nous déçoit plus rapidement que prévu. De plus, le mouvement de la
science est tel que cet individu est constamment jeté vers l'avenir. Le
passé ne signifie plus grand-chose pour lui : il est ce dont il s'arrache, ce
qu'il fuit. Cet individu est d'ailleurs incapable de comprendre les hommes
du passé, vivant non seulement dans des conditions de vie tout autres,
mais se concevant eux-mêmes et concevant le monde d'une façon tout
autre.
L'humanisme scientifique est hédoniste et optimiste. Optimiste au sens
où il tient toujours l'homme pour innocent, quoi qu'il fasse. La notion de
faute, de péché, de culpabilité n'a plus guère de signification. Celle
d'erreur l'a remplacée, ou encore celle de maladie. Quoi qu'il arrive, si
quelque chose ne marche pas comme cela était prévu, soit il y a une
erreur à déceler et à corriger, soit il y a un malade à soigner ou à éliminer.
C'est le cas par exemple de ces grands malades que sont les terroristes.
L'existence s’en trouve ainsi simplifiée.
La science est tout autant pouvoir que savoir : elle n'est d'ailleurs savoir
que dans la mesure où elle est pouvoir, et c'est pourquoi le mal l'appelle
et la fascine. Pour le faire disparaitre, elle est prête à liguer tous les
hommes et femmes de bonne volonté. L'humanité est bonne, pense-t-
elle, et si la nature est méchante pour nous parfois, c'est parce que nous
ne la comprenons pas encore, mais cela viendra. En attendant, il faut faire
tout ce que nous pouvons. D'un point de vue scientifique, le seul devoir
qui existe consiste à tout faire ce qu'on peut pour détruire tout ce qui ne
peut pas se justifier rationnellement. De même que le pouvoir délimite le
savoir, c'est lui aussi qui détermine le devoir. Tout ce que l'on peut faire
doit être fait. Et cela dans la perspective du bienêtre humain, sinon
immédiat, du moins futur.
La culpabilité ne se laisse donc pas éliminer aussi facilement qu'il apparait
à première vue, quand on la tient pour une invention saugrenue de la
pensée religieuse, laquelle, pour un esprit positif, est une pensée
enfantine ou même infantile. De fait, si le chrétien vit en essayant de « se
sauver », c'est-à-dire, en pratique, en s'efforçant d'échapper au péché et
à la culpabilité, l'homme actuel, quant à lui, vit pour se justifier et pour
s'acquitter de sa responsabilité envers l'humanité. Ayant le pouvoir d'agir,
il doit agir et procurer aux humains le bienêtre. La recherche du bienêtre
par la science a un caractère moral, mais non métaphysique. Le monde
est pour elle un lieu d'action, il n'est pas qu'un lieu de jeu et de plaisirs,