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sur la fondation que constituerait, achevée, la seconde. Or, si seul un cercle
vicieux – entendez une perversité accomplie – peut fonder la Tour, « comment
le mur, qui ne formait même pas un cercle, mais une sorte de quart de cercle ou
de demi-cercle, pouvait-il servir de fondation à une tour ? »
Rêvant d'une langue infaillible, les bâtisseurs s'installent au cœur d'un
vallon que lézarde spontanément le texte biblique : « Ils trouvent une faille en
terre de Shin'ar et y habitent ». Biq'ah, c'est la vallée, la faille, la fente, de baq'a,
fendre, éclore, et se frayer un passage. Les Babéliens ne sont pas hébreux, ils
manifestent une crainte naturelle de la migration, ils redoutent l'apparition du
verbe hors la gangue fendue, éclatée, se regroupent pour éviter que la mortelle
morosité ne soit remuée et revivifiée par un surgissement poétique éclaté ; il leur
faut bien alors s'acharner à la renforcer, cette gangue, colmater la faille en quoi
nonobstant ils habitent. Les fils de Noé (les constructeurs de la Tour) nous
enseignent ainsi, concernant la faille, qu'on ne la nie qu'à s'y vautrer, et que l'on
n'y gît qu'à prétendre la combler ; leur aventure nous démontre surtout que la
faille est une incurvation spirituelle, le creuset embrasé de l'insufflation divine.
Car la parole de Dieu s'entend à corroder la glèbe, introduisant de la brise
dans la matière pour briser sa plénitude, tel lors de l'animation d'Adam. En ce
sens elle crée moins qu'elle ne récrée, aérant, allégeant la pesanteur obligée des
êtres et du monde qui les abrite. « Les ciels sont faits par la parole de IHVH :
par le souffle de sa bouche, toutes leurs milices. » (Psaumes, 33:6) Si l'on
examine ce psaume 33, on constate que le verset 6 est précédé d'une capitale
exhortation à la poésie et à la foi, laquelle Chouraqui traduit par adhérence :
« Oui, elle est droite, la parole de IHVH ; tout son fait est adhérence. »
« Tout son fait », en un sens toute sa poésie, de poiein, faire (il n'est pas
interdit de s'aider du grec pour comprendre l'hébreu, les Docteurs eux-mêmes
ouvrent la voie). Il est précisément question de poésie au verset qui précède
encore : « Poétisez pour lui un poème nouveau, excellez à jouer l'ovation. » La
foi-adhérence (émounah, d'où provient « amen ») est poésie, non adhésion :