ÉVÈNEMENT Dr Arab Boudriche *, à Santé Mag "Chaque année qui passe, sans l’introduction du vaccin contre le cancer du col utérin, c’est près de 1400 femmes que nous condamnons à la mort" Propos recueillis par Tanina Ait Mille quatre-cents (1400) à mille cix cents nouveaux cas de cancer du col de l'utérus sont enregistrés, annuellement, en Algérie. Trois à quatre femmes décèdent, chaque jour, car 50% des cas sont diagnostiqués à des stades tardifs. C’est le constat alarmant qu’a dressé le Docteur Arab Boudriche, gynécologue et chef d’unité du service de gynécologie à l'hôpital de Zéralda, lors d’un débat avec la presse. La seule façon de lutter, efficacement, contre cette maladie est d’affecter un budget conséquent à son dépistage et au vaccin, nécessaire, pour les générations à venir. Dans cet entretien, accordé à Santé Mag, le spécialiste va plus loin dans sa réflexion, en répondant aux questions qui nous préoccupent. Ecoutons-le. Santé mag: Pouvez-vous, docteur, nous présenter l’état des lieux du cancer du col utérin, en Algérie? Dr A. Boudriche: En Algérie, le cancer du col de l’utérus représente le deuxième cancer féminin. Son incidence est de l’ordre de 1400 à 1600 nouveaux cas, 4 Santé-MAG N°19 - Juin 2013 par an, selon les études. Son taux de mortalité reste, encore, élevé avec 03 à 04 décès, par jour et il est, malheureusement, diagnostiqué à un stade tardif, dans plus de 50% des cas, avec un délai de prise en charge très long, dans notre pays. Il serait de plus 100 jours, selon le chef de service d’oncologie, au CPMC d’Alger. C’est, quand même, une situation des plus dramatiques, parce qu’on passe d’un cancer, facile à traiter, à un cancer dont le pronostic vital est mis en cause avec, certainement, un taux de morbidité très élevé. Quel est le profil des femmes à risque de développer un CCU? Le profil de risque maximum, qui a été identifié par les études de l’Institut National de la Santé Publique (l’INSP), - étude cas-témoin du Pr Hamouda - a montré que ce sont des femmes présentant des HPVs oncogènes, avec un ratio qui est de l’ordre de 200, (ÔR >200). Dans la plupart des cas, ce sont des femmes analphabètes et de situation précaire, à l’hygiène approximative, souvent multipares et dont l’âge moyen et de 55 ans. Quand est-il de la prévention, dans notre pays; c'est-à-dire, dépistage, frottis, sensibilisation…. Concernant la prévention de ce cancer, ô combien meurtrier, en dehors des activités de dépistage, inscrites, depuis les années 1970, dans le cadre des prestations de soins de base, comme le planning familial, on ne peut pas parler de programme, ou de campagne nationale de dépistage. Le dépistage, fait à ce jour, est individuel, anarchique, rappelant le dépistage en France, fait de façon sauvage, disait Barasso; car, en effet, seulement près de 60% des Françaises sont dépistées, avec, souvent, plusieurs frottis par an, alors que 40% des femmes ne sont pas, encore, dépistées. Chez nous, beaucoup de femmes font un frottis tous les 6 mois et elles sont nombreuses, alors que la majorité ne savent pas ce qu’est un frottis et arrivent, souvent, en consultation avec des saignements; donc, un cancer avancé. On devrait - comme ce qu’on fait, pour remplir les urnes, pendant les élections - faire des caravanes d’explications et de dépistage, à travers tout le territoire national. Cela rapporterait bien plus et coûterait bien moins cher. ÉVÈNEMENT Il n y a, donc, pas un programme bien précis, en l’occurrence? En effet, Il n’y a aucun programme précis pour cela, aucune systématisation, ni organisation à l’échelle nationale. Ainsi, le dépistage du cancer du col de l’utérus a été, jusque-là, fait grâce à la bonne volonté des médecins prescripteurs. En tout état de cause, un groupe de volontaires, pour certains, d’experts et pour d’autres, travaillant avec l’Institut National de Santé Publique (INSP) et la Direction de la population du ministère de la Santé, ont mis en place un programme, avec l’aide - il faut le dire - des Nations Unies (FNUAP), qui a financé une partie de l’opération, à son début. Ainsi, depuis 1998, les bases de cette campagne de dépistage sont lancées; à savoir: la formation des spécialistes, qui doivent lire les frottis (screeneurs), a permis la mise en place de plus 100 centres de screening, sous la direction du Dr Benaissa, admise à faire valoir à son corps défendant - ses droits à la retraite; toutefois, retraite bien méritée. Le Dr Benaissa a été remplacée par le Dr Chaoui, à la tête du laboratoire de référence de cytologie de l’INSP, où une nouvelle promotion de cytologistes est en cours de formation. Le nombre de colposcopistes formés (sous la coordination du Dr Boudriche n.d.l.r), pour tout le territoire national a atteint près de 250, dont une vingtaine de diplômés, représentant la dernière promotion, est sortie le mois passé. Il faut préciser que l’actuelle Direction de la population du ministère de la Santé et la Direction de la santé et de la population de la willaya d’Alger sont parties prenantes, avec l’INSP, dans la relance de ce programme. Cette fois-ci, cela semble, donc, bien parti? Oui, certes ! Et c’est le bémol à apporter à cette évolution; car, à ce jour, cette campagne peine à atteindre sa vitesse de croisière, pour des raisons financières, en l’absence de budget. Cela veut dire que nous sommes tributaires du directeur d’hôpital et de ce qu’il a d’argent pour le frottis, comme on est, du reste, tributaires, également, pour le planning familial et pour bien d’autres programmes; car, ce sont les structures ‘’hospitalières’’ qui sont budgétées, pas les programmes de santé… A contrario, dans une campagne budgétée, l’argent est affecté directement et uniquement pour l’objet visé. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas, au jour d’aujourd’hui et l’implication du ministère de la Santé, dans la mise en place prochaine d’un ‘’Plan Cancer‘’, nous laisse penser que les choses vont, peut-être, bien démarrer. Le nerf de la guerre demeure, donc, l’argent. Pouvez-vous nous en dire plus; notamment, si d’autres obstacles existent et comment se doit d’être la bonne stratégie du dépistage du cancer du col utérin? Le nerf de la guerre, cette fois, contre le cancer, demeure l’argent. La budgétisation de cette campagne nationale est son maillon le plus important; mais, les autres maillons n’en sont pas moins importants; en particulier, l’organisation, maintenant que les moyens humains sont réunis. A la lumière des dernières évolutions, dans le monde et dans notre pays, d’autres techniques de dépistage, complémentaires au frottis classique, peuvent être introduites, après avis des experts, qui doivent définir leur place dans les nouvelles stratégies de dépistage et ce, en fonction des moyens qui seraient dédiés à cette campagne. Il s’agit, en particulier, des tests ADN, HPV, HR qui amélioreraient la sensibilité, qui fait défaut au frottis, permettant de diminuer les faux négatifs. D’autres marqueurs peuvent être proposés, par les experts, en complément de ces premiers tests, pour améliorer le diagnostic et la connaissance du potentiel évolutif des lésions précancéreuses, qui seront diagnostiquées. Par ailleurs, Il faut repenser, aussi, l’association des cabinets privés, qui peuvent apporter un plus, dans cette campagne. Il faut les intégrer dans les formations dispensées en cytologie et surtout, en colposcopie, pour améliorer leur performance; à l’instar de ce qui se fait, pour les médecins du secteur public. La prise en charge des lésions diagnostiquées et leur traitement, dans les plus brefs délais, doivent être le premier souci des décideurs et des experts. Il faut doter en moyens adéquats et imposer, alors, à tous les services de gynécologie, de prendre en charge les lésions précancéreuses et améliorer, ainsi, les performances des centres anti-cancéreux, pour prendre en charge, dans de meilleures conditions et dans de meilleurs délais, les cancers avérés et permettre, également - par exemple - aux spécialistes de santé publique, impliqués dans ces programmes, de rester en poste, s’ils le désirent, jusqu’à 65 ans. Le vaccin, contre ce cancer, n’est-il pas superflu, en raison des tests d’ADN et des examens de frottis; lesquels demeurent incontournables? Ce volet ne doit pas être négligé. Plus de 120 pays, dont nos voisins immédiats, que sont la Tunisie et Le Maroc, ont introduit le vaccin anti-HPV, chez eux. Nous avons sollicité les deux ministres de la Santé précédents, à travers de nombreuses réunions de sociétés savantes, de réunions à l’INSP et enfin, des recommandations sur des revues de santé, pour l’introduction de ces vaccins anti-HPV. A ce jour, aucun des deux vaccins existant n’est disponible, en Algérie. Ce vaccin, qui est une prévention primaire, ne s’oppose pas au dépistage, qui est une prévention secondaire, tout comme le test ADN, HPV et les autres marqueurs. Ils se complètent et c’est ensemble, une bonne synergie, avec une couverture, par le vaccin, des nouvelles générations de jeune filles et la poursuite du dépistage, amélioré avec les nouvelles techniques, pour les femmes déjà mariées, ou ayant une activité sexuelle. Après l’introduction de ce vaccin, à quand peut-on espérer des résultats positifs? Les résultats attendus de la vaccination seront appréciés dans 15 à 20 ans, avec le recul de l’incidence du cancer du col et de sa mortalité. Il va falloir dépister, encore, la nouvelle cohorte des filles vaccinées, quand elles seront mariées. On verra, alors, les lésions précancéreuses et cancéreuses reculer, avant de disparaître, si les programmes sont bien exécutés. Le vaccin quadrivalent luttera, aussi contre l’apparition des condylomes (ou verrues génitales), qui sont dues aux HPVs de type 6 et 11, qui représentent un fléau, dans notre pays et un lourd poids psychologique, pour les couples qui en sont atteints. Il faut rappeler que chaque année qui passe, sans l’introduction du vaccin, c’est près de 1400 femmes, le plus souvent des mamans, que nous condamnons à la mort. Un mot pour conclure? Nous remercions la presse d’exister, pour porter haut notre voix * Dr Arab Boudriche, gynécologue et chef d’unité du service de gynécologie, à l'hôpital de Zéralda. N°19 - Juin 2013 Santé-MAG 5