MR : Régine Sirota, j`aimerais que vous nous aidiez à faire le

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ISSN 1809-0354 v. 6, n. 3, p. 572-580, set./dez. 2011
INTERVIEW
SIROTA, Régine
Institut National de Recherche Pédagogique
Université René Descartes Paris V
MR: Régine Sirota, j'aimerais que vous nous aidiez à faire le point sur les évolutions
de la sociologie de l'enfance qui a beaucoup évolué en France ces dernières années.
D’abord comment passe-t-on de la sociologie de l'éducation à la sociologie de
l’enfance ?
RS: J’ai travail d’abord sur l'école primaire au quotidien1, sur la classe et sur la
construction de l'échec scolaire dans une perspective complémentaire aux travaux
classiques de Bourdieu Passeron et Baudelot-Establet. On avait bien, sur le plan
macro-sociologique, une démonstration du caractère lectif de l'école, -que ce soit
en termes de production, ou reproduction de l'échec-, mais on ne savait que peu ce
qui se passait à l'intérieur de la classe . Ce qui m'intéressait, c'était de comprendre
d’un point de vue, concret, précis, plus microsociologique, comment dans l'interaction
maître-élèves, les choses se faisaient, se construisaient ce que les sociologues
n'avaient jamais travaillé en France à l'époque. J’en suis venue ainsi à m’intéresser
aux élèves. Personne ne s'y intéressait vraiment, surtout au niveau de l’école
primaire. On s’inressait essentiellement aux professeurs. On pensait que celui qui
était maître de la situation, le pivot, dans tous les sens du terme, c'était l'enseignant.
Ce raisonnement, sur le plan théorique était assez bien construit autour de la notion
d’habitus pour expliquer les comportements des élèves, mais nous connaissions
peu de choses sur le plan empirique concernant la socialisation réelle des élèves.
J'ai rencontré à nouveau cette difficulté en travaillant sur enquête pour la
1 SIROTA , R., A escola primária no cotidiano, Porto Alegre, Artes Médicas, 1994, 168p.
HENRIOT , A.,. DEROUET , J.L., SIROTA ,R.,. "Abordagens etnográficas em sociologia da educação:
Escola e comunidade, estabelecimento escolar, sala de aula". In: Sociologia da educação, Dez anos
de pesquisa, FORQUIN,J.C (Ed,), Petrópolis (Brasil) , Vozes, 1996. p. 205-298.
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bibliothèque enfantine du Centre Pompidou2 : Qui fréquentait la bibliothèque,
comment venait-on en bibliothèque, comment la pratique culturelle de la lecture
pouvait être appréhendée ? Il y avait très peu de travaux à l'époque sur ce sujet, et
encore moins sur les enfants et le livre. Finalement on ne savait pas grand chose
des enfants. C'était donc une véritable cesside penser l'éducation dans son
ensemble et pas uniquement au sein du système scolaire ou même au sein des
institutions culturelles. Il fallait pouvoir la consirer dans sa globalité, passer du
« métier d'élève » au « métier d'enfant », et c'est comme cela, que petit à petit je me
suis inressée à une sociologie de l'enfance, dont je me suis rendue compte qu'elle
était déjà développée au niveau anglo-saxon avec 10 à 15 ans d'avance sur nous.
MR: Comment l'explique-t-on? Pour des raisons historiques ? Est-ce à dire que c'est
parce que l'enfant n'avait pas de consistance dans la société, en avait moins il y a
quelques années ?
RS: En France, on considérait comme suffisant de considérer l’enfant en tant
qu’élève ou en tant que membre d’une cellule familiale, c’est-à-dire à partir des
structures ou des institutions aux quelles il appartient à divers titres, et qui le
prennent en charge. La tradition républicaine faisant disparaître l’enfant derrière
l’élève Alors que dans d’autres pays, sur un plan théorique, on constate une
ouverture prenant en compte l’enfant comme individu à part entière et comme acteur
qui se produit bien avant la sociologie francophone, c’est absolument certain. Ce
retour vers l'acteur, cette redécouverte des théories interactionnistes, cette montée
des sociologies interprétatives, tout ce courant théorique a existé d'abord dans
l'ensemble des pays scandinaves, aux Etats-Unis, et en Angleterre, mais cela se
retrouve aussi dans la sociologie allemande. Je pense que cela traduit un rapport à
l'individu différent, en termes de philosophie politique. Dans la sociologie française,
les théories marxistes ont été dominantes pendant longtemps et ont produit ce que
l'on a appeune "glaciation théorique" . La sociologie de l'éducation a été longtemps
globalement dominée par ce type d’approche et la question des rapports de classe et
de linégalité des chances, ce qui était moins vrai dans d'autres sociologies. Dans le
2 EIDELMAN, J., SIROTA ,R., "Des petits rats en bibliothèque : pratiques culturelles à la bibliothèque des
enfants du Centre G. Pompidou", Bulletin des Bibliothèques de France, tome 32, n° 5, 1987, pp. 420-
429.
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cadre d’un travail de comparaison internationale sur la naissance et l’évolution de la
sociologie de l’enfance dans une dizaine de pays 3 , nous avons pu constater que
d’autres chantiers théoriques ont joué. Dans la sociologie anglo-saxonne, par
exemple le féminisme a pris sa place beaucoup plus tôt et une des racines de
l'intérêt pour l'enfant a trouvé sa source paradoxalement, entre autre, dans les
analyses qui ont été produites par le féminisme, notamment par les gender studies.
Elles ont réintroduit la femme et à partir de cette réintroduction, c'est l'ensemble des
minorités qui retrouvent une place et un langage. Dans un premier temps les théories
féministes mettent un voile sur la place de l'enfant, dans la mesure l'enfant est
d’abord considéré comme une charge, qui participe à la dépendance voire à
l’aliénation féminine, puis dans un deuxième temps on prend en compte l’ensemble
des membres de la cellule familiale , non seulement les femme , mais aussi les
enfants pour s’intéresser à leurs statuts et vécus respectifs .. Ce fut le cas par
exemple avec Lina Alanen qui est une sociologue féministe finlandaise, une des
initiatrices du groupe de sociologie de l’enfance de l'Association Internationale de
Sociologie, qui va s’inspirer de la sociologie critique féministe. En participant aux
travaux de l'AIS, je me suis donc rendue compte que l'on était très en retard, et que
l’intuition que j'avais de la nécessid'une sociologie de l'enfance, était pertinente. Il
y a 10 ans, c'est relativement cent, il m'a semblé nécessaire de créer au niveau
francophone un réseau spécifique sur la sociologie de l'enfance, au sein de l’AISLF,
l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française, car il y avait peu
d'échanges et les anglo-saxons ne lisent pas ce qui est écrit en français.
Précédemment personne ne se proclamait de la sociologie de l'enfance, l’enfant était
véritablement un fantôme, et nous étions tellement peu nombreux que c'est
automatiquement au niveau euroen que le travail s’est fait puisque la toute
premre publication qui est sortie est un numéro de l'institut de sociologie de
l'Universilibre de Bruxelles qui avait écoordonné par Suzanne Mollo, et qui
s'appelle « Enfance et Sciences sociales .4
3 préparé dans le cadre du comité de recherche Sociology of Childhood de l’Association Internationale
de Sociologie, nous avions confronté au travers de rapports nationaux commandités sur une grille
commune, lévolution de la sociologie de l’enfance dans une dizaine de pays : Allemagne, Angleterre,
Australie, Brésil, Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Roumanie, USA
BUEHLER-NIDERBERGER, D.& SIROTA, R. (eds.) (2010). Marginality and Voice, Children in Sociology
and Society, Current Sociology, 58 (02).
4 SIROTA, R. (1994). « L’enfant dans la sociologie de l’éducation un fantôme ressuscité? » Enfance et
sciences sociales Revue de l’Institut de sociologie , p 147-163.
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MR: Ce n'est donc pas étonnant que lorsque l'on travaille sur ce thème "les enfants
dans la ville", on ait énormément de mal à trouver des travaux de recherches. En
France, c’est Marie-José Chambard de Lauwe qui a initié les choses.
RS: Oui, mais c'était un travail relativement isolé et qui restait en sociologie tout à fait
embryonnaire, dans la mesure la discipline noble par excellence sur l’enfance,
c'était la psychologie, avec ses deux pendants, la psychologie du développement et
la psychanalyse. Considérer que la sociologie avait à s'intéresser à l'enfance
constitue en ce sens une véritable rupture. Dans un premier temps j'ai coordonné la
publication de deux numéros de la revue Education et Société 5 sur la sociologie de
l'enfance qui sont les deux premiers numéros qui portent directement sur cet objet et
j'ai essayé dans l'éditorial de retracer l’historique de cet inrêt pour la sociologie de
l'enfant, tandis que Cléopâtre Montandon faisait dans le même numéro un bilan de
la littérature anglo-saxone sur le sujet pour les lecteurs francophones. Puis dans un
deuxième temps à la suite de la mise en place des Journées annuelles de sociologie
de l’enfance6 nous avons produit un ouvrage collectif, qui rassemble les travaux de
28 chercheurs de 8 pays intitulé « Eléments pour une sociologie de l’enfance » paru
en 2006 7 . Une des difficultés importantes et une des ambitions de ce réseau, c'est
de rassembler les perspectives des uns et des autres et de faire converger les
champs, car on ne peut pas dire qu'il n'y ait aucun sociologue qui s'intéresse à
l'enfant, mais chacun s'y intéresse en fonction de problématiques tout à fait
spécifiques.
Rassembler est donc nécessaire mais rassembler sur quoi ?
Premier problème comment limiter cette catégorie d’âge ? Une sociologie de la
jeunesse et d'autre part une sociologie de la petite enfance se sont déjà largement
développées comme le manifestent les travaux de synthèse d’Olivier Galland, par
5 SIROTA , R., (dir.), (1998) Education et sociétés, Sociologie de l’enfance (1), 2, 3,
Introduction« L’emergence d’une sociologie de lenfance, évolution de l’objet , évolution du regard »,
p. 9-16.
Traduit dans SIROTA , R.,"Emergência de uma sociologia da infância: evolução do objeto e do olhar‖,
Cadernos de pesquisa, Fundação Carlos Chagas, o Paulo, Mai 2001, n°112, p.7-31.
6 Les premières ont eu lieu tout d’abord à l’université Paris V, en 2001, puis successivement à
Genève, en 2002 ; Lisbonne, en 2003 ; Tours, en 2004 ; Roma Tre, en 2005 ; Strasbourg, en 2006 ;
Istanbul, en 2008 ; Québec, en 2009 ; Paris en 2010, Lisbonne, en 2011 ; les prochaines auront lieu à
Rabat en juillet 2012, lors du prochain congrès de l’AISLF .
7 SIROTA, R.( ed), 2006, Eléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes , PUR
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exemple. Mais on reste là sur la période de l'entrée dans la vie qui soulève beaucoup
de discussions théoriques : est-ce que la jeunesse est un groupe social
homogène par exemple ? Cette période de la vie est largement étudiée avec des
problématiques essentiellement centrée sur la transition avec la vie adulte,
l'insertion dans le marché du travail ou encore le passage à l'Universi . La
sociologie des étudiants qui n’avait pendant 25 ans rien produit, face à la
massification de l'enseignement supérieur a donné lieu à de nombreux travaux
récemment. Autre thématique, le report du mariage, donc linstallation du
concubinage, toutes les formes d'entrée dans la vie de couple, etc. Sur l'autre
versant, la sociologie de la petite enfance s'est essentiellement développée au
niveau de la prise en charge institutionnelle des enfants, ainsi que le montre Eric
Plaisance. Mais, rien sur ce qui se passe entre la petite enfance et la jeunesse. Le
vide total. Or on ne peut pas penser uniquement l'enfant en devenir, il faut bien le
penser aussi au présent ! L'idée c'est de combler ce vide. Bien sûr, on butte sur le
problème des limites de l'âge de l'enfance. Je pense à cet égard qu'il ne faut pas
faire d'exclusive ni en aval, ni en amont et que ce qui nous intéresse de fait c'est tout
l'âge de la vie qui est sous le statut de minorité, ce qui se passe au niveau de ce que
nous sociologues appelons cette forme structurelle qu’est l'enfance. Comment la
société va penser cette forme- ? Les travaux des historiens ont été novateurs et
initiateurs de ce point de vue, comme ceux de Philippe Ariès qui on montré que le
sentiment de l'enfance bouge, même si cela a été discuté ultérieurement. On peut
dire que l'idée générale est de prendre en considération cette forme structurelle et
d’essayer d’en comprendre la spécificité dans la moderni par rapport à son
évolution historique. Il n'y a donc pas de raison de reprendre ces coupages,
puisque pour nous, les découpages sont aussi une forme de construction sociale
dont des arbitraires vont évoluer au long du temps. Ce sont des découpages
essentiellement institutionnels provoqués par la forme scolaire, et qui font que,
quand on pense enfance, on pense formes de prises en charge : l'âge de la crêche,
l'âge de la maternelle, l'âge de l'école primaire, l'âge du collège, l'âge du lycée, l'âge
de l'enseignement supérieur. C’est une forme ponctuelle, c'est une manière de voir
les choses mais c’est une construction institutionnelle que nous proposent les modes
de prises en charge sociales essentiellement organisés autour de la garde ou de la
scolarité. Il s’agit d’une forme comme une autre, à nous de la construire pour en
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