L'activisme comme méthode : quelle méthodologie pour étudier les nouvelles formes
d'activisme se développant sur les médias émergents ? (extrait de Devenir média.
L'activisme sur Internet entre défection et expérimentation – Amsterdam, 2007)
Par Laurence Allard et Olivier Blondeau
Tout travail d'investigation sur les activistes sur Internet pose une série de problèmes relativement
spécifiques, que l’on pourrait résumer de façon quelque peu provocante en avançant l'idée que les
activistes, avec qui nous avons mené ce travail de recherche et d’enquête, sont déjà eux-mêmes des
ethnométhodologues garfinkelien et des pragmatistes deweyen.
Le premier problème est lié à la collecte et à la nature des données recueillies sur ce terrain de
l’activisme électronique contemporain. Rejoignant la philosophie pragmatiste de Dewey, en accord
avec l’idée que l‘expérimentation constitue le principe d’une expérience humaine comme
transaction continue, faite d’interprétation et d’ajustement, entre une créature vivante et son
environnement, et par conséquent que la logique de conduite des actions humaines est une logique
d’enquête (inquiry), les activistes contemporains viennent configurer des formes de vie politique
placées sous le signe de l’expérience, de l’enquête et de l’expérimentation, termes qui chez Dewey
sont corrélés les uns aux autres
1
. Mais si l’expérimentation comme enquête se définit
comme "transformation contrôlée ou dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si
déterminée en ses distinctions et relations constitutives qu’elle convertit les éléments de la situation
originelle en tout unifié
2
", comment enquêter sur l’expérimentation en politique ? Comment
constituer un corpus de données, par définition singulières, fragmentaires, temporaires ? Bref,
quelle méthodologie pour la méthode activiste ?
C
ONSIDERANT LE POLITIQUE COMME EXPERIMENTATION ET DEPLOYANT UNE METHODOLOGIE
D
’
ACTION DE RUPTURE
(
BREACHING
),
L
’
ACTIVISME ELECTRONIQUE NOUS SUGGERE
,
DANS LE SOUCI DE
L
’
ADEQUATION METHODOLOGIQUE AU TERRAIN ETUDIE
,
D
’
OPTER POUR UNE OPTION HERITEE DU
PRAGMATISME
,
DE LA SOCIOLOGIE INTERACTIONNISTE ET ETHNOMETHODOLOGIQUE
,
CONNUE
,
AVEC
SES VARIANTES ET SPECIFICITES
,
SOUS LES NOMS GROUND THEORY
,
BREACHING EXPERIMENTS
,
"
METHODOLOGIE DOCUMENTAIRE D
’
INTERPRETATION
"
OU UNIQUE ADEQUACY REQUIREMENT
.
D
ANS LA
CONTINUITE DE LA QUETE ETHNOGRAPHIQUE
,
CETTE OPTION QUALITATIVE A ETE FORMALISEE
NOTAMMENT PAR
S
TRAUSS ET
G
LASER EN
1967
3
,
ANNEE OU
G
ARFINKEL PROPOSAIT UNE VERSION
PLUS RADICALE DE L
’
HERITAGE PRAGMATISTE AVEC SES
S
TUDIES OF
E
THNOMETHODOLOGY
4
.
De la ground theory, nous avons emprunté, sans chercher à entrer dans les querelles interne entre
écoles, la démarche générique de la logique inductive, consistant en analyse séquentialisée du
terrain, par un aller-retour entre données et hypothèses analytiques afin de contrôler la validité des
propositions sociologiques
5
. Dans ce mouvement de validation "du terrain par le terrain", comme le
recommande un virtuose de la sociologie interactionniste, Howard Becker, il s’agit pour les
sociologues de donner "une signification théorique à leur recherche, mais ils reconnaissent qu’ils
n’en savent pas assez a priori sur le terrain pour y déceler d’emblée les hypothèses et problèmes
1
DEWY, John. Le public et ses problèmes. Paris : Farrago, Sheer, Université de Pau, 2003. Cf. notamment
l’introduction de Jöelle Zacks.
2
DEWEY, John. Logique. La théorie de l’enquête. Paris : PUF, 1993, p.615.
3
The Discovery of Ground Theory. Strategies for Qualitative Research. Chigago, Adline, 1967. cf. CEFAÏ, Daniel
(dir.). L'enquête de terrain. Paris : La Découverte, 2003
4
GARFINKEL, Harold. Studies of Ethnomethodology. Englewood Cliffs, 1967.
5
BECKER Howard. "Inférence et preuve en observation participante. Fiabilité des données et validité des hypothèses"
in CEFAI Daniel. op.cité, p.350-362.