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1. Contextualisation
1.1. La querelle des universaux
Parmi les interprètes néo-kantiens, certains ont souligné que la
déduction transcendantale, considérée comme le cœur de la Critique de la
raison pure, n’était rien d’autre que l’établissement d’une nouvelle solution
au problème des universaux2. Le résultat de la Critique est explicitement de
remplacer l’ontologie par une analytique de l’entendement pur3, ce qui lui
donne un caractère anti-ontologique, soit, dans la terminologie de la
querelle des universaux, un caractère anti-réaliste. Ceci nous intéresse tout
particulièrement parce que cette querelle s’est trouvée réactualisée dans le
débat contemporain de la philosophie des mathématiques. Nous allons
donc d’abord rappeler la teneur de cette querelle. Puis nous présenterons
l’interprétation de Quine sur l’actualité logico-mathématique de cette
querelle et nous irons dans le détail de certaines positions avec la lecture de
la correspondance entre Frege et Hilbert.
1.1.1. La querelle médiévale
Si on peut considérer que la querelle des universaux remonte
implicitement à Platon, explicitement elle nous vient de Porphyre de Tyr4
dans son Isagoge qui est une introduction aux Catégories d’Aristote. Les
universaux sont les notions, des idées, des termes généraux exprimés par
des mots comme triangle ou homme et qui peuvent s’appliquer à des
multitudes d’individus. Porphyre définit cinq universaux : le genre,
l’espèce, la différence, le propre et l’accident5. Le problème de Porphyre
est de savoir quelle existence on peut attribuer à ces idées, ces termes
généraux : "Quant aux genres et aux espèces (désignés par des mots qui ne
2 Vleeschauwer, La déduction transcendantale, tome 1, p. 75.
3 Kant, Critique de la raison pure, p. 300, III 207.
4 233-305.
5 cf. Lalande, Dictionnaire critique de la philosophie, tome 2, Universaux, p. 1170,
Quinque voces, p. 870. Notons que Porphyre modifiait la liste donnée par Aristote dans
Topiques, I, v, 101b38 : la définition, le genre, le propre et l'accident.