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Guy Flecher — Demiéville, le bon maître de Lacan — 1
Paul Demiéville, le bon maître de Lacan
Celui que Lacan a appelé son bon maître, a été celui par qui il fit la découverte du monde
chinois, sa langue et sa culture. L'œuvre de Demiéville est immense et je me propose de
situer ses enseignements qui sont mentionnés ou évoqués par Lacan, ou dont on peut
penser qu'il les a connus ou/et qu'il en a été influencé. Dans cet article les références de
Lacan ne sont qu'évoquées.
Paul Demiéville est né à Lausanne en 1894 et meurt à Paris en 1979. Après des études
supérieures à Munich, Londres, Édimbourg et Paris et un intérêt initial à l’histoire de la
musique, il découvre le chinois à Londres. Il en poursuit l’étude à Paris, en particulier auprès de Édouard Chavannes, puis étudie le sanskrit et le japonais.
À partir de 1920 il séjournera en Extrême-Orient de façon ininterrompu pendant dix ans :
Hanoï, puis en Chine, Amoy, Tokyo. Il revient en France en 1930 il acquiert la nationalité
française. Dès 1931 il est nommé professeur de chinois à l’École des langues orientales.
En 1945 il quitte ce poste pour devenir directeur d’études à l’École pratique des hautes
études où il inaugure un enseignement de philosophie bouddhique. Par la suite il sera élu
au Collège de France.
Ses centres d’intérêt sont multiples, les études bouddhiques occupant une place essentielle. Du bouddhisme indien tel que l’ont connu les Chinois, il porte son intérêt principalement vers l’histoire du bouddhisme en Chine, les apocryphes chinois et surtout le bouddhisme typiquement chinois, le chan 禪.
Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme1 (1929)
Son œuvre maîtresse fut la direction de son Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme
d’après les sources chinoises et japonaises, intitulé Hôbôgirin. Il y consacra toute sa vie
Les deux premiers volumes parurent en 1929 et 1930. Les quatrième et cinquième volumes ne parurent qu’en 1967.
La première entrée de cette vaste encyclopédie concerne la lettre « a ». « Entre tous les
sons, l'a a un rang et un rôle privilégiés ; il ouvre l'alphabet en sanskrit comme dans nos
langues […] Il est le début, donc le principe de tous les sons […] Il symbolise donc aussi la
négation fondamentale, celle qui porte sur la Production des Essences, qui ne naissent
pas par génération spontanée, mais résultent seulement du jeu des causes ; de manière
générale, il symbolise toutes les négations qui limitent le fini par rapport à l'absolu. [Ses
1
Rédacteur en chef : Hôbôgirin, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme d'après les sources chinoises
et japonaises. Premier fascicule : A-Bombia, Tokyo, 1929, iv + 96 pp.
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Guy Flecher — Demiéville, le bon maître de Lacan — 2
sens sont] Existence, Vide, Sans-Production […] C'est le Sans-Production initial de toutes
les Essences. »
Pourquoi ne pas imaginer que cette référence a participé au choix qu'a fait ultérieurement
Lacan pour désigner ce qu'il a appelé « objet a » ? Je dois à Michel Guibal d’avoir « repéré » cette occurence dans cette publication dont il pense que Lacan ne pouvait pas ignorer
compte tenu des liens qu’il avait avec Demiéville.
École des Langues orientales (1937-1945)
De son passage à l’École des Langues orientales, là même où Lacan le rencontra initialement, on dit qu’il fut un « maître rigoureux mais d’une conscience scrupuleuse, n’hésitant
jamais à reprendre une explication sous plusieurs formes différentes afin de permettre aux
élèves d’assimiler une tournure de phrase ou d’en apprécier le rythme » 2.
De par cette expérience d’enseignement ainsi qu’en raison des questions que posait la
transcription des mots sanskrits et prâkrits en ancien chinois, il s’est intéressé à la linguistique dès ces années 1930-1940. Il publie d’ailleurs de nombreux articles et comptes rendus à ce sujet. En particulier, en 1944 un de ces articles3 contient un exposé lumineux des
particularités de la langue chinoise, s’appuyant sur les développements de la linguistique
moderne.
Dès 1924 il s'était révélé dans un très grand article 4 comme un philologue hors pair, étant
sans doute « le premier à recourir de façon systématique et avec une telle maîtrise des
principales langues du bouddhisme (sanskrit, pâli, chinois et tibétain) à la comparaison
des différentes versions qui ont été faites en Extrême-Orient des originaux indiens entre
IIIe et le IXe siècle de notre ère »5.
Lacan sera son élève à l'École des Langues orientales. À sa première inscription, ils sont
une quarantaine d'étudiants alors inscrits dans ce cursus de chinois en trois ans ; ils seront une soixantaine en 1944-1945. Le 13 juin 1945 il présente l'examen pour accéder au
grade de diplômé de l'École. Ils sont dix à se présenter, 8 sont reçus, trois avec la note 17,
les autres dont Lacan, avec la note 14/20 6.
Le programme publié pour l'année scolaire 1941-1942 donne une idée précise de l'organisation des cours sur une semaine. En première année sont prévus deux cours d'éléments
de la langue et de l'écriture chinoises : grammaire de la langue parlée commune ; exercices pratiques et lectures de textes faciles. En deuxième année, s'y ajoutent une initiation à
la langue écrite et la lecture de textes en langue parlée. Ce n'est qu'en troisième année
2
M. Paul-David
3
Demiéville P., « Le chinois à l'École nationale des Langues orientales vivantes ». in Cent-cinquantenaire de
l'École des Langues orientales, Paris, 1948, p. 129-161. — Choix d'études sinologiques, p. 56-88.
4
Demiéville P.,« Les versions chinoises du Milindapanha », BEFEO, XXIV, Hanoï, 1924, p. 1-258.
5
J. Gernet, « Notice sur la vie et les travaux de Paul Demiéville»
6
Philippe Porret dans son ouvrage La Chine de la psychanalyse, p. 121-123 indique des précisions dont je
n'ai trouvé aucune confirmation dans les documents que m'a fait parvenir la documentaliste de l'INALCO,
Clotilde Trouvé, que je remercie de son accueil et de sa disponibilité.
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qu'il y a une séance d'étude de textes anciens, choisis dans tous les genres de la littérature chinoise. Tout au fil de ces trois années il y a deux séances hebdomadaires avec un
répétiteur chinois, soit un total de six à huit heures de cours. Un tel parcours assure donc
une connaissance de base de la langue chinoise, orale et écrite, ainsi qu'une découverte
des textes anciens.
Zhuangzi (Tchouang-tseu)
Dès son arrivée au Collège de France en 1945, Demiéville commencera la lecture du
Zhuangzi 庄子 en se penchant donc sur l'antiquité chinoise, celle d'avant le bouddhisme.
Zhuangzi est l'auteur le plus fécond et le plus pertinent de cette époque lointaine, et qui
surtout sera le plus proche des moines de l'époque Tang. Aussi son influence sera considérable dans la sinisation du bouddhisme et dans l'élaboration du chan. Demiéville explique les trois premiers chapitres du Zhuangzi (de 1945 à 1951) sans jamais pouvoir publier
la somme de ce travail qui n'apparaîtra qu'au fil des résumés des cours publiés à la fin de
chacune des années. Il rédigera néanmoins l'article de l'Encyplopædia Universalis et gardera le Zhuangzi comme une référence privilégiée.
Le Zhuangzi, Lacan ne l'évoque que pour parler du fameux rêve du papillon (situé à la fin
du deuxième chapitre du Zhuangzi) lors de la séance du 19 février 1964 7, puis, à nouveau,
le 25 janvier 19678. Mais la connaissance que Lacan a de cette pensée est certaine.
Le miroir spirituel9 (1947)
En 1947, il publie Le miroir spirituel, un article dans lequel il enquête sur la métaphore du
miroir et de l’esprit, sur le miroir comme symbole de l’irréalité de ce monde ou de la réalisation immédiate de l’absolu, image dont il montre le retour insistant dans le bouddhisme
indien et chinois ainsi que chez les auteurs taoïstes des IVe-IIe siècles avant notre ère. Il
met ces références en balance avec Plotin ou Al Ghazzâli, Grégoire de Nysse ou Maris de
l’incantation. Dans cette suite de comparaisons entre la mystique occidentale et la philosophie chinoise, il met en lumière l’image du miroir comme symbole ambivalent de l’irréalité du monde phénoménal et de la possession de l’absolu.
Un autre enseignement de ce texte est que le désir est en toi et nul besoin d'un autre miroir. Comme la surface de l'eau, la pureté du miroir spirituel sera corrélée à la passivité, au
détachement du Saint sans pensée, sans désir. Ceci afin de conduire à un état où la connaissance est comme un miroir reflétant spontanément les choses (cf. subitisme). L'objet
de connaissance, de désir est en toi. Tu es miroir. L'autre miroir est « sans éclat », « une
surface où ne se reflète rien ».
En 1963 10, Lacan parle de ce «miroir sans surface dans lequel il ne se reflète rien ». Il
rappelle alors cette autre référence directe à cet article de Demiéville qu'il avait déjà écrite
en 1946 : « Quand l'homme cherchant le vide de la pensée s'avance dans la lueur sans
7
Lacan J. (1964). Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Le Séminaire livre XI, Paris, Éd.
du Seuil, 1973, p. 72-73.
8
Lacan J. (1966-1967). La logique du fantasme, séminaire inédit.
9
Demiéville P.,« Le miroir spirituel », Sinologica, I, 2, Basel, 1947, p. 112-137 — Choix d'études bouddhiques, p. 131-156 — in Choix d'études bouddhiques 1929-1970, 1973, p. 131-137
10
Lacan J. (1962-1963). L'angoisse, Le Séminaire livre X, Paris, Éd. du Seuil, 2004, p. 258.
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ombre de l'espace imaginaire en s'abstenant même d'attendre ce qui va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien » 11 .
Le concile de Lhasa12 (1952)
En 1952 il fait paraître son livre le plus touffu et le plus dense, Le concile de Lhasa. Ce livre retrace la violente controverse entre les tenants chinois du « subitisme », dùn 頓, et les
adversaires indiens partisans du « gradualisme », jiàn 漸. Demiéville met en exergue l’opposition qu’il tenait pour fondamentale entre l’appréhension intuitive et subite de l’absolu, à
la chinoise, et de la progression graduelle vers la délivrance, à l’indienne. Dans le résumé
de son cours de l'année 1948-1949 au Collège de France, Demiéville en parle ainsi13 :
Il s'agit de deux méthodes de culture personnelle d'accès à la vérité, l'une
impliquant une succession d'efforts et d'exercices progressifs, l'autre synthétique et absolutiste […] Pour rendre en français ce complexe notionnel,
les mots subitisme et gradualisme ne sont que pis-aller ; le premier n'est
pas seulement malsonnant, il est trompeur […] L'intuition “subite” est essentiellement achronique, elle échappe à toute détermination temporelle
ou spatiale, alors que la connaissance “graduelle” résulte d'une accumulation de pratiques qui se succèdent dans le temps et se situent respectivement.
Et Demiéville de constater qu'il s'agit d'une catégorie universelle, appartenant au fond
commun de l'esprit humain qu'on peut retrouver en particulier autant dans l'école platonicienne que chez les mystiques chrétiens. En Chine cette opposition s'installe à l'arrivée du
bouddhisme sur fond de controverse entre « le confucianisme raisonnable, minutieux [le]
taoïsme intuitif, mystique, […] Pour Tchouang-tseu par exemple, le tao est essentiellement
un et indivis et ne peut se réaliser que par une intuition elle aussi une et indivise, tout effort, toute volonté étant non seulement inutiles, mais nuisibles ». Le bouddhisme vient se
greffer en Chine sur ce fond et en référence au taoïsme, engendrera le chan.
Cette catégorie se reconnaît aussi dans le passage célèbre et obscur du Mencius (II, A, 2)
que Lacan mentionnera le 20 janvier 1971 : « ce que vous ne trouvez pas du côté du yan
— c'est le discours — ne le cherchez pas du côté de votre esprit »14 !
11
Lacan J. (1946), « Propos sur la causalité psychique », in Écrits, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p.188.
12
Demiéville P., Le concile de Lhasa. Une contreverse sur le quiétisme entre bouddhistes de l'Inde et de la
Chine au VUUe siècle de l'ère chrétienne. BIHEC, VII, Paris, 1952, viii + 399 + 32 pp.
13
Demiéville P.,« Langue et littérature chinoises. Résumé des cours de 1948-1949. I. Le touen et le tsien (le
“subit” et le “graduel”). ACF, 49e année, Paris, 1949, p. 177-182 — Choix d'études sinologiques, p. 94-99.
14
Lacan J. (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, Paris, Éd. du Seuil,
2006, p. 36-37.
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Entretiens de Lin-Tsi15 (1938-1959)
Le chan est la forme sinisée du bouddhisme, mouvement philosophique et religieux, anarchiste et iconoclaste, dont l’influence a été profonde aussi bien en Corée, au Vietnam
qu’au japon où il prit le nom de zen. Au fil des années 1938-1959, Demiéville assure une
lecture des Entretiens de Lin-Tsi dont il publiera en 1971 une traduction pleine de verve,
montrant son talent de traducteur par sa recherche d’une langue alerte et empreinte de
verdeur.
Le moine Lin-Ji 临济, mort en 867 proclame : « Je vous le dis : il n’y a pas de Bouddha, il
n’y a pas de Loi, pas d’œuvres à cultiver, pas de fruits [de ces œuvres] à recueillir ». « Le
vrai miracle, ce n’est pas de voler dans les airs ou de marcher sur les eaux : c’est de marcher sur la terre ».
Au fil de ces entretiens, le maître Lin-Ji répond aux questions de ses disciples en faisant
khât que Demiéville décrit comme étant « une éructation, procédé inimitable de la maïeutique Tch’an ». Ou encore le maître répond par un coup sur la tête du disciple.
C'est en référence à cela que Lacan débute son tout premier séminaire16 et qu'il rappelle
beaucoup plus tard17.
Mais de l’avis de Paul Demiéville, le plus célèbre logion de Lin-Ji, « la quintessence de sa
pensée », est le suivant18 :
Montant en salle, il dit Sur votre conglomérat de chair rouge, il y a un
homme vrai sans situation, qui sans cesse sort et entre par les portes de
votre visage. Voyons un peu, ceux qui n’ont pas encore témoigné ! » Alors
un moine sortit de l’assemblée et demanda comment était un homme vrai
sans situation. Le maître descendit de sa banquette de Dhyâna et, empoignant le moine qu’il tint immobile, lui dit : « Dis-le toi-même Dis ! » Le
moine hésita. Le maître le lâcha et dit « L’homme vrai sans situation, c’est
je ne sais quel bâtonnet à se sécher le bran19 … » Et il retourna dans sa
cellule.
J'ai eu l'occasion dans mon article « Lacan, koanalyste ? Analyste, quoi ! » 20 de rapprocher ce logion de ce que Lacan reprend en 1955 21 et dans Télévision22.
15
Résumés du cours publiés in Annuaire du Collège de France, 1938-1959
Entretiens de Lin-Tsi, traduit et commenté par Paul Demiéville, Collection Documents spirituels, Arthème
Fayard, Paris, 1971.
16
Lacan J. (1953-1954). Les écrits techniques de Freud, séance du 18 novembre 1953. Le Séminaire livre I,
Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 7.
17
Lacan J. (1972-1973). Encore, séance du 8 mai 1973. Le Séminaire livre XX, Paris, Éd. du Seuil, 1975.
18
Op. cit., 1972, p. 31.
19
que Demièville aurait aussi bien pu traduire par : excrément, merde, fèces, crotte…
20
Publié sur le site lacanchine.com : http://www.lacanchine.com/FG07.html
21
Lacan J. (1955), « La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse », Évolution Psychiatrique et in Écrits, Paris, Seuil, 1966, 7 novembre 1955.
22
Lacan J. (1973) Télévision, Paris : Seuil, 1973, p. 28-29 et in Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001,
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Guy Flecher — Demiéville, le bon maître de Lacan — 6
Or dans ce recueil, Demiéville mentionne au détour d’un de ses commentaires, un autre
recueil de koans. Ce recueil a été traduit en français sous les noms de ; Barrière sans
porte ou Passe sans porte 23 . Demiéville le présente sous le titre de La passe qui a pour
porte le rien24. La saveur toute lacanienne de ce titre m'a amené à rédiger l'article « À la
passe avec Lacan »25.
Mais Demiéville nous signale aussi son intérêt pour la psychanalyse dans son commentaire du logion suivant :
Ou bien c'est l'ami de bien qui se saisit de quelque objet et en joue devant
l'apprenti. Mais celui-ci le perce à jour. Du coup l'ami de bien n'est plus
l'hôte, car l'apprenti n'est pas tombé dans l'embûche de l'objet.
Et de commenter :
Du coup l'ami de bien n'est plus l'hôte : il n'est plus le maître ; l'élève — le
consultant — fait la leçon au maître — au consulté —, l'analysé à l’analyste26.
De la Chine, telle qu’il la voit, il écrira en 1971 dans l’édition de ces Entretiens de Lin-Tsi :
Rien de plus chinois que ce sens prodigieux du concret, de l’immédiat, de
la praxis vivante, joint à un déni farouche de toute espèce de théorie gratuite. Contrairement à l’Inde, la Chine se cramponne au réel ; il n’y a pas
de pensée plus terre à terre. C’est pourquoi cette pensée nous déconcerte, en raison même de sa simplicité. Mais dirais-je que lorsqu’on y a
goûté les abstractions paraissent fades.
Le Sûtra du Lotus27
Voilà un texte qui n'apparaît pas en tant que tel dans la bibliographie de Demiéville. Mais
c'est Lacan qui nous dira « Avant que je ne m'intéresse au japonais, le sort a fait que je
suis passé par les bonnes voies et que j'ai expliqué avec mon bon maître Demiéville, dans
les années où la psychanalyse me laissait plus de loisir, ce livre qui s'appelle Le Lotus de
la vraie loi, qui a été écrit en chinois pour traduire un texte sanskrit par Kamârajîva »28.
23
Reps P., « Gateless gate », in Zen flesh, zen bones, 1957. Trad. en français : « La porte sans porte », in
Le Zen en chair et en os, Albin Michel, Espaces libres, 1993, p. 102-154.
M. Shibata, Passe sans porte, Éditions traditionnelles, 1963.
E. Steens, Le livre de la sagesse Zen (ou La barrière sans porte), Éd. du Rocher.
24
in Entretiens de Lin-tsi, p. 118.
25
Publié sur la site lacanchine.com : http://www.lacanchine.com/FG08.html
26
Op. cit., 1972, p. 113.
27
Le Lotus de la Bonne Loi, traduit du sanskrit par Eugène Burnouf, accompagné d'un commentaire et de
vingt et un mémoires relatifs au bouddhisme, Imprimerie Nationale, 1852 — réédition A. Maisonneuve, Paris1973.
Le Sûtra du Lotus. traduction de Jean-Noël Robert, Arthème Fayard, 1997.
28
Lacan J. (1962-1963). op.cit., p. 261.
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Guy Flecher — Demiéville, le bon maître de Lacan — 7
C'est très certainement dans la version en chinois ou celle traduite en français par E. Burnouf que tous deux ont étudié ce texte. Depuis, la traduction a été reprise par J.-N. Robert
sous le titre Le Sûtra du Lotus. Ce Sûtra est extrêmement populaire et on retiendra surtout
le chapitre XXV de cet ensemble, « La porte universelle de l'être d'Éveil Considérant les
Voix du Monde ». « L'être d'Éveil Considérant les Voix du Monde » est la traduction littérale proposée par Robert pour désigner le bodhisattva Avalokiteçvara appelé habituellement Guanyin en chinois, 觀音29. Ce chapitre « célébrissime, qui circule aussi sous forme
indépendante et est récité quotidiennement dans tout l'Extrême-Orient, décrit la protection
accordée par le bodhisattava […] à ceux qui l'invoqueront au milieu des dangers »30.
C'est la lecture de ce chapitre qui ressurgira à la mémoire de Lacan lors de son premier
voyage au Japon, quand il se retrouvera devant une statue de Guanyin, plus particulièrement sous la forme de « Guanyin à la roue des désirs » et dont il parlera lors du séminaire
L'angoisse31. Vous trouverez sur ce site deux articles font directement références à cette
recontre32
Anthologie de la poésie chinoise classique33 (1962)
Largement marquée par l’illumination du chan, la poésie chinoise est une autre révélation
pour Demiéville. Jamais sa passion pour cette poésie ne l’a quitté, estimant que c’est ce
que la Chine a produit de plus haut, « l’expression la plus haute de son génie ». La poésie
restait pour lui intimement liée à la peinture. Il publiera en 1962 une Anthologie de la poésie chinoise classique qui reste encore aujourd’hui une référence incontournable. Il mettra
en valeur la force d’évocation de cette poésie : « Jamais de comme : le symbole sourd de
la réalité elle-même, appréhendée par une sensibilité infiniment directe ».
En 1977, Lacan renvoie ses auditeurs à la lecture du livre de F. Cheng. Mais surtout, il les
invite à se plonger dans la lecture des poèmes chinois et de considérer le fait que les poètes chinois s'expriment par l'écriture.
Le nom complet : pinyin : Guānshìyīn Pú tisàtuo ; chinois traditionnel : 觀世音菩提薩陀; chinois simplifié : 观世音菩提萨陀 — en sanskrit : Âryâvalokiteśvarâbodhisattva अवलो%क'(रबो%धस-व.
Les traductions du nom complet : Essence de Sapience Qui Considère les Bruits du Monde, l'être d'Éveil
Considérant les Voix du Monde (Jean-Noël Robert). Elle est un Bodhisattva (sanskrit) ou Pusa (chinois),
c'est-à-dire qu'elle a obtenu l'Éveil, mais qui ne veut pas tout de suite accéder au rang de Bouddha.
29
30
Robert J.-N., 1997, op. cit., p. 34.
31
Lacan J. (1962-1963), op. cit., p. 256-264
32
Nathalie Charraud : « Lacan et le bouddhisme chan »
Guy Flecher : « Sur les traces des paupières du bouddha »
33
Anthologie de la poésie chinoise classique, publiée sous la direction de P. Demiéville, Paris, 1962, 571 pp.
[2e édition légèrement révisée, 1969] — réédition Collection Poésie/Gallimard (n° 156), Gallimard, 1982.
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