Analyse thématique
Bas, plus bas, négatifs :
la chute irrésistible
des taux d’intérêt
Belfius Research
Février 2016
1
Introduction
Les taux sont à un niveau historiquement bas. Pour un crédit à 10 ans, l’État belge paie
actuellement moins de 1 % et le rendement des livrets de dépôt n’atteint que quelques
dixièmes de pour cent. De nombreux taux d’intérêt sont même négatifs : un Euribor à 3 mois
s’affiche à -0,13 % et il faut une durée de 9 mois pour encore trouver un Euribor positif. Quand
nous comparons ces niveaux à la croissance économique réelle et aux anticipations d’inflation,
les taux étant en fin de compte une compensation pour une consommation différée, nous
nous attendons plutôt à des taux à long terme proches de 3,5 % (1,5 % de croissance et 2 %
d’inflation), tandis que les taux courts devraient avoisiner les 1,5 % (1,5 % de croissance et
0 % d’inflation). À quoi est donc due cette faiblesse des taux ?
Un taux faible était déjà inscrit dans les astres
En réalité, les taux reculent déjà depuis des
décennies, non seulement en Europe mais dans tout
le monde occidental. En d’autres termes, la faiblesse
des taux n’est pas vraiment une grande surprise,
mais est conforme aux prévisions. Le graphique ci-
dessous l’illustre remarquablement. Il montre le taux
des obligations d’État à 10 ans aux États-Unis et en
Allemagne, les deux pays de référence sur le marché
financier (pour l’Allemagne, l’historique débute en
1972). On remarque qu’après les sommets des années
80, les taux baissent systématiquement à partir des
années 90. Il y a certes encore des périodes de hausse
des taux, mais elles sont réduites à néant après quelques
années et les taux poursuivent ensuite leur diminution
constante.
Analyse thématique l Février 2016
Graphique 1 : rendement des obligations d’État à 10 ans
1960 1975
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
1965 1970 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
Allemagne
USA
USA et Allemagne : 10Y gov yield
%
2
Thema-analyse l Février 2016
Pourquoi les taux baissent-ils depuis si longtemps ?
Trois facteurs influencent les taux, en dehors des
facteurs purement conjoncturels et temporaires. Ces
trois facteurs sont les suivants :
la prime de crédit (compensation pour le risque
de défaut) ;
l’inflation et les anticipations d’inflation
(compensation attendue pour la perte de
pouvoir d’achat) ;
le taux « réel ».
Le taux réel est égal au taux nominal moins l’inflation
(attendue), si la prime de crédit est à 0.
Le premier facteur, la prime de crédit, ne sera pas traité
dans cette analyse. En effet, il s’agit ici d’une prime
visant à compenser le risque de faillite. Cette prime est
demandée en plus de l’intérêt normal et varie d’une
entreprise à l’autre et d’une catégorie de rating à l’autre.
En ce moment, elle n’est pas anormalement basse.
Il y a deux raisons pour lesquelles l’inflation influence le
niveau des taux d’intérêt :
L’intérêt est la rémunération que vous percevez
pour renoncer à la consommation pendant la durée
de l’investissement. Il est dès lors logique que la
compensation pour la perte attendue de pouvoir d’achat
pendant la période de l’investissement, les anticipations
d’inflation donc, représente une composante
déterminante importante du niveau de taux. Ces
anticipations ont-elles systématiquement baissé ces
vingt-cinq dernières années et expliquent-elles le
niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt ? Si
oui, peuvent-elles de nouveau augmenter et dès lors
faire remonter les taux ?
L’inflation réalisée est une base de départ pour
formuler des prévisions concernant l’inflation future. Le
graphique 2 montre que l’inflation observée a en effet
fondamentalement reculé depuis le début des années
90 mais qu’elle fluctue aux alentours de 2 % depuis
2000. La diminution de l’inflation et des anticipations
d’inflation est donc une raison qui explique la baisse du
taux nominal. Si l’inflation actuelle est très basse, il
est également logique que les taux soient bas. La
perte de pouvoir d’achat attendue est moindre, la
compensation doit dès lors aussi être inférieure.
Nous observons cependant aussi que les taux sont
presque toujours plus élevés que l’inflation et qu’ils
reculent plus vite que l’inflation. La baisse de l’inflation
n’est donc qu’un facteur qui explique le niveau bas
des taux. D’autres éléments jouent un rôle. Nous y
reviendrons.
Premier facteur explicatif : une inflation et des anticipations
d’inflation basses
-2
6
0
2
4
12
8
10
%
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Graphique 2 : inflation et taux
1.
taux d’intérêt sur les obligations d’État Allemands à 10 ans
inflation dans l’eurozone
3
Analyse thématique l Février 2016
Le deuxième élément qui explique pourquoi l’inflation
détermine le niveau des taux est la politique monétaire.
Depuis les années 80, les banques centrales américaine
et européenne mènent une lutte contre l’inflation.
En effet, une inflation élevée entrave la croissance
économique, car elle va de pair avec une incertitude
et une volatilité élevées. Cette situation complique une
bonne estimation de la rentabilité des projets futurs,
ce qui finit par freiner les investissements et, ensuite
aussi, la croissance et l’emploi. En réduisant la quantité
monétaire et en majorant ainsi les taux à court terme,
l’inflation a finalement été jugulée dans les années
90. Le graphique 2 présente la baisse tendancielle
de l’inflation au cours des années 90, qui se stabilise
ensuite aux environs de 2 %. La crise bancaire a fait
apparaître de la volatilité mais, au cours de la période
2010-2012, l’inflation s’est de nouveau stabilisée à
son niveau cible. Depuis 2014, elle est en recul et l’on
a même enregistré un bref épisode de déflation. La
baisse du prix du pétrole et les séquelles de la crise de
l’euro en sont une explication.
Cette période récente de diminution de l’inflation et
de déflation a également suscité une forte réaction de
la BCE. De la même manière qu’elle ne désire pas une
inflation supérieure à 2 ou 3 %, elle ne veut pas non plus
une inflation nettement inférieure à 2 %. Cela indique
une fois de plus une demande domestique trop faible,
ce qui ralentit l’économie. En outre, des baisses de prix
peuvent induire un report des achats, ce qui ralentit
encore plus la croissance économique. En réaction à
cette inflation trop basse, la BCE a adapté sa politique
en matière de marché monétaire : elle a abaissé son
taux et a créé de l’argent. L’objectif de cette politique
monétaire est, d’une part, de faire consommer le
consommateur (rendre l’épargne inintéressante) et,
d’autre part, de pousser les institutions financières à
octroyer plus de crédits aux entreprises. Concrètement,
elle mène cette politique, appelée Quantitative Easing
(QE), via différents canaux :
l’abaissement du taux directeur, d’abord à -0,2 %
et, depuis décembre 2015, à -0,3 % (taux négatif) ;
la mise en place d’un programme d’achat,
substantiel et long, d’obligations à long terme.
En décembre 2015, ce programme d’achat a été
prolongé jusqu’en 2017.
En abaissant le taux de dépôt directeur à des niveaux
négatifs, la BCE fait baisser tous les taux d’intérêt et
la plupart des taux d’intérêt à court terme deviennent
aussi négatifs. Les taux d’intérêt à long terme sont de
nouveau amenés à diminuer par ce programme d’achat
d’envergure. En effet, la BCE achète chaque mois pour
plus de 45 milliards d’euros d’obligations d’État et crée
ainsi une grande demande exceptionnelle d’obligations
d’État. Dans une telle situation, le prix des obligations
ne peut qu’augmenter, mais si le prix augmente, le taux
baisse. Comme le programme d’achat durera jusqu’en
2017, il subsiste une pression constante à la baisse
sur le taux à long terme des obligations d’État et les
taux d’intérêt à court terme restent négatifs sur les
marchés.
En réaction à cette inflation trop
basse, la BCE a adapté sa politique
en matière de marché monétaire :
elle a abaissé son taux et a créé de
l’argent.
2.
4
Analyse thématique l Février 2016
Les anticipations d’inflation et la politique monétaire
de la BCE jouent un grand rôle dans les taux faibles
et négatifs en Europe, mais les taux ont continué à
se replier même lorsque l’inflation et les anticipations
restaient stables. Comme nous l’avons déjà fait
remarquer, un autre facteur fait pression sur les taux.
Ce facteur est la diminution du taux réel, qui implique la
baisse de la croissance réelle.
Cela est lié à ce que l’on appelle la secular stagnation :
un excédent d’épargne et un manque de possibilités
d’investissement économiquement judicieuses, rendant
le taux réel négatif. Ce que cet excédent d’épargne
et le ralentissement de la croissance économique
provoquent précisément fait encore l’objet de débats.
Différentes hypothèses sont avancées. Une manière
de structurer toutes ces explications potentielles est
de les répartir en deux groupes.
Le premier groupe reprend tous les facteurs qui
entraînent une hausse de l’épargne et de la demande
d’investissements sûrs. L’évolution démographique
mondiale et le vieillissement dans les pays occidentaux,
où une grande partie de la population active épargne
délibérément pour pouvoir conserver son niveau de
vie après la retraite, font partie de ces facteurs. Cette
épargne supplémentaire sera dès lors investie dans
des placements relativement sûrs. De même, le début
de richesse dans les pays émergents provoque une
hausse relativement grande de la capacité d’épargne
mondiale. Une bonne part de ce capital a été et est
investie dans des actifs occidentaux. En bref, ces
deux éléments entraînent une demande importante
d’investissements relativement sûrs, ce qui fait monter
le prix de ces actifs et en fait baisser le rendement.
Dans le deuxième groupe, on retrouve les facteurs qui
induisent une croissance de l’offre d’investissements,
qui est plus lente que la croissance de la demande
d’investissements. La croissance systématiquement
plus faible et le degré d’investissement bas en
font certainement partie. Ces taux de croissance
économique plus bas et ces investissements plus
faibles sont dus à leur tour à une baisse de la croissance
de la productivité, à un accroissement moindre de la
population et au prix relativement bon marché des
biens d’investissement par rapport aux biens de
consommation. L’intensité capitalistique plus faible des
nouvelles industries numériques peut aussi y jouer un
rôle.
Deuxième facteur explicatif : le taux réel et l’économie réelle
“Secular Stagnation” : un excédent
d’épargne et un manque de possibilités
d’investissement économiquement
judicieuses, rendant le taux réel négatif.
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