nouvelles rentrées
fiscales et des comptes publics joliment rafistolés, qui nourrissaient l’illusion
d’une bonne gestion. Ce temps d’avant l’euro est révolu. La monnaie unique
contraint à la vertu, pour le meilleur et pour le pire, surtout depuis la crise de
2008.
Pour continuer à s’offrir quelques avantages dans l’impitoyable compétition
mondiale, de nombreux Etats se sont mis à pratiquer de façon extensive la
sous-enchère fiscale. Les révélations successives des LuxLeaks, SwissLeaks
et Panama Papers ont montré l’ampleur extravagante prise par ces joutes.
Reste à évaluer leur impact.
Gabriel Zucman est un économiste français, établi à l’Université de Berkeley.
Dans son livre malicieusement intitulé La richesse cachée des nations (allusion
à l’ouvrage publié par le père du libéralisme économique, Adam Smith, sur la
richesse des nations), il a calculé le montant que les paradis offshore volent
aux collectivités. Ses chiffres, cités par l’hebdomadaire italien L’Espresso,
donnent le tournis. Pour l’ensemble de la planète, ce ne sont pas moins de
7600"milliards de dollars de fortunes individuelles qui sont cachés dans des
structures offshore, à savoir 8% de la richesse totale.
Que signifient 7600!milliards de dollars? C’est l’équivalent des PIB de la
puissante Allemagne et de la Grande-Bretagne additionnés. Dans le détail,
l’Europe voit ainsi s’évaporer 10% de sa richesse, les Etats-Unis 4%, l’Asie 4%
également, l’Amérique latine 22%, l’Afrique 30%, la Russie 50%, les pays du
Golfe 57%. Dit autrement, si aucun Européen n’était allé planquer son argent
dans des paradis fiscaux, ce sont plusieurs dizaines de milliards d’euros par an
de recettes fiscales supplémentaires qui auraient irrigué les économies du
Vieux Continent. Quel formidable plan de relance! Pour chaque pays lésé, on
pourrait dresser la liste des dépenses publiques qui redeviendraient possibles:
formation, santé, social, infrastructures…
Après des décennies où il a été voué aux gémonies, mais au seul profit de
quelques-uns, il est peut-être temps, devant l’ampleur de la spoliation, de
réhabiliter l’impôt, non seulement sur le plan civique, mais aussi comme
vecteur d’une redistribution des richesses profitable à l’ensemble de
l’économie.
D’astucieux communicants ont tenté de longue date de nous sensibiliser à la
défense de la «sphère privée» des riches fraudeurs fiscaux. Les Panama
Papers relèguent cet argumentaire au magasin des farces et attrapes. La
légalité s’efface devant la légitimité. Désormais, une question demeure: à quoi
cela sert-il de protéger de l’appât du fisc des montants qu’une vie entière ne
suffirait pas à dépenser?